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Rapports égalitaires hommes/femmes : 
mythe ou réalité ?

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Conférence donnée par Madame Françoise David, présidente de la fédération des femmes du Québec, le 29 novembre 1999, à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre

D'abord je veux témoigner ma sympathie et ma solidarité aux parents et proches des 14 jeunes femmes victimes de la tuerie de Polytechnique.

Je suis une femme, une féministe, mais aussi et beaucoup une mère de famille, mère d'un garçon. Sans avoir la prétention de pouvoir partager la douleur de ceux et celles qui ont perdu un enfant ou une sœur, je peux imaginer le sentiment d'arrachement, l'horreur, l'incrédulité, la peine, la colère. Car nos enfants sont certainement les êtres que nous aimons le plus inconditionnellement.

Je veux donc rendre hommage à la Fondation des victimes du 6 décembre qui, avec persévérance, nous demande tous les ans depuis dix ans de nous souvenir pour agir.

Je veux rendre hommage aussi à Heidi Rathjen et à ses alliées pour leur courage et leur détermination dans la longue lutte pour l'obtention d'une loi sur le contrôle des armes.

Je m'en voudrais enfin de ne pas mentionner le travail souvent invisible de toutes celles qui viennent en aide aux femmes victimes de violence. Je veux appuyer ceux et celles qui s'insurgent contre l'omniprésence de la violence dans certains médias et qui essaient de promouvoir un modèle de société où l'on règle les conflits par le dialogue plutôt que par la confrontation.

Et j'en arrive au sujet de la conférence : L'égalité entre les hommes et les femmes, mythe ou réalité ?

Comment l'aborder ? Ce dont j'ai envie, ce midi, c'est de réfléchir avec vous, de dire devant vous ce que je pense et ressens, d'ouvrir un dialogue, où l'on dit vraiment ce qu'on pense , où l'on n'hésite pas à débattre. C'est là le grand plaisir d'un rendez-vous comme celui-ci. Alors, je plonge. Et retourne en décembre 89.

Je me rappelle : La stupeur, l'incompréhension, la douleur comme un coup dans le ventre ou la poitrine, le cœur en miettes, la colère… le besoin d'amour et le besoin d'agir. C'est tout cela que j'ai ressenti.

Je me rappelle : les femmes bouleversées, défaites qui tentaient de comprendre. Et qui n'en revenaient pas que dans les médias, plusieurs se refusent à parler d'un crime contre les femmes.

Je me rappelle : de la peine des hommes, de leur malaise, d'un sentiment diffus de culpabilité, qui débouchait parfois sur la colère. Personne n'aime se sentir coupable et la tentation vient de chercher des boucs émissaires. Pour plusieurs, ce furent les féministes.

Ce souvenir-là m'habite : la difficulté de nous rejoindre, d'être ensemble dans une période extrêmement traumatisante. Je ne généralise pas, il y a eu aussi de belles solidarités. Mais Dieu que nous marchions sur des œufs !

Il fallait entendre aux nouvelles " Il y a eu 14 morts ". Les victimes étaient toutes des femmes. Lire qu'il ne s'agissait que d'un geste individuel sans aucun lien avec la réalité sociale. Aurions-nous dit la même chose si les victimes avaient été des noirs, des juifs ou des homosexuels ?

Nous faire jeter au visage que les féministes tentaient de récupérer l'événement alors qu'elles étaient si peu présentes dans les médias si l'on compare aux experts et psy de toutes sortes, souvent des hommes…..

C'était dur, très dur… les militantes féministes et bien d'autres femmes se sentaient comme des parias dans une société qui refusait de se regarder en face. Qui avait peine à accepter que l'un de ses enfants terriblement malheureux, exaspéré par des échecs répétés, s'estimant rejeté, discriminé, tue des jeunes filles qu'il rendait responsables de son malheur.

Depuis ce jour, au Québec : Seulement, 446 femmes et 104 enfants ont été tués par des conjoints, ex-conjoints et pères.

Dirons-nous encore qu'il n'y a pas de violence envers les femmes, au Québec ? On peut continuer de penser que Marc Lépine était dépressif, anxieux, qu'il a tué dans un moment de folie. Mais alors que dire de ces hommes qui ont tué 446 femmes et 104 enfants? Que dire de ceux qui continuent de battre, harceler, violer, contraindre des femmes envers qui ils n'ont que du mépris ? Tous anxieux et fous ?

Reconnaître qu'ici, chez-nous, au Québec, dans une société où pourtant les femmes ont fait de grands pas envers l'égalité, une minorité d'hommes refusent d'accepter cette égalité. Ils ne le clameront pas, " politically correct " oblige, mais leurs gestes parlent pour eux.

Et nous savons cela, vous savez cela. Qui ne connaît pas une femme, sœur, parente, amie ou collègue qui a été ou est victime de harcèlement ou de violence conjugale ou sexuelle… Additionnez toutes ces sœurs, filles, amies… vous verrez que nous sommes nombreuses à avoir eu peur, à nous être senties forcées de poser des gestes non désirés et à avoir hésité à en parler.

Dix ans après la tuerie de la Polytechnique, il nous est plus facile à tous et toutes de dresser un bilan lucide et serein de la longue lutte pour l'égalité des femmes et des changements que cette lutte a apportés dans nos rapports et dans la société.

Alors cette égalité entre les hommes et les femmes est-elle un mythe ou une réalité ?

Au Québec, c'est un peu les deux à la fois. Que l'on prenne la question de l'égalité sous l'angle politique, économique ou social, on arrive toujours au même constat : les femmes ont tous les droits qu'ont les hommes… en principe. C'est déjà ça de gagné, et si l'on pense à nos mères, ou aux femmes d'autres pays, c'est beaucoup. Les filles vont à l'école et sont nombreuses à y réussir sans trop de problèmes, elles ont accès théoriquement à tous les métiers, elles peuvent choisir d'avoir ou non des enfants, le Code Civil accorde maintenant aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes et il y a des femmes ministres, P.D.G., journalistes… Bref, ce serait la vie en rose si l'envers de la médaille ne nous rattrapait pas bien vite.

L'envers c'est :

·            La pauvreté et l'isolement des mères monoparentales.

·            Les jobs précaires, à temps partiel, au salaire minimum.

·            La difficulté de faire reconnaître l'équité salariale.

·            La facilité avec laquelle la société compte sur les femmes pour devenir " aidantes naturelles " dans le contexte du virage ambulatoire.

·            Le sexisme " ordinaire " de plusieurs juges. On absout un auteur d'agression sexuelle pourtant reconnu coupable mais on va en appel dans le cas d'une syndicaliste acquittée du vol d'une paire de gants.

·            La banalisation de la violence conjugale, même en cas de meurtre. On dira de lui qu'il était pourtant un bon employé, bon père et bon citoyen. On cherche peu à comprendre la situation ou le point de vue de la victime.

·            L'évolution très lente dans le partage des tâches domestiques, laissant les femmes (surtout) avec la responsabilité de concilier travail et famille.

·            C'est comme nous le rappelait un journal, cette fin de semaine, des femmes ingénieures chez SNC Lavalin mises à pied, comme par hasard après un congé de maternité.

En somme, le Québec est une société très avancée en matière de droits des femmes…mais où subsistent encore de grands pans d'inégalités sociales. Et pas seulement entre les femmes et les hommes, d'ailleurs. Mais ceci est une autre question.

Alors, où allons-nous ? Vers une égalité réelle et qu'est-ce que l'égalité ? Quelques précisions (ou actes de Foi)

Pour moi l'égalité peut tout à fait se vivre dans la différence. Des goûts, des comportements, des manières d'aimer, de parler. L'important c'est que tous et toutes aient tous les choix, des choix réels.

Je n'ai jamais pensé, (même en décembre 1989) qu'hommes et femmes étaient en guerre. Bon, il y a parfois de " tendres guerres " (Brel), des moments où on ne se comprend pas, une culture historique bien différente, à commencer par notre place dans la famille… Mais j'en connais beaucoup qui sont heureux de vivre ensemble.

Comme féministe, ce que je demande aux hommes, comme groupe social ou entité collective, c'est simplement de reconnaître le pouvoir (même quand ce sont des parcelles de pouvoir) qu'ils ont depuis des siècles. Et puis, d'être prêts à accueillir vraiment les femmes dans leurs lieux de pouvoir.

Ce que je demande aussi aux hommes, c'est d'aimer. Leur conjointe, leurs amies de filles, leurs enfants, leurs chums, leurs parents. C'est beaucoup de travail, aimer, ça prend du temps, de l'écoute, du respect, ça ne paie pas aussi cher qu'une bonne job où on se défonce à 70 hres/sem., il n'y a pas de promotion garantie… mais un bonheur qui va bien au-delà.

Et puis, je demande aux hommes de se sentir responsables (pas coupables!) de lutter contre la violence faite aux femmes. Contre toutes les violences, mais aujourd'hui on parle de celle-là en particulier. Il y a toutes de sortes de moyens à la portée de tous : réagir aux blagues grossières et sexistes, intervenir devant un geste violent, aider une femme (amie, sœur, collègue…) victime de violence ou de harcèlement au travail, dénoncer les pornocrates haineux qui sévissent sur Internet. Et puis, être proches de leurs garçons, leur expliquer qu'un vrai homme n'est pas absolument obligé d'aimer se battre ou de " tripper " à la lutte ou à la boxe.

Vous me direz : " tu ne demandes rien aux femmes? " Aujourd'hui, non, parce que tant de femmes luttent à l'année longue pour un emploi décent, pour élever leurs enfants, pour se prendre en mains, s'aimer et se faire confiance, pour devenir plus fonceuses. Et puis, cette semaine, les femmes ont une boule dans la gorge. Elles ont surtout besoin de solidarité et de tendresse.

Sommes-nous donc en route vers l'égalité, vers des rapports harmonieux entre hommes et femmes ?

Je dirais que rien n'est gagné et que les acquis sont fragiles. Que la domination d'une pensée où sévit l'idée que tout peut, doit se vendre et s'acheter nous fait mal à tous mais encore plus aux femmes. Que dans le monde, des millions de femmes et des petites filles subissent à la fois le joug du patriarcat et du " tout au marché ". Des petites filles excisées, vendues comme esclaves, mariées de force, kidnappées pour peupler des bordels où des hommes les veulent vierges. Des femmes soumises à la seule loi du mari, obligées de sortir voilées de la tête aux pieds, à qui on refuse le droit de vote, des femmes butin de guerre. Nous avons toutes et tous un devoir de solidarité envers ces femmes et ces enfants.

Mais je dirais aussi que nombreux sont les hommes et les femmes qui travaillent ensemble à changer le monde ici et ailleurs.

Au Québec, je pense que la Marche des femmes contre la pauvreté en 1995, a été un grand moment de rapprochement (de réconciliation?) entre le mouvement des femmes et l'ensemble de la population. J'ai eu le sentiment que beaucoup de gens nous ont enfin vues telles que nous sommes : féministes, oui, mais d'abord des femmes, des mères, des amantes; solidaires oui, mais dans la bonne humeur et le plaisir; militantes oui, mais pas seulement pour les droits des femmes. D'ailleurs, Marie Cardinal disait : " La cause des femmes, c'est la cause des gens " et elle avait bien raison.

Alors les gens ont compris en nous voyant marcher que nous marchions pour toutes et pour tous. Vous le savez, nous allons d'ailleurs recommencer pas plus tard que l'an prochain. Et même si c'est encore une fois le mouvement des femmes du Québec qui a initié cette première Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence, toute la population sera invitée à participer.

C'est ainsi que nous concevons les prochaines batailles pour l'égalité et la justice. Nous devrons tous être au rendez-vous. Ce qui est en jeu, c'est non seulement de nouvelles façons à inventer pour vivre heureux ensemble mais c'est aussi l'avenir de la planète comme espace vital pour nos enfants.

Voilà, en terminant, je veux remercier les organisatrices(teurs) de m'avoir obligée à faire le point pour moi-même et avec vous en cette période difficile de l'avant 6 décembre. Je souhaite maintenant que nous puissions échanger, discuter avec franchise sur ce thème de l'égalité entre les hommes et les femmes.

La conférence-midi était organisée par l'équipe de prévention de la violence faite aux femmes, Direction de la santé publique de Montréal-Centre.

Direction de la santé publique de Montréal-Centre:
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Garder notre monde en santé

 


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