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Masculinité et violence : un couple infernal

16/10/97

(MFI) L'homme, le mâle, est-il nécessairement agressif, brutal, guerrier? Non, viennent de répondre, recherches à l'appui, des experts de tous les continents réunis à Oslo. L'Unesco ouvre là un vaste champ d'investigation et d'action qui devrait contribuer à promouvoir, dans le concret, la paix dans le monde.

Si l'on sait à peu près ce que recouvre le mot féminité - sensibilité, douceur, intuition, tolérance... - sait-on ce qui se cache derrière la "masculinité" ? On peut le croire, à tort. Sociologues, scientifiques ou philosophes s'interrogent, rassemblent des données depuis une dizaine d'années à peine. Une première réunion internationale d'experts et de travailleurs de terrain s'est tenue fin septembre à Oslo, en Norvège. Ses conclusions viennent d'être présentées à l'Unesco, à Paris. "Le monde a besoin de plus de féminité, de plus d'égalité entre hommes et femmes, a déclaré avec chaleur le directeur général Federico Mayor dans son introduction. Je connais trois manières d'y parvenir. Un : l'éducation. Deux : l'éducation. Et trois : l'éducation !" La grande idée, opérationnelle, qui permettra de faire avancer la réflexion et l'action a été de relier masculinité et violence. Puisque le lien est évident dans les faits.
Le rapporteur de la réunion d'Oslo, le professeur australien Robert Connell, a rappelé dans son best-seller intitulé Masculinities quelques faits et chiffres : l'histoire de l'humanité telle qu'elle nous est parvenue par des écrits ou des récits, constate-t-il, et qui a engendré nos cultures, "est une histoire d'hommes guerroyant pour l'honneur, la terre ou la possession de femmes. Les 30 millions de soldats qui constituent aujourd'hui les forces armées dans le monde sont à une écrasante majorité des hommes. Il en va de même dans la police, les prisons, la sécurité. Dans la sphère privée, les hommes sont infiniment plus violents que les femmes : aux Etats-Unis, plus de 90% des meurtres sont commis par des hommes, et ceux-ci sont quatre fois plus nombreux à détenir des armes. Ces taux ne sont pas exceptionnels. Les viols, les brutalités au sein des familles sont surtout le fait d'hommes. La conduite dangereuse, les sports violents sont pratiqués par des hommes...".
Inutile de poursuivre. Mais attention, ici, aux jugements hâtifs.
Cette photographie en négatif de notre monde ne doit pas occulter le fait tout aussi évident que, si la plupart des auteurs d'actes violents sont des hommes, la plupart des hommes ne brutalisent pas, ne violent pas, ne tuent pas, ne torturent pas, n'assassinent pas. C'est aussi un fait, un élément de la réflexion, et une base pour l'action future. Il ne s'agit donc en aucun cas de juger, insistent les chercheurs. Ni d'accuser, pas plus d'ailleurs que d'excuser. Mais d'analyser, afin de comprendre, les facteurs qui engendrent la violence.

Le macho : un rôle d’homme parmi bien d’autres

Génétique ? Hormones ? Leur rôle ne paraît pas déterminant sur l'agressivité. Et le taux de la fameuse testostérone peut aussi bien grimper à cause du stress social que d'un dérèglement glandulaire. Le rôle de la force brute dans la survie des espèces et l'évolution ? La faculté de se regrouper et de coopérer semble aujourd'hui bien plus importante aux anthropologues. C'est donc du côté de la société, de la culture au sens large, et non de la nature, qu'il faut chercher ces facteurs de violence. Ils sont nombreux, complexes et mouvants, tout comme est complexe et variable la notion de masculinité. Ou plutôt, souligne R. Connell, de masculinités au pluriel.
Car si tout macho est un homme, tout homme n'est pas forcément un macho. Ce n'est là qu'un rôle, une attitude possible parmi bien d'autres, une certaine adaptation à un certain conditionnement. L'éducation est bien sûr déterminante. Les parents, l'école, les modèles sociaux et culturels enferment les garçons, tout comme les filles, dans des rôles réducteurs et contraignants. Un garçon joue avec des armes, se bagarre, jure, se met en colère, ne pleure pas, étouffe ses sentiments. Son père, sa mère même sont rassurés : il a un comportement qualifié de viril ! "Sois un homme !", s'entend-il dire plus tard. En termes de culture populaire, cela veut dire sois courageux, mais aussi selon les circonstances sois une brute, tape sur ta femme, cogne, montre-toi dur et impitoyable... Entre la brute et le pacifiste, il y a toute une gamme de possibilités, de masculinités. On les trouve sur tous les continents, dans toutes les communautés même si les non-violents semblent pour le moment minoritaires. Après l'histoire et l'éducation, la société : les institutions répressives, les sports souvent violents, les hiérarchies, les rapports de force et de pouvoir, la compétition acharnée contribuent à enfermer l'homme dans des rôles de plus en plus réducteurs. La culture en tant que produit de consommation (films, télé, médias) aggrave enfin ces déterminismes en ne présentant comme modèles que des figures brutales, donc des versions réductrices et agressives de la masculinité. Rambo fait bien plus recette que Gandhi. La crise, le chômage, la soif de richesses, de pouvoir ou de privilèges, le racisme, le tribalisme, la religion ou le nationalisme : schémas personnels contaignants et tensions sociales diverses font, en interaction, exploser la violence.
Le sujet est vaste et passionnant. Il touche à tous les domaines, de la psychologie à l'économie, de l'individu à la planète en voie de mondialisation. On commence seulement à le défricher. Dans plusieurs pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Scandinavie, Allemagne), des mouvements d'hommes militants se sont constitués pour réfléchir, informer, faire reculer la violence, à l'égard des femmes et d'une manière générale. En Norvège, des expériences sont menées à l'école qui encouragent systématiquement les comportements positifs et non-violents.
Des agences des Nations unies, des ONG commencent à travailler dans ce sens. "Les hommes peuvent penser qu'ils ont beaucoup à perdre, conclut (très provisoirement) le Pr Connell, pouvoir économique, social, culturel... Certes. Mais pensent-ils à ce qu'ils ont à gagner : la paix, moins de stress, un risque bien moindre de mourir violemment, des relations humaines beaucoup plus épanouissantes..." La violence n'est qu'une prison dont les barreaux sont invisibles. Pour le moment.

Henriette Sarraseca

Encadré 1
Masculinités : de Hitler à Gandhi !

L'histoire humaine est riche de figures d'hommes violents et non-violents. Guerriers et hommes de pouvoir se retrouvent surtout parmi les premiers, hommes de science, de religion, artistes ou penseurs plutôt parmi les seconds. Attila, Hitler, Pol Pot et tant d'autres dictateurs plus ou moins connus d'un côté, Bouddha, Jésus, Gandhi, Bertrand Russell, Théodore Monod et tant d'autres de l'autre. Pôles négatifs et positifs. S’il n'est pas sûr que les premiers soient plus nombreux, ils font de terribles dégâts. Mais violents et non-violents ne sont pas toujours aussi faciles à identifier. D'autant que la violence peut s'emparer d'un non-violent. Les chercheurs réunis à Oslo ont aussi mis le doigt sur un point intéressant : en situation de crise, face à un choix, la violence est souvent un manque de réflexion, d'imagination, une solution de facilité. Etre non-violent demande plus de force de caractère et parfois beaucoup plus de courage que de se laisser aller à la violence. Voir les vies de Jésus ou de Gandhi !

Encadré 2
Des propositions pour faire reculer la violence

Le but des experts réunis à Oslo et de tous ceux qui continuent à travailler à la question est de comprendre, mais aussi d'avancer des solutions concrètes. La réflexion, le débat se poursuivent. L'Unesco instaure, sur son site internet consacré à la culture de paix, un espace de dialogue autour de la masculinité et de la socialisation des deux sexes. Voici quelques-unes des recommandations formulées à Oslo :

- Encourager la co-responsabilité des parents dans l'éducation des enfants.
- Former des instituteurs à un enseignement banissant discrimination et violence (sexisme, racisme, rejet des homosexuels, etc.).
- Former des instituteurs, et encourager les enfants, à résoudre les conflits de manière non violente, à favoriser la communication et à exprimer ses émotions.
- Concevoir des manuels scolaires où figurent des comportements humains non agressifs et non violents.
- Favoriser la création d'études universitaires sur ces questions.
- Aider et encourager les associations et mouvements qui militent dans ce sens.
- Promouvoir des jeux et des sports plus conviviaux et moins violents.
- Encourager la non-discrimination sexuelle au travail.
- Former, au sein même des Nations unies, les forces de "maintien de la paix" à ces questions. De même que, d'une manière générale, les militaires et les policiers (sensibiliser ces derniers à la violence domestique). Et cela, dans tous les pays !

 


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