Violences conjugales - bien de chez
nous!
par Dominique Foufelle
http://www.penelopes.org/pages/beijing.htm
" Bats ta femme tous les matins... ", le
redoutable proverbe fait encore sourire. On manque rarement de souligner qu’il
vient du monde arabe. Mais une rapide promenade dans les
proverbes du monde nous confirme que partout, la " sagesse populaire
" tient les violences conjugales pour un garant de la bonne marche d’un ménage.
Ce n’est que très récemment que le problème est sorti de la sphère du privé.
Mais il reste beaucoup à faire pour l’éradiquer.
Dans l’immense majorité des cas, les violences conjugales sont exercées par
un homme sur une femme. Cet homme peut être son mari, son concubin ou son
ex-partenaire. La violence prend diverses formes : verbale (insultes, menaces, dénigrement
systématique), physiques (sévices corporels, abus sexuels) ou économique
(privation d’autonomie financière).
Une atteinte volontaire à l’intégrité de
l’autre
En somme, elle vise à réduire l’autre en
esclavage. Elle n’est pas le symptôme d’un conflit au sein d’un couple,
mais un processus de destruction élaboré, consciemment ou inconsciemment. Elle
ne surgit pas brusquement à la faveur d’un désaccord, mais s’installe
progressivement, pour aller crescendo au fur et à mesure que l’emprise de
l’agresseur s’affermit. La victime subit un véritable conditionnement, qui
annihile sa capacité à la rébellion.
Prétendre que des femmes recherchent de telles relations de domination absolue,
revient à supposer qu’elles trouvent du plaisir dans les coups et les
humiliations. En d’autres termes, que le masochisme est un élément
constitutif de la " nature " féminine. La survivance de cette
aberrante idée reçue ne fait qu’accroître la culpabilité des victimes. Car
une " femme battue " se sent presque toujours coupable : de ne pas
savoir satisfaire son partenaire, de vivre une situation d’échec,
d’accepter l’inacceptable. La perte de l’estime de soi détériore son équilibre
mental, sape sa volonté et jusqu’à l’envie de réagir, l’isole dans sa
honte. Le partenaire violent contribue souvent activement à son isolement
social, en exigeant qu’elle abandonne son activité professionnelle et se
coupe de ses relations familiales et amicales. Au bout de ce chemin, il peut y
avoir la dépression, l’alcoolisme, le suicide.
Droits humains ou droits de l’homme ?
Il n’en irait pas ainsi si les violences conjugales
n’étaient considérées comme une affaire privée. Si on ne continuait pas à
véhiculer des images
stéréotypées des victimes comme des agresseurs. Si on leur opposait
publiquement une condamnation nette, comme à toute autre atteinte aux droits
humains tels que définis dans les déclarations internationales.
Mais pour combattre efficacement le problème, il faudrait d’abord en mieux
connaître les caractéristiques et l’étendue. Or, jusqu’à très récemment,
seules des enquêtes limitées et peu significatives avaient été menées,
indique le rapport " World’s Women 2000 " des Nations-Unies, qui
ajoute que des études nationales et internationales mises en route ces cinq
dernières années pourraient avoir à souffrir du tabou qui pèse encore sur
les violences " privées ". En clair, quand statistiques il y aura, on
peut craindre qu’elles sous-estiment l’ampleur du phénomène et sa spécificité.
S’entendre sur la définition de la violence n’est déjà pas chose aisée :
dans les sociétés où la domination des hommes sur les femmes est inscrite
dans les mœurs, seules les formes sévères seront prises en compte par les
personnes interrogées, sauf à conduire des questionnaires détaillés et
explicites. Là où elle est inscrite dans la loi, la notion même de violence
conjugale peut être tout simplement niée. Dans les pays où elle est considérée
comme un délit, la rareté des plaintes (estimées en Europe à une pour vingt
épisodes violents) et l’impunité dont bénéficie encore les agresseurs,
permettent de supposer que les données ne seront guère plus fiables.
Entrée dans le domaine public
A moins d’œuvrer en amont, sur les mentalités.
" Briser le silence ", c’était l’intitulé de la campagne européenne
contre la violence domestique qui s’est achevée en mai 2000. Certes, son
retentissement a tenu davantage de la musique de chambre que de la fanfare. Mais
les résultats de l’enquête
d’opinion menée à cette occasion en France, en Italie et en Espagne sont
plutôt encourageants. Et on peut porter au crédit de la Commission Européenne
d’avoir introduit le sujet dans ses débats - vivement encouragée, il faut le
souligner, par le Lobby Européen des Femmes. Le programme DAPHNE approuvé pour
4 ans (2000-2003) par le Parlement, et qui s’adresse aussi aux onze candidats
à l’adhésion, s’est fixé de mettre en place des mesures préventives
contre la violence à l’égard des enfants, des adolescents et des femmes;
reste à voir quelle place y prendront réellement les violences conjugales. En
France, un partenariat se tisse entre les pouvoirs publics et la Fédération
Nationale Solidarité Femmes, avec un accent sur l’information et la
formation des intervenant-es de terrain.
" (La violence domestique) est le symptome qui illustre le mieux le déséquilibre
des forces dans la relation entre les hommes et les femmes ", peut-on lire
dans la brochure de la campagne européenne. Les Etats admettraient-ils donc que
les violences conjugales s’inscrivent dans le fonctionnement patriarcal des
sociétés ? Souhaitons aussi que les enjeux soient replacés à leur véritable
hauteur : tant qu’on ne luttera pas avec détermination contre la violence
domestique, on ne pourra guère espérer venir à bout du climat de violence déploré
dans les écoles et les lieux publics. Car ce n’est que sur ces bases qu’on
atteindra la " tolérance zéro ", objectif déclaré de la
Commission.
Dominique Foufelle
avec la collaboration de Viviane Monnier,
Fédération Nationale Solidarité Femmes.
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