Discours de Madame
Brigitte GRESY
Madame la ministre, Mesdames, Messieurs,
Il y a dix ans se tenaient au CNIT de la Défense, les
premières assises contre les violences faites aux femmes. Avaient alors été soulignées
notre méconnaissance de lampleur réelle du phénomène et la nécessité de
développer des actions en partenariat.
Dix ans plus tard, lheure est au bilan. Malgré
limmensité de la tâche à accomplir, certaines avancées peuvent être
notées : la législation sur les violences faites aux femmes sest renforcée,
des données statistiques fiables grâce à la toute nouvelle enquête ENVEFF sont
disponibles, enfin, et ce sera lobjet de mon propos, des partenariats visant à
faire travailler conjointement les acteurs concernés ont commencé à se construire au
fil des ans.
Dès lors, par lorganisation de ces nouvelles
assises, il convient aujourdhui de renforcer le dialogue entre les différents
partenaires, de tirer les leçons des bonnes pratiques mais également de proposer des
pistes dactions pour renforcer lefficacité dun cadre
dintervention commun.
Tel est le principal objet des deux tables rondes de cet
après-midi, lune consacrée à la prévention et au traitement judiciaire des
violences et la seconde qui tend à apporter des réponses aux victimes en terme
daccompagnement et de soins. Ce partenariat nécessaire à toute action de lutte
contre les violences faites aux femmes présente deux caractéristiques majeures : il
doit se faire avant tout au niveau local, au plus près du terrain , il rassemble
dautre part des acteurs dhorizon différent, dans une approche
multidisciplinaire : non seulement les acteurs institutionnels et donc les principaux
ministères concernés mais également le monde associatif, véritable relais de la
société civile, les professionnels de la santé et du travail social et les élus,
souvent très actifs dans laccompagnement des femmes victimes de violence.
Permettez-moi de revenir en préambule à quelques
éléments de la réflexion de ce matin qui permettent, dune certaine manière, de
poser les bases de tout partenariat en ce domaine. Pour mieux appréhender les
différentes formes de violences et tenter de les saisir dans leur complexité, je
retiendrai trois idées qui me semblent constituer les fondements mêmes de toute
politique de lutte contre les violences faites aux femmes.
1.Les violences faites aux femmes constituent une violence
spécifique perpétrée en raison du sexe de la victime. Elles sont générées par des
apprentissages et une conformité à des rôles et schémas sociaux différents pour les
deux sexes. Il est bien question ici de rapports de domination.
2. Par ailleurs, se déroulant le plus souvent dans la
sphère privée, la violence est par essence dans notre société de lordre de ce
qui se doit dêtre caché. En effet, cette violence met à jour des processus,
conscients ou inconscients, demprise sur le corps des femmes, dannexion de
leur espace physique et symbolique. La principale difficulté pour elles est alors de dire
lindicible. Lun des enseignements de lenquête ENVEFF a notamment été
de mettre en évidence lampleur du silence et loccultation des violences par
les femmes qui les subissent. " En cas de violence, brisez le
silence " dit le slogan de ces assises. Savoir nommer cette violence pour les
victimes mais également pour nos institutions, cest la désigner, condition
indispensable pour en traiter les effets.
3. Le troisième élément de réflexion est bien que les
femmes ont besoin de sappuyer sur une législation les protégeant et leur
garantissant la reconnaissance de la gravité de lacte mais aussi dun lieu
pour se reconstruire tant physiquement que psychiquement.
Le phénomène des violences exercées contre les femmes
est donc un problème tant social que politique. En conséquence, les pouvoirs
publics se devaient dagir contre des actes qui portent non seulement atteinte à
lintégrité, à la dignité et aux droits de la personne humaine, mais également
aux principes fondateurs de la démocratie. On ne peut réfléchir aux violences sans
intégrer en effet la dimension de légalité puisque ces dernières traduisent des
rapports de force inégaux.
Quelques évènements majeurs ont jalonné ce parcours et
je les rappellerai brièvement.
Je commence à dessein par évoquer le rôle des
associations qui, en France, ont joué un rôle majeur et ont poussé les pouvoirs publics
à agir.
Dans les années 70, la ligue des droits des femmes a
ouvert le premier " refuge " pour femmes battues à Clichy, qui porte
le nom de " Flora Tristan ", lune des initiatrices du féminisme
en France au XIXème siècle.
Puis, par strates successives, laction de
lÉtat sest élargie dans le temps, passant dune vision réparatrice à
une action préventive, visant dans les années 80 à agir au niveau de la loi, à donner
la parole aux femmes, à impliquer lopinion publique et à impulser une politique
partenariale. Ce furent pour mémoire :
- la loi du 23 décembre 1980 sur la répression du viol,
- la création des permanences téléphoniques de soutien et
dorientation, en 1986, le numéro vert " Viols femmes
informations " et en 1987, la permanence découte destinée au victimes de
harcèlement sexuel sur le lieu de travail,
- en 1989 est lancée la première campagne nationale
dinformation contre les violences conjugales en même temps quest prise la
décision de créer des commissions départementales daction contre les violences
faites aux femmes, actions décisives suivies des premières assises en 1990.
- Dans les années 90, le dispositif répressif a été
renforcé et on assiste à une irruption de droit, comme le dit Madame LORVELLEC, dans
lespace clos du travail et de la famille. Lapproche interministérielle de la
politique publique a été également réaffirmée. Je cite rapidement là encore la loi
sur le harcèlement sexuel au travail en 1992 et les lois modifiant le nouveau code pénal
en matière dagressions sexuelles, de viol et de violences conjugales. La même
année, était créée la permanence téléphonique " Violences conjugales
Femmes infos service ".
- En 1999, la circulaire interministérielle relative à la
lutte contre les violences envers les femmes au sein du couple, élaborée en partenariat
entre les ministères de lemploi et de la solidarité, de la justice, de
lintérieur et de la défense a précisé les modalités du partenariat
institutionnel.
- Enfin les travaux récents du Conseil de Sécurité
intérieure et la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
dinnocence et les droits des victimes sont venus renforcer les dispositions
concernant linformation, laccueil et la prise en charge des victimes de
violence.
Sur ce socle davancées obtenues pas à pas, de
nombreux partenariats institutionnels ont été tissés : véritable chaînage
dinterventions et de compétences sexerçant dans lensemble des domaines
relatifs à la prévention et au traitement judiciaire des situations de violence ainsi
quà laccompagnement des femmes qui en sont victimes.
Je voudrais revenir un instant sur ce que me semble être
le pivot du partenariat entre les acteurs institutionnels et associatifs, je veux parler
des commissions départementales daction contre les violences faites aux femmes qui
représentent un lieu politique et stratégique essentiel.
Créées en 1989, ces commissions ont vu leur rôle
renforcé par la circulaire interministérielle du 8 mars 1999.
Cest précisément cette dimension partenariale qui
donne toute sa légitimité à une instance qui réunit, sous la présidence du préfet de
département, les représentants des services de lÉtat, ceux de la justice, des
collectivités locales, des organismes sociaux, enfin des associations spécialisées
ainsi que des personnalités qualifiées.
Leur mission est large puisquelle englobe
léchange dinformations entre les partenaires publics et privés, le
développement des lieux daccueil, découte et dhébergement des femmes
victimes de violences, la mise en uvre dactions dans les domaines de
linformation du public, la formation des professionnels, lamélioration de
laccueil des victimes, du suivi de leurs dossiers et du recueil statistique, enfin
lévaluation des besoins.
Je tiens à saluer ici la mobilisation sur ce thème des
déléguées régionales et des chargé(e)s de mission départementales aux droits des
femmes et à légalité, qui ont la charge danimer ces commissions.
Un bilan du fonctionnement de ces structures a été
établi à la fin de lannée 2000. À ce jour, 58 départements sont dotés de ces
commissions, dont 14 ont été constituées au cours de lannée dernière.
Force est de constater que limplication effective des
acteurs institutionnels et sociaux appelés à intervenir dans ce domaine constitue un
pré-requis pour la mise en place et le fonctionnement de ces commissions.
La méthode du " mainstreaming ", ou
approche intégrée de légalité, qui a déjà fait ses preuves notamment dans le
domaine de légalité professionnelle, doit trouver ici son plein développement.
Je souhaiterais devant vous aujourdhui citer quelques
actions qui me semblent parfaitement illustrer la diversité des partenariats qui peuvent
être engagés au niveau local.
En Ile de France, a été constitué, sous limpulsion
de la délégation régionale, un groupe de travail composé de thérapeutes et
dexperts afin détablir des repères et un cadre théorique pour laide
psychologique aux victimes de viols et autres agressions sexuelles.
Dans le Cher, cest la prise en compte des
particularités du terrain qui a été privilégiée par lélaboration dune
charte départementale sur les modalités daccueil et daide aux femmes
victimes de violence et lorganisation de soirées-débats en milieu rural, avec le
concours du ministère de la justice et la participation active de la gendarmerie.
Dans le Tarn, a été mis en place un large partenariat
institutionnel sappuyant sur des protocoles régulièrement actualisés, notamment
par limplication récente des services sociaux et du conseil de lordre des
médecins, et évalués par un observatoire présidé par la chargée de mission.
Dans lAin et en Savoie, on relève une implication
exemplaire des parquets dans le suivi des situations de violences, au moyen dun
questionnaire détaillé remis par les officiers de police judiciaire et rempli par la
victime, même en labsence de plainte, et par la mise en place dinjonctions de
soins pour lauteur des violences.
Enfin, en Martinique, on peut citer, parmi des actions
diverses, lutilisation dun bus-info mis en place en collaboration avec la
communes et avec le centre dinformation de la jeunesse.
Jarrête là lénumération car mon propos est
de montrer que cette mosaïque dinitiatives représente autant dexemples de
bonnes pratiques et quil importe aujourdhui de les développer.
Pour conclure, je voudrais dire que les partenariats locaux
mais également les partenariats nationaux mamènent à distinguer quatre champs
dactions à luvre aujourdhui dans toute politique partenariale de
lutte contre les violences faites aux femmes :
Le premier champ daction concerne linformation.
Il vise à donner de la visibilité à ce phénomène de violence et à le nommer. Les
chiffres, toujours trop importants quand il sagit de violence, permettent de
réelles prises de conscience. Ce fut lobjectif prioritaire de lenquête
ENVEFF. Cest également lobjectif des ministères de la Justice, de
lIntérieur et de la Défense qui cherchent à harmoniser les sources de
connaissances disponibles et la première table ronde se fera lécho de ce travail.
Il sagit également dinformer les femmes victimes de violence sur leurs
droits, les recours possibles et les associations de soutien.
Le deuxième champ daction est préventif. Il
sagit notamment de promouvoir une éducation non sexiste et non violente qui
sillustre par notre partenariat avec le ministère de lÉducation Nationale
sur lequel madame Belloubet-Frier reviendra cet après-midi. De son côté, la police de
proximité tend à assurer un rôle de plus en plus préventif qui vient compléter son
rôle traditionnel. En terme de prévention, le rôle des médecins est également
important et lenquête ENVEFF a montré à cet égard que les femmes avaient
principalement recours au médecin en premier lieu. Les médecins peuvent à la fois
constater les violences, aider les victimes à en parler et les orienter sur des
structures daccueil.
Le troisième champ relève du traitement judiciaire des
violences dans une optique à la fois daccompagnement des victimes et de répression
des auteurs de violence. Un travail important a été entrepris en ce sens par les
ministères de lIntérieur et de la Défense afin daméliorer laccueil
et lécoute des victimes dans les commissariats et les gendarmeries par le
développement notamment de la formation initiale et continue des policiers et gendarmes.
Le rôle du ministère de la Justice est ici central.
Le quatrième champ enfin est celui de laction
réparatrice. Le rôle des associations et des professionnels de la santé et du travail
social est ici fondamental. Afin de mieux évaluer limpact de la violence à
lencontre des femmes sur leur santé physique et mentale et daméliorer les
conditions de leur prise en charge, un groupe dexperts a été mis en place par le
secrétariat dÉtat à la Santé et aux Handicapés dont la troisième table ronde
se fera lécho. Quant à la violence masculine, elle nest pas inéluctable.
Cest aux femmes et aux hommes de savoir rompre avec un certain conditionnement
social et lengagement des hommes sur le sujet est ici fondamental. Par ailleurs, les
réflexions menées sur le logement des plus défavorisés dans le cadre des plans
départementaux font également partis du cadre de laction réparatrice. En effet,
hormis les centres dhébergement spécifiques aux femmes victimes de violence, qui
ne sont pas présents sur lensemble du territoire, la plupart des autres centres
noffrent pas toujours une infrastructure et un accueil adapté aux besoins des
femmes et des familles. Dimportants progrès restent à accomplir.
Action informative, préventive, répressive, réparatrice,
autant de champs impliquant dimpulser une politique partenariale et de sensibiliser
lopinion publique.
Je voudrais souligner combien ce débat public sur la
violence à lencontre des femmes me paraît fondamental pour rompre le cercle
vicieux de linvisibilité de cette violence. Il y est bien question là encore
dégalité entre les femmes et les hommes.
Et pour finir, je voudrais citer cette phrase de Georges
Vigarello, " cest en confrontant deux sujets, cest-à-dire deux
égaux que la violence peut réellement changer de sens ".
Nommer et compter les violences envers les femmes
L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France est la première enquête
statistique réalisée en France sur ce thème. Maryse Jaspard et l’équipe Enveff, qui en étaient
chargées, ont fait paraître leurs premières conclusions dans " Population et sociétés ", le
Bulletin mensuel de l’INED. Les chercheur-ses exposent la méthodologie (interroger sur des
faits, sans que le terme " violence " soit employé), et commentent les chiffres (dont certains
sont communiqués sous forme de tableau), dans trois sphères : espace public, travail, foyer.
Indubitablement, c’est dans le huis-clos conjugal que se perpétuent le plus de violences de
toutes natures, où les pressions psychologiques arrivent en première place. L’analyse de ces
accablants résultats se poursuit.
Population et Sociétés n° 364, janvier 2001-02-01
www.ined.fr
L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff)
Publication juin 2001 - Extraits
http://www.gip-recherche-justice.fr/dossiers/violencesfemmes.htm
États des crédits qui concourent aux actions en
faveur des droits des femmes: sur le CD-Rom (PDF)
http://alize.finances.gouv.fr/budget/jaune01/4232.pdf
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