La fédération nationale "
Solidarité Femmes "
Dès les années 1970, un mouvement féministe de
solidarité avec les femmes victimes de violences conjugales est lancé à
travers le monde occidental... Des lieux d’accueil s’ouvrent. En France, une
première rencontre des groupes a lieu en 1977. La coordination s’organise. Le
mouvement se transforme en Fédération Nationale " Solidarité Femmes
"* en 1987. La reconnaissance publique d’une longue pratique de terrain
vient au début des années 1990, du côté des partenaires officiels comme des
professionnels. Elle débouche sur des partenariats dont les axes principaux
sont sensibilisation du public, information des victimes, formation des
professionnels concernés. Interlocutrice des pouvoirs publics, la Fédération
n’abandonne pas pour autant son rôle d’empêcheuse de penser en rond...
Entretien avec Viviane Monnier
déléguée nationale
Quelles mesures souhaiteriez-vous voir adopter par
la justice française ?
Dans l’ensemble, la loi française couvre bien le
problème. L’ennui, c’est qu’elle n’est pas toujours appliquée ! Il
manque toutefois dans le dispositif pénal les circonstances aggravantes pour
les ex-partenaires. Les auteurs de violences deviennent de plus en plus
dangereux à partir du moment où il y a la rupture du couple. On sait par
l’expérience que c’est à ce moment-là que certains tuent, parce qu’ils
ne peuvent pas supporter que leur victime leur échapppent. Or, les faitsqui précèdent
peuvent passer pour anodins aux yeux de la loi. Quand il y a harcèlement par
exemple, si l’auteur est un conjoint ou un concubin, c’est un délit, pas si
c’est un ex. Les recours ne sont alors pas suffisamment forts pour faire peur
à l’agresseur. Il y a des magistrats qui essaient d’assimiler ces cas à
une situation antérieure, mais ça reste rare. L’autre point important est la
protection des femmes au niveau du domicile. Quand il y a mariage, on arrive une
fois la procédure mise en route à ce qu’elles récupèrent leur logement.
Mais il y a un moment où elles doivent partir. Pour l’instant, ça se gère
au cas par cas. On voudrait que les femmes, avec leurs enfants, puissent
conserver leur logement, et que l’agresseur soit mis dans l’impossibilité
d’approcher sa victime.
Partir, justement, est-ce une démarche facile pour
une femme victime de violences ?
Pas du tout, partir, imaginer fuir les violences de
son partenaire, c’est un vrai parcours de combattant. D’abord, il faut
savoir ces femmes sont toutes persuadées que ce qui leur arrive est de leur
faute. C’est l’obstacle majeur. Après, si une femme veut réagir, ou
simplement réfléchir, il faut qu’elle trouve les informations et les lieux
qui vont l’y aider. Et ça n’est pas si simple d’y avoir accès; les numéros
d’écoute téléphonique ne sont pas diffusés partout. Par ailleurs, pour
entamer une procédure juridique, il faut des éléments de preuve, et celle qui
est essentiellements retenue en France, c’est le certificat médical. Pour
pouvoir en obtenir un, il faut qu’il y ait des traces physiques, car les
violences psychologiques, qui détruisent autant la victime, ne sont pas
toujours constatées dans le certificat médical. De plus, il faut rencontrer un
médecin qui sait établir ce constat, qui ne pense pas que la production d’un
certificat médical le fait devenir un auxiliaire de la justice. Il faut aussi
rencontrer un policier ou un gendarme qui va enregistrer la plainte, qui ne
banalise pas la chose qui vient de vous arriver... Il y a toute une chaîne, si
un des maillons est manquant ou défaillant, c’est très difficile pour la
victime.
Les témoignages comptent-ils ?
Oui, mais dans la grande majorité des cas, il n’y
a pas de témoins. Quand on habite à la campagne, personne n’entend rien;
dans une maison ou un hôtel particulier non plus. Les voisins, les amis, les
collègues qui pourraient témoigner, généralement, il faut leur expliquer
qu’ils n’auront pas les ennuis qu’ils imaginent. L’entourage a peur que
la violence de l’agresseur ne se retourne contre eux. Or, il y a un point
important : les auteurs de violence ne le sont généralement qu’envers leur
compagne. Dans le témoignage, il peut être fait état de scènes ou de faits
de violence vus ou entendus, mais aussi des conséquences psychologiques de ces
violences : si on voit la victime détruite, toujours avec la peur d’être en
retard, ne voulant faire que ce que commande son compagnon... Ces témoignages
comptent. Mais pour qu’ils pèsent, il faudra que le magistrat instructeur
soit sensibilisé : c’est là encore une des difficultés majeures.
Les témoins peuvent-ils intervenir ?
Qu’est-ce qu’on entend par intervention ? La
permanence téléphonique " femmes info service ", n’est pas un
service d’intervention. Si des voisins, des témoins appellent pour demander
ce qu’ils peuvent faire, l’écoutante va leur donner des informations au cas
par cas. Le service n’appelle pas la police, les témoins, eux, peuvent le
faire. Les lieux d’écoute du réseau fonctionnent sur le principe de ne
jamais aller contre ou forcer la volonté de la victime. Ça n’est pas
toujours facile à gérer, parce que souvent ces femmes sont dans un état de
danger grave. Elles sont à la limite de vouloir que ça s’arrête par
n’importe quel moyen, y compris un suicide ou leur homicide par leur conjoint.
Mais l’intervention de la police peut se faire
sans plainte de la victime ?
Bien sûr, en droit français, l’atteinte à
l’intégrité d’une personne est un délit, la police ou la gendarmerie peut
intervenir, faire une enquête de proximité, estimer qu’il y a une situation
de danger, et intervenir, rappeler à l’ordre l’auteur de violences, le
mettre en garde-à-vue et le déférer au Parquet si les faits le justifient.
Quand une femme victime de violences décide de
quitter le domicile commun, trouve-t-elle des structures d’accueil ?
Il y a des lieux d’accueil mais pas en nombre
suffisant. Quand une femme fuit son domicile, elle peut aller chez des voisins,
chez des amis, à l’hôtel... En France, le réseau des abris spécialisés
regroupe une cinquantaine d’associations, mais il existe d’autres centres
d’hébergement non spécialisés dans la violence conjugale qui accueille des
femmes en difficulté. Ces structures sont financées sur des budgets de
l’action sociale, généralement sur la ligne d’hébergement et de réinsertion
sociale, qui concerne des publics défavorisés. Or la violence conjugale
concernent tous les milieux, aisés ou défavorisés, et toutes les victimes,
quelque soit leur milieu social peuvent avoir besoin de se mettre à l’abri de
la violence d’un partenaire. Les centres d’hébergement peuvent ou non
accueillir tous les publics, cela relève de la politique développée par la
direction de l’action sociale départementale, ce qui, parfois, peut être
dramatique pour certaines victimes. Pouvoir se mettre à l’abri, poser ses
valises, réfléchir, comprendre ce qui se passe, sans se retrouver seule, quand
on est cassée, tétanisée par la peur, quand on ne sait plus quoi faire, être
accueillie, rencontrer d’autres femmes qui vivent ou ont vécu les mêmes
drames, les mêmes angoisses, c’est essentiel. Les femmes victimes de
violences ont besoin d’une palette de réponses qui n’existe pas vraiment.
Les réponses ne correspondent pas complètement aux besoins, qui ne sont pas
toujours connus. Il y a un problème d’accès à l’information des personnes
concernées. Depuis une dizaine d’années, quelques articles de presse, des émissions
de télé ou de radio, ont fait savoir aux femmes victimes de violences
qu’elles n’étaient pas seules dans leur cas, qu’il s’agissait d’un
problème de société. Mais l’information reste dépendante de la volonté
des associations, et de quelques médias. Il n’y a pas en France de campagne
forte, à grande échelle, constante, contre les violences faites aux femmes. Il
y aura des Assises organisées en janvier 2001 à l’initiative de Nicole Péry;
je pense que ça va être un tournant, mais à ma connaissance, ça ne sera pas
accompagné d’une campagne publique. Deux ou trois articles dans la presse, ou
même plus, ne seront pas suffisants. Il n’y a pas affichage du gouvernement
dans son ensemble d’un combat prioritaire contre ces violences.
Vous vous êtes pourtant employées à tisser des
partenariats aussi bien avec les pouvoirs publics qu’avec des associations.
Qu’en attendez-vous ?
En août 1999, Elisabeth Guigou et Nicole Péry ont décidé
la création d’un groupe interministériel de travail sur les violences
conjugales. Enfin le justice s’empare de ce problème ! Ce groupe est chargé
de faire un point sur la législation et les pratiques en France, de les
comparer avec celles des autres pays européens, le but étant d’établir des
propositions (améliorations législatives, informations des victimes, formation
et sensibilisation des magistrats). Par ailleurs, coté Santé, nous souhaitons
que les conséquences des violences sur les femmes deviennent un problème de
santé publique. Dans cet objectif, en partenariat avec la Fédération
Nationale Solidarité Femmes, l’Institut de l’Humanitaire a déposé un
dossier dans le cadre du projet DAPHNE de la commission européenne. Il prévoit
la réalisation d’un site internet pour les professionnels de santé. Par la
suite, nous souhaiterions développer un réseau-sentinelle de médecins.
Ensemble nous avons également interpellé la ministre de la Santé, pour que la
violence à l’encontre des femmes et ses conséquences soit, entre autres, intégrés
dans les formations médicales.
Propos recueillis par Dominique Foufelle
* Fédération Nationale " Solidarité Femmes "
Info Service : 01 40 33 80 60
Ce numéro est destiné à informer de façon anonyme le public et les
professionnels sur tous les problèmes liés aux violences conjugales, et met à
leur service un répertoire d’adresses locales.
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