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Les violences à l'université 

Sous des prétextes rétrogrades, le bizutage n'est en réalité qu'une série de sévices infligés à des jeunes (les femmes surtout) fragilisés par l'arrivée dans un nouveau cursus. 

Par Marion Laporte 

Chaque rentrée universitaire commence par les rites humiliants et dégradants infligés aux « bizuts ». Ces « cérémonies d'accueil » n'ont d'accueil que le nom : on est censé y apprendre, tels des « rites d'initiation » (sic !), les lois élémentaires de la communauté à laquelle l'élève devra appartenir. La mise en infériorité et le conditionnement des nouveaux expliquent pourquoi ces violences sont pratiquées davantage dans les établissements où le bureau des anciens élèves est puissant et détermine souvent une future carrière. 

Au sein des universités, ces pratiques sont moins répandues. Même si quelques relents corporatistes demeurent, la force des syndicats étudiants fait barrière et le nombre croissant d'étudiants ne permet plus à un petit groupe d'individus de revendiquer le pouvoir légitime à imposer une séance de bizutage : ils n'en ont ni la capacité matérielle ni les outils adéquats : la sanction est le principal moteur d'avilissement. A l'Ensam, on se souvient qu'un « HU » (hors usinage : celui qui refuse d'être bizuté) ne pouvait pas accéder à la photocopieuse, à la bibliothèque et n'était pas inscrit à l'indispensable annuaire des anciens ! 

Aujourd'hui, après une prise de conscience collective de la gravité des brutalités subies, la loi de 1998 interdit ce type depratique et prévoit de lourdes sanctions pénales. Les mécanismes deviennent plus pervers. Si les bizuts vont récolter des fonds pour des associations humanitaires ou repeindre un local, l'esprit dégradant peut demeurer de manière plus pernicieuse.. 

C'est alors qu'apparaît la notion de violence morale. Au sein de l'enseignement supérieur, elle peut prendre une multitude de formes : la violence verbale lorsque, en première année de DEUG, un prof maltraite en paroles ses étudiants, leur assénant sans cesse la même rengaine sur la baisse du niveau général, la pauvreté des propos, l'incapacité à écrire... ou pire. Seul un boycott de cours pourrait mobiliser la direction de l'établissement, contrainte alors de régler le problème... à l'amiable puisqu'elle ne possède pas les outils juridiques pour d'éventuelles sanctions. Encore faudrait-il que les étudiants se révoltent,
militent contre ces propos humiliants. Souvent, la violence du discours est subie. Les rares cas recensés ont souvent été mis au jour par les syndicats étudiants, habitués à monter au créneau. Cette violence est une violence de forme, et c'est là toute la difficulté : comment placer la frontière entre la simple critique et l'abus sadique ? 

La violence qui touche au contenu des enseignements ou à la vie politique est plus facilement repérable. Elle mobilise les différentes forces politiques en présence. À l'extrême, et c'est là que la violence survient, lorsqu'un professeur d'université tient des propos révisionnistes, il est immédiatement révoqué ; lorsque les anarcho-syndicalistes affrontent, à coups de batte de base-ball, le GUD dans les couloirs d'une université, la violence de type politique prend sens. Si les accidents continuent à exister, ils semblent devenir des exceptions confirmant la règle : la violence d'ordre politique est aujourd'hui moins répandue. 

L'université a-t-elle toujours été un lieu plutôt paisible où le savoir se transmettait pour le plus grand bien de la recherche ? Penser cela serait la couper du monde qui l'entoure et faire fi de la dégradation des rapports sociaux en général. Au coeur des zones périphériques, une violence à l'université s'exprime lorsque des bâtiments éclatants sont construits ; lorsque la différence de traitement entre jeunes étudiants et jeunes du quartier est perçue comme une injustice flagrante. La question architecturale est alors soulevée. L'implantation d'abord, sans prise en compte des habitudes locales. Par exemple, à Villetaneuse, Paris XIII a été construit comme une université modèle mais sur une zone que les gangs de la banlieue nord utilisaient pour régler leurs comptes. Les pratiques perdurent, mais dans l'enceinte de l'université. L'immense superficie de certains campus impose l'ouverture de voies de passage et le décloisonnement avec l'extérieur. C'est le cas de Paris VIII à Nanterre, où tout le monde peut investir le campus, même certains trafiquants de drogue. Parfois, les erreurs architecturales sont rectifiées comme à Saint-Jérôme, à Marseille, où le campus a pu être fermé. Signe des temps, depuis dix ans, la Direction de l'enseignement supérieur du ministère de l'Education nationale apporte des crédits de sécurité aux universités les plus en difficulté, afin qu'elles puissent s'équiper de services de garde ! Cette forme de violence, dite de « proximité », est
venue de l'extérieur, comme une sorte de revanche, mais aussi comme un symptôme d'un mal social plus global dont les réponses dépassent l'enceinte universitaire. A moins qu'on ne s'y interroge ici, justement ! 

Face à ces phénomènes connus, de nouvelles violences passent le cap du bac et s'introduisent dans l'enseignement
supérieur. Sont-elles une continuité des violences recensées au collège et au lycée ou sont-elles spécifiques à l'enceinte de l'université ? La violence des étudiants semble totalement différente de celle des élèves du secondaire : elle ne touche pas les professeurs et rarement les étudiants entre eux. Elle s'attaque davantage aux services administratifs : les portes fermées sont cassées, le personnel peu disponible agace et peut devenir victime de brutalités. L'augmentation du nombre d'étudiants ne serait-elle pas prise en compte ? Ici, comme ailleurs, le public étudiant évolue et ses comportements ou attentes révèlent davantage ceux d'une société où le consumérisme prévoit l'instantanéité du service comme un dû. On comprend aisément que cela ne corresponde pas à une logique de service public. Mais, là aussi, quelle frontière du supportable entre des étudiants impatients et un secrétariat ouvert quatre heures par semaine ? L'acte violent, justement ! 

Le Comité national contre la violence, installé le 24 octobre dernier par Jack Lang, ministre de l'Education nationale, devrait permettre aux étudiants de s'investir dans un nouveau combat. Des professionnels du terrain de différents ministères, responsables associatifs, élus locaux, chercheurs, parents d'élèves, enseignants, et élèves de différents degré scolaire, plancheront ensemble sur « l'incivilité scolaire », afin d'établir une palette de solutions et de susciter une solidarité en vue de résorber la violence à l'école. 

Mais, la mobilisation collective semble être le vrai remède à la violence, et l'univers universitaire, de par son histoire et sa fonction, pourrait en être le terreau. Mais, face à une individualité de plus en plus grande, elle semble difficile à créer. Elle permettrait pourtant une prise en main des enjeux afin de pouvoir agir au mieux sur son environnement. C'est ce que devrait permettre le nouveau Comité national contre la violence. A suivre... 

Chiffres
Les chiffres du ministère pour la période 1998-99 : 


Nombres de déclarations d'incidents par trimestre dans le secondaire 240 000 
Violences verbales, dégradations, vols 70,8 % 
Coups et blessures 22,4 % 
Racket 3,3 % 
Port d'arme blanche 1,7 % 
Violences sexuelles 1,6 % 
Port d'armes à feu 0,2 % 

Aujourd'hui 80 % de ces élèves sont devenus bacheliers et se sont inscrits dans des écoles et des universités, que vont-ils devenir ?. 

Le Point Grandes Ecoles & Universités - 03/11/2000 - N°1468 - Dossier

 


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