Éducation et conditionnement patriarcal

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Éducation et conditionnement patriarcal

Par le Collectif anti-patriarcal qui regroupe des militant-e-s de : AC! Lille, APU Moulins, CNT Lille, Collectif anti-expulsion, Comité Sans-Papiers 59, Fédération anarchiste Lille, Collectif contre la précarité dans l'Education nationale.  

Toutes des putes... sauf maman !
Le Travail domestique : le privé est politique... et économique
Femmes et précarité : les chômeurs sont des chomeuses !
En France, plus d'une femme sur trois est victime de violence !
Debout les gars réveillez-vous !
Luttes antipatriarcales... Et les hommes, dans tout ça ?
Langage et sexisme

Le patriarcat est un système universel, omniprésent depuis des millénaires. Pourquoi une telle pérennité ? Tout simplement parce que le patriarcat est avant tout un conditionnement.

Les religions, ont bien entendu, un rôle essentiel dans ce formatage des consciences. Elles sont le premier pilier du patriarcat, ainsi l'interdit sexuel et l'infidélité sont toujours plus grave pour une femme. L'idée force des religions c'est que la femme est impure par essence, dans de très nombreuses religions le sang menstruel est le symbole même de leur souillure. Dans les religions polythéistes les divinités féminines ont été reléguées au second plan, dans les religions monothéistes Dieu est mâle ; il s'agit bien de Dieu le père, archétype de l'autorité et du pouvoir

C'est en nous imposant ce genre d'images que le patriarcat nous conditionne, nous avons tous intériorisé ce qu'une femme doit être et ce qu'un homme doit être. Le système patriarcal s'insinue jusque dans l'inconscient collectif féminin et masculin et détermine jusqu'à nos comportements les plus courants et les plus intimes.

L'éducation est la base du conditionnement patriarcal : ce sont les jouets genrés par exemple. Les petites filles reçoivent des poupées et des balais pour se préparer à leur future condition de mère et de ménagère, les petits garçons reçoivent des pistolets afin de mieux intégrer que l'agressivité est un trait de caractère noble et viril. Pire encore, les jouets qui stimulent les apprentissages intellectuels (Légo, Mécano) sont plus souvent offerts aux petits garçons. Plus tard, à l'école, on fera faire du foot aux petits garçons, pour leur apprendre la compétitivité, de la gymnastique aux petites filles pour qu'elle deviennent gracieuses.

Il est évident que les éducateurs (même s'il s'agit le plus souvent d'éducatrices) n'attendent pas les mêmes performances physiques des garçons que des filles, et de fait n'ayant pas les mêmes exigences, leur développement moteur est différent. Il en est de même pour les performances intellectuelles : il a été montré que les enseignants (hommes ou femmes) donnaient plus souvent la parole aux garçons. Ceux-ci sont par conséquent plus stimulés. Ce phénomène apparaît dès l'école maternelle et devient de plus en plus criant au fil de l'avancée dans le parcours scolaire. Les bacs dévalorisés (tel l'ancien bac G) sont pour les filles, les filières scientifiques l'apanage des garçons. De même il y a plus de garçons que de filles qui font des études longues. Bien évidemment, les filles n'ont pas moins de capacités intellectuelles que les garçons (la bosse des maths n'est pas dans le chromosome Y) ; mais les filles comme les enseignant(e)s ont intégré l'équation : «fille = nulle en maths», ainsi quand les difficultés apparaissent, moins d'efforts sont déployés pour les dépasser. C'est de cette manière que l'on rend vrais les présupposés. C'est la même logique qui est en uvre quand on dit que les filles ont plus de maturité. C'est parce qu'on les a éduquées différemment : les filles font l'apprentissage de la responsabilité plus tôt, qu'il s'agisse de tâches ménagères, ou de veiller sur les plus petits. Cette éducation genrée a des conséquences profondes sur le développement des individus. On a montré qu'en dehors de toute considération d'origine sociale, les adolescentes ont une moins bonne estime d'elles-mêmes que les adolescents. Ceci perdure à l'âge adulte, ce qui explique que les femmes entreprennent moins.

Dès l'enfance la petite fille se doit de correspondre à un certain nombre de normes comportementales et physiques : sa poupée Barbie est à l'image de ce à quoi elle devra ressembler quand elle sera grande. Ces normes sont extrêmement contraignantes et complètement en dehors de la réalité (pour exemple le canon de la mannequin qui mesure 1m 80 pour 55 kilos). Elles peuvent conduire à des maladies mentales comme l'anorexie (maladie exclusivement féminine occidentale et contemporaine), qui est bien entendu liée au culte de la maigreur et du «corps parfait» si répandu dans les médias. Les femmes ont tellement intériorisé cette nécessité de correspondre à une multitude de normes, qu'elles en arrivent à accepter de subir ou de s'auto-infliger des souffrances corporelles. Ainsi, nombre de femmes africaines ont parfaitement intégré la nécessité de l'excision pour elles comme pour leurs filles ; toutes proportions gardées la logique est la même quand une femme s'épile à la cire bouillante, elle obéit à deux postulats indéracinables :  1 - il faut souffrir pour être belle ; 2 - le poil n'est pas féminin (mais pourquoi serait-il masculin puisqu'il pousse chez les deux sexes ?). Il en est de même pour les régimes tyranniques complètement déséquilibrés et totalement injustifiés (le régime est d'abord un acte médical quand le poids devient un problème de santé).

Nous participons tous, homme ou femme, à la perpétuation du patriarcat car nous l'avons intériorisé. Ce conditionnement est constamment renforcé par ce que nous vivons, lisons, voyons Cela nous porte, même inconsciemment, à reproduire des comportements sexistes. C'est à nous tous, hommes et femmes, d'en prendre conscience pour briser cette spirale infernale.

Anne TURLURE

 Illustration : Samuel SYLARD (d'après BURKI)

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Toutes des putes... sauf maman !

C'est maintenant un vieux poncif : une femme est soit une mère soit une putain. Entre ces deux extrêmes, point d'existence possible !

La pute Si l'oppression patriarcale est présente dans tous les domaines de la vie des femmes, elle devient particulièrement «palpable» en matière de sexualité.

Une femme n'est jamais considérée comme sujet de désir mais comme objet de désir. On ne lui reconnaît pas la possibilité d'être active dans son désir. Une femme qui manifeste celui-ci est une salope, une garce, une nymphomane Un homme qui présente les mêmes comportements est un Don Juan, un séducteur

Une femme n'a pas d'autres options que de se laisser solliciter, étant entendu qu'elle adore ça. Si elle s'avisait de dire non, elle deviendrait soit une coincée, soit une allumeuse. Si une femme a donné un signe d'assentiment ou si son attitude a été interprétée comme telle, elle ne peut plus faire marche arrière sans léser gravement l'homme. La situation inverse n'existe pas, il n'y a pas d'allumeur. Une femme violée est ainsi toujours plus ou moins soupçonnée d'être responsable de ce qu'elle a subi.

De même, ne pas «aimer les hommes» est pour une femme une terrible faute. Si les homosexuels hommes sont victimes d'hostilité parce qu'ils ne correspondent pas au modèle du mâle dominant, les lesbiennes sont victimes d'une plus grande violence encore car en tant que femmes, elles devraient être naturellement dévolues aux hommes.

La mère Quand elle n'est pas un objet sexuel une femme ne peut avoir d'autre vocation que d'être mère (encore qu'il soit possible d'être les deux successivement ou simultanément). Une femme est censée s'épanouir dans la maternité. Si elle ne veut pas d'enfant, c'est qu'elle est anormale. Dans ce contexte, tout ce qui touche au contrôle des naissances est un enjeu de taille : il s'agit toujours de contrôler la sexualité et le corps des femmes.

La contraception et l'avortement sont des droits acquis de haute lutte, perpétuellement remis en cause par les intégristes de tous poils mais aussi par les «modérés». Rappelons que seules les femmes occidentales ont la possibilité de recourir à des moyens fiables de contrôle des naissances. En France, de nombreuses inégalités perdurent. La contraception et l'I.V.G. restent quasi inaccessibles pour les mineures, les femmes sans papiers, celles qui sont sur la Sécu d'un mari qui ne veut pas en entendre parler et surtout celles qui n'ont pas les moyens. En effet, toutes les pilules ne sont pas remboursées (stérilets, diaphragmes, spermicides le sont encore moins), car l'on considère qu'il s'agit de médicaments de confort. Le Viagra va être remboursé.

L'avortement quant à lui reste un véritable parcours de la combattante du fait des délais bien trop courts, des innombrables embûches posées par les médecins et les personnels hospitaliers «à clause de conscience», ou tout simplement du manque criant de Centres d'I.V.G. publics. A noter que l'avortement n'est toujours pas légalisé en France, il est simplement dépénalisé, c'est tout dire.

Enfin il n'existe pas de contraception masculine, ce n'est pas que cela soit irréalisable, mais les laboratoires n'investissent pas dans ce domaine de recherche : les hommes ne se sentent pas concernés. Tout ce qui tient de la fécondité et de la reproduction est à la charge des femmes, une fois encore.

Anne TURLURE

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Le Travail domestique : le privé est politique... et économique

La problématique du travail domestique est fondamentale. En, effet, si la double journée des femmes salariées est, on le verra, une réalité, c'est aussi un des facteurs-clés qui motive le retour au foyer de certaines femmes et l'abandon de leur vie professionnelle, notamment avec l'arrivée d'enfants. Il est symptomatique que cette question ne se pose quasiment jamais pour les hommes, dont la tâche prioritaire reste le travail professionnel.

La responsabilité ainsi imposée aux femmes en matière de gestion du ménage sert en retour aux patrons à justifier d'un salaire moindre et le temps partiel pour les femmes en raison de leur moins grande disponibilité.

Le déséquilibre reste tout autant important dans la répartition des tâches domestiques. Selon l'INSEE, en 1986, un homme actif consacre en moyenne 45h par semaine (transports compris) pour le travail professionnel et seulement 20h par semaine au travail domestique (ménage, courses, enfants, factures). Soit un total de 65h par semaine. Pour une femme active, la répartition est de 36h par semaine en moyenne pour chaque, soit un total de 72h. Le plus significatif concerne les inactifs : un homme sans emploi consacre 27h40 par semaine à la maison. Un femme sans emploi y consacre 44h par semaine ! Le chômage et les vacances n'existent donc pas pour les femmes.

« Gratuité du travail domestique »

Mais le caractère fondamental du travail domestique, ce n'est pas qu'il est fait à la maison, c'est qu'il est gratuit ! Et c'est au mouvement féministe qu'il revient d'avoir le premier analysé en termes économiques ce caractère gratuit du travail domestique, travail accompli pour l'essentiel par les femmes.  Bien avant les années soixante, les femmes ont toujours travaillé. Et pas toujours à la maison. Ce fut le cas dans l'agriculture, où la production familiale a toujours été faite avec la participation des femmes. Par ailleurs, on estime qu'elles ont toujours représenté entre le quart et le tiers du salariat. Ce qu'elles n'ont jamais maîtrisé, encore moins que les prolétaires, c'est l'attribution d'une valeur à leur travail, en particulier celui effectué pour le compte de leur mari et de leur famille.

Le travail ménager a pourtant une valeur économique bien réelle, au même titre que n'importe quelle autre production. Mais cette valeur échappe aux femmes. Par exemple, si la plupart des ménages préfère acheter de la nourriture brute, non cuisinée, c'est qu'elle est moins chère. Le travail nécessaire pour la cuisiner chez soi est considéré comme gratuit. Le fait est que ce sont encore les femmes qui, majoritairement, accomplissent cette production. Elles sont donc volées de la valeur de leur travail, valeur représentée très exactement par l'écart de prix entre la nourriture brute et la nourriture cuisinée que l'on trouve dans le commerce.

Cette spoliation de la valeur du travail des femmes ne pouvait pas être sans conséquence après leur entrée massive dans le salariat : si le travail des femmes à la maison ne vaut littéralement rien, pourquoi le travail qu'elles effectueraient à l'extérieur vaudrait-il quelque-chose ? La non-valorisation du travail des femmes a donc tendance à se transmettre et se perpétuer au salariat, par des salaires moindres, on l'a vu, et par la dévalorisation des métiers où elles sont cantonnées (secrétariat, nettoyage, enfance, soins, services personnels). On retrouve d'ailleurs dans ces branches du salariat une autre catégorie de personnes opprimées : les étrangers.

Dès lors, entre une société où les femmes sont condamnées à être enfermées à la maison pour effectuer gratuitement le travail domestique, et une société où le nettoyage est pris en charge par des bonnes ou des sociétés de nettoyage (employant majoritairement des femmes sous-payées), la petite enfance par des crèches (et donc des femmes sous payées) et des écoles primaires (idem), pendant que les hommes se font servir le café par leur secrétaire (femme...), la différence n'est pas une différence de nature, mais une différence de degré.

Bertrand DEKONINCK

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Femmes et précarité : les chômeurs sont des chomeuses !

Le patriarcat n'a pas attendu le capitalisme pour exister et prospérer. Mais c'est peu dire que ce dernier tire profit de la domination exercée sur les femmes et des discriminations à leur encontre. En mettant en concurrence tous contre tous, le capitalisme utilise tous les facteurs de divisions qui lui sont offerts : nationalité, régularité du séjour pour les sans­papiers, mais aussi le sexe.

Pour les femmes, l'oppression est double, et le chemin jusqu'à l'égalité reste encore bien long. C'est ainsi que les pauvres, de par le monde, sont en majorité des femmes, tout comme les chômeur-se-s ou, phénomène plus récent, les précaires.

La précarité touche davantage les femmes

Le taux de chômage féminin, sur les 15 dernières années est resté globalement une fois et demi plus important que celui des hommes. Il était de 13,8% contre 10,2% à la fin 98.

D'autre part, les contrats de travail des femmes sont globalement plus précaires que ceux des hommes. Par exemple, dans la fonction publique (grande employeuse de précaires), 31% des femmes ne sont pas titulaires de leurs postes contre 23% des hommes.  La précarité a aussi une autre forme : le temps partiel. Les salarié-e-s à temps partiel sont dans une entreprise celles et ceux qui ont le plus faible taux de salaire horaire, qui ont moins d'avantages sociaux et restent à l'écart des promotions, qui accumulent le moins de points de retraite et d'ancienneté. Ce sont aussi les plus vulnérables aux licenciements. Le temps partiel, s'il est de plus en plus répandu et imposé, est de plus en plus imposé aux femmes : en 1982, 16,4% des femmes étaient à temps partiel contre seulement 1,9% des hommes ; en 1998, elles étaient 31,4% à temps partiel contre seulement 5,6% des hommes. Elles représentent au total 84% des salarié-e-s à temps partiel. Et 75% d'entre elles ne l'ont pas choisi.

 Les smicards sont majoritairement des smicardes

On a, dans le domaine de l'inégalité des salaires entre hommes et femmes, la conjugaison de deux phénomènes auxquels s'ajoutent la précarité : le cantonnement des femmes dans des métiers dévalorisés ; l'inégalité salariale à qualification égale. En 1996, un tiers des femmes à temps complet était payée moins de 1,3 fois le S.M.I.C., contre seulement un cinquième des hommes. Les femmes sont surreprésentées dans quelques domaines professionnels, qui sont principalement des postes d'employées (secrétariat, commerce de détail) et/ou de domesticité sociale (nettoyage, enfance, services de restauration et d'hôtellerie, santé, aide sociale). Même dans le secteur associatif, qui échappe en partie à la logique capitaliste, elles n'ont guère le choix qu'entre six secteurs d'activités, qui constituent 60% de l'emploi associatif féminin. Les professions sont d'ailleurs d'autant plus dévalorisées qu'elles se féminisent. C'est le cas par exemple de l'enseignement primaire, aujourd'hui majoritairement assuré par des femmes.

De plus, même s'il a tendance à se réduire lentement, l'écart salarial entre hommes et femmes, à diplôme et expérience professionnelle égaux, reste très important : 27,2% en France en 1998.

Dernier fait majeur de ces dernières années : les écarts se creusent maintenant entre une frange de la population féminine qui commence à accéder aux postes à responsabilité et l'immense majorité des femmes, dont la situation s'est aggravée, principalement en raison de l'accroissement de la précarité.

Bertrand DEKONINCK

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En France, plus d'une femme sur trois est victime de violence !

C'est ce que révèle un questionnaire diffusé par le Centre national d'Information sur les Droits des Femmes entre décembre 1999 et mars 2000. Violence conjugale, viol, violence au travail (les femmes actives, salariées ou chômeuses, sont quatre fois plus nombreuses à se déclarer victime de violence), violence physique ou psychologique La violence que les femmes subissent est multiple.

Violence conjugale

C'est au sein de la famille que la violence s'exerce en premier lieu, sur les filles, les femmes ou les concubines. La femme appartient à l'homme. Lorsque celle-ci est ravalée au rang de bien, esclave sexuelle et domestique, il peut en user comme bon lui semble. S'il n'a plus légalement le droit de vie et de mort sur sa femme et ses enfants, dans les faits c'est encore trop souvent le cas. Chaque année des femmes meurent sous les coups de leur mari ou compagnon. La violence conjugale, bien que fort répandue, reste un sujet tabou. Le phénomène est parfois minimisé par des médecins, qui refusent de signer les certificats d'incapacité, par la police qui ne prend pas toujours ces situations au sérieux et bien souvent par les femmes victimes de violence elles-mêmes. Cette violence est tout autant physique que psychologique et revêt de nombreuses formes : coups et blessures, viols, menaces, climat de terreur, humiliation perpétuelle. A la violence s'ajoute la plupart du temps la dépendance financière et psychologique des femmes envers leur compagnon, dépendance que celui-ci entretient alors avec soin.

Les femmes victimes de violences conjugales, comme dans le cas du viol, sont toujours soupçonnées d'être plus ou moins responsables de ces violences. Ce qui n'est pas socialement admis, ce n'est pas qu'un homme soit violent, c'est qu'une femme se laisse faire : si elle reste auprès de son bourreau, c'est qu'elle «y trouve son compte».

De l'insulte au viol

La violence que les femmes subissent, qu'elle ait lieu en famille, au travail ou partout ailleurs, revêt souvent un caractère sexuel, de l'insulte au viol. Le patriarcat transforme la sexualité en instrument d'oppression. Les femmes sont des proies, les hommes des prédateurs. Le vocabulaire sexuel en témoigne, et les analogies guerrières ou de chasse sont nombreuses : on ferre une femme, on la prend, on la saute... De toutes façons, elle est passive. Cette vision de la sexualité est encore renforcée par les clichés que véhicule généralement la pornographie. Celle-ci est de plus en plus répandue et facile d'accès. Les adolescents d'aujourd'hui y font leur apprentissage sexuel avec toujours les mêmes stéréotypes : ceux de la femme passive, objet prêt à consommer, toujours partante et sur laquelle on éjacule comme on lui cracherait dessus. Cet apprentissage de la sexualité qui ne peut se vivre autrement que comme une prédation violente crée un climat d'insécurité permanente pour les femmes. Dans la rue, dans le métro, au travail et même parfois chez des proches, refuser de répondre au désir des hommes, c'est s'exposer au minimum à l'insulte, au pire au viol ou au meurtre.

Pourquoi s'étonner alors que les viols soient si nombreux et, parmi eux, que les viols collectifs commis par des adolescents soient en augmentation ? On s'imagine souvent que le viol est le fait de pervers, de malades. Il s'agit au contraire d'un problème social : c'est la société qui crée les violeurs. Le viol n'est pas le résultat d'une pulsion sexuelle incontrôlée mais un instrument de domination. En prison par exemple, les prétendus forts, les caïds, violent les soi-disant faibles (jeunes, hommes «efféminés», homosexuels) pour leur signifier qu'ils sont au bas de la hiérarchie, pour les ravaler au rang de «gonzesse». Ainsi, celui qui servira d'esclave sexuel au sein de la cellule sera aussi astreint aux taches ménagères.

La violence sur les femmes est physique, psychologique et surtout sociale. C'est bien le système qui la crée. La violence est à la fois une conséquence et un instrument du patriarcat. En France comme en Afghanistan, pour les femmes violées ou battues ici, lapidées là-bas, brûlées vives ou excisées ailleurs, il est des combats que l'on ne peut plus remettre à demain.

Anne TURLURE retour au sommaire

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Debout les gars réveillez-vous !

La lutte contre le patriarcat et le sexisme n'est pas qu'une "histoire de bonnes femmes" !


Depuis longtemps, des hommes se sont élevés contre l'oppression des femmes : Condorcet fut de ceux-là, mais aussi bien d'autres, anonymes ou pas. La Commune de Paris (1871) prononça l'égalité entre femmes et hommes. Certains hommes ont soutenu les femmes dans leurs revendications légitimes à l'accès aux droits politiques et économiques (droit de vote et d'éligibilité, droit au travail, à un salaire égal...), d'autres se sont investis dans le mouvement néo-malthusien pour le droit à l'avortement et à la contraception. Mais leur action se cantonnait, en gros, au soutien des revendications féministes, ce qui n'était déjà pas rien !

Par contre, pour ce qui est de la réflexion et de l'analyse de l'implication des hommes dans la perpétuation du système patriarcal, il faut attendre les années 1970 et l'émergence du M.L.F. pour que des hommes commencent à s'interroger et à agir. Cette prise de conscience aboutit alors à la constitution de «groupes d'hommes». On y discute des rapports hommes/femmes, de la virilité, des rôles sociaux sexués, de la sexualité masculine, et de bien d'autres thèmes touchant à l'identité masculine. Ces hommes ont en commun le refus de l'aliénation et du conditionnement des hommes par le patriarcat, le rejet des stéréotypes et «valeurs» qui leur sont imposé-e-s (violence, compétition, mépris des femmes, des homosexuel-le-s, etc). Leur but est de remettre en cause, individuellement et collectivement, la place et le rôle des hommes dans la société. Tout cela est toujours d'actualité, et ces débats, réflexions et actions sont toujours mené-e-s.

Après la première «génération» de groupes d'hommes (peu nombreux mais actifs) qui vécut jusqu'au milieu des années 80, de nouveaux groupes sont apparus depuis une dizaine d'années, avec des approches diverses (thérapeutique, libertaire...). En Europe a été créé en 1997 le Réseau européen d'hommes proféministes, afin de mettre en commun les réflexions et actions antisexistes.

Ce type de «militantisme» reste encore, hélas ! assez (trop) marginal. En effet, bien peu d'hommes sont prêts à jeter au panier leurs privilèges (sociaux, sexuels, politiques, économiques...) et leur position de «mâles dominants» : quels avantages y auraient-ils ? Simplement celui de refuser d'être conditionné, de jouer un rôle dont on ne veut pas/plus, de pouvoir construire son identité et vivre sa vie comme on l'entend ; celui aussi de refuser de dominer, d'exploiter et d'opprimer (consciemment ou non) plus de la moitié de l'humanité ; enfin, et surtout, celui de participer à la construction d'une société où la liberté, l'égalité et la fraternité ne seraient pas que des mots gravés aux frontispices des édifices publics mais une réalité pratique et vivante ! Société qui n'aura pas l'ombre d'une chance d'exister tant que les hommes acceptent (et perpétuent) le fait que les femmes soient le «parent pauvre» de l'humanité, mineures à vie, exploitables, corvéables, violables et battables (entre autres ignominies) à merci. Alors, «debout les gars, réveillez-vous...» !

Laurent

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Luttes antipatriarcales... Et les hommes, dans tout ça ?

Depuis les années 70, le mouvement féministe a permis la prise de conscience et la dénonciation publiques de l'oppression des femmes par un système pluricentenaire : le patriarcat. Bien que trop souvent considéré-e-s par les hommes que comme des "histoires de bonnes femmes", les questionnements et revendications féministes en ont quand même interpelé plus d'un. Certains hommes, solidaires des luttes des femmes et ne voulant pas en rester au simple soutien (via manifs ou pétitions), ont alors et depuis entamé une réflexion, personnelle et collective, sur la place et le rôle que leur assigne le patriarcat. Réflexion qui reste hélas ! toujours d'actualité, mais (ou plutôt : car) trop peu menée.

"C'est l'histoire de mecs..." : des groupes d'hommes contre le patriarcat, d'hier à aujourd'hui

Les "pionniers" Les premiers groupes d'hommes apparaissent au cours des années 70 (1975 en France). Y seront abordés des thèmes comme la sexualité, la paternité, la violence, la pornographie, la contraception masculine, l'homosexualité, l'identité masculine, la virilité, les rôles sociaux et sexués... En France, ce travail est essentiellement le fait de groupes tels l'Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (ardecom), ou de la revue Types-paroles d'hommes, qui fonctionnèrent tant bien que "mâle" jusqu'au milieu des années 1980, puis sombrèrent peu à peu...

La nouvelle vaguelette Depuis une dizaine d'années, de nouveaux groupes d'hommes sont apparus, avec des démarches et des orientations variées : approche thérapeutique au Québec, où un réseau d'hommes s'est constitué à l'initiative du psychanalyste Guy Corneau , approche libertaire (mouvance des squatts, camping antipatriarcal mixte, etc.). En 1997 s'est créé un Réseau européen d'hommes proféministes , rassemblant des hommes antisexistes de tous horizons. Par contre, nous trouvons des groupes dont le discours est plus ou moins (et plutôt plus que moins !) réactionnaire, antiféministe, etc., tels les mouvements pour la condition paternelle en France ou les Promise Keepers aux USA. On peut aussi se demander si le regain d'intérêt religieux de certains hommes - surtout dans sa version dure : "intégrismes" musulman, chrétien, juif... - ne fait pas partie de cette dynamique-là ! La religion constitue en effet l'un des piliers du patriarcat et offre un refuge, un bastion, aux hommes qui ne supportent pas la remise en cause de leur identité, de leur place (dans la famille, la société), et surtout de leur pouvoir (sur la famille, la société, et sur les femmes en particulier) !

Des raisons qui ont pu (et peuvent) faire en sorte que les hommes bougent un peu...

Quelle furent - quelles sont - les motivations de ces "pionniers" antipatriarcaux à s'engager sur un terrain si difficile et pénible, sous le regard méfiant des féministes et l'oeil moqueur de leurs "frères" ?

C'est surtout pour eux la ferme volonté de refuser le rôle d'oppresseur, ainsi que les nombreux avantages que le patriarcat leur donne. C'est le refus des différentes formes de violences masculines permettant cette domination. C'est aussi le refus du conditionnement et de la reproduction éternelle des stéréotypes patriarcaux : le "héros" (l'autiste !), qui ne parle jamais de sa vie sentimentale, et surtout pas avec les copains ! ; le "conquérant", et sa sexualité agressive ; le "chef de famille", dont la seule perspective est de s'épuiser au travail ; les clichés de "bandes d'hommes" au stade, au bar, à l'armée... Ce conditionnement peut devenir insupportable pour ceux qui correspondent peu aux clichés, pour ceux qui ont choisi de rompre avec le patriarcat, et particulièrement pour les homosexuels, pour qui il n'y a pas de place dans la logique "traditionnelle" patriarcale. Mais l'homosexuel profite quand même des inégalités économiques, une des caractéristiques du patriarcat (un salaire plus élevé, moins de difficulté à trouver du travail...). Car si l'homosexuel est et reste un traître à la sacro-sainte virilité et au "clan" des hommes, il est et reste quand même toujours... un homme ! À condition, bien sûr, que son homosexualité ne soit pas visible, assumée ou qu'il ne soit pas "efféminé" - suprême trahison ! Toutefois, les souffrances et l'aliénation des hommes dûes au patriarcat n'ont littéralement rien à voir avec l'oppression des femmes. La souffrance engendrée chez les hommes antipatriarcaux est, en général, la conséquence d'un choix : celui de ne pas/plus supporter le système patriarcal. De plus, ils ont toujours la possibilité de "s'arranger", partiellement ou complètement, avec celui-ci pour être tranquilles. Même les hommes les plus conscients restent susceptibles de reproduire ou ranimer les comportements les plus anachroniques : des "rechutes" terribles dans les réflexes patriarcaux sont, hélas ! plutôt la règle que l'exception. Une méfiance et une vigilance profondes des militants antipatriarcaux envers eux-mêmes et leurs camarades restent indispensables. La lutte féministe - qui était déjà à l'origine des efforts de ces hommes - doit rester la référence primordiale, l'orientation générale pour eux. Ce n'est toutefois pas un appel à (ni une excuse pour) se vautrer dans le canapé et laisser les efforts idéologiques aux femmes ! Au contraire, messieurs, nous avons du boulot : il nous faut acquérir la conscience de notre implication dans les mécanismes de domination, en se posant quelques questions, en appuyant là (surtout) où ça fait mal ! Quels aspects du patriarcat perpétuons-nous ? Quel décalage y a-t-il entre nos idées et nos pratiques ? Comment éviter de réemployer ces mécanismes et ces comportements de domination ? Comment découvrir et définir nos identités individuelles au-delà du conditionnement collectif ?

L'existence de rapports de domination et d'exploitation étant incompatible avec l'idéal - et a fortiori la pratique - humaniste, de tels rapports paraissent difficilement justifiables par un militant. "Le privé est politique" est un "mot d'ordre" qui appartient et aux hommes, et au féminisme. Il serait donc dommage que des hommes passent à côté de telles réflexions.

Martin Zumpfe et Laurent Laloy

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Langage et sexisme

De plus en plus, la discrimination sexiste est nommée, reconnue et parfois combattue dans certains domaines (économique, social). Dans celui du langage, beaucoup se penchent sur le problème du genre de la langue (dominée par le genre masculin) et souhaitent la féminisation. Le débat est loin d'être terminé, parce qu'il fait également appel à des pratiques langagières.

Ces pratiques trouvent leurs racines dans des préjugés sexistes. « Les progrès sont lents, les racines des préjugés sont profondes », disait Voltaire. Pour un petit garçon, grandir dans un pays où les petites filles ne vont pas à l'école (parce qu'elles n'y ont pas le droit) peut le laisser développer le préjugé que les filles n'ont pas la capacité intellectuelle d'apprendre. De même, grandir dans un pays où « 10 000 femmes et un cochon sont dehors, ILS sont » ne prédispose pas à reconnaître une égalité entre genres, donc rapidement entre sexes.

Le sexisme dans le langage Pour la linguiste Marina Yaguello : « La langue est un système symbolique engagé dans les rapports sociaux. [...] La langue est aussi, dans une large mesure un miroir culturel qui fixe les représentations symboliques et se fait l'écho des préjugés et des stéréotypes, en même temps qu'il alimente et entretient ceux-ci. » Trois cas de sexisme dans la langage :

Qui parle ? Le langage, la possibilité de s'exprimer nous met en position de pouvoir. Pour assurer celui-ci, il est essentiel de le garder, de contrôler la parole des autres. Dans de nombreuses cultures, les femmes n'ont même pas le droit à la parole. Dans les sociétés occidentales, les femmes ont pris une place, notamment socio-économique, dans la société qui les amènent de plus en plus à prendre la parole en dehors de la sphère privée. Pourtant, de nombreuses observations scientifiques montrent que les hommes coupent beaucoup plus la parole que les femmes et monopolisent le discours. La parole prise, ou donnée, n'est pas forcément écoutée, ni prise en compte : discours d'une femme terminée par un quolibet ; dernière phrase de femme reprononcée par un homme avant qu'il n'entame son propre discours

Comment parle-t-on ?

Les hommes et les femmes utilisent un langage différent. Par exemple, les femmes sont nettement plus enclines à utiliser et à préférer un langage de prestige, plus correct, que les hommes. Il existe principalement deux explications à ce phénomène : un désir d'ascension sociale de la part des femmes qui prennent la parole comme forme d'action, afin d'accéder à l'égalité, voire au pouvoir ; et, selon le préjugé « les hommes sont jugés sur ce qu'ils font, les femmes sur leur paraitre », les femmes seraient plus sensibles au prestige langagier. On peut dire plutôt que les femmes sont plus « légalistes », car plus souvent soumises aux règles, et les hommes plus en rapport de compétition : le verbe devient force physique. Le langage ne se résume pas à des mots, un style. C'est aussi un langage corporel, des intonations de voix, un débit. La différence physique donne aux hommes une voix plus forte, plus grave. Cet état de fait peut-être utilisé pour couper la parole des femmes, par exemple. On a observé que celles-ci ont un débit plus rapide que les hommes ­ parce qu'elles sont peur d'être coupées ? ­, ce qui incite plus difficilement à l'écoute attentive.

Que dit-on ? Enfin, quels sont les mots à notre disposition pour parler. Quelle est la part de sexisme dans notre vocabulaire ? Les écrits à ce propos sont de plus en plus nombreux. Marina Yaguello est une des premières auteures françaises à s'être penchée sur la question. À partir d'une étude sur la définition du mot « femme » dans différents dictionnaires, elle établit un corpus de mots d'où il ressort deux grands champs lexicaux : celui de la mère et celui de la prostituée. De même, le langage qui désigne les femmes utilise beaucoup la métonymie (un tout réduit à une partie) : en l'occurrence, une femme est réduite à un cul, un con ou une viande ; mais aussi les métaphores animales ou alimentaires: cochonne, poule, chou. On retrouve le préjugé : « les femmes sont à vendre, ou à prendre ». Elles ne sont ni à vendre, ni à prendre.

Pistes de réflexion Pour que les femmes accèdent enfin à un traitement égalitaire, de nombreux domaines de la vie privée, sociale, économique et politique sont à reconsidérer sous un angle non-sexiste. Le langage couvre tous ces domaines, c'est pourquoi il représente un enjeu considérable ; c'est pourquoi, il n'est pas superflu d'engager un débat sur la révision non sexiste du vocabulaire et de la grammaire. La lutte pour l'égalité est aussi une lutte contre la langue du mépris. Il est donc nécessaire de se pencher sur les préjugés sexistes, de les cerner, de les expliquer et de tenter de les démonter. Car, si attitudes et comportements positifs peuvent s'entendre au sens individuel, ils peuvent aussi être partagés par tous les membres du groupe, de même que les préjugés et les comportements discriminatoires. Il nous faut surveiller, dénoncer et combattre ces préjugés, mais aussi que chacune et chacun se juge aussi soi-même et entende son propre discours.

 Annie Amoureux

 

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