Éducation et conditionnement patriarcal Par le Collectif anti-patriarcal
qui regroupe des militant-e-s de : AC! Lille, APU Moulins, CNT Lille, Collectif anti-expulsion, Comité
Sans-Papiers 59, Fédération anarchiste Lille, Collectif contre la précarité dans l'Education nationale.
Toutes
des putes... sauf maman !
Le
Travail domestique : le privé est politique... et économique
Femmes et précarité : les chômeurs sont des chomeuses
!
En France, plus d'une femme sur trois est victime de violence
!
Debout
les gars réveillez-vous !
Luttes
antipatriarcales... Et les hommes, dans tout ça ?
Langage et sexisme
Le patriarcat est un système universel, omniprésent depuis des millénaires.
Pourquoi une telle pérennité ? Tout simplement parce que le patriarcat est
avant tout un conditionnement.
Les religions, ont bien entendu, un rôle essentiel dans ce formatage des
consciences. Elles sont le premier pilier du patriarcat, ainsi l'interdit sexuel
et l'infidélité sont toujours plus grave pour une femme. L'idée force des
religions c'est que la femme est impure par essence, dans de très nombreuses
religions le sang menstruel est le symbole même de leur souillure. Dans les
religions polythéistes les divinités féminines ont été reléguées au
second plan, dans les religions monothéistes Dieu est mâle ; il s'agit bien de
Dieu le père, archétype de l'autorité et du pouvoir
C'est en nous imposant ce genre d'images que le patriarcat nous conditionne,
nous avons tous intériorisé ce qu'une femme doit être et ce qu'un homme doit
être. Le système patriarcal s'insinue jusque dans l'inconscient collectif féminin
et masculin et détermine jusqu'à nos comportements les plus courants et les
plus intimes.
L'éducation est la base du conditionnement patriarcal : ce sont les jouets genrés
par exemple. Les petites filles reçoivent des poupées et des balais pour se préparer
à leur future condition de mère et de ménagère, les petits garçons reçoivent
des pistolets afin de mieux intégrer que l'agressivité est un trait de caractère
noble et viril. Pire encore, les jouets qui stimulent les apprentissages
intellectuels (Légo, Mécano) sont plus souvent offerts aux petits garçons.
Plus tard, à l'école, on fera faire du foot aux petits garçons, pour leur
apprendre la compétitivité, de la gymnastique aux petites filles pour qu'elle
deviennent gracieuses.
Il est évident que les éducateurs (même s'il s'agit le plus souvent d'éducatrices)
n'attendent pas les mêmes performances physiques des garçons que des filles,
et de fait n'ayant pas les mêmes exigences, leur développement moteur est différent.
Il en est de même pour les performances intellectuelles : il a été montré
que les enseignants (hommes ou femmes) donnaient plus souvent la parole aux garçons.
Ceux-ci sont par conséquent plus stimulés. Ce phénomène apparaît dès l'école
maternelle et devient de plus en plus criant au fil de l'avancée dans le
parcours scolaire. Les bacs dévalorisés (tel l'ancien bac G) sont pour les
filles, les filières scientifiques l'apanage des garçons. De même il y a plus
de garçons que de filles qui font des études longues. Bien évidemment, les
filles n'ont pas moins de capacités intellectuelles que les garçons (la bosse
des maths n'est pas dans le chromosome Y) ; mais les filles comme les
enseignant(e)s ont intégré l'équation : «fille = nulle en maths», ainsi
quand les difficultés apparaissent, moins d'efforts sont déployés pour les dépasser.
C'est de cette manière que l'on rend vrais les présupposés. C'est la même
logique qui est en uvre quand on dit que les filles ont plus de maturité. C'est
parce qu'on les a éduquées différemment : les filles font l'apprentissage de
la responsabilité plus tôt, qu'il s'agisse de tâches ménagères, ou de
veiller sur les plus petits. Cette éducation genrée a des conséquences
profondes sur le développement des individus. On a montré qu'en dehors de
toute considération d'origine sociale, les adolescentes ont une moins bonne
estime d'elles-mêmes que les adolescents. Ceci perdure à l'âge adulte, ce qui
explique que les femmes entreprennent moins.
Dès l'enfance la petite fille se doit de correspondre à un certain nombre de
normes comportementales et physiques : sa poupée Barbie est à l'image de ce à
quoi elle devra ressembler quand elle sera grande. Ces normes sont extrêmement
contraignantes et complètement en dehors de la réalité (pour exemple le canon
de la mannequin qui mesure 1m 80 pour 55 kilos). Elles peuvent conduire à des
maladies mentales comme l'anorexie (maladie exclusivement féminine occidentale
et contemporaine), qui est bien entendu liée au culte de la maigreur et du «corps
parfait» si répandu dans les médias. Les femmes ont tellement intériorisé
cette nécessité de correspondre à une multitude de normes, qu'elles en
arrivent à accepter de subir ou de s'auto-infliger des souffrances corporelles.
Ainsi, nombre de femmes africaines ont parfaitement intégré la nécessité de
l'excision pour elles comme pour leurs filles ; toutes proportions gardées la
logique est la même quand une femme s'épile à la cire bouillante, elle obéit
à deux postulats indéracinables : 1 - il faut souffrir pour être belle
; 2 - le poil n'est pas féminin (mais pourquoi serait-il masculin puisqu'il
pousse chez les deux sexes ?). Il en est de même pour les régimes tyranniques
complètement déséquilibrés et totalement injustifiés (le régime est
d'abord un acte médical quand le poids devient un problème de santé).
Nous participons tous, homme ou femme, à la perpétuation du patriarcat car
nous l'avons intériorisé. Ce conditionnement est constamment renforcé par ce
que nous vivons, lisons, voyons Cela nous porte, même inconsciemment, à
reproduire des comportements sexistes. C'est à nous tous, hommes et femmes,
d'en prendre conscience pour briser cette spirale infernale.
Anne TURLURE
Illustration : Samuel SYLARD (d'après
BURKI)
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Toutes des putes... sauf maman !
C'est maintenant un vieux poncif : une femme est soit une mère soit une putain.
Entre ces deux extrêmes, point d'existence possible !
La pute Si l'oppression patriarcale est présente dans tous les domaines de la
vie des femmes, elle devient particulièrement «palpable» en matière de
sexualité.
Une femme n'est jamais considérée comme sujet de désir mais comme objet de désir.
On ne lui reconnaît pas la possibilité d'être active dans son désir. Une
femme qui manifeste celui-ci est une salope, une garce, une nymphomane Un homme
qui présente les mêmes comportements est un Don Juan, un séducteur
Une femme n'a pas d'autres options que de se laisser solliciter, étant entendu
qu'elle adore ça. Si elle s'avisait de dire non, elle deviendrait soit une
coincée, soit une allumeuse. Si une femme a donné un signe d'assentiment ou si
son attitude a été interprétée comme telle, elle ne peut plus faire marche
arrière sans léser gravement l'homme. La situation inverse n'existe pas, il
n'y a pas d'allumeur. Une femme violée est ainsi toujours plus ou moins soupçonnée
d'être responsable de ce qu'elle a subi.
De même, ne pas «aimer les hommes» est pour une femme une terrible faute. Si
les homosexuels hommes sont victimes d'hostilité parce qu'ils ne correspondent
pas au modèle du mâle dominant, les lesbiennes sont victimes d'une plus grande
violence encore car en tant que femmes, elles devraient être naturellement dévolues
aux hommes.
La mère Quand elle n'est pas un objet sexuel une femme ne peut avoir d'autre
vocation que d'être mère (encore qu'il soit possible d'être les deux
successivement ou simultanément). Une femme est censée s'épanouir dans la
maternité. Si elle ne veut pas d'enfant, c'est qu'elle est anormale. Dans ce
contexte, tout ce qui touche au contrôle des naissances est un enjeu de taille
: il s'agit toujours de contrôler la sexualité et le corps des femmes.
La contraception et l'avortement sont des droits acquis de haute lutte, perpétuellement
remis en cause par les intégristes de tous poils mais aussi par les «modérés».
Rappelons que seules les femmes occidentales ont la possibilité de recourir à
des moyens fiables de contrôle des naissances. En France, de nombreuses inégalités
perdurent. La contraception et l'I.V.G. restent quasi inaccessibles pour les
mineures, les femmes sans papiers, celles qui sont sur la Sécu d'un mari qui ne
veut pas en entendre parler et surtout celles qui n'ont pas les moyens. En
effet, toutes les pilules ne sont pas remboursées (stérilets, diaphragmes,
spermicides le sont encore moins), car l'on considère qu'il s'agit de médicaments
de confort. Le Viagra va être remboursé.
L'avortement quant à lui reste un véritable parcours de la combattante du fait
des délais bien trop courts, des innombrables embûches posées par les médecins
et les personnels hospitaliers «à clause de conscience», ou tout simplement
du manque criant de Centres d'I.V.G. publics. A noter que l'avortement n'est
toujours pas légalisé en France, il est simplement dépénalisé, c'est tout
dire.
Enfin il n'existe pas de contraception masculine, ce n'est pas que cela soit irréalisable,
mais les laboratoires n'investissent pas dans ce domaine de recherche : les
hommes ne se sentent pas concernés. Tout ce qui tient de la fécondité et de
la reproduction est à la charge des femmes, une fois encore.
Anne TURLURE
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Le Travail domestique : le privé est politique... et
économique
La problématique du travail domestique est fondamentale. En, effet, si la
double journée des femmes salariées est, on le verra, une réalité, c'est
aussi un des facteurs-clés qui motive le retour au foyer de certaines femmes et
l'abandon de leur vie professionnelle, notamment avec l'arrivée d'enfants. Il
est symptomatique que cette question ne se pose quasiment jamais pour les
hommes, dont la tâche prioritaire reste le travail professionnel.
La responsabilité ainsi imposée aux femmes en matière de gestion du ménage
sert en retour aux patrons à justifier d'un salaire moindre et le temps partiel
pour les femmes en raison de leur moins grande disponibilité.
Le déséquilibre reste tout autant important dans la répartition des tâches
domestiques. Selon l'INSEE, en 1986, un homme actif consacre en moyenne 45h par
semaine (transports compris) pour le travail professionnel et seulement 20h par
semaine au travail domestique (ménage, courses, enfants, factures). Soit un
total de 65h par semaine. Pour une femme active, la répartition est de 36h par
semaine en moyenne pour chaque, soit un total de 72h. Le plus significatif
concerne les inactifs : un homme sans emploi consacre 27h40 par semaine à la
maison. Un femme sans emploi y consacre 44h par semaine ! Le chômage et les
vacances n'existent donc pas pour les femmes.
« Gratuité du travail domestique »
Mais le caractère fondamental du travail domestique, ce n'est pas qu'il est
fait à la maison, c'est qu'il est gratuit ! Et c'est au mouvement féministe
qu'il revient d'avoir le premier analysé en termes économiques ce caractère
gratuit du travail domestique, travail accompli pour l'essentiel par les femmes.
Bien avant les années soixante, les femmes ont toujours travaillé. Et pas
toujours à la maison. Ce fut le cas dans l'agriculture, où la production
familiale a toujours été faite avec la participation des femmes. Par ailleurs,
on estime qu'elles ont toujours représenté entre le quart et le tiers du
salariat. Ce qu'elles n'ont jamais maîtrisé, encore moins que les prolétaires,
c'est l'attribution d'une valeur à leur travail, en particulier celui effectué
pour le compte de leur mari et de leur famille.
Le travail ménager a pourtant une valeur économique bien réelle, au même
titre que n'importe quelle autre production. Mais cette valeur échappe aux
femmes. Par exemple, si la plupart des ménages préfère acheter de la
nourriture brute, non cuisinée, c'est qu'elle est moins chère. Le travail nécessaire
pour la cuisiner chez soi est considéré comme gratuit. Le fait est que ce sont
encore les femmes qui, majoritairement, accomplissent cette production. Elles
sont donc volées de la valeur de leur travail, valeur représentée très
exactement par l'écart de prix entre la nourriture brute et la nourriture
cuisinée que l'on trouve dans le commerce.
Cette spoliation de la valeur du travail des femmes ne pouvait pas être sans
conséquence après leur entrée massive dans le salariat : si le travail des
femmes à la maison ne vaut littéralement rien, pourquoi le travail qu'elles
effectueraient à l'extérieur vaudrait-il quelque-chose ? La non-valorisation
du travail des femmes a donc tendance à se transmettre et se perpétuer au
salariat, par des salaires moindres, on l'a vu, et par la dévalorisation des métiers
où elles sont cantonnées (secrétariat, nettoyage, enfance, soins, services
personnels). On retrouve d'ailleurs dans ces branches du salariat une autre catégorie
de personnes opprimées : les étrangers.
Dès lors, entre une société où les femmes sont condamnées à être enfermées
à la maison pour effectuer gratuitement le travail domestique, et une société
où le nettoyage est pris en charge par des bonnes ou des sociétés de
nettoyage (employant majoritairement des femmes sous-payées), la petite enfance
par des crèches (et donc des femmes sous payées) et des écoles primaires
(idem), pendant que les hommes se font servir le café par leur secrétaire
(femme...), la différence n'est pas une différence de nature, mais une différence
de degré.
Bertrand DEKONINCK
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Femmes et précarité : les chômeurs sont des
chomeuses !
Le patriarcat n'a pas attendu le capitalisme pour exister et prospérer. Mais
c'est peu dire que ce dernier tire profit de la domination exercée sur les
femmes et des discriminations à leur encontre. En mettant en concurrence tous
contre tous, le capitalisme utilise tous les facteurs de divisions qui lui sont
offerts : nationalité, régularité du séjour pour les sanspapiers, mais
aussi le sexe.
Pour les femmes, l'oppression est double, et le chemin jusqu'à l'égalité
reste encore bien long. C'est ainsi que les pauvres, de par le monde, sont en
majorité des femmes, tout comme les chômeur-se-s ou, phénomène plus récent,
les précaires.
La précarité touche davantage les femmes
Le taux de chômage féminin, sur les 15 dernières années est resté
globalement une fois et demi plus important que celui des hommes. Il était de
13,8% contre 10,2% à la fin 98.
D'autre part, les contrats de travail des femmes sont globalement plus précaires
que ceux des hommes. Par exemple, dans la fonction publique (grande employeuse
de précaires), 31% des femmes ne sont pas titulaires de leurs postes contre 23%
des hommes. La précarité a aussi une autre forme : le temps partiel. Les
salarié-e-s à temps partiel sont dans une entreprise celles et ceux qui ont le
plus faible taux de salaire horaire, qui ont moins d'avantages sociaux et
restent à l'écart des promotions, qui accumulent le moins de points de
retraite et d'ancienneté. Ce sont aussi les plus vulnérables aux
licenciements. Le temps partiel, s'il est de plus en plus répandu et imposé,
est de plus en plus imposé aux femmes : en 1982, 16,4% des femmes étaient à
temps partiel contre seulement 1,9% des hommes ; en 1998, elles étaient 31,4%
à temps partiel contre seulement 5,6% des hommes. Elles représentent au total
84% des salarié-e-s à temps partiel. Et 75% d'entre elles ne l'ont pas choisi.
Les smicards sont majoritairement
des smicardes
On a, dans le domaine de l'inégalité des salaires entre hommes et femmes, la
conjugaison de deux phénomènes auxquels s'ajoutent la précarité : le
cantonnement des femmes dans des métiers dévalorisés ; l'inégalité
salariale à qualification égale. En 1996, un tiers des femmes à temps complet
était payée moins de 1,3 fois le S.M.I.C., contre seulement un cinquième des
hommes. Les femmes sont surreprésentées dans quelques domaines professionnels,
qui sont principalement des postes d'employées (secrétariat, commerce de détail)
et/ou de domesticité sociale (nettoyage, enfance, services de restauration et
d'hôtellerie, santé, aide sociale). Même dans le secteur associatif, qui échappe
en partie à la logique capitaliste, elles n'ont guère le choix qu'entre six
secteurs d'activités, qui constituent 60% de l'emploi associatif féminin. Les
professions sont d'ailleurs d'autant plus dévalorisées qu'elles se féminisent.
C'est le cas par exemple de l'enseignement primaire, aujourd'hui majoritairement
assuré par des femmes.
De plus, même s'il a tendance à se réduire lentement, l'écart salarial entre
hommes et femmes, à diplôme et expérience professionnelle égaux, reste très
important : 27,2% en France en 1998.
Dernier fait majeur de ces dernières années : les écarts se creusent
maintenant entre une frange de la population féminine qui commence à accéder
aux postes à responsabilité et l'immense majorité des femmes, dont la
situation s'est aggravée, principalement en raison de l'accroissement de la précarité.
Bertrand DEKONINCK
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En France, plus d'une femme sur trois est victime de
violence !
C'est ce que révèle un questionnaire diffusé par le Centre national
d'Information sur les Droits des Femmes entre décembre 1999 et mars 2000.
Violence conjugale, viol, violence au travail (les femmes actives, salariées ou
chômeuses, sont quatre fois plus nombreuses à se déclarer victime de
violence), violence physique ou psychologique La violence que les femmes
subissent est multiple.
Violence conjugale
C'est au sein de la famille que la violence s'exerce en premier lieu, sur les
filles, les femmes ou les concubines. La femme appartient à l'homme. Lorsque
celle-ci est ravalée au rang de bien, esclave sexuelle et domestique, il peut
en user comme bon lui semble. S'il n'a plus légalement le droit de vie et de
mort sur sa femme et ses enfants, dans les faits c'est encore trop souvent le
cas. Chaque année des femmes meurent sous les coups de leur mari ou compagnon.
La violence conjugale, bien que fort répandue, reste un sujet tabou. Le phénomène
est parfois minimisé par des médecins, qui refusent de signer les certificats
d'incapacité, par la police qui ne prend pas toujours ces situations au sérieux
et bien souvent par les femmes victimes de violence elles-mêmes. Cette violence
est tout autant physique que psychologique et revêt de nombreuses formes :
coups et blessures, viols, menaces, climat de terreur, humiliation perpétuelle.
A la violence s'ajoute la plupart du temps la dépendance financière et
psychologique des femmes envers leur compagnon, dépendance que celui-ci
entretient alors avec soin.
Les femmes victimes de violences conjugales, comme dans le cas du viol, sont
toujours soupçonnées d'être plus ou moins responsables de ces violences. Ce
qui n'est pas socialement admis, ce n'est pas qu'un homme soit violent, c'est
qu'une femme se laisse faire : si elle reste auprès de son bourreau, c'est
qu'elle «y trouve son compte».
De l'insulte au viol
La violence que les femmes subissent, qu'elle ait lieu en famille, au travail ou
partout ailleurs, revêt souvent un caractère sexuel, de l'insulte au viol. Le
patriarcat transforme la sexualité en instrument d'oppression. Les femmes sont
des proies, les hommes des prédateurs. Le vocabulaire sexuel en témoigne, et
les analogies guerrières ou de chasse sont nombreuses : on ferre une femme, on
la prend, on la saute... De toutes façons, elle est passive. Cette vision de la
sexualité est encore renforcée par les clichés que véhicule généralement
la pornographie. Celle-ci est de plus en plus répandue et facile d'accès. Les
adolescents d'aujourd'hui y font leur apprentissage sexuel avec toujours les mêmes
stéréotypes : ceux de la femme passive, objet prêt à consommer, toujours
partante et sur laquelle on éjacule comme on lui cracherait dessus. Cet
apprentissage de la sexualité qui ne peut se vivre autrement que comme une prédation
violente crée un climat d'insécurité permanente pour les femmes. Dans la rue,
dans le métro, au travail et même parfois chez des proches, refuser de répondre
au désir des hommes, c'est s'exposer au minimum à l'insulte, au pire au viol
ou au meurtre.
Pourquoi s'étonner alors que les viols soient si nombreux et, parmi eux, que
les viols collectifs commis par des adolescents soient en augmentation ? On
s'imagine souvent que le viol est le fait de pervers, de malades. Il s'agit au
contraire d'un problème social : c'est la société qui crée les violeurs. Le
viol n'est pas le résultat d'une pulsion sexuelle incontrôlée mais un
instrument de domination. En prison par exemple, les prétendus forts, les caïds,
violent les soi-disant faibles (jeunes, hommes «efféminés», homosexuels)
pour leur signifier qu'ils sont au bas de la hiérarchie, pour les ravaler au
rang de «gonzesse». Ainsi, celui qui servira d'esclave sexuel au sein de la
cellule sera aussi astreint aux taches ménagères.
La violence sur les femmes est physique, psychologique et surtout sociale. C'est
bien le système qui la crée. La violence est à la fois une conséquence et un
instrument du patriarcat. En France comme en Afghanistan, pour les femmes violées
ou battues ici, lapidées là-bas, brûlées vives ou excisées ailleurs, il est
des combats que l'on ne peut plus remettre à demain.
Anne TURLURE retour au sommaire
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Debout les gars réveillez-vous !
La lutte contre le patriarcat et le sexisme n'est pas qu'une "histoire de
bonnes femmes" !
Depuis longtemps, des hommes se sont élevés contre l'oppression des femmes :
Condorcet fut de ceux-là, mais aussi bien d'autres, anonymes ou pas. La Commune
de Paris (1871) prononça l'égalité entre femmes et hommes. Certains hommes
ont soutenu les femmes dans leurs revendications légitimes à l'accès aux
droits politiques et économiques (droit de vote et d'éligibilité, droit au
travail, à un salaire égal...), d'autres se sont investis dans le mouvement néo-malthusien
pour le droit à l'avortement et à la contraception. Mais leur action se
cantonnait, en gros, au soutien des revendications féministes, ce qui n'était
déjà pas rien !
Par contre, pour ce qui est de la réflexion et de l'analyse de l'implication
des hommes dans la perpétuation du système patriarcal, il faut attendre les
années 1970 et l'émergence du M.L.F. pour que des hommes commencent à
s'interroger et à agir. Cette prise de conscience aboutit alors à la
constitution de «groupes d'hommes». On y discute des rapports hommes/femmes,
de la virilité, des rôles sociaux sexués, de la sexualité masculine, et de
bien d'autres thèmes touchant à l'identité masculine. Ces hommes ont en
commun le refus de l'aliénation et du conditionnement des hommes par le
patriarcat, le rejet des stéréotypes et «valeurs» qui leur sont imposé-e-s
(violence, compétition, mépris des femmes, des homosexuel-le-s, etc). Leur but
est de remettre en cause, individuellement et collectivement, la place et le rôle
des hommes dans la société. Tout cela est toujours d'actualité, et ces débats,
réflexions et actions sont toujours mené-e-s.
Après la première «génération» de groupes d'hommes (peu nombreux mais
actifs) qui vécut jusqu'au milieu des années 80, de nouveaux groupes sont
apparus depuis une dizaine d'années, avec des approches diverses (thérapeutique,
libertaire...). En Europe a été créé en 1997 le Réseau européen d'hommes
proféministes, afin de mettre en commun les réflexions et actions
antisexistes.
Ce type de «militantisme» reste encore, hélas ! assez (trop) marginal. En
effet, bien peu d'hommes sont prêts à jeter au panier leurs privilèges
(sociaux, sexuels, politiques, économiques...) et leur position de «mâles
dominants» : quels avantages y auraient-ils ? Simplement celui de refuser d'être
conditionné, de jouer un rôle dont on ne veut pas/plus, de pouvoir construire
son identité et vivre sa vie comme on l'entend ; celui aussi de refuser de
dominer, d'exploiter et d'opprimer (consciemment ou non) plus de la moitié de
l'humanité ; enfin, et surtout, celui de participer à la construction d'une
société où la liberté, l'égalité et la fraternité ne seraient pas que des
mots gravés aux frontispices des édifices publics mais une réalité pratique
et vivante ! Société qui n'aura pas l'ombre d'une chance d'exister tant que
les hommes acceptent (et perpétuent) le fait que les femmes soient le «parent
pauvre» de l'humanité, mineures à vie, exploitables, corvéables, violables
et battables (entre autres ignominies) à merci. Alors, «debout les gars, réveillez-vous...»
!
Laurent
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Luttes antipatriarcales... Et les hommes,
dans tout ça ?
Depuis les années 70, le mouvement féministe a permis la prise de conscience
et la dénonciation publiques de l'oppression des femmes par un système
pluricentenaire : le patriarcat. Bien que trop souvent considéré-e-s par les
hommes que comme des "histoires de bonnes femmes", les questionnements
et revendications féministes en ont quand même interpelé plus d'un. Certains
hommes, solidaires des luttes des femmes et ne voulant pas en rester au simple
soutien (via manifs ou pétitions), ont alors et depuis entamé une réflexion,
personnelle et collective, sur la place et le rôle que leur assigne le
patriarcat. Réflexion qui reste hélas ! toujours d'actualité, mais (ou plutôt
: car) trop peu menée.
"C'est l'histoire de mecs..." : des groupes d'hommes contre le
patriarcat, d'hier à aujourd'hui
Les "pionniers" Les premiers groupes d'hommes apparaissent au cours
des années 70 (1975 en France). Y seront abordés des thèmes comme la sexualité,
la paternité, la violence, la pornographie, la contraception masculine,
l'homosexualité, l'identité masculine, la virilité, les rôles sociaux et
sexués... En France, ce travail est essentiellement le fait de groupes tels
l'Association pour la recherche et le développement de la contraception
masculine (ardecom), ou de la revue Types-paroles d'hommes, qui fonctionnèrent
tant bien que "mâle" jusqu'au milieu des années 1980, puis sombrèrent
peu à peu...
La nouvelle vaguelette Depuis une dizaine d'années, de nouveaux groupes
d'hommes sont apparus, avec des démarches et des orientations variées :
approche thérapeutique au Québec, où un réseau d'hommes s'est constitué à
l'initiative du psychanalyste Guy Corneau , approche libertaire (mouvance des
squatts, camping antipatriarcal mixte, etc.). En 1997 s'est créé un Réseau
européen d'hommes proféministes , rassemblant des hommes antisexistes de tous
horizons. Par contre, nous trouvons des groupes dont le discours est plus ou
moins (et plutôt plus que moins !) réactionnaire, antiféministe, etc., tels
les mouvements pour la condition paternelle en France ou les Promise Keepers aux
USA. On peut aussi se demander si le regain d'intérêt religieux de certains
hommes - surtout dans sa version dure : "intégrismes" musulman, chrétien,
juif... - ne fait pas partie de cette dynamique-là ! La religion constitue en
effet l'un des piliers du patriarcat et offre un refuge, un bastion, aux hommes
qui ne supportent pas la remise en cause de leur identité, de leur place (dans
la famille, la société), et surtout de leur pouvoir (sur la famille, la société,
et sur les femmes en particulier) !
Des raisons qui ont pu (et peuvent) faire en sorte que les hommes bougent un
peu...
Quelle furent - quelles sont - les motivations de ces "pionniers"
antipatriarcaux à s'engager sur un terrain si difficile et pénible, sous le
regard méfiant des féministes et l'oeil moqueur de leurs "frères" ?
C'est surtout pour eux la ferme volonté de refuser le rôle d'oppresseur, ainsi
que les nombreux avantages que le patriarcat leur donne. C'est le refus des différentes
formes de violences masculines permettant cette domination. C'est aussi le refus
du conditionnement et de la reproduction éternelle des stéréotypes
patriarcaux : le "héros" (l'autiste !), qui ne parle jamais de sa vie
sentimentale, et surtout pas avec les copains ! ; le "conquérant", et
sa sexualité agressive ; le "chef de famille", dont la seule
perspective est de s'épuiser au travail ; les clichés de "bandes
d'hommes" au stade, au bar, à l'armée... Ce conditionnement peut devenir
insupportable pour ceux qui correspondent peu aux clichés, pour ceux qui ont
choisi de rompre avec le patriarcat, et particulièrement pour les homosexuels,
pour qui il n'y a pas de place dans la logique "traditionnelle"
patriarcale. Mais l'homosexuel profite quand même des inégalités économiques,
une des caractéristiques du patriarcat (un salaire plus élevé, moins de
difficulté à trouver du travail...). Car si l'homosexuel est et reste un traître
à la sacro-sainte virilité et au "clan" des hommes, il est et reste
quand même toujours... un homme ! À condition, bien sûr, que son homosexualité
ne soit pas visible, assumée ou qu'il ne soit pas "efféminé" - suprême
trahison ! Toutefois, les souffrances et l'aliénation des hommes dûes au
patriarcat n'ont littéralement rien à voir avec l'oppression des femmes. La
souffrance engendrée chez les hommes antipatriarcaux est, en général, la conséquence
d'un choix : celui de ne pas/plus supporter le système patriarcal. De plus, ils
ont toujours la possibilité de "s'arranger", partiellement ou complètement,
avec celui-ci pour être tranquilles. Même les hommes les plus conscients
restent susceptibles de reproduire ou ranimer les comportements les plus
anachroniques : des "rechutes" terribles dans les réflexes
patriarcaux sont, hélas ! plutôt la règle que l'exception. Une méfiance et
une vigilance profondes des militants antipatriarcaux envers eux-mêmes et leurs
camarades restent indispensables. La lutte féministe - qui était déjà à
l'origine des efforts de ces hommes - doit rester la référence primordiale,
l'orientation générale pour eux. Ce n'est toutefois pas un appel à (ni une
excuse pour) se vautrer dans le canapé et laisser les efforts idéologiques aux
femmes ! Au contraire, messieurs, nous avons du boulot : il nous faut acquérir
la conscience de notre implication dans les mécanismes de domination, en se
posant quelques questions, en appuyant là (surtout) où ça fait mal ! Quels
aspects du patriarcat perpétuons-nous ? Quel décalage y a-t-il entre nos idées
et nos pratiques ? Comment éviter de réemployer ces mécanismes et ces
comportements de domination ? Comment découvrir et définir nos identités
individuelles au-delà du conditionnement collectif ?
L'existence de rapports de domination et d'exploitation étant incompatible avec
l'idéal - et a fortiori la pratique - humaniste, de tels rapports paraissent
difficilement justifiables par un militant. "Le privé est politique"
est un "mot d'ordre" qui appartient et aux hommes, et au féminisme.
Il serait donc dommage que des hommes passent à côté de telles réflexions.
Martin Zumpfe et Laurent Laloy
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Langage et sexisme
De plus en plus, la discrimination sexiste est nommée, reconnue et parfois
combattue dans certains domaines (économique, social). Dans celui du langage,
beaucoup se penchent sur le problème du genre de la langue (dominée par le
genre masculin) et souhaitent la féminisation. Le débat est loin d'être
terminé, parce qu'il fait également appel à des pratiques langagières.
Ces pratiques trouvent leurs racines dans des préjugés sexistes. « Les progrès
sont lents, les racines des préjugés sont profondes », disait Voltaire. Pour
un petit garçon, grandir dans un pays où les petites filles ne vont pas à l'école
(parce qu'elles n'y ont pas le droit) peut le laisser développer le préjugé
que les filles n'ont pas la capacité intellectuelle d'apprendre. De même,
grandir dans un pays où « 10 000 femmes et un cochon sont dehors, ILS sont »
ne prédispose pas à reconnaître une égalité entre genres, donc rapidement
entre sexes.
Le sexisme dans le langage Pour la linguiste Marina Yaguello : « La langue est
un système symbolique engagé dans les rapports sociaux. [...] La langue est
aussi, dans une large mesure un miroir culturel qui fixe les représentations
symboliques et se fait l'écho des préjugés et des stéréotypes, en même
temps qu'il alimente et entretient ceux-ci. » Trois cas de sexisme dans la
langage :
Qui parle ? Le langage, la possibilité de s'exprimer nous met en position de
pouvoir. Pour assurer celui-ci, il est essentiel de le garder, de contrôler la
parole des autres. Dans de nombreuses cultures, les femmes n'ont même pas le
droit à la parole. Dans les sociétés occidentales, les femmes ont pris une
place, notamment socio-économique, dans la société qui les amènent de plus
en plus à prendre la parole en dehors de la sphère privée. Pourtant, de
nombreuses observations scientifiques montrent que les hommes coupent beaucoup
plus la parole que les femmes et monopolisent le discours. La parole prise, ou
donnée, n'est pas forcément écoutée, ni prise en compte : discours d'une
femme terminée par un quolibet ; dernière phrase de femme reprononcée par un
homme avant qu'il n'entame son propre discours
Comment parle-t-on ?
Les hommes et les femmes utilisent un langage différent. Par exemple, les
femmes sont nettement plus enclines à utiliser et à préférer un langage de
prestige, plus correct, que les hommes. Il existe principalement deux
explications à ce phénomène : un désir d'ascension sociale de la part des
femmes qui prennent la parole comme forme d'action, afin d'accéder à l'égalité,
voire au pouvoir ; et, selon le préjugé « les hommes sont jugés sur ce
qu'ils font, les femmes sur leur paraitre », les femmes seraient plus sensibles
au prestige langagier. On peut dire plutôt que les femmes sont plus « légalistes
», car plus souvent soumises aux règles, et les hommes plus en rapport de compétition
: le verbe devient force physique. Le langage ne se résume pas à des mots, un
style. C'est aussi un langage corporel, des intonations de voix, un débit. La
différence physique donne aux hommes une voix plus forte, plus grave. Cet état
de fait peut-être utilisé pour couper la parole des femmes, par exemple. On a
observé que celles-ci ont un débit plus rapide que les hommes parce
qu'elles sont peur d'être coupées ? , ce qui incite plus difficilement à l'écoute
attentive.
Que dit-on ? Enfin, quels sont les mots à notre disposition pour parler. Quelle
est la part de sexisme dans notre vocabulaire ? Les écrits à ce propos sont de
plus en plus nombreux. Marina Yaguello est une des premières auteures françaises
à s'être penchée sur la question. À partir d'une étude sur la définition
du mot « femme » dans différents dictionnaires, elle établit un corpus de
mots d'où il ressort deux grands champs lexicaux : celui de la mère et celui
de la prostituée. De même, le langage qui désigne les femmes utilise beaucoup
la métonymie (un tout réduit à une partie) : en l'occurrence, une femme est réduite
à un cul, un con ou une viande ; mais aussi les métaphores animales ou
alimentaires: cochonne, poule, chou. On retrouve le préjugé : « les femmes
sont à vendre, ou à prendre ». Elles ne sont ni à vendre, ni à prendre.
Pistes de réflexion Pour que les femmes accèdent enfin à un traitement égalitaire,
de nombreux domaines de la vie privée, sociale, économique et politique sont
à reconsidérer sous un angle non-sexiste. Le langage couvre tous ces domaines,
c'est pourquoi il représente un enjeu considérable ; c'est pourquoi, il n'est
pas superflu d'engager un débat sur la révision non sexiste du vocabulaire et
de la grammaire. La lutte pour l'égalité est aussi une lutte contre la langue
du mépris. Il est donc nécessaire de se pencher sur les préjugés sexistes,
de les cerner, de les expliquer et de tenter de les démonter. Car, si attitudes
et comportements positifs peuvent s'entendre au sens individuel, ils peuvent
aussi être partagés par tous les membres du groupe, de même que les préjugés
et les comportements discriminatoires. Il nous faut surveiller, dénoncer et
combattre ces préjugés, mais aussi que chacune et chacun se juge aussi soi-même
et entende son propre discours.
Annie Amoureux
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