Un fléau qui n'épargne aucun pays, aucun milieu, aucune classe sociale

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Il est un fléau qui n'épargne aucun pays, aucun milieu, aucune classe sociale. Il s'agit de la violence conjugale.

FIDH  Fédération internationale des ligues des droits de I'Homme

On aurait tendance à penser qu'elle se manifeste surtout dans les milieux défavorisés, et donc aussi essentiellement dans les pays les moins avancés. Or, la réalité est toute autre : si l'on examine la situation en Europe, force est de constater que les pays les plus riches, les catégories de la population les plus favorisées connaissent le problème avec la même acuité. Seuls varient d'un pays à l'autre les remèdes que l'on tente d'y apporter, que ce soit par des moyens législatifs ou par une assistance matérielle et psychologique aux victimes.

Certains pays d'Europe, tels que l'Islande, qui par ailleurs est plutôt avancée du point de vue des droits des femmes, les Pays-Bas et la Grèce, n'ont pas de législation spécifique concernant la violence conjugale. Elle est traitée comme toute autre violence, alors qu'elle requiert un suivi et une protection des victimes spécifiques, car le récidivisme est très fréquent, des liens étroits existant entre la victime et son bourreau. En Grèce, le viol conjugal ne constitue pas expressément un délit, alors qu'en Italie il est considéré comme un crime. Malheureusement, les juges italiens n'ont pas changé d'attitude et appliquent rarement ces lois. En France, le viol est reconnu par la jurisprudence et donc sanctionné.

La question de la mise en œuvre de la législation est significative. Au Portugal par exemple, une loi protège les femmes victimes de la violence conjugale depuis 1991. Toutefois, elle a été adoptée sous la pression internationale et non à la suite d'une prise de conscience. Elle n'est donc pas appliquée, les moyens pour sa mise en œuvre étant inexistants. Le problème est grave car la vie de la femme est parfois en jeu : en Irlande du Nord, 40 % des meurtres de femmes sont commis par leurs époux. Il est donc important que la femme puisse immédiatement quitter le domicile et se mettre à l'abri (souvent avec les enfants). C'est-à-dire qu'elle doit être prise en charge par un foyer d'accueil si elle n'a pas d'autre endroit où aller ; elle doit aussi pouvoir obtenir un périmètre de sécurité, car il a été établi que durant la période qui suit le départ de la femme, le danger de violence est le plus grave. Cette dernière constatation met à mal l'affirmation selon laquelle la femme qui ne quitte pas son mari violent est plus ou moins responsable de ses propres souffrances alors que c'est la peur qui l'empêche le plus souvent de partir. Réagir le plus tôt possible évite d'en arriver à cette extré-mité. En Suède, le conseil que donnent les centres d'accueil pour femmes battues est de partir dès le premier coup reçu, car la situation ne peut qu'empirer.

Par ailleurs, c'est lorsque l'homme est lui-même touché par les conséquences de ses actes qu'il est vraiment motivé pour changer de compor-tement. De ce point de vue, il peut parfois être utile de porter plainte contre lui. L'homme prendra alors peut-être conscience de la gravité de la situation. Dans certains pays, des structures compétentes existent pour recevoir et traiter les hommes violents. Ces derniers ne conçoivent pas la violence comme étant de leur propre responsabilité. Ils pensent être victimes
de différentes circonstances. Il faut donc leur apprendre à assumer leurs actes, par la thérapie de groupe ou par des entretiens individuels, qui leur permettront de mieux comprendre ce qui les amène à user de violence, et les moyens de se contenir dans les situations à risque. La démarche qui consiste à orienter les hommes vers ce genre de centres d'accueil doit être facilitée par une plus grande information du public.

A ce sujet, il est intéressant de noter aussi que le ministère des Affaires Sociales et de la Santé de Finlande constate1 que les programmes de traitement des hommes violents sont bien moins coûteux que le traitement des conséquences de la violence. En effet, il a été établi qu'un acte violent dans une famille peut facilement coûter 185 000 marks finlandais, (plus de 200 000 francs français) à la société2. En comparaison, le traitement d'un homme violent coûte moins de 7000 francs (correspondant à des séances d'évaluation individuelle pendant trois mois et 15 séances de thérapie de groupe).

Ces chiffres donnent à réfléchir lorsque l'on sait qu'en Finlande, 22 % des femmes interrogées en 1997 qui vivaient en couple disent avoir été victimes de violence physique ou sexuelle ou de menaces de violence par leur partenaire de l'époque. En Grèce, une étude réalisée à Athènes a montré qu'un homme sur quatre entre 25 et 35 ans a battu sa partenaire au moins une fois, et l'Ecole Nationale de Santé Publique a estimé qu'une femme sur quatre qui se présente aux urgences a reçu des coups de son partenaire. En Autriche, c'est une femme sur cinq qui est victime au moins une fois dans sa vie de violence physique de la part d'un partenaire.

Les législations en matière de violence conjugale sont souvent très récentes. Les lois qui sanctionnent le viol entre conjoints sont rares, ou existent depuis peu. En Suisse, la législation a été modifiée en 1993, mais seule la victime peut porter plainte, alors que les autres cas de viol peuvent donner lieu à une procédure en action publique. La violence conjugale est un phénomène qui reste souvent un sujet tabou. Le fait qu'elle ait lieu dans la "sphère privée" est généralement invoqué par les Etats pour justifier leur inertie. Le respect de la vie privée dans ce cas signifie protéger les intérêts des hommes violents, et non ceux des femmes battues. Face à ce constat, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) a affirmé dans sa Recommandation générale 19 que les Etats peuvent être tenus responsables "d'actes privés s'ils n'agissent pas avec la diligence voulue pour prévenir la violation de droits ou pour enquêter sur des actes de violence, les punir et les réparer".

Depuis plus d'un an, l'Espagne s'est dotée d'un arsenal législatif spectaculaire pour combattre la violence conjugale, fléau qui prend des proportions très inquiétantes dans ce pays. En effet, près de 19 000 plaintes pour mauvais traitement ont été déposées en 1997. Ce plan, dont le budget global s'élève à 60 millions de dollars, prévoit des mesures pour éloigner de force le conjoint violent de sa victime, la poursuite systématique des cas de mauvais traitements, la création "d'unités d'attention aux femmes" dans les commissariats et le lancement d'une campagne de sensibilisation. Il est, hélas, trop tôt pour évaluer les résultats d'un tel dispositif, mais cette initiative du gouvernement espagnol mérite d'être soulignée.

Outre la mise en place d'une législation appropriée, il est essentiel de créer ou de renforcer les structures qui doivent prendre en charge les victimes et les hommes violents. Il est aussi important de former les professionnels concernés, tels que le personnel médical ou les policiers, afin que les situations de violence soient rapidement détectées et que les personnes impliquées soient correctement orientées. Dans certains pays, des personnes spécialisées dans l'accueil des femmes battues ont été invitées à développer et donner des formations aux agents policiers. C'est le cas, par exemple, en Autriche depuis le milieu des années 1980. Mais si l'on veut combattre le mal à la racine, c'est au niveau des relations entre les "genres" qu'il faut travailler, en visant la mise en œuvre de l'égalité entre les sexes dans tous les domaines. Il est souvent dit que la violence conjugale résulte de l'illusion que les hommes sont investis d'un pouvoir supérieur à celui des femmes. Les Etats et les individus doivent oeuvrer afin de faire disparaître cette illusion.

Notes :

1. Dans son projet pour la prévention de la violence à l'égard des femmes de 1998 à 2002.

2. Ce calcul est effectué pour une famille avec un père, une mère et deux enfants en bas âge. Le mari frappe la femme et lui casse la mâchoire, suite à quoi elle doit être hospitalisée. L'homme est arrêté et les enfants sont donc pris en charge par un foyer jusqu'à ce que la femme quitte l'hôpital. Ensuite, les deux parents reçoivent une prise en charge individuelle, et la famille bénéficie d'une aide au domicile en raison de l'état de la mère. On prend aussi en compte les salaires versés aux parents pendant l'incarcération et l'hospitalisation. Le calcul correspond à une période de 12 mois durant laquelle la famille est aidée, ce qui est relativement court en matière de violence conjugale. Par ailleurs, les sévices subis par la femme sont souvent plus graves encore.

* Cet article a été rédigé, notamment, sur la base des informations fournies par les organismes suivants : le Clara Wichmann Instituut d'Amsterdam (institut de recueil et de diffusion de l'information sur les femmes et leurs droits) ; WAVE (Women against violence / Europe - Vienne) ; Women Aid Federation (Irlande du Nord).

(La Lettre n° 15)
 
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