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Un programme d'intervention pour hommes violents
les expériences du Québec

Monsieur Gilles RONDEAU
Professeur Agrégé à l'école de service social
de l'Université de Montréal


Vous m'avez invité à parler de ce qui se passe chez nous par rapport aux conjoints violents. Merci de votre charmante invitation qui m'honore. Tout en vous parlant de ce qui se passe en Amérique relativement aux conjoints violents, je vais tenter de traiter des particularités qui se vivent au Québec. A cet égard, je vais mettre en avant nos spécificités ce qui, j'espère, vous aidera à définir un projet qui a du sens pour votre pays et votre région.

Qui suis-je, moi qui m'adresse à vous ce matin ? J'ai une triple identité de travailleur social, universitaire et thérapeute. Je suis aussi, du genre masculin. On peut me voir comme un homme dans la cinquantaine, engagé dans une réflexion et une action sur les pratiques sociales et sur sa condition masculine.

Ces divers titres et surtout préoccupations m'ont amené, voilà plus de onze ans, à m'intéresser à l'intervention auprès des conjoints violents.

Depuis, j'ai fait plusieurs choses par rapport à cette problématique : des interventions, des supervisions, des recherches en consultation, des groupes de travail etc.

Disons d'entrée de jeu que les programmes d'intervention pour conjoints violents sont nés dans un contexte particulier. Pour les comprendre, il nous faut nous référer à celui-ci. Il faut situer la question des conjoints violents dans le cadre plus large de la question des femmes violentées.

Ceci m'amène à dire un tout petit mot sur la question des femmes telle qu'elle se présente chez nous au Québec. Je crois qu'on peut dire que les femmes ont pris une importance politique significative et que leur poids politique s'est considérablement accru en 15 ans. Les mouvements et organismes de femmes exercent une influence difficile à mesurer avec précision mais somme toute réelle. Par exemple, nous avons un secrétariat à la condition féminine, un comité consultatif sur le statut de la femme, plusieurs réseaux d'organisations féminines, plusieurs services et ressources pour les femmes. Les actions sont davantage concertées, coordonnées sans que tout soit idyllique bien sûr. Je dirai que force et puissance s'affirment peut-être davantage que dans d'autres provinces ou pays. Par exemple, il existe chez nous, depuis plus de dix ans ce qu'on peut appeler une véritable politique d'aide aux femmes victimes de violence. Elle inclut un soutien gouvernemental stable à un réseau d'aide et de services. La politique s'articule autour des cinq volets qui sont

un réseau complet de maisons d'hébergement couvrant la province en entier (85 maisons au total). Celles-ci accueillent les femmes pour des séjours de quelques jours à quelques mois. Une ligne téléphonique d'urgence 24 heures/24 et 7jours/7 pour toute femme battue.

b) une politique officielle depuis 1986 du Ministère de la Justice disant que les policiers doivent considérer la violence conjugale comme n'importe quel crime y contre la personne et intervenir pour protéger la victime et poursuivre l'agresseur.

Depuis, on a eu une augmentation marquée des comparutions devant les tribunaux et des condamnations.

c) des services pour femmes violentées dans les établissements du réseau de la santé et des services sociaux pour celles qui ne souhaitent pas être hébergées.

d) des programmes publics de sensibilisation et de prévention.

e) des programmes pour conjoints violents dans la plupart des régions de la province.

Actuellement, on compte près de 30 organismes spécialisés dans l'intervention auprès des conjoints violents.

Oui, les programmes pour conjoints violents doivent être considérés au nombre des moyens pour lutter contre la violence conjugale. Ils doivent s'inscrire sans ambiguïté aucune dans la poursuite de cet objectif. Sinon, ils n'ont pas de véritable raison d'être. Disons tout de suite que ces programmes ne doivent pas être perçus comme une réponse suffisante et adéquate au problème de la violence conjugale. Ils font partie de la panoplie de moyens à utiliser mais ne touchent qu'un tout petit nombre d'hommes. La politique globale doit être préventive et viser l'ensemble. Comme services, ce sont les services aux femmes qui doivent constituer la toute première priorité. Il ne doit pas être question par exemple d'instaurer un programme pour les conjoints violents s'il n'y a pas d'abord des services d'aide et un refuge pour femmes dans la région. Le rationnel, derrière la mise sur pied d'un programme doit toujours être de combattre la violence, de mieux protéger la femme. Pour faire cesser la violence, on doit travailler directement auprès de ceux qui la commettent, les hommes, et leur apprendre à vivre leur vie conjugale autrement.

Disons que dans cette problématique, si nous parlons toujours de conjoints violents, c'est que nous voulons mettre en évidence le fait que le phénomène concerne d'abord les abus des hommes à l'égard des femmes. Leur contrôle sur celles-ci est vu comme un bien propre appartenant à l'homme. Ceci étant, nous ne voulons pas nier que des femmes puissent être violentes ou contrôlantes. Nous savons tous combien elles peuvent parfois être enquiquineuses, désagréables et blessantes. Le phénomène est toutefois sans commune mesure avec les agressions et le contrôle des hommes sur les femmes.

Les caractères des hommes violents

Qui sont les hommes violents ? Se distinguent-ils des hommes « ordinaires > . Oui ou non tout dépend comment on les considère. Dans un sens, ils sont comme «Monsieur-tout-le-monde» et vivent à côté de nous, dans notre entourage. Les études auprès de ceux qui viennent dans les programmes ont commencé à produire des données. Il y a lieu toutefois de distinguer les hommes qui participent aux programmes et ceux qui, bien que violents, n'y viennent jamais. Nous allons considérer des éléments psychopathologiques et une remise en garde s'impose au départ. Selon Bograd (1990), l'exploration des éléments psychopathologiques chez les violents doit demeurer informative. Elle doit être rattachée aux autres niveaux d'analyse et expliquer plutôt que camoufler les liens entre le comportement individuel et les variables socioculturelles. Comme le contexte de société patriarcale, la distribution inégale du pouvoir et les modes de rapports entre les genres sexuels qui sont supportés par la culture. .

Autrement, l'identification des traits psychopathologiques sert d'excuse pour dire que les hommes ne sont responsables de rien et que la société n'a rien à changer elle non plus. Ceci dit, ce que les données de recherches permettent de faire ressortir ce sont les traits suivants, rencontrés plus fréquemment chez les participants aux programmes que dans la population.

Personnalité et psychopathologie

D'après Tolman et Bennett (1990), une grande variété d'hommes abuse des femmes, mais ceux qui présentent des problèmes de personnalité ou d'autres désordres psychologiques identifiables constituent un large segment de la population identifiée comme bénéficiaire des programmes de traitement. Ces difficultés se rencontrent de façon encore plus marquée chez les hommes aux prises en même temps avec un problème d'alcoolisme.

Alcool et drogue

Selon Gondolf (1988) les abus d'alcool et de drogue jouent un rôle prédominant dans le renforcement de la violence sur la conjointe. Des études comparatives récentes laissent croire que comme groupe, ceux qui battent leur femme sont davantage dépendants de l'alcool que les autres (Van Hasselt 1985). Somme toute, l'alcool procure aux conjoints violents ce que Gelles (1980) appelle une excuse supplémentaire pour abuser.

Colère et hostilité

Gondolf, (1988) conclut sur le sujet de la colère et de l'hostilité en disant qu'en tout état de cause, on a affaire à beaucoup plus qu'à des hommes qui sont sous l'emprise de la colère et cherchent à reprendre le dessus en contrôlant leur colère. Oui, dit-il, des explosions de colère accompagnent fréquemment leurs agressions mais cette colère est essentiellement instrumentale et expressive. Elle ne constitue en fait qu'un moyen additionnel utilisé par les hommes pour arriver à ce qu'ils veulent.

Dépression

Selon Tolman et Bennett (1990), les données cumulées par Hamberger et Hastings (1988) ont fait ressortir qu'alors que des hommes qui battent leur femme non identifiés comme tels et faisant partie de la communauté n'étaient pas déprimés, ceux qui étaient en traitement eux, l'étaient plus que les hommes non-violents appartenant à un groupe de comparaison. Ces résultats laissent supposer que ce sont davantage les conséquences de la violence qui sont à l'origine de la dépression. Bien sûr, il s'agit là d'une première étude et une exploration plus approfondie est nécessaire pour déterminer que la dépression est conséquente à la violence plutôt qu'antécédente à celle-ci. Les programmes doivent ainsi être en mesure d'offrir des services ou des références adéquates aux hommes qui peuvent être suicidaires ou homicidaires ou dont la dépression peut nuire à l'intervention.

Les résultats de recherches indiquent selon Tolman et Bennett (1990) qu'il existe une relation entre la violence dans la famille d'origine et la violence à l'endroit de la conjointe bien que le mécanisme par lequel un tel effet se produit demeure toujours inconnu.

Ces résultats sont en concordance avec l'analyse reliant la violence à l'apprentissage social, laquelle analyse soutient que la modélisation de la violence durant l'enfance accroît la probabilité d'un comportement violent plus tard. Les résultats appuient aussi l'idée de centrer en partie l'intervention sur l'acquisition de nouvelles habitudes afin de développer des alternatives.

Typologies

Selon Gondolf (1988), alors que beaucoup d'efforts ont été consacrés à préciser le profil clinique et empirique de l'homme violent des études récentes tendent à démontrer que les hommes battant leur femme seraient dissemblables sous plusieurs aspects. Des tests de personnalité appliqués aux hommes en traitement n'ont révélé < aucun profil unique > (Hamberger et Hastings, 1986).

Ceci étant, les diverses typologies avancées sont encore au stade embryonnaire. Gondolf (1988) propose trois catégories d'hommes violents: les sociopathes (7%), les antisociaux (41 %) et les typiques (52 %). La classification de Hastings et Hamberger (1988) comprend elle aussi trois groupes mais définis selon les catégories associées aux types de personnalité d'hommes battant leur femme: états limites, narcissique/antisocial, et dépendant/compulsif.

Il nous apparaît, à la lumière de ces faits, pertinent de soutenir que nous sommes en présence de plusieurs facteurs explicatifs de la violence conjugale qui agiraient de façon combinée pour produire celle-ci. Il n'y a pas un facteur unique à l'origine du comportement de violence et de domination. Certes, le caractère sexiste de notre société et l'infériorisation des femmes qui en découle constitue l'explication première et centrale qui doit guider nos interprétations. Mais tout aussi important que soit ce facteur, il n'est pas unique et seule sa combinaison avec d'autres facteurs est susceptible de nous apporter un éclairage réaliste sur la nature de la violence. L'analyse doit par conséquent tenir compte de la société patriarcale mais aussi, dans une certaine mesure des autres facteurs de dimension plus limitée, tels les facteurs culturels et individuels, l'histoire de la violence vécue dans l'enfance etc.

Le dur contact avec la réalité a enseigné l'humilité aux premiers intervenants. Il les a vite ramenés sur terre. Ils ont, en effet, eu affaire à plus forte partie qu'escompté. Si, bien sûr, ils ont pris contact avec la souffrance des hommes violents, ils se sont aussi heurtés à leur déni, à leur manipulation, à leur volonté de dominer, à l'affirmation de leurs droits sur l'autre. Au fil des jours, un certain nombre de vérités et de réalités s'est imposé à eux et à l'ensemble de ceux et celles qui travaillent dans ce secteur.

Ce qui fut compris, c'est que ce qui rendait les hommes violents à l'endroit de leur conjointe était beaucoup plus complexe que ce qui avait été estimé au départ. Il se dégage de la revue de littérature sur les recherches réalisées, que jusqu'ici, nous avons perçu les hommes violents à partir d'une vision trop simple et monolithique de la réalité à laquelle nous étions confrontés. En effet, tant au niveau des causes de

violence, de la typologie des agresseurs que de l'intervention, nous avons cherché à tout ramener à une cause unique, un type universel et un mode d'intervention simple et de courte durée. Il importe de sortir de ce cercle trop limité pour trouver des explications et solutions réalistes.

Ce qu'est la violence ?

L'idée qu'on se faisait de ce qu'était la violence conjugale s'est transformée progressivement au cours des dix dernières années.

Ainsi, nous oserions dire qu'au début, pour à peu près tout le monde dans le domaine, le terme « violence > faisait référence essentiellement à des coups portés. Gelles et Strauss (1979) par exemple faisaient une distinction entre violence et agression. Ils définissaient la violence comme se limitant à des actions posées ou voulues comme physiquement blessantes alors que l'agression incluait d'autre part, tout comportement malicieux sans considération du sérieux de la blessure physique.

Puis, un peu plus tard, la violence psychologique fut considérée avec plus d'attention et chacun prit davantage conscience de ses effets. Ensuite, lentement et progressivement, il devint évident, pour à peu près tous ceux qui travaillent dans le domaine, que la violence se définit d'abord comme un acte de domination et de contrôle, comme un exercice de pouvoir de l'homme sur sa conjointe. Ainsi, à la différence de l'opinion répandue à l'origine, la violence, ce n'est pas un geste ou plusieurs, mais davantage un continuum. Plutôt qu'un incident particulier survenant à un moment précis, le contexte entier dans lequel la femme vit quotidiennement constitue la violence dont elle est victime.

« Ils (les hommes violents) énoncent un continuum de violences et de contrôle où s'entrelacent différentes formes de violences, où en fonction de chaque moment ils choisissent une forme de violence appropriée à l'état de la relation avec leur conjointe mais dont l'objectif et l'intention est d'imposer leur pouvoir et leur contrôle : contrôle de la situation et de leurs proches » (Welzer‑Lang 1991).

Quelles sont les caractéristiques des programmes d'intervention ?

En ce qui a trait aux programmes, le même phénomène se passe que pour les caractéristiques des clients. A savoir, qu'à partir d'un modèle simple la question se complexifie. On peut dire que participer à un programme dans l'état actuel des choses signifie, essentiellement, participer à un groupe de conjoints violents une fois par semaine pendant une quinzaine de semaines environ (fourchette de 8 à 36 semaines selon les programmes). Dans la quasi totalité des situations, l'approche de « groupe ouvert court terme » est privilégiée. .

La prise de contact se fait par téléphone. On exige que l'homme appelle lui-même. Celle-ci est suivie par une évaluation individuelle nécessitant une ou deux entrevues au départ. L'homme sera alors invité à se joindre à un groupe comprenant entre cinq et dix hommes et deux moniteurs. A l'intérieur du groupe, dans la majorité des cas, les hommes seront orientés vers l'atteinte de trois objectifs de base

1) Se responsabiliser par rapport aux actes de violence posés. (Ils sont les seuls responsables des gestes de violence qu'ils posent. Comment ils exercent le contrôle et savent pertinemment ce qu'ils font).


2) Apprendre des modes nouveaux de comportements acceptables et non violents. (Laisser aller la tendance à contrôler et dominer, au profit de rapports‑ plus satisfaisants, révision des scénarios et dialogues intérieurs).

3) Modifier ses perceptions des femmes et des rapports hommes/femmes. (Considérer sa femme comme une égale et voir les femmes comme des êtres qui ont droit à là liberté et à l'égalité).

Les principaux modèles d'intervention utilisés sont les suivants : psycho-éducationnel, cognitif-béhavioral, systémique, pro-féministe.

Choix à privilégier au plan de l'intervention.

Quelles actions privilégier dans les programmes pour conjoints violents et comment s'y prendre pour que ces programmes soient davantage fonctionnels ? Les recherches suivent les directions suivantes.

Il apparaît ainsi qu'on doive envisager une intervention continue et portant sur plusieurs aspects touchant l'homme dans son individualité, ses rapports sociaux et sa place dans la société. Il semble de plus en plus évident que pour continuer à demeurer non-violent, l'homme devra s'engager à long terme et être soutenu dans sa démarche

En effet, selon Gondolf (1988), les résultats préliminaires des recherches conduites auprès des hommes violents réformés suivent la direction d'un processus de développement du changement qui déborde largement de ce que l'usage identifie sous le terme de « traitement > (Adams, 1984; Gondolf et Hanneken, 1987). On constate ainsi l'existence d'un appui théorique de plus en plus manifeste en provenance d'autres champs autour de l'idée d'un processus de développement du changement ou de la guérison (Denzin, 1985). Le processus de changement implique qu'il est dans l'ordre de prévoir une série d'interventions plutôt que de s'attendre à ce qu'un seul programme ou une modalité de traitement unique soit suffisant (Gondolf 1988). Certains programmes pour hommes ont déjà déterminé une séquence d'intervention par phases. Les participants débutent par des séances d'information, par après, ils vont dans un des groupes d'échanges portant sur des thèmes choisis, puis dans un groupe de soutien et enfin s'impliquent dans des services au niveau de la communauté (Long, 1987).

Par ailleurs, toujours selon Gondolf, (1988) étant donné la démonstration de plus en plus étayée de l'existence de différents types d'hommes violents, il serait justifié que les programmes pour conjoints violents s'intègrent à d'autres programmes en santé mentale ou justice criminelle.

Comme tel, le traitement à court terme est susceptible, selon lui, de s'avérer beaucoup plus que simplement insuffisant, ou qu'une source. de frustration accrue pour les intervenants. Il risque de contribuer à augmenter les faux espoirs et le danger pour les femmes.

Pour Gondolf, (1988) tout va dans le sens de préconiser une série d'interventions plus coordonnées visant à promouvoir un engagement à changer à long terme. Toutefois, souligne-t-il, il existe dans notre culture une propension vers des solutions de type « vite réglé », haute technologie aux problèmes difficiles. Différentes recherches sur les femmes battues portent à croire que nous pourrions inconsciemment être à la recherche d'une telle solution dans ce domaine.

Gondolf, (1988) ajoute que si la façon dont les hommes violents changent reste obscure, la preuve tend par contre à démontrer que le fait de « demeurer non-violent » fait partie d'un processus à long terme. La question devient alors la suivante: comment fait-on la promotion de l'idée d'un engagement à changer à long terme ?

Un tel engagement est tout aussi fondamental pour la plupart des hommes violents qu'il l'est pour nombre d'alcooliques.

Certaines approches de traitement n'empêchent-elles pas l'instauration d'un tel processus à long terme en prônant des résultats à court terme ?

Enfin Gondolf, (1988) avance que puisque plusieurs interventions sont de toute évidence nécessaires pour faire cesser la violence à l'endroit de la conjointe, les recherches évaluatives devraient par conséquent porter sur les résultats de plusieurs combinaisons d'interventions plutôt que sur les effets d'un seul programme.

Les interventions auprès des conjoints violents sont-elles efficaces

En un mot oui, mais malheureusement, la question n'est pas si simple. Il faut y mettre toute une série de « mais » et de bémols susceptibles de tempérer les résultats. Par exemple, ce que Lindsay, Ouellet et St Jacques (1994 ) soulignent par rapport à leur évaluation d'un programme québécois est typique.

« Au plan de la violence, deux principaux résultats ressortent de cette étude. Le premier est que le programme tend à faire diminuer toutes les formes de violence et son efficacité maximale s'observe au premier temps de mesure après le programme. Le second résultat est que l'ampleur de l'efficacité du programme varie selon trois éléments : qui signale les comportements de violence, quel type de violence examine-t-on et, peut-être aussi, quels individus sont observés. En effet, les taux de violence déclarés par les femmes, à l'exception du temps « après » sont toujours plus élevés que ceux rapportés par les hommes. (...) D'autre part, le programme n'a pas le même effet sur tous les types de violence. Dans l'ordre, les diminutions les plus importantes se situent au plan de la violence physique, sexuelle et verbale. Par ailleurs, le programme semble n'avoir qu'un effet passager sur la violence psychologique... (...) Enfin, on a pu noter que le programme a des effets qui varient passablement d'un individu à un autre ». (Lindsay, Ouellet et St-Jacques 1994).

Selon Gondolf (1988), les revues des différentes recherches entreprises révèlent que les principaux problèmes reliés à l'évaluation des programmes pour hommes violents sont le petit nombre de participants et le taux élevé d'abandon. Celui-ci souligne d'autre part qu'il est difficile de déterminer jusqu'à quel point d'autres facteurs, tels les pressions exercées par la conjointe, la police ou d'autres organismes de services sociaux ont une influence sur le changement de comportement du conjoint violent. En effet, à partir des résultats obtenus par Blane (1977), on peut présumer que c'est presque un tiers des participants à un programme de traitement qui modifierait leurs comportements sans recevoir l'aide du dit traitement.

Aucune approche n'a été reconnue supérieure aux autres en dépit des arguments des tenants des différentes écoles. En fait, personne n'a réalisé une étude qui permettrait de supporter. une affirmation en faveur de telle ou telle approche.

Jusqu'ici nous avons seulement vu des gens qui prétendaient avoir une meilleure recette que d'autres. Nous attendons toujours de voir les résultats promis.

D'après Tolman et Bennett (1990) l'image d'ensemble qui se dégage des recherches sur les résultats n'apporte pas de preuve déterminante quant à l'efficacité de l'intervention psychologique comme premier ingrédient actif dans la modification du comportement de l'homme abuseur.

Etant donné les résultats positifs, mais non concluants, des évaluations jusqu'à maintenant, les auteurs considèrent que la meilleure option pour mettre un terme à l'abus fait aux femmes consiste à préconiser l'utilisation de plusieurs systèmes d'intervention parmi lesquels les services dispensés aux hommes pourraient jouer un rôle.

Historique des programmes pour conjoints violents au Québec.

Les premiers programmes américains sont nés en 1979. « EMERGE > à Boston fut le tout premier. Ceux du Québec ont pris naissance à partir de 1983 « PROGAM ».

Phase 1) 1983-1987

Démarrage, développement et expérimentation.

La période de 1984 à 1987 représente celle de la mise sur pied des ressources et de leur développement accéléré.

En 4 ans : 16 programmes sont nés.

Deux courants ont été à l'origine

a) Les groupes de réflexions sur la condition masculine qui voulaient faire leur part dans la lutte à la violence faite aux femmes (« Que les hommes commencent à s'occuper des hommes pour briser le cycle de la violence »). Personnellement, j'ai travaillé à la mise sur pied de deux de ces programmes CHOC et OPTION.

b) Les services gouvernementaux (CLSC, Centres Locaux des Services Communautaires) qui veulent répondre à une demande en mettant sur pied un service ou en le soutenant. Les intervenants sont des psychologues et des travailleurs sociaux. Les champs du communautaire et de l'institutionnel se retrouvent ensemble sur le même terrain. En 1986, le gouvernement lance sa première compagne de publicité. Cette même année le Ministre de la Justice et Solliciteur général donne ses directives afin d'arrêter et de poursuivre les hommes violents. Rapidement les services débordent et se multiplient. On assiste par ailleurs à la création de tables de concertation régionales contre la violence un peu partout en province.

Phase 2) 1988 - 1990

Etude de question et mise en place des acteurs.

Il y a de plus en plus de programmes qui démarrent, mais, par contre, il n'y a pas de politique au gouvernement et personne ne sait trop ce qui se passe ni où on va.


Le (MSSS, Ministère de la Santé et des Services Sociaux) vient me voir en 1988 et me demande de tracer un portrait des organismes existants. Je fais une série de constats et conclus en demandant au gouvernement de se doter d'une politique, de financer les programmes et de financer des recherches. Au même moment, se crée l'ARIHV (l'Association des ressources intervenant pour les hommes violents). Cette association jouera un rôle important de porte-parole et de lieu de rassemblement à partir de là.

Phase 3) 1990 - 1992

Détermination et mise en place de la politique.

C'est la période où les politiques se sont définies et le financement s'est organisé à partir du document définissant les orientations. Celui-ci a été réalisé par toutes les instances impliquées et a par conséquent été accepté par tous. Le gouvernement accepte ainsi de financer et développer des ressources pour hommes violents à la suite du consensus. En 1992, sortent les orientations, document clé dont je vais énoncer les principes ci-après. En bref, il est dit que l'intervention doit être utile à la lutte des femmes. Elle doit viser à protéger d'abord la femme et les enfants, est insuffisante à elle seule et doit être faite avec prévention et en concertation avec les autres acteurs dans le champ.

En rétrospective, ce n'est rien de moins qu'un exploit que d'avoir ensemble, le ministère de la santé et des services sociaux (ses fonctionnaires de différents paliers et services), avec les organismes communautaires pour femmes victimes de violence (Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale, Fédération des ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec) les organismes pour conjoints violents, (Association des ressources intervenant auprès des hommes violents), les services sociaux officiels (Centre locaux de services communautaires), le service de police de la Communauté urbaine de Montréal, les avocats du substitut du procureur général, et moi qui ne représente que moi, d'avoir ensemble, dis-je réussi à nous entendre sur ces orientations.

Phase 4) 1992 à aujourd'hui

Regard sur l'intervention et la concertation accrue.

Les recherches sur le sujet se développent et s'articulent. Une infrastructure d'équipe de recherche est créée et financée. Il s'agit du centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF). Les intervenants se préoccupent de leurs rapports avec les services correctionnels, l'appareil de la justice et la probation. On va vers les clientèles plus particulières : hommes incarcérés, femmes violentes, approche intégrée. Plusieurs préoccupations éthiques font surface. On crée un comité interministériel sur la politique du gouvernement du Québec en violence conjugale et familiale. On veut rééditer l'exploit dont j'ai parlé plus haut mais en mieux, au niveau de tout le gouvernement et de l'ensemble de la politique de violence conjugale et familiale cette fois-ci. Le projet est ambitieux mais se porte très bien jusqu'à maintenant.

J'ai essayé de vous livrer aujourd'hui en ce jour d'automne un peu de la couleur du Québec relativement à cet aspect de notre réalité. J'espère que mes propos vous auront permis de mieux comprendre ce qu'est la violence et auront ainsi contribué à atteindre les objectifs de votre colloque.


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COL 94/GR11


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