Revue ARDECOM

N°1 - Février 80 - page 34 à 40
Il suffit de la prendre - Après le petit déjeuner

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Revue ARDECOM
N°1 - Février 80 - page 34 à 40

IL SUFFIT DE LA PRENDRE

Il fallait bien qu'on y vienne un jour à cette histoire de contraception masculine, de " pilule pour hommes ".

Il y avait les " j'en ai marre de prendre la pilule ", " j'ai toujours pas mes règles ", les petites peurs et les grosses angoisses, un avortement, les " il parait que ça existe pour les hommes ", et les sempiternels " c'est toujours pas au point ". Et puis il y avait ces mecs qui, dans les manifs mixtes (c'était toujours ça de fait), criaient à l'unisson des femmes, depuis des années, " contraception (et avortement) libres, et gratuits pour toutes ". Ils revendiquaient, exigeaient la contraception de (pour) l'autre. Et pourquoi ne revendiquaient-ils pas leur paternité libre et choisie au moment où ils la désireraient, plutôt que, de la même manière, la maternité de la femme ? Il a bien fallu alors qu'un jour on se dise : " C'est quand même incroyable, qu'est-ce qu'ils foutent dans les labos ? "

Il y a bien la vasectomie, ouais, mais un peu risquée, parce que c'est pas tout à fait au point l'histoire de la réversibilité et puis c'est passible de prison, dame ! Alors on décroche le téléphone et on fait le tour des hôpitaux, des services d'urologie (c'est eux qui s'occupent de ça paraît-il !). Et on n'y trouve que mutisme et méfiance, on se décharge de vous d'un service à l'autre, vous n'avez pas, bien sûr, appelé le bon poste, rappelez mercredi, la personne est absente, vous devez appeler un tel, une vraie partie de ping-pong. Ou encore on vous dit (sans rire) : " Comment ça se fait que votre amie ne veuille plus prendre la pilule ? J'aimerais bien pouvoir parler avec elle ... " Et moi ... !!!
On s'adresse à des toubibs dont on a pu nous parler à droite ou à gauche, toubibs qui, ... toubibs que... on ose téléphoner à des sommités en la matière qui justement vont à un congrès où.... qui étudient précisément en ce moment tel aspect de la question ... téléphone à des copains, à des copains de copains, et toc, au bout de six mois de ce genre de démarches, on tombe sur une adresse, ouf !

Entre-temps, bien sûr, on a eu droit à toutes sortes d'explications-justifications : ça fait tomber les poils, ça fait pousser les seins, on ne bande même plus quelquefois, c'est plus facile d'empêcher la fabrication d'un ovule une fois par mois (chez la femme) que celle de millions de spermatozoïdes chaque jour (chez l'homme). Sans parler des " Ça ne résoud rien pour les femmes qui vivraient plusieurs relations ", mais si la pilule pour homme était aussi répandue que celle des femmes ? Et si les mecs désiraient vraiment maîtriser leur fécondité ?

Voilà donc le toubib si providentiel enfin déniché, un petit entretien avec lui, quelques mises au point sur le traitement et sur les garanties à prendre (toutes sortes d'examens étalés sur un an), et on démarre le traitement avec des produits qui existent déjà et dont on connaît les effets, mais qui sont ici utilisés dans d'autres buts. On s'observe un peu les premiers jours, on s'y fait. Rien d'anormal ? Rien d'anormal ! Ça va ? Ça va ! Et puis les questions des autres, Pourquoi tu fais ça ? pour pas avoir d'enfants, Comment ça t'est venu ? ben, comme ça ! Pourquoi tu fais ça ? " pour maîtriser ma fécondité ".

Non, ça fait pas mal, ça fait pas pousser les seins, ni tomber les poils... J'ai toujours très bien bandé, même sans doute plus, et c'était mieux. C'est peut-être pas étranger au fait que (quand les courbes des spermogrammes étaient bonnes), je savais ce que je faisais (ou plutôt ce que je pouvais ne pas faire), peut-être qu'" inconsciemment " ça enlève un poids. Ouais, c'était plutôt bien. C'est sûr que " quelque part " on se sent plus détendu, plus maître de ce qu'on fait, et ça rejaillit naturellement sur le plaisir. On peut se laisser aller, plus d'angoisses, de retrait en catastrophe, d'arrêtcapote, de capotes mal mises ou qui craquent sans prévenir. Peut-être un peu ce que les femmes ont pu ressentir quand elles ont eu un accès aisé à la " pilule libératrice " (pour un temps) ; et puis pouvoir partager la contraception (chacun son tour, parce que c'est quand même chimique tout ça !), que ce ne soit plus l'autre qui supporte tout ce poids ; et au bout du compte, sentir qu'on peut être maître de sa fécondité et pas toujours à la merci d'un oubli ou d'une erreur de l'autre, et savoir qu'on peut ne pas être père ou, au contraire, l'être quand on l'aura décidé.

Tout ça c'est bien beau, mais reste le côté technique qui est assez dur pour l'instant. La prise des produits de manière quotidienne, c'est pas très drôle, il faudrait que bien vite des mecs s'y mettent, alors les labos feraient peut-être quelque chose pour faciliter le traitement. Et puis, comme tout ça c'était un peu sous le manteau, les toubibs ont pris mille précautions (examens mensuels, puis trimestriels, puis remensuels) pour qu'il ne nous arrive rien de fâcheux, de vrais poupons ! Il est vrai qu'aucune erreur ne leur aurait été permise. Mais quelle inertie et quelle résistance de la part des chefs de services, responsables de toutes sortes, et des pouvoirs publics !
A quand la pilule en vente dans les monoprix ?

 

APRÈS LE PETIT DÉJEUNER

Petits câlins. Maou. Frottis-frottas. Douceur de la peau. Samedi matin, on a le temps. On traînasse. Petits bécots. C'est bon au creux du cou. C'est doux.
Tiens, v'là aut'chose. Les bras se font plus boas. Les jambes deviennent arabesques. Les baisers s'appuient. Hop là, les chemises de nuit par-dessus bord. Les corps s'explorent encore, pourtant on se connaît par coeur. Tu me montes dessus. On aime beaucoup ça.
Mais tu me surveilles.

Et je me surveille.

Tu te surveilles aussi d'ailleurs. Tout le monde en deçà du point de non-retour !
Parce que, avec ça, il faut pas rigoler. Déjà une fois on s'est fait avoir. Mauvais calcul, acte manqué. Et ce fameux après-midi à la clinique on s'en souvient tous les deux. Alors quand il y a " pénurie " de pilule, c'est moi qui me pointe à la pharmacie. Faussement tranquille. Mi-gêné, mi-provocateur. Avant d'entrer, je répète dans ma tête " Je voudrais une boîte de préservatifs " histoire de ne pas lâcher en public le mot " capote ".
Pourvu qu'on ne me demande pas " quelle taille ? ". Vieux phantasme.
Enfin bref, pas question de jouir avant de me contracepter. Alors, petit intermède. Je me lève et vais chercher mon imperméable dans son armoire : à la salle de bains. Y a pas de table de chevet, et on va pas en mettre une exprès pour ça, alors c'est là que je les ai planqués. Pourquoi ??

Quand je reviens, la plupart du temps, je bande encore. Cela m'étonne toujours. Mécanique graissée. Puis il faut reprendre le conte là où on l'avait laissé. Des fois l'entracte est arrivé en plein suspens et comme un bon livre dont on n'a rien oublié lorsqu'on le reprend, immédiatement les langues se re-enroulent furieusement, " Viens ! ". Désir, désir, quand tu nous tiens ! Mais souvent, loin des yeux loin du corps, et faut bien dire qu'on a besoin de retourner quelques pages en arrière pour se remettre l'intrigue en mémoire. " Allez, on n'a pas fait tout ça pour rien , on se force un petit peu, tout petit peu promis !, et ça repart. " On sait que ça va marcher, que le petit effort sera récompensé ; le tout c'est de s'y mettre. Habitude des désirs, habitude de l'habitude. Bon d'accord, c'est un peu chancelant, mais on va pas en faire un drame, c'est bon quand même, pas vrai ? Et puis, on sera content d'y être arrivé malgré tout ; parce que la catastrophe c'est quand on se dit " j'ai pas envie " ou " il a pas envie " ou " elle ... ".
Alors là, crac ! Méfiance, honte, froid jeté. Quelle déception ! Bon, on arrête tout et on réfléchit, et advienne que pourra. Voilà, c'était " le plastique comme révélateur du désir, ou prêcher le faux pour savoir le vrai"

Pratiquement toujours ma tête se faufile entre tes jambes. Mais attention, caresses à sens unique ! Une fois que la combinaison est enfilée, il ne reste plus qu'à plonger. Moi, intouchable, insuçable. (C'est pas un reproche, je comprends bien.) Heureusement pour la bonne marche du scénario, le goût de ton orgasme au bout de ma langue a plutôt tendance à m'exciter. Quel hasard !

Dans toi, l'impression que ça me fait, c'est que quand même, c'est pas pareil. On a beau dire, quelle que soit la finesse du gant, il sépare. (Il est même fait pour ça.) Moi dedans, toi dehors. Je ne sais pas bien comment expliquer, ça atténue, ça dilue, ça modifie en tous cas. M'enfin, comme dans tout y a du bon : au moins il y a une angoisse que je ne risque pas d'avoir, celle de l'éjaculation précoce. Même qu'il peut arriver que je n'aie pas du tout d'orgasme. Je me dis alors : " Sans préservatif j'aurais joui. Oui mais comme j'aurais éjaculé, il aurait été absolument nécessaire ". Quadrature du cercle. Frustration obligatoire, qui se cristallise sur le préservatif mais qui vient sans doute d'ailleurs. En fait c'est très rare.
Après, une petite main contrôleuse se glisse est-il toujours là ? Faut dire qu'une fois je l'ai perdu. J'étais pas fier. Sur le moment et la veille du premier jour des règles je ne l'étais pas moins. Mais là non, tout va bien. " Reste encore un peu ". Pourtant il faut bientôt se séparer complètement.

Toujours trop tôt.
Je tire sur le caoutchouc, bruit de succion, sac qui pendouille. Si j'avais un microscope, je pourrais en faire un spermogramme, mais la seule chose que je puisse en faire c'est un noeud qui enferme le sperme, noeud noué comme ce quelque chose qui reste coincé pendant le déroulement du programme. C'est ça batifoler ? Mais en fait le programme est écrit dans ma tête, pas sur le latex.

Plus tard, quand on se lève, en ramenant le plateau du petit déjeuner à la cuisine, je vais mettre ma petit poubelle dans le sac en plastique qui est lui-même dans la grand poubelle. A la " décharge " ! Sperme : semence magique, ou ordure ? On est content qu'il soit venu, mais on préfère s'en débarrasser.
D'ailleurs après, à la salle de bains, pendant que je lis la notice explicative qui était dans la boîte, tu me parles.
" Michelin préserve le couple. Mode d'emploi : La chambre à sperme doit être mise avant chaque rapport sexuel. Cessez le contact rapidement après l'éjaculation. La chambre à sperme ne peut être utilisée qu'une fois. Tu sais, je suis vachement contente qu'on utilise des préso. Moi ça me va très bien, comme ça pas de foutre en moi, qui dégouline, qui me laisse son odeur, pas de trace. "

Je pense : " Ouais, vieille histoire du baisage ni vu ni connu. Mais merde, mon sperme ça vient de moi, c'est une partie de mon corps masculin. D'une certaine façon, si ça la dégoûte c'est qu'elle rejette mon corps de mec. "
" La chambre à sperme est la forme de contraception la plus simple et la plus pratique. C'est aussi le moyen le plus sûr pour éviter les maladies transmises sexuellement. " C'est vrai que mes parents qui ne m'ont d'ailleurs jamais rien expliqué sur le comment on fait des enfants, ont appris que j'étais plus puceau parce que j'avais attrapé une blenno. Et alors ils (mon père ?) m'ont acheté une boite de condoms.
" Les chambres à sperme Michelin sont d'une grande finesse et d'une très grande sensibilité (tiens je ne savais pas qu'un morceau de caoutchouc pouvait être sensible), toujours prêtes à l'emploi (ça, ça me rappelle quelque chose) grâce à leur lubrification à sec qui les rend imperceptibles. "

Bon, je vis donc avec une femme qui me rejette en tant que mec. Et ça ne me révolte pas. C'est peut-être que je n'accepte pas tellement mon corps d'homme. Oui, je suis content quand elle dit qu'elle aime bien mes seins, et mon sperme me dégoûte un peu aussi.
" De plus, les chambres à sperme Michelin vous assurent une sécurité absolue. Chaque chambre est contrôlée électroniquement et subit toute une série de tests très sévères, ceci pour répondre aux normes de la British Standard Institution. "

Dis donc, ils jouent vachement sur la sécurité, mais quelle sécurité ? Celle de la contraception ou une autre ? Et pour renforcer cette mise en confiance, ils vont chercher les cautions de la science et d'une institution. Une institution britannique, ce qui est le moins qu'on puisse faire pour des capotes anglaises.

 


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