La parité par le double vote

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Dimension de genre

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Stany Grudzielski
stany.grudzielski@@@europs.be

7/09/98

L’objectif d’accroître la participation des femmes dans la vie politique, largement admis dans les discours, demeure, dans les actes, un voeu pieux. Beaucoup de celles et ceux qui affirment poursuivre cet objectif s’en tiennent encore à des propositions portant sur des méthodes incitatrices. On compte sur l’évolution des esprits et des moeurs, on veut encourager une prise de conscience progressive, à la fois des hommes - quant à la nécessité de "laisser des places" aux femmes - et des femmes - quant à leur propre potentiel de participation aux prises de décision. Le débat sur la parité, qui se développe, a le mérite de mettre l’accent sur des méthodes plus normatives, visant à imposer une représentation égale des femmes et des hommes au moyen d’instruments légaux.

La distinction entre méthodes incitatrices et méthodes normatives, dans ce domaine comme dans d’autres, soulève un débat philosophique: s’impose-t-il, ou non, d’attribuer à des individus des positions dans la vie sociale et politique en fonction de leur sexe et non de leur seule compétence? Le principe d’égalité formelle entre les individus, reconnu dans beaucoup de constitutions et de conventions internationales, est souvent invoqué pour répondre à cette question par la négative. Selon les détracteurs des méthodes normatives, la faible représentation des femmes dans les institutions résulterait de l’insuffisance de candidates plutôt que de réelles discriminations, et la solution passerait dès lors par l’incitation aux candidatures féminines et non par la fixation de contraintes légales.

Pour les tenants des méthodes normatives, en revanche, il s’agit de reconnaître que l’humanité est ontologiquement binaire, ses deux composantes devant occuper des positions équivalentes. La dualité sexuée de l’espèce humaine, en effet, est un fait objectif qui n’est pas assimilable aux distinctions entre catégories sociales, ethniques ou culturelles. Dichotomie fondamentale, elle transcende et traverse ces appartenances secondaires. On naît homme ou femme, on ne naît pas ouvrier ou patron, et l’identité culturelle ou ethnique d’un individu - si une telle expression a un sens - ne saurait être considérée comme constitutive de sa nature même. Certes, cette "nature même", distincte, de la femme et de l’homme, est elle-même secondaire par rapport à celle, plus fondamentale encore, de leur humanité commune. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme un certain différentialisme sexuel, elle ne produit pas en elle-même d’attitudes, de moeurs ou d’opinions distinctes: à supposer que de telles distinctions existent, elles sont acquises davantage qu’innées, et ne doivent produire ni droits ni devoirs particuliers. Mais ceci ne doit pas conduire à retarder encore l’instauration, entre les deux parties constitutives de l’espèce humaine, du maximum d’égalité de situations qui soit compatible avec le respect de l’égalité des droits et des devoirs entre les individus.

La parité - et non les quotas - est bel et bien la méthode adéquate pour garantir cette juste représentation des hommes et des femmes dans la sphère publique. La présence paritaire des femmes et des hommes dans les assemblées élues peut enclencher des effets en chaîne dans beaucoup d’autres domaines de la vie sociale et politique, grâce à la détention de facto par les femmes de la moitié de la puissance législative. D’autre part, elle peut relégitimer les assemblées élues en rendant celles-ci réellement représentatives de leur électorat. Encore faut-il définir les techniques les mieux à même de l’atteindre. Comment la réaliser?

Dans ce domaine, toutes les techniques électorales ne se valent pas. A bien y regarder, il n’existe qu’une seule technique rationnelle pour réaliser à coup sûr la parité entre hommes et femmes lors d’élections au suffrage universel: il s’agit du système du double vote. Chaque électeur dispose de deux votes: l’un pour élire une femme; l’autre pour élire un homme. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un système de séparation entre un collège électoral masculin et un collège électoral féminin, où les hommes éliraient des hommes et les femmes éliraient des femmes, mais d’un système conduisant toute électrice et tout électeur à élire à la fois un homme et une femme, et reconnaissant par là même qu’il existe deux composantes de l’humanité.

A cet égard, il faut distinguer entre deux situations, selon qu’on se trouve face à un mode de scrutin proportionnel ou face à système majoritaire uninominal. Le système du double vote peut s’appliquer dans les deux cas, mais selon des modalités légèrement différentes.

En cas de système à la proportionnelle, la parité entre femmes et hommes dans une assemblée élue ne peut pas être atteinte, comme on l’entend trop souvent, par l’obligation, pour les partis politiques, de placer sur leurs listes électorales un nombre égal d’hommes et de femmes - cela ne garantit pas la position de celles-ci sur les listes - ni même par l’alternance aux différentes positions sur ces listes d’une femme et d’un homme - les partis obtenant un nombre impair d’élus seront inégalement représentés au regard du sexe, et là où un parti n’obtient qu’un élu, il y a fort à parier que celui-ci sera plus fréquemment un homme qu’une femme. Or, si on recherche l’égalité, on ne saurait se satisfaire d’une parité approximative.

C’est bien un système de double vote qu’il faudra utiliser. Concrètement, le découpage des arrondissements électoraux devra être tel que chaque arrondissement compte un nombre pair d’élus. Chaque parti en présence présentera deux listes de candidats - une liste de femmes et une liste d’hommes - et chaque électeur et électrice devra obligatoirement, pour que son vote soit valable, voter et pour une femme et pour un homme d’un même parti. Ainsi, chaque parti obtiendra automatiquement un nombre égal d’élus masculins et féminins. Pour conserver un degré suffisant de proportionnalité entre les partis, il sera souhaitable que les arrondissements électoraux soient de taille suffisante.

En cas de système électoral majoritaire, le système du double vote prendra la forme d’un "ticket paritaire". Il faudra doubler la taille des circonscriptions et élire, dans chacune d’entre elles, une femme et un homme qui se présentent ensemble.

Il n’entre pas dans le cadre de cet article de détailler les modifications législatives ou constitutionnelles qu’appellerait l’instauration du système du double vote: que l’intendance légistique suive la fixation de la priorité politique. Contentons-nous de souligner les avantages majeurs d’un tel système au regard de l’objectif de parité qu’il poursuit: la simplicité; l’efficacité; la rationalité; l’absence de discrimination; la génération spontanée de candidatures féminines; l’absence de confusion, dans la désignation des élus, entre ce qui relève de leurs mérites et ce qui relève de leur sexe. A quand son application?

Stany Grudzielski
Sociologue