Les
femmes ne peuvent pas entendre |
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CO-RESPONSABILITE
ET NOUVELLES MASCULINITES
Résumé-Message Les femmes ont mené à bien une lutte séculaire pour éliminer les inégalités de genre et en finir avec l’ordre social qui, par nature, les soumet à l’homme. Cette lutte a permis d’introduire une série de changements sociaux qui ont remis en question les rôles des hommes et des femmes traditionnellement définis. Malgré le fait que le changement radical du rôle assigné à la femme ait également un impact direct sur la remise en question des rôles des hommes traditionnellement définis, ces derniers sont encore les grands absents dans la construction de ce nouvel ordre social. La collaboration de l’homme est nécessaire si l’on veut en finir avec la division traditionnelle entre l’espace productif pour l’homme et reproductif pour la femme, et dénoncer les inégalités et les conséquences néfastes pour la vie des femmes. Faute de quoi le progrès n’est pas possible ou devient insoutenable.
La
difficulté à impliquer les hommes dans la défense des droits de la
femme et de l’égalité provient des caractéristiques du modèle hégémonique
de masculinité et des multiples avantages que possède l’homme,
principalement la domination et le pouvoir. Tout engagement
masculin en faveur d’une plus grande co-responsabilité entre hommes
et femmes –aussi bien au niveau productif que reproductif, dans les
relations intimes comme dans les relations sociales, dans le domaine de
la paternité, de la sexualité, de la violence ou de l’économie- nécessite,
aussi bien de la part des hommes que de celle des femmes, une réflexion
préalable et profonde, individuelle et collective des effets pernicieux
du modèle de masculinité. Un réel changement des rôles et des
comportements doit émaner d’une véritable conviction personnelle et
interne de besoin de ces changements. Il ne suffit pas d’accomplir ni
de se référer à des recommandations et des directives, il faut y
croire. C’est la seule façon de pouvoir bâtir des bases solides sur
lesquelles on pourra édifier une société plus juste et plus égalitaire,
et une vie harmonieuse pour les femmes et les hommes.
L’absence de l’homme dans la lutte pour l’égalité
“Gender
inequality holds back the growth of individuals, the development of
countries and the evolution of societies, to the disadvantage of both
women and men.
The facts of
gender inequality–the restrictions placed on women's choices,
opportunities and participation–have direct and often malign
consequences for women's health and education, and for their social and
economic participation. Yet until recent years, these restrictions have
been considered either unimportant or non-existent, either accepted or
ignored. The reality of women's lives has been invisible to men. This
invisibility persists at all levels, from the family to the nation.
Though they share the same space, women and men live in different
worlds.”.
Ce
paragraphe introduit le rapport
The
State of World Population
du FNUAP
de
l’année
2000 intitulé “Lives
together, worlds apart”.
Il
est difficile de trouver un titre qui résume avec tant d’éloquence
la nature des relations de genre.
L’introduction
de la perspective de genre suppose la reconnaissance de l’existence
d’inégalités entre les hommes et les femmes, par la simple nature de
leur sexe. Pendant des siècles les femmes ont lutté pour l’égalité
et ont dénoncé ce système patriarcal qui les subordonne, et elles ont
réussi à introduire une série de changements sociaux qui ont remis en
question les rôles traditionnellement définis pour les hommes et les
femmes. Cependant, et malgré le fait que la modification radicale du rôle
attribué aux femmes ait également un impact direct sur
l’interrogation des rôles traditionnels définis pour les hommes,
ceux-ci demeurent « les grands passifs » dans la
construction de ce nouvel ordre social.
Les
progrès des femmes, comme nous l’avons déjà dit, ont permis la
rupture de la division traditionnelle des rôles de genre, lesquels conféraient
l’espace productif à l’homme et le reproductif à la femme. Mais
cette progression atteindra bientôt un niveau insoutenable si on ne
commence pas maintenant à compter sur la participation des hommes. Il
devient de plus en plus nécessaire d’analyser les modèles masculins
si on veut que les hommes participent activement aux changements
sociaux, ce que l’on appelle : la co-responsabilité.
On
mentionne largement l’autonomie des femmes –pris dans le sens de
l’élargissement de leurs choix et de leur pouvoir de décision à
tous les niveaux de la vie- dans les résolutions et recommandations
prononcées lors des nombreuses conférences des années 1990 qui
ont défini le nouveau paradigme du développement humain soutenable
(L’Enfance, New York 1990 ; L’Environnement, Rio 1992 ;
Les Droits de l’Homme, Vienne 1993; La Population et le Développement,
Le Caire 1994 ; Le Développement Social, Copenhague 1995 ; La
Femme, Beijing 1995 ; L’Habitat, Istanbul 1996 ;
L’Alimentation, Rome 1996. Dans ce sens, le degré de liberté des
femmes à décider du cours de leur vie, aussi bien reproductive que
productive et publique que privée, est fondamental dans le processus de
changement social vers un développement humain soutenable. Il est également
évident que, dans de nombreux endroits de la planète, les femmes
n’ont pas toutes les mêmes chances, qu’elles sont exposées à de
plus grands risques et qu’elles vivent soumises aux vicissitudes et
aux décisions d’autrui. De nombreuses femmes, surtout dans les pays
les plus pauvres, ont encore des choix vitaux très réduits en dehors
du mariage et de la maternité, souvent décidés contre leur propre
volonté.
Le Caire et Beijing : deux pas en avant
Deux
de ces conférences, celles du Caire et de Beijing, ont abordé de façon
plus spécifique le rôle des hommes et le besoin d’une plus grande
co-responsabilité. Par exemple, la clause C du chapitre IV
Gender
Equality, Equity and Empowerment of Women
du
Programme of Action
de
la International
Conference
on Population and Development
(Le
Caire, 1994) traite exclusivement des “Male
Responsibilities and Participation”.
Il
y
est
dit que
“Men
play a key role in bringing about gender equality since, in most
societies, men exercise preponderant power in nearly every sphere of
life, ranging from personal decisions regarding the size of families to
the policy and programme decisions taken at all levels of Government”.
Dans
ce paragraphe, il est non seulement défini comme objectif de to
promote
“gender equality in all spheres of life including family and community
life, and to encourage and enable men to take responsibility for their
sexual and reproductive behaviour and their social and family roles”
mais il y est également recommandé une série de mesure pour
l’atteindre.
Actions
4.26.
The equal participation of women and men in all areas of family
and household responsibilities, including family planning, child-rearing
and housework, should be promoted and encouraged by Governments. This should be pursued by means of information, education,
communication, employment legislation and by fostering an economically
enabling environment, such as family leave for men and women so that
they may have more choice regarding the balance of their domestic and
public responsibilities.
4.27.
Special efforts should be made to emphasize men's shared
responsibility and promote their active involvement in responsible
parenthood, sexual and reproductive behaviour, including family
planning; prenatal, maternal and child health; prevention of sexually
transmitted diseases, including HIV; prevention of
unwanted
and high-risk pregnancies; shared control and contribution to family
income, children's education, health and nutrition; and recognition and
promotion of the equal value of children of both sexes.
Male responsibilities in family life must be included in the
education of children from the earliest ages.
Special emphasis should be placed on the prevention of violence
against women and children.
4.28.
Governments should take steps to ensure that children receive
appropriate financial support from their parents by, among other
measures, enforcing child- support laws.
Governments should consider changes in law and policy to ensure
men's responsibility to and financial support for their children and
families. Such laws and
policies should also encourage maintenance or reconstitution of the
family unit. The safety of
women in abusive relationships should be protected.
4.29.
National and community leaders should promote the full
involvement of men in family life and the full integration of women in
community life. Parents and schools should ensure that attitudes that are
respectful of women and girls as equals are instilled in boys from the
earliest possible age, along with an understanding of their shared
responsibilities in all aspects of a safe, secure and harmonious family
life. Relevant programmes
to reach boys before they become sexually active are urgently needed.
Dans
d’autres chapitres du Programme d’Action de la conférence du Caire,
comme par exemple dans le chapitre VII sur les
Reproductive
Rights and Reproductive Health, il est également établi des mesures
comme l’élaboration de
7.8.
Innovative programmes must be developed to make information,
counselling and services for reproductive health accessible to
adolescents and adult men. Such
programmes must both educate and
enable
men to share more equally in family planning and in domestic and
child-rearing responsibilities and to accept the major responsibility
for the prevention of sexually transmitted diseases. Programmes must
reach men in their workplaces, at home and where they gather for
recreation. Boys and
adolescents, with the support and guidance of their parents, and in line
with the Convention on the Rights of the Child, should also be reached
through schools, youth organizations and wherever they congregate.
Voluntary and appropriate male methods for contraception, as well
as for the prevention of sexually transmitted diseases, including AIDS,
should be promoted and made accessible with adequate information and
counselling.
L’évaluation
quinquennale des progrès et des obstacles rencontrés dans la mise en
place de ce Programme d’Action, né de la conférence du Caire+5 de
1999, insista de nouveau sur le besoin que
50.
All leaders at all levels, as well as parents and educators, should
promote positive male role models that facilitate boys to become
gender-sensitive adults and enable men to support, promote and respect
women’s sexual and reproductive health and reproductive rights,
recognizing the inherent dignity of all human beings. Men should take
responsibility for their own reproductive and sexual behaviour and
health. Research should be undertaken on men’s sexuality, their
masculinity and their reproductive behaviour.
52.
(…) g) Promote men’s understanding of their roles and
responsibilities with regard to respecting the human rights of women;
protecting women’s health, including supporting their partners’
access to sexual and reproductive health services; preventing unwanted
pregnancy; reducing maternal mortality and morbidity; reducing
transmission of sexually transmitted diseases, including HIV/AIDS;
sharing household and child-rearing responsibilities; and promoting the
elimination of harmful practices, such as female genital mutilation, and
sexual and other gender-based violence, ensuring that girls and women
are free from coercion and violence;
La
Platform
for Action approuvée lors de la Fourth World Conference on Women de
Beijing en 1995, ne pouvait pas, elle non plus, ne pas faire
explicitement référence à la responsabilité des hommes dans l’égalité
des sexes. Déjà dans la Beijing Declaration, préambule de la
Plate-forme pour l’Action, les Gouvernements participants déclarèrent
“we are determined to:
Encourage
men to participate fully in all actions towards equality”.
Le chapitre IV, dans lequel sont regroupés les objectifs stratégiques
et les mesures à prendre, fait tout particulièrement référence au
besoin de promouvoir la participation masculine. Ceci apparaît concrètement
dans les clauses sur la santé suivantes :
107
c) Encourage men to share equally in child care and household work and
to provide their share of financial support for their families, even if
they do not live with them;
107
h) Develop policies that reduce the disproportionate and increasing
burden on women who have multiple roles within the family and the
community by providing them with adequate support and programmes from
health and social services;
108
e) Develop gender-sensitive multisectoral programmes and strategies to
end social subordination of women and girls and to ensure their social
and economic empowerment and equality; facilitate promotion of
programmes to educate and enable men to assume their responsibilities to
prevent HIV/AIDS and other sexually transmitted diseases;
108
k) Give full attention to the promotion of mutually respectful and
equitable gender relations and, in particular, to meeting the
educational and service needs of adolescents to enable them to deal in a
positive and responsible way with their sexuality;
108
l) Design specific programmes for men of all ages and male adolescents,
recognizing the parental roles referred to in paragraph 107 (e) above,
aimed at providing complete and accurate information on safe and
responsible sexual and reproductive behaviour, including voluntary,
appropriate and effective male methods for the prevention of HIV/AIDS
and other sexually transmitted diseases through, inter alia, abstinence
and condom use;
dans
celle sur la prévention et l’élimination de la violence contre la
femme suivant :
124.
k) Adopt all appropriate measures, especially in the field of education,
to modify the social and cultural patterns of conduct of men and women,
and to eliminate prejudices, customary practices and all other practices
based on the idea of the inferiority or superiority of either of the
sexes and on stereotyped roles for men and women;
dans
celle sur
women
and the economy,
dans
laquelle sont définies plusieurs mesures
“To promote harmonization of work and family responsibilities for
women and men”;
ou
dans celle sur
Women in power and decision-making
ou
il est dit que
:
185.
Inequality in the public arena can often start with discriminatory
attitudes and practices and unequal power relations between women and
men within the family, as defined in paragraph 29 above.
The unequal division of labour and responsibilities within
households based on unequal power relations also limits women's
potential to find the time and develop the skills required for
participation in decision-making in wider public forums.
A more equal sharing of those responsibilities between women and
men not only provides a
better
quality of life for women and their daughters but also enhances their
opportunities to shape and design public policy, practice and
expenditure so that their interests may be recognized and addressed.
Non-formal networks and patterns of decision-making at the local
community level that reflect a dominant male ethos restrict women's
ability to participate equally in political, economic and social life.
et
il y est recommandé des mesures tel que :
190.
i) Recognize that shared work and parental responsibilities between
women and men promote women's increased participation in public life,
and take appropriate measures to achieve this, including measures to
reconcile family and professional life;
192.
e) Develop communications strategies to promote public debate on the new
roles of men and women in society, and in the family as defined in
paragraph 29 above;
L’évaluation
de la conférence de Beijing+5, qui eu lieu en l’an 2000,
emphasized
that “men must involve themselves and take joint responsibility with
women for the promotion of gender equality”,
ainsi
que
“women share common concerns that can only be addressed by working
together and in partnership with men towards the common goal of gender
equality around the world.”
De
même l’UNESCO, dans le cadre de son programme
“Women
and a Culture of Peace” a consacré des forums et des espaces en vue
de débattre le rôle des hommes et de la violence. Il faut souligner
l’exemple de la réunion internationale d’experts qu’elle organisa
à Oslo en septembre 1997 sous le titre “Male
Roles
and Masculinities in the Perspective of a Culture of Peace”.
Dans cette rencontre il a été reconnu que
“Whilst women's roles and status have been broadly debated over the
last decades, men's roles and positions have hardly been discussed”,
et
que
“The process of redefinition of female and male identities has been
asymmetric: while for women it has progressed, for men it is just
beginning”.
C’est
par une analyse de la littérature et de la connaissance théorique
existantes que fut exploré, lors de la réunion, le développement de
nouveaux types de masculinité, plus égalitaires et avec une approche
partnership-orientated,
opposés aux attentes traditionnelles et stéréotypées de la
masculinité qui peuvent conduire à l’acceptation incorrecte de
l’usage de l’autorité, de la domination, du contrôle, de la force,
de l’agressivité et de la violence.
On y aborda également les douloureuses conséquences des définitions
de masculinité et féminité rigides et stéréotypées, les rôles de
domination et de soumission. On y explora
des stratégies de terrain pour réduire la violence masculine, ainsi
que les différentes façons d’élever les garçons pour que soient
soulignées les qualités nécessaires à la construction d’une
culture de paix.
La réflexion des hommes eux-mêmes
Cependant,
l’expérience la plus intéressante qui nous a été offerte par un
organisme international est celle qui a débuté en 1999 dans le cadre
interne de la PNUD. Suite à un atelier organisé dans le cadre du
programme Genre et Développement de la PNUD à New York, un groupe
d’hommes qui travaillent dans cette organisation, rédigea un document
dans lequel ils revendiquaient la participation des hommes dans les
questions de genre.
Ce
groupe s’auto qualifia de
“We,
a group of men within UNDP, feel a strong concern about existing gender
inequalities, and would like to promote collaboration between men and
women to reduce current gender disparities in the workplace and in the
world”.
Leur
appel était dirigé vers leurs collègues masculins et leur demandait
“we ask for the sensitivity to renounce dominant stereotypes and a
willingness to reevaluate our own attitudes towards gender equality
issues and the advancement of women”.
Jusqu'à
cette date-là pratiquement toutes les agences des Nations Unies, y
compris le PNUD, avaient inscrit les questions de genre dans leurs
agendas et dans leurs programmes, mais le côté insolite de cette
action est que pour la première fois l’appel provenait des hommes et
était destiné aux hommes.
Dans
cet atelier du PNUD, on identifia quelques obstacles à
l’incorporation des hommes dans les questions de genre, et les résultats
sont intéressants :
Le modèle hégémonique de la masculinité
L’évidence
de l’absence des hommes dans les questions de genre et la lutte pour
l’égalité, et la difficulté de faire participer l’homme, nous amène
à analyser le modèle de masculinité. C’est donc dans la façon de
se comporter en tant qu’homme ou femme qu’il faut chercher les
raisons de ces inégalités. Effectivement, hommes et femmes sommes éduqués
pour nous comporter de la sorte, nous nous socialisons de telle façon
que nous acquérons un ensemble d’attributs, de valeurs, de fonctions
et de comportements supposés être essentiels à chaque sexe. Dans le
cas des hommes, il existe une façon hégémonique, culturellement et
historiquement construite, de se socialiser. Cette socialisation passe
par la famille, l’école, les amis, le travail, les moyens de
communication, etc.… et place l’homme en position évidente de
dominateur et subordinateur de la femme. Les dividendes en faveur de
l’homme ne sont pas seulement du domaine du contrôle et du pouvoir
mais sont également économiques et matériels. Tous les hommes avons
pris conscience un jour ou l’autre de ces avantages qui sont en notre
possession, et nous avons eu, à un moment ou à un autre, la sensation,
le plaisir d’être né du côté privilégié ; c’est un procédé
que nous appelons « la pédagogie du privilège ».
Les
caractéristiques de base du modèle sont le pouvoir et l’hétérosexualité
–c’est pourquoi, le modèle subordonne également d’autres hommes
qui ne s’adaptent pas au modèle –ainsi que l’indépendance,
l’agressivité, la compétitivité et le risque. L’ « Homme »,
le vrai, est le centre, la force, l’importance, la puissance, il
domine. Il s’agit d’un modèle symbolique, idéal, il n’est pas
naturel. La preuve est que l’homme se sent constamment obligé de
prouver sa virilité, dans le domaine public et privé, dans sa sexualité
par exemple. Mais il se cache également des éléments nuisibles dans
ce modèle. Cette démonstration constante peut provoquer ce que nous
appelons « la pression de la masculinité », qui n’est
rien d’autre que la pression d’avoir à projeter une image qui
n’est pas naturellement la sienne et qui n’est pas supportable.
Cette
réflexion sur le modèle de masculinité issu des hommes eux-mêmes
peut faciliter la co-responsabilité tant désirée en persuadant
l’insoutenabilité de l’ordre social établit par les préjudices créés,
et tout en gardant à l’esprit que ce sont les femmes qui souffrent le
plus. La participation de l’homme doit venir d’une réelle prise de
conscience de cette insoutenabilité, et non pas de l’adaptation aux
changements promus par les femmes. Pour cela il est nécessaire de démontrer
à l’homme que le système qui lui fourni tant de privilèges et bénéfices
peut également se retourner contre lui, et que la masculinité assumée
peut être un facteur de risques, de la même manière qu’on a mis à
jour les privilèges de l‘homme, il faut également mettre à jour les
préjudices que le modèle a sur eux. Ceci est la voie suivie par le Dr
Benno de Kreijzer de Mexico.
De
Kreijzer établit une typologie de risques de la masculinité :
contre les femmes et les enfants, contre les autres hommes et contre
soi-même. Le risque contre les femmes, les filles et les garçons, se
traduit par une violence domestique, des avortements sélectifs, la réduction
à l’état d’objet de la femme dans l’univers de la sexualité
masculine (laquelle répond symboliquement à un script caractérisé
par la puissance, le phallisme, l’obsession de l’orgasme, le coït
ou la multiplicité des partenaires), le manque de participation
masculine dans la contraception, et une participation limitée dans l’éducation
des enfants. Le risque envers d’autres hommes a lieu dans le cadre des
relations de pouvoir entre hommes, dans cette volonté de se montrer supérieur
à l’autre, et passe par la plaisanterie, la pression et la violence.
Il est en relation avec les morts violentes, les lésions, les accidents
et les homicides. Enfin, le risque envers soi-même, résumé de tout ce
qui a été dit précédemment, lié à ce besoin culturel de se mettre
constamment à l’épreuve, de prendre des risques et d’adopter des
conduites téméraires, perçues comme étant synonymes de véritable
virilité. A ce risque pour la santé il faut ajouter une autre caractéristique
du modèle hégémonique : le manque de soins corporels, la
difficulté à demander de l’aide, le refus de se considérer malade.
Pour beaucoup il existe une relation évidente entre la masculinité
comme facteur de risques et les différences d’espérance de vie entre
les hommes et les femmes. En résumé, pour paraphraser Pierre Bourdieu :
l ‘homme est victime de soi-même.
La
co-responsabilité masculine totale ne s’obtient pas simplement grâce
à un changement de conduite, il faut également un changement
d’attitude et de pensée, beaucoup plus difficile à obtenir. Pour
cela, il faut travailler sur le modèle hégémonique de masculinité.
D’où l’importance et la nécessité de créer des espaces de réflexion
et de liberté d’expression pour tout ceci (qui par règle ne nous est
pas permis d’exprimer), où les hommes apprennent à exprimer et à échanger
leurs inquiétudes. Il s’agit surtout qu’ils comprennent mieux les résistances
et problèmes auxquels sont confrontées les femmes dans ce système inégalitaire,
les mécanismes qui déclenchent la violence machiste, entre autres
points, et qu’ils s’unissent aux revendications de tant de femmes
dans le monde.
La
co-responsabilité doit avoir lieu aussi bien au niveau privé que
public. Au niveau privé – et plus particulièrement en matière de
santé et de droits sexuels et reproductifs- celle-ci doit comprendre
parmi d’autres éléments : a) la promotion d’une paternité
responsable en s’occupant plus des enfants et en étant plus proches
d’eux, et en répartissant les tâches domestiques, b) une plus grande
implication des hommes dans la planification familiale, ce qui passe par
un plus grand investissement en matière de contraception masculine
jusqu'à l’élimination de la résistance à utiliser parfois
certaines de ces méthodes et c) une décision ferme pour éliminer la
violence de genre, grâce à l’éducation et au changement de
coutumes.
Expériences
concrètes : des groupes d’hommes Il existe depuis plusieurs années diverses expériences d’ONG ainsi que des groupes d’hommes qui travaillent sur la réflexion individuelle et commune. Il existe divers exemples en Amérique Latine. Au Nicaragua la « Fundación Puntos de Encuentro para la Transformación de la Vida Cotidiana » (La Fondation Points de Rencontre pour la Transformation de la Vie Quotidienne) mis en place il y a quelques années un cycle d’ateliers avec de jeunes hommes, sur l’identité, la sexualité et la violence domestique. Dans ces ateliers il est dit que l’« essence masculine » n’existe pas et qu’il faut apprendre à être homme comme on apprend à être femme, et que l’apprentissage masculin dans nos sociétés comprend l’enseignement à être compétitif, violent, dominateur, machiste et homo phobique. Les participants essayent ensemble d’apprendre à ne pas tomber dans des sentiments stériles de culpabilité, et de haine ou de mépris de soi-même du fait qu’ils font partie du genre dominant ; et surtout à confronter avec fermeté avec eux-mêmes, avec leurs relations personnelles et au niveau social et politique, le cycle de la violence dans lequel ils vivent.
L’ONG
mexicaine « Salud y Género » (Santé et Genre), dont le
travail tourne autour de la santé mentale, sexuelle et reproductive, a
également développé une stratégie d’ateliers de travail
exclusivement pour les hommes. Il y est recréé le tunnel du temps, dans
lequel les participants revivent l’histoire de leur vie avec une
attention toute particulière portée aux rôles de genre dans lequel
ils ont été éduqués ; on y travaille la gestion des émotions,
la violence de couple et l’image qu’ils ont de leurs parents.
L’expérience de ce travail permet de tirer une série de leçons :
-
Voir la masculinité comme facteur de risques est un point de départ
important et nuisible à la discussion des thèmes liés à la sexualité,
la santé et les relations intimes.
-
Débattre genre et masculinité est impossible à un niveau
institutionnel jusqu'à ce que les individus impliqués aient préalablement
réfléchis sur leurs propres valeurs et réalités liées au genre.
-
En même temps que l’on implique les hommes individuellement,
il est important d’atteindre les institutions comme moyen d’accès
à de plus grands groupes d’hommes et comme stratégie multiplicatrice
pour que les ateliers se reproduisent dans d’autres organisations et
institutions.
-
Les femmes peuvent jouer un rôle important en encourageant les
hommes à participer à des ateliers de genre.
-
Les activités sur le thème de genre doivent débuter avec une
idée claire des résultats souhaités et indicateurs du degré de succès
pour réaliser ces objectifs.
-
Les activités de sensibilisation, comme les spots de radio et
l’éducation publique sur les thèmes de genre, aident à créer une
ambiance favorable aux ateliers et à recruter des participants.
Il
existe d’autres expériences similaires dans d’autres ONG comme
CORIAC (« Colectivo de Hombres por Relaciones Igualitarias »,
AC – Collectivité d’Hommes pour les Relations Egalitaires.) au
Mexique, dont les travaux
ont impliqué les hommes dans la santé reproductive, ou CANTERA au
Nicaragua.
Le
milieu associatif a également vu la création de groupes d’hommes
dans les pays développés. Il existe plusieurs exemples aux Etats-Unis
(NOMAS
-National
Organization of Men against Sexism- Organisation Nationale d’Hommes
contre le Sexisme), au Canada, en Australie, en France, en Suisse et même
en Espagne. Leur mission est d’exprimer les changements en faveur
d’une co-responsabilité dans les domaines domestique, privé et
personnel, et de les socialiser. Le pari est de rendre visible et de
multiplier les changements individuels afin d’inclure d’autres
hommes dans cette amélioration et dans cette reconstruction du modèle
masculin, aussi bien pour être soutenu dans ce difficile procédé d’évolution
des traditions que pour promouvoir un changement au niveau de la société
entière. Et ceci peut se traduire de diverses façons, par le soutien
aux femmes dans leurs revendications, par la participation des hommes
dans les progrès des femmes,
par la
fuite
de tout type de complicité,
par le
changement
d’idée que la lutte pour l’égalité revient uniquement aux femmes,
comme si nous les hommes n’étions pas impliqués dans ce problème,
par l’exigence
et l’encouragement de règles qui stimulent les désirs de changement
masculins.
On
a pu remarquer en Espagne, durant ces derniers mois, l’intérêt et le
soutien des institutions publiques, comme le montre l’organisation de
diverses conférences et rencontres sur le thème de la masculinité et
co-responsabilité. Ce fut le cas de la conférence organisée par l’ « Institut
Vasco de la Mujer » (Emakunde- Institut Basque de la Femme) qui a
eu lieu à San Sébastien au mois de juin 2001, ou de la prochaine conférence
qui aura lieu à Jerez de la Frontera et qui a été organisée par la
municipalité de la ville ; ville qui possède un département de
Santé et Genre très actif en terme de masculinité (www.hombresigualdad.com).
Ces initiatives spontanées et isolées développent des dynamiques de
groupe et, ouvrent des espaces de débat et réflexion sur la
signification de la masculinité aux portes du 21ème siècle.
En
suivant l’exemple des réseaux de femmes créés par le mouvement féministe,
ces groupes d’hommes doivent se réunir entre eux, et partager leurs
expériences de façon à s’entraider. Ceci améliorerait leur
visibilité face à la société, du fait que le challenge n’existe
pas seulement au niveau privé mais également public, vu que
l’introduction de la perspective de genre signifie implicitement
vouloir développer un processus de transformation de notre société et
de nos modèles. Nous trouvons des exemples de réseaux dans la « Red
de Masculinidad »
(Réseau de Masculinité), à caractère plus académique, de la
« Facultad
Latinoamericana de Ciencias Sociales en Santiago de Chile »
(FLACSO- Faculté Latino-américaine de Sciences Sociales de Santiago du
Chili), dans l’organisation -maintenant disparue- « Men’s
Network for Change » (MNC-Réseau d’Hommes pour le Changement)
au Canada dont les membres affirmaient être comme “a network
for pro-feminist, gay affirmative, anti-racist, male positive men”, ou
dans l’organisation nord-américaine Pro-feminist
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dont les membres se revendiquent opposés à d’autres mouvements
masculins de « réaffirmation des instincts naturels ».
Il
faut cependant prendre en compte certaines considérations lorsqu ‘il
est question du travail avec les hommes partisans d’une nouvelle
masculinité. La masculinité hégémonique traverse en ce moment une
crise qui, à de nombreuses reprises, se traduit sur le plan individuel
par des problèmes psychologiques, une sensation d’échec, de vide, un
sentiment d’impotence et une absence de modèle. Au niveau collectif,
de la même façon que l’on a vu l’apparition des groupes d’hommes
pro-feministes favorables au changement et à l’égalité (groupes
mentionnés ci-dessus), on a également vu la création de groupes
d’hommes qui prennent un chemin contraire à celui de la
co-responsabilité en défendant à outrance le système patriarcal et
en s’associant à d’autres groupes radicaux à caractère misogyne,
raciste, xénophobe et homo phobe. La nouveauté qui suppose que l’état
de crise du modèle hégémonique de masculinité, l’insécurité qui
entraîne le questionnement de la masculinité chez beaucoup d’hommes
(alors qu’il y a 30 ans ils savaient très bien qui ils étaient ou ce
qu’ils devaient être) provoquent une déstabilisation dont on rend
les femmes et le mouvement féministe -qui dérangent les règles
sociales- directement responsables. Dans une situation de crise de la
masculinité, passer d’un niveau à un autre de réponse peut être
extrêmement facile, c’est pourquoi il est important de ne pas tomber
dans l’accusation et la culpabilisation des hommes, car l’effet peut
être contre-productif et la réaction violente.
Les avantages d’un nouveau modèle De l’analyse des travaux que sont en train de mener les différents groupes d’hommes et les ONG sur les masculinités et la recherche de nouveaux modèles qui favorisent la co-responsabilité complète, on remarque l’émergence de 3 éléments stratégiques : la paternité, la violence et la sexualité. Il s’agit sans aucun doute de 3 portes par lesquelles l’homme pénètre dans l’analyse complexe de la masculinité, et à travers lesquelles on peut avancer dans la création de nouveaux modèles d’hommes, et par conséquent obtenir une co-responsabilité complète depuis la persuasion.
L’expérience de ces groupes d’hommes est qu’ils ont progressé avec une plus grande capacité d’autocritique, et en recevant les critiques d’autres personnes (surtout les femmes) ils ont fait preuve d’une plus grande patience et empathie envers les autres, ils ont mieux accepté l’homosexualité, ils ont mieux communiqué entre eux, leur niveau d’estime a augmenté, ils ont pu montrer plus d’affection et de tendresse et mieux exprimer leurs sentiments. Il s’agit en définitif de gagner les leçons importantes de la vie que le modèle empêche, de construire de nouveaux modèles de coexistence et de réduire les facteurs de risques que le modèle implique, en plus de se débarrasser de cette armure gênante que nous les hommes portons et qui sous-entend ce rôle social obligatoire.
Il est très important qu’il y ait des recommandations internationales sur la nécessité de travailler vers une co-responsabilité masculine, et qu’un débat public sérieux sur les rôles masculins ait lieu. Mais nous devons prendre en compte que ceci n’est pas suffisant. Si nous voulons travailler vers un changement réel, vers la construction de bases solides sur lesquelles on peut bâtir une société juste et égalitaire, nous devons réaliser que la bataille pour l’égalité ne se gagne pas uniquement dans les textes et les directives ; la véritable bataille doit avoir lieu dans notre tête, au plus profond de nous-mêmes. Enric Royo Metges del Món-Catalogne |