Source: http://www.federation-anarchiste.org/
Depuis les années 70, le
mouvement féministe a permis la prise de conscience et la dénonciation publiques
de l’oppression des femmes par un système pluricentenaire : le patriarcat. Bien
que trop souvent considéré-e-s par les hommes comme des « histoires de bonnes
femmes », les questionnements et revendications féministes en ont quand même
interpellés plus d’un. Certains hommes, solidaires des luttes des femmes et ne
voulant pas en rester au simple soutien (via manifs ou pétitions), ont alors et
depuis entamé une réflexion, personnelle et collective, sur la place et le rôle
que leur assigne le patriarcat. Réflexion qui reste hélas ! toujours
d’actualité, mais (ou plutôt : car) trop peu menée.
« C’est l’histoire de mecs… » : des groupes
d’hommes contre le patriarcat, d’hier à aujourd’hui
Les « pionniers »
Les premiers groupes d’hommes apparaissent au cours des
années 70 (1975 en France). Y seront abordés des thèmes comme la sexualité, la
paternité, la violence, la pornographie, la contraception masculine,
l’homosexualité, l’identité masculine, la virilité, les rôles sociaux et sexués…
En France, ce travail est essentiellement le fait de groupes tels l’Association
pour la recherche et le développement de la contraception masculine (ARDECOM),
ou de la revue Types-paroles d’hommes, qui fonctionnèrent tant bien que "mâle"
jusqu’au milieu des années 1980, puis sombrèrent peu à peu…
La nouvelle vaguelette Depuis une dizaine d’années, de nouveaux groupes d’hommes
sont apparus, avec des démarches et des orientations variées : approche
thérapeutique au Québec, où un réseau d’hommes s’est constitué à l’initiative du
psychanalyste Guy Corneau, approche libertaire (mouvance des squatts, camping
antipatriarcal mixte, etc.). En 1997 s’est créé un Réseau européen d’hommes
proféministes, rassemblant des hommes antisexistes de tous horizons.
Par contre, nous trouvons des groupes dont le
discours est plus ou moins (et plutôt plus que moins !) réactionnaire,
antiféministe, etc., tels les mouvements pour la condition paternelle en France
ou les Promise Keepers aux Etats-Unis. On peut aussi se demander si le regain
d’intérêt religieux de certains hommes - surtout dans sa version dure : «
intégrismes » musulman, chrétien, juif… - ne fait pas partie de cette
dynamique-là ! La religion constitue en effet l’un des piliers du patriarcat et
offre un refuge, un bastion, aux hommes qui ne supportent pas la remise en cause
de leur identité, de leur place (dans la famille, la société), et surtout de
leur pouvoir (sur la famille, la société, et sur les femmes en particulier)
!
Des raisons qui ont pu (et peuvent) faire en
sorte que les hommes bougent un peu…
Quelles furent quelles sont les motivations de
ces « pionniers » antipatriarcaux à s’engager sur un terrain si difficile et
pénible, sous le regard méfiant des féministes et l’oeil moqueur de leurs «
frères » ? C’est surtout pour eux la ferme volonté de refuser le rôle
d’oppresseur, ainsi que les nombreux avantages que le patriarcat leur donne.
C’est le refus des différentes formes de violences masculines permettant cette
domination. C’est aussi le refus du conditionnement et de la reproduction
éternelle des stéréotypes patriarcaux : le « héros » (l’autiste !), qui ne parle
jamais de sa vie sentimentale, et surtout pas avec les copains ! ; le «
conquérant », et sa sexualité agressive ; le « chef de famille », dont la seule
perspective est de s’épuiser au travail ; les clichés de « bandes d’hommes » au
stade, au bar, à l’armée…
Ce conditionnement peut devenir
insupportable pour ceux qui correspondent peu aux clichés, pour ceux qui ont
choisi de rompre avec le patriarcat, et particulièrement pour les homosexuels,
pour qui il n’y a pas de place dans la logique « traditionnelle » patriarcale.
Mais l’homosexuel profite quand même des inégalités économiques, une des
caractéristiques du patriarcat (un salaire plus élevé, moins de difficulté à
trouver du travail…). Car si l’homosexuel est et reste un traître à la
sacro-sainte virilité et au « clan » des hommes, il est et reste quand même
toujours… un homme ! À condition, bien sûr, que son homosexualité ne soit pas
visible, assumée ou qu’il ne soit pas « efféminé » - suprême trahison !
Toutefois, les souffrances et l’aliénation des hommes dûes au patriarcat n’ont
littéralement rien à voir avec l’oppression des femmes. La souffrance engendrée
chez les hommes antipatriarcaux est, en général, la conséquence d’un choix :
celui de ne pas/plus supporter le système patriarcal. De plus, ils ont toujours
la possibilité de « s’arranger », partiellement ou complètement, avec celui-ci
pour être tranquilles. Même les hommes les plus conscients restent susceptibles
de reproduire ou ranimer les comportements les plus anachroniques : des «
rechutes » terribles dans les réflexes patriarcaux sont, hélas ! plutôt la règle
que l’exception. Une méfiance et une vigilance profondes des militants
antipatriarcaux envers eux-mêmes et leurs camarades restent indispensables. La
lutte féministe qui était déjà à l’origine des efforts de ces hommes
doit rester la référence primordiale, l’orientation générale pour eux.
Ce n’est toutefois pas un appel à (ni une
excuse pour) se vautrer dans le canapé et laisser les efforts idéologiques aux
femmes ! Au contraire, messieurs, nous avons du boulot : il nous faut acquérir
la conscience de notre implication dans les mécanismes de domination, en se
posant quelques questions, en appuyant là (surtout) où ça fait mal ! Quels
aspects du patriarcat perpétuons-nous ? Quel décalage y a-t-il entre nos idées
et nos pratiques ? Comment éviter de réemployer ces mécanismes et ces
comportements de domination ? Comment découvrir et définir nos identités
individuelles au-delà du conditionnement collectif ?
L’existence de rapports de domination et d’exploitation
étant incompatible avec l’idéal et a fortiori la pratique
anarchiste, de tels rapports paraissent difficilement justifiables par un
militant anarchiste. « Le privé est politique » est un « mot d’ordre » qui
appartient et à l’anarchisme, et au féminisme. Il serait donc dommage que des
hommes anarchistes passent à côté de telles réflexions.
Martin et Laurent. — GRO. MÉ. LI.F.A
|
|