La violence, une fatalité?  

Comprendre pour prévenir

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Violences

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  Les 4 vérités de la violence    par Luc Roegiers
  Je tire le premier ou l'agressé agresseur   par Sabine Van Trimpon
  Agressifs dés le berceau:  Le stress n'épargne pas les petits   par Danielle Debluts
  Je te Préserve, je me violente   par Danielle Debluts
  Le conflit dans le livre d'enfant, aussi    par Michel Defourny
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Les 4 vérités de la violence

par Luc Roegiers

Une maladie?
"Ce gars, il cogne comme un malade"

Ce serait rassurant dans un sens. Pouvoir se dire qu'on est tous non-violents. Sauf quelques-uns suite à une anomalie génétique, un mauvais fonctionnement de zones du cerveau.

Eh bien, non, disent les spécialistes; il faut chercher la cause ailleurs. Dans l'énorme majorité des actes violents, il n'y a aucune pathologie décelable. Tout au plus, une question de tempérament. C'est quoi, au fond, un tempérament? Une mixture complexe: un peu d'inné, un peu de développement affectif, un peu d'éducation, un peu d'événements, le tout bien mélangé. Ça donne des enfants qui se contrôlent mieux et d'autres moins bien. Bougeotte, soupe au lait, susceptibles, impulsifs: ce sont des prédispositions, pas vraiment des perturbations. Mais ces enfants doivent être aidés: rester calme leur demande beaucoup plus d'efforts qu'à d'autres.

Le truc est de les encourager quand ça se passe bien: quand Virginie parvient à garder son derrière dix minutes d'affilée sur son banc de première année, quand Kevin se défonce sur son ballon de foot plutôt que sur sa sœur, quand Sarah répond aux provocations par la rigolade. Relever leurs "mérites" a pour effet de requinquer ces enfants rendus antipathiques (parfois jusqu'à la dépression) par leur violence.

Contagieuse?
"Moi, je suis dragonball"

Toutes les émotions fortes sont communicatives. C'est vrai pour les adultes comme pour les enfants. Chacun a l'expérience d'atmosphères orageuses, où tout le monde est à cran. Quoi qu'on dise, la tension se transmet; elle a plus de poids que les mots. Quand, hors de soi, on menace, on bouscule, on frappe: Tu vas arrêter de harceler ton frère!", l'énervement est reçu cinq sur cinq par l'enfant à qui il s'adresse. Les ordres de retour au calme, submergés par les émotions, ont un effet contraire. Le tonnerre redouble. Une fois, ça va. Mais lorsque la vie familiale n'est qu'une succession d'orages lorsque l'enfant passe son temps à éviter 1a foudre des parents ou entre les parents, il devient électrique à son tour. Pour en sortir il lui faut rencontrer d'autres relations positives, des moments de désintoxication, de "débriefing". Voir la violence, surtout si elle vient de ses propres parents, incite à 1a reproduire.

Et assister à des spectacles, des émissions des jeux vidéo "hard" ? La relation "électronique" n'a pas le même impact que la relation affective mais, en overdose, la violence transsude des écrans et contamine l'enfant. Un des mécanismes de cette contagion est simple: lorsqu'on est débordé par une violence, on essaie de reprendre prise sur elle en se mettant du côté de l'agresseur. Pour éviter d'être victime, on joue à être du côté des "forts", ceux qui désintègrent avec leur épée laser, ceux qui hurlent, frappent et humilient. On les admire, donc on les imite Plus on entre dans cette spirale, plus on est fasciné par le pouvoir brutal, plus on recherche des sensations fortes.

Par plaisir?
"Elle s'amuse à démolir ses poupées"

Si le spectacle de la violence attire, c'est qu'il suscite une sorte de plaisir. Tout le monde n'est pas amateur de catch mais la démolition est une recette très commerciale depuis les premiers Game-Boys jusqu'aux derniers faits divers.

Et, quand on est acteur de violence, y prend-on du plaisir? Les animaux ne sont pas violents gratuitement: ils défendent leur territoire, réagissent à la peur, encaissent certaines frustrations et douleurs... En somme, l'agressivité humaine déborde pour les mêmes raisons: sentiment d'être envahi, angoisse, humiliations et souffrances diverses... Au total, pas vraiment du plaisir. Plus rarement, au cœur de l'action, peut surgir l'ivresse de la destruction. Chez l'enfant, le sadisme est exceptionnel. Le "plaisir" apparent à faire du mal ne serait que la recherche frénétique et morbide de la souffrance subie soi-même. Version actualisée d'un chapitre des Malheurs de Sophie: Aline a eu le temps de couper pas mal de têtes de Barbie avant que sa mère découvre le charnier dans un tiroir. Aline a vécu le remariage de son père et la naissance de jumelles chez lui comme une révolution: détrônée et guillotinée par un père scandaleusement heureux! Elle a donc mis tout cela en scène.

Affaire de garçons?
"Ne te laisses pas faire, sois un homme"

Les guerres sont des affaires d'hommes, dit la chanson. Et les bagarres sont majoritairement masculines depuis la crèche. Encore que - entend-on rétorquer - les filles ne sont pas en reste, elles provoquent en douce, attisent les conflits, manipulent les forts en muscles... A ce moment de la conversation, on passe éventuellement à la basse-cour: "Regardez un poulailler, vous aurez vite compris de quel côté se trouve la brutalité." Idéologie, quand tu nous tiens...

Dès qu'il est question de différences entre les sexes, personne n'est complètement objectif. Chacun trouve des arguments. Le mâle agresse l'autre pour rester dominant. Mais la femelle se montre impitoyable pour défendre ses petits. Et la lionne chasse mieux que son paresseux mari. Reconnaissons-le: malgré tout, dans le zoo humain, on valorise plus l'affrontement dans les relations ou les sports chez les garçons que chez les filles. Les clichés virils sont plus violents que les trucs de nanas. C'est vrai. Mais, au milieu d'une empoignade familiale, le sexe importe peu, sauf pour le style de violence utilisée. Quoi qu'il en soit, Baptiste qui a reçu le poing d'une armoire à glace nommée Diane en pleine tronche ne trouve plus que les filles doivent être protégées des garçons.

Petite violence deviendra-t-elle grande ?

"Il arrache les pattes des insectes et poursuit vos chats avec un marteau? C'est pour ça que vous consultez avec votre petit Adolphe? Rassurez-vous, ça passera avec l'âge, madame Hitler."

On connaît. Cette blague fait grimacer plus que rire. Que penser de la violence manifestée par l'enfant? Parfois, on se prend à imaginer la destructivité d'une tape de 1 an assenée avec une force d'adulte. Et on voit, derrière le jouet projeté avec rage, les dégâts de son impact quelques années plus tard. Ça fait peur. Pourtant, chaque âge s'accompagne de manifestations plus ou moins violentes liées aux besoins du développement.

Le bébé de 2 mois hurle comme un damné pour faire entendre sa faim, sa douleur, son malaise à travers la porte la plus épaisse.

Le nourrisson tire les cheveux et met les doigts malencontreusement dans les yeux du gentil adulte qui le porte, comme ça, pour explorer au seuil de sa première année.

Quand le "crèchard" de 18 mois frappe et mord, il n'est qu'à l'aube d'une prise de conscience de sa force qui s'affirme aux dépens du collègue gênant ou "bon à croquer".

L'opposition classique entre 2 et 3 ans - le "non" pour s'affirmer est jalonnée de colères cataclysmiques.

Un peu plus tard, ce sont les problèmes de rivalité. Paf! Ça recommence.

L'âge de raison atténue l'aspect le plus primaire des réactions explosives; mais elles se manifestent encore, même dans les périodes plus calmes de l'enfance. En finit-on un jour de râler contre la frustration, de se battre pour faire sa place?

Et l'adolescence voit resurgir l'impulsivité comme moteur de projets. À ce moment, apparaît une nouvelle sorte de violence, celle du risque, pour éviter l'endormissement.

À travers tout cela - généralement - l'enfant se socialise. Entre les coups apparaissent de larges espaces bleus où s'oublie le bruit du tonnerre. Si ce n'est pas le cas, si la violence devient une façon d'être, on peut s'inquiéter. Quant à la tourmente, même "normale", il n'est pas interdit d'y poser ses limites. Pour garantir le respect de l'autre... et de soi-même: être parent n'inclut pas l'engagement "maso" à supporter tout énervement, toute destruction. Et puis, l'enfant attend implicitement dans ses crises violentes des repères parentaux, des protections pour ses émotions qui filent en tous sens.

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Je tire le premier ou l'agressé agresseur

Par Sabine Van Trimpon

Julien est entré dans la classe...Il claque la porte et shoote dans le cartable de Pol, bouscule Céline, insulte Damien et donne un coup de poing à Loïc...Quatre enfants en colère, quatre enfants agressés...Julien est empoigné avec force par Madame: "Tu es violent et méchant, tu vas dans le coin et tu y reste." Julien pleure seul. 

Agressivité, violence? Ou alors révolte mal gérée d'un enfant, besoin de reconnaissance, besoin d'existence, besoin d'être quelqu'un dans le groupe?

Amélie 4 ans, aime tellement son petit frère qu'elle l'embrasse et le serre jusqu'à l'étouffer

Agressivité, violence? Ou alors émotion vécue l'intérieur de soi avec telle ment d'intensité que, pou en être soulagé, il faut agir parfois trop fort, parfois mal?

Sébastien a enlevé sa ceinture à la récréation, il tourne sur lui-même et frappe les autres. Il a 6 ans, il fait mal.

Agressivité, violence?

Ou alors besoin de faire peur, besoin de faire mal aux autres pour se protéger, pour éviter d'avoir soi-même mal?

Jimmy, 6ans, envoie à Aurélie qui vient de passer un temps considérable à se faire jolie pour la fête de l'école: "De toute façon, tu es moche".

Agressivité, violence? Ou alors sentiment de jalousie non exprimé, mots qui traduisent une réalité autre?

Antoine, 3 ans, enfonce la cuillère de panade dans la gorge de sa sœur au point de la blesser. Devant la colère de sa mère, il répond: "je voulais qu'elle mange bien".

Cyril veut jouer au loup; Nicolas un enfant de sa classe qui est sourd, refuse. Cyril lui hurle dans les yeux: "Toi tu es sourd, alors tu n'as qu'à obéir".

"Hein! oui, maman, que je mange proprement, moi à table, et que je mange mes croûtes?" demande Adrien chez des amis, alors que son frère, un peu plus âgé, vient juste de renverser son verre de limonade. 

Agressivité, violence? Ou alors...

Dans certaines situations l'agresseur est au fond aussi l'agressé; celui qui fait ma est parfois celui qui a mal ou qui est mal. La violence devient alors le langage, le cri de celui qui ne sait plu ou pas encore communique d'une autre manière, constructive.

Ce que l'on qualifie d'agression ou de violence est par fois une défense mise en place pour se protéger, un moyen (inadéquat sans doute) de se faire entendre et de prouver son existence Chacun d'entre nous, lors qu'il sent son identité menacée, son existence figée, sa vie en perte de sens, lorsqu'il se sent emprisonné par les autres, agresse... Pour sur vivre... Les enfants aussi parfois très fort, parfois même plus fort.

L'enfance n'est pas un long fleuve tranquille

Si l'on remonte aux racines de la violence, on rencontre toujours l'expression très forte de l'instinct de survie. Depuis la lutte pour la nourriture jusqu'au combat pour être reconnu par les autres et se faire une place, la violence est présente et ne peut être ignorée, niée, gommée du fonctionnement de l'être humain.

Le développement de l'enfant passe par des étapes successives où s'alternent gratifications et frustrations, moments sécurisants d'équilibre et périodes chaotiques d'incertitudes.

Grandir, c'est pouvoir intégrer tout cela et parvenir à acquérir son identité et la garder, c'est pouvoir s'adapter et découvrir le monde extérieur avec confiance grâce à la construction d'un monde intérieur fort et sécurisant. Quand l'enfant sait qui il est, qu'il croit en sa valeur, il rencontre les autres sans les considérer comme des menaces.

Ainsi, l'alternance plaisir-déplaisir aide à la construction de la personnalité. Lorsque la frustration apparaît, c'est comme un moteur qui se met en marche afin d'obtenir l'objet convoité qui amènera le plaisir, temporairement. Mais si cette frustration est trop grande, non reconnue, jamais satisfaite, le moteur s'emballe, c'est le dérapage. L'enfant explose, déborde. Le passage à l'acte traduit une tension interne devenue trop forte. L'enfant passe rapidement des invectives à des actes de violence. Ce climat d'agressivité ouvertement exprimée choque l'adulte; peut-être le renvoie-t-il à sa difficulté personnelle de gérer ses situations conflictuelles; peut-être aussi le laisse-t-il complètement perdu, désarmé.

L'enfant est vite envahi par ses émotions; se contrôler, mettre des mots sur ce qu'il vit et qu'il ne comprend pas toujours très bien est difficile. Prendre conscience de ses émotions, les accepter et les communiquer demande beaucoup de temps et un apprentissage certain. On ne dira jamais assez l'importance capitale d'une attitude éducative valorisante... Notion subtile et difficile... L'éducation d'un enfant est certainement la mission la plus périlleuse qui soit. Il n'y a pas de recettes, pas de chemin tout tracé, pas de techniques infaillibles. Il y a la patience, le respect, la communication, la tendresse. Il y a un cheminement quotidien fait de règles, de compromis. Il y a le dosage difficile de fermeté et de souplesse qui permet à l'enfant - et aux parents aussi - de grandir.

Notre enfant attaque... Que faire?

Lui offrir un punching-ball? L'inviter à hurler (dehors!) un bon coup, histoire de se défouler? L'aider à trouver ses mots pour dire ce qui ne va pas, ce qui le met en rage ? Reconnaître ses sentiments ? Et, éventuellement, leur bien-fondé? Imaginer avec lui d'autres manières d'arriver à ses fins? Réaménager les lieux, les occupations pour que chacun se sente reconnu, respecté, pour diminuer certaines causes de frottement? Le consoler si on le devine malheureux lui-même, agresseur souffrant?

Tout est possible. Selon l'enfant, le contexte, le moment, notre culture.

Il n'y a ni truc qui marche, ni recette.

À chacun son style, sa compréhension, sa disponibilité...

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Agressifs dés le berceau:  Le stress n'épargne pas les petits...

Par Danielle Debluts

"En trente ans de travail à la crèche, ce qui a le plus changé, c'est la violence des enfants. Ils frappent, ils répliquent, l'un d'eux m'a même craché dessus"

Cet amer constat d'une puéricultrice chevronnée vaut d'y regarder de plus près. La crèche comme communauté de jeunes enfants est propice à l'observation. Nos enfants sont-ils plus violents ou, plus exactement, davantage agressifs que nous ne l'étions? Sont-ils agressifs plus jeunes?

Parmi d'autres jours, l'arrivée à la crèche...

Denis est jeté à la crèche par sa maman aussi pressée que les autres matins. Théophile arrive entre son papa et sa maman qui chicanent à propos de tout et de rien. La maman de Céline et Sébastien, détendue, prend le temps. Elle ôte manteaux et chaussures, elle leur parle, elle raconte aux puéricultrices les petits événements de la maison, elle quitte ses enfants en douceur et se retourne pour un ultime bisou. Nadia passe délicatement

des bras de son papa à ceux de la puéricultrice, c'était dur pour elle de se lever ce matin et c'est plus difficile de quitter son papa que sa maman. L'enfant sera-t-il à la crèche le reflet de ses parents, agressif, grincheux, serein?

C'est tentant de le croire

...et une matinée,

Matin propice à un climat agressif, ce jour là. La pluie confine les enfants à l'intérieur et tous les enfants sont présents. Denis réagit promptement à tout ce qui le dérange: il mime une dizaine de fois la position de combat de Power Ranger, un héros de dessin animé japonais. Théophile n'attend pas qu'un autre le gêne: il fait le tour du groupe en répétant la même séquence. Il arrache son jouet à un enfant captivé par son jeu, le fait pleurer et, satisfait, abandonne le jouet deux mètres plus loin avant de passer à l'enfant suivant. La veille, Théophile exécutait inlassablement un autre scénario: tirer un enfant, puis le pousser et, enfin, le consoler! Sébastien vient d'embêter son voisin, sa sœur Céline lui donne un bisou. Au fil des agressions conjuguées de Théophile et de Denis, les enfants s'agitent, courent dans tous les sens et bousculent, chacun à leur tour, le dernier venu à la crèche, le plus petit de la bande, le plus timoré.

Pourquoi cette agressivité en couches-culottes?

Observer ce groupe de grands à la crèche est interpellant. Le jeune enfant, naturellement agressif, le serait-il davantage en communauté? Mais alors, quelle vie d'enfant au milieu de tant d'agressions! L'agressivité fluctue, bien sûr, dans une crèche. Les journées ne sont pas toutes noires comme ce matin-là. Les agressions diminuent quand l'espace extérieur est ouvert, quand le groupe est réduit, quand le nombre d'enfants agressifs est minime, quand Lin jeu structuré succède aux activités libres, quand les adultes sont détendus...

Mais, en fait, tout milieu d'accueil ne concentrerait-il pas les raisons de voir éclore et éclater l'agressivité de ces petits?

L'enfant vient de sa famille

La maman de Théophile a un horaire de travail incohérent et un dernier-né dont la santé est vacillante. Son papa a perdu son emploi. Le monde du travail ne fait guère de cadeaux aux familles. Le stress familial n'épargne pas les petits. Dans la société du chacun pour soi, l'enfant doit-il lui aussi écraser l'autre ?

Les parents de Céline et Sébastien viennent de se quitter. Leur maman reste égale à elle-même et toujours à l'écoute de ses deux enfants.

Denis n'a pas de papa, Power Ranger comme baby-sitter, trois sœurs, une maman et une grand-mère. Le seul homme de la famille est sans doute vivement encouragé dans ses postures de petit mâle. "C'est le règne de l'enfant-roi. Certains parents rient de ce dont il ne faut pas rire", constate une puéricultrice.

Le papa de Joachim encourage le comportement agressif de son fils: "Tu ne dois pas te laisser faire!" L'agressivité naturelle de l'enfant n'est pas toujours canalisée.

"Les parents sont devenus plus agressifs. Le matin, ils vous jettent les enfants à la figure. Le soir, plutôt que de nous saluer, ils nous demandent: 'Est-ce que vous lui donnez à manger, au moins?" Si certaines valeurs se perdent comme le respect de l'autre, qu'apprend l'enfant de tels adultes? À parents stressés, enfants agressifs? Ce serait trop simple. "Les parents de Jonathan sont vraiment cool, et lui est intenable..."

L'enfant atterrit en société

Le bébé à la crèche apprend tôt à se socialiser. Encore protégé dans son berceau, son relax ou le parc, dès qu'il se déplace, il rencontre d'autres petits. Chacun protège son territoire, son biberon, son nounours. C'est tentant de chiper le jouet de l'autre, c'est normal de se défendre et tous les moyens sont bons. À la maison, il n'y a que le frère ou la petite voisine; à la crèche, ils sont une dizaine de "prédateurs". Autant s'armer le mieux possible: il s'agit de se défendre tôt, nécessité oblige. De là à ne pas déraper l'une ou l'autre fois, à ne pas s'y mettre tous, surtout les jours d'orage ou de grande affluence...

L'électricité dans l'air est même parfois au sein de la crèche. Les travailleurs de la crèche ont des soucis analogues à ceux des parents. Insécurité de l'emploi, couples en crise, problèmes de santé, altercations entre collègues. Les enfants, sensibles à la tension, au malaise de ceux qui les entourent, perdent leur sérénité. Parfois, ils s'agressent, tandis que les adultes se crêpent le chignon.

C'était un mauvais jour quand Bertrand a répliqué à la puéricultrice énervée: "Tais-toi!" Pas contente, elle lui a répondu: "Non, je ne me tais pas!" Le dialogue de sourds s'est poursuivi de plus belle. Bertrand, de nature assez agressive mais terriblement malin, a parlé pour lui et pour tous les autres, enfants et adultes. Porte-parole en culottes courtes, il a ramené le calme après la tempête.

La crèche, creuset de toutes les tensions

Présentée de la sorte, la crèche est le lieu de vie le plus inadapté à l'enfant. Arrêtons là cette sinistre caricature: Cette matinée était particulièrement "catastrophe". L'enfant à la crèche est au centre d'un faisceau qui concentre tous les malaises. Son agressivité naturelle en est exacerbée.

Auparavant, l'éducation d'un enfant était rigide. À la maison comme à la crèche. Il y a trente ans, les enfants à la crèche étaient plus disciplinés. Matés, peut-être?

Les enfants d'aujourd'hui s'expriment plus librement. Trop parfois, quand plus rien ne les encadre. Respecter l'enfant, l'élever (plutôt que l'éduquer) en lui offrant un bon tuteur pour qu'il ne devienne pas une mauvaise herbe. Avoir un temps de parole entre adultes (y compris entre parents et travailleurs de la crèche) quand naît un malaise, avoir un lieu de parole pour l'adulte que la vie désarçonne. Ouvrir l'espace aux enfants. Quelques suggestions pour que l'enfant ait le temps de vivre sa petite enfance plutôt que de la gagner.

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Je te préserve, je me violente 
Par Danielle Debluts

Mélanie s'est abonnée aux urgences. Si ce n'est pas une fracture de la jambe, c'est une entorse de la cheville... Ce n'est qu'après qu'elle se fut délivrée d'un secret bien lourd à porter que ses proches ont pu comprendre que ça ne marchait pas, qu'il y avait dans sa vie une fameuse entorse... 

À défaut de pouvoir dire, on laisse le corps parler. Les maux relaient les mots.

S'abîmer la peau pour crier à quel point on est écorché. Se mettre en difficulté scolaire pour éluder un échec plus essentiel. Avoir des migraines à se taper la tête contre les murs. En avoir plein le dos. Avoir une crise d'asthme pour dire qu'on étouffe. Etre allergique à force d'être sensible.

Se fait-on violence plutôt que d'exprimer la violence subie? Se maltraite-t-on pour éviter de faire violence à d'autres? Intériorise-t-on jusqu'à se faire mal ce qui s'extériorise avec peine?

Le langage emprunte de nombreuses voies. Il est clair et sans détour, il est agressif et sans nuances, il est sibyllin et pose question, il est codé et réservé à l'un ou l'autre futé.

La violence contre l'autre, spectaculaire, interpelle.

La violence contre soi, discrète, est souvent inaperçue.

TÉMOIGNAGE

Les journées saucissonnées des petits en maternelle

"Le stress envahit les classes maternelles. Surtout, depuis que la crise économique a frappé de plein fouet les familles. Le stress des parents se répercute sur les enfants. Ceux-ci sont fatigués. 'Tout particulièrement, les lundis et les jeudis matin: ils bâillent à se décrocher la mâchoire parce qu'ils sont épuisés d'avoir passé le week-end ou le mercredi après-midi dans une atmosphère tendue, devant la T.V. ou enfermés dans de petits appartements de ville. Le matin, on les amène à toute allure, on les jette. Le soir, ils trépignent à la garderie, ils sont énervés, on sent qu'ils luttent déjà..

De nombreuses écoles maternelles renforcent ce climat. Les bambins sont soumis à une structure rigide et à des horaires mal combinés. Leurs journées sont saucissonnées entre le maître de musique, la dame de la ludothèque, le prof de psychomotricité... Sans compter les récréations et les siestes imposées à heures fixes. Idéalement, on devrait suivre les rythmes, besoins et intérêts des enfants. Quand le groupe est fatigué, il devrait pouvoir jouer ou s'adonner à une activité calme, et ce quel que soit le programme.

Dans les activités, on est trop souvent braqué sur le résultat. Pour s'en rendre compte, il suffit de passer dans les classes au moment de la fête des mères: c'est l'hystérie collective! Les instits mettent un point d'honneur à faire faire à leurs élèves les plus beaux présents. Alors qu'on devrait les laisser s'exprimer librement. Tout simplement. Même si l'objet obtenu se révèle une horreur... "

Un ancien professeur de psychopédagogie en section maternelle:

La violence n'a pas besoin d'être agie pour être agissante !

mutisme,
humiliation,
Intrusion,
bouderie,
ironie, suffisance, cri, dévalorisation,
indifférence,
dénigrement,
racisme,
mépris, envahissement,
sarcasme,
manipulation, inattention, arbitraire,
paternalisme
intolérance,
chantage,
autoritarisme,...

Chacun sait ce dont il est capable pour en imposer. Chacun sait ce qu'il a subi. On n'oublie rien de rien.
On s'habitue. C'est tout.

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Le conflit dans le livre d'enfant, aussi

Par Michel Defourny
maître de conférences à l'Université de Liège

Trop souvent, dans le livre de jeunesse, on présente le conflit comme étant évitable et on dénonce principalement son inutilité. Pourquoi tromper ainsi les enfants lecteurs ? Bien des conflits sont nécessaires et, corrélativement, une certaine forme de violence est indispensable pour changer le monde. 

Crocodile jouait du violon. Il s'exerçait à longueur de journée et parfois même durant la nuit. Son voisin, Éléphant, était exaspéré au point de devenir malade. Il avait beau crier grâce, Crocodile ne voulait rien entendre. Un artiste n'a-t-il pas le droit sinon le devoir de se perfectionner? C'est alors qu'Éléphant prit la décision de s'acheter une trompette. Pourquoi ne deviendrait-il pas musicien lui aussi? L'affrontement était inévitable: violon contre trompette Couvercles de casseroles et foreuse électrique entrèrent dans la danse. Éléphant, poussé à bout de nerfs, se choisit le plus gros des marteaux qu'il put trouver. Il frappa si bien et si fort que le mur mitoyen s'effondra, mettant nez à nez les deux adversaires aussi surpris l'un que l'autre. Tout bascula alors. "Puis-je vous offrir le thé?", bredouilla l'Éléphant. Les deux comparses s'assirent à table et se mirent à discuter. S'ils formaient un duo? Avec le temps, l'amitié d'Éléphant et de Crocodile grandit et leur musique n'en fut que meilleure. Jamais le mur ne fut reconstruit.

Le récit de Max Velthuijs, illustré avec humour et vivacité, est beaucoup plus complexe qu'une lecture rapide le laisserait supposer. Nous sommes loin de la leçon moralisatrice lénifiante où bien et mal, tort et raison... seraient immédiatement identifiables. Ici, chacun des deux protagonistes peut développer une argumentation cohérente pour défendre son point de vue. Crocodile est musicien. Il ne pourra atteindre un haut niveau instrumental qu'au prix d'un travail acharné et ingrat. Mais, tout autant, son voisin a le droit de vivre dans la maison d'à côté. Vivre, c'est-à-dire se sentir bien entre ses quatre murs, au calme si l'on y aspire. Éléphant qui aime lire doit pouvoir le faire sans devenir enragé, parce que, de l'autre côté du mur, quelqu'un fait du vacarme. En traversant la paroi, ce qui était musique est immédiatement devenu bruit, vibration, agression!

Après un premier essai de conciliation manqué puisque Crocodile reste muré dans sa logique, son bon droit et sa bonne conscience, le conflit ne peut qu'exploser. À l'agression musicale du violon correspond la contre-offensive presque triomphante de la trompette. Eléphant avait-il le choix ? Ou il cédait en vidant les lieux, ou il résistait en tentant désespérément de se faire comprendre. Max Veltkuijs montre la montée de la violence réciproque et son déchaînement implacable, chez deux êtres que tout prédisposait pourtant à la quiétude. À noter toutefois que les protagonistes devant l'ampleur des dégâts matériels auront la sagesse d'éviter les coups. Éléphant et Crocodile se montrent capables de s'asseoir à la table des négociations et de surmonter leurs difficultés, se proposant une collaboration respectueuse, rapidement devenue amitié et dépassement.

Le livre se termine positivement par la célébration joyeuse de la victoire de la paix sur l'individualisme, la bêtise et la brutalité. Il invite l'enfant à préférer les mots qui conduiront à la réconciliation. Mais tout autant l'album de Max Velthuijs permet de poser de multiples questions. L'affrontement était-il évitable? La violence était-elle nécessaire? Fallait-il que l'un des partenaires cède la place à l'autre, se taise, acceptant un compromis mutilant? Le résultat auquel sont arrivés Crocodile et Éléphant, une paix des braves, aurait-il pu être atteint s'il y avait eu d'emblée conciliation? Savons-nous qu'une violence, qui peut devenir parfois terrible, sommeille en nous? D'où vient-elle ? Faut-il l'émousser et l'éteindre? Faut-il se culpabiliser lorsqu'elle affleure? Ou, au contraire, devons-nous parfois la manifester? Dans quels cas est-elle légitime? Et jusqu'où pouvons-nous nous laisser entraîner par elle? Comment la maîtriser lorsque nous sentons que certaines limites ne peuvent être franchies ?