Les musulmans face à la violence

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Violences

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Le point de vue d'un juriste

par Sami Aldeeb*

 

*Arabe chrétien d'origine palestinienne. Docteur en droit. Responsable du droit arabe et musulman à Institut suisse de droit comparé, Lausanne. Sami Aldeeb est l'auteur d'une centaine d'articles sur le Proche-Orient et le droit musulman, et de plusieurs ouvrages dont:

- Les non-musulmans en pays d'Islam, cas de l'Égypte, Fribourg 1979, 420 pages.

- Discriminations contre les non-juifs tant chrétiens que Musulmans en Israël, Lausanne 1992, 36 pages.

- Mutiler au nom de Yahvé ou d'Allah, St-Sulpice/Suisse 1994, 60 pages.

- Les Musulmans face aux droits de l'homme, Winkler, P.O.Box 102665, D-44726 Bochum (Allemagne) 1994, 610 pages (en français).

(Les trois premiers ouvrages peuvent être commandés auprès de l'auteur: Sami Aldeeb, Ochettaz 17, 1025 St-Sulpice, Suisse. Le dernier ouvrage peut être commandé directement auprès de l'éditeur en Allemagne).

 

Source: http://www.lpj.org/

 

Introduction

 

Cet article est rédigé par l'auteur à partir de son récent ouvrage "Les Musulmans face aux droits de l'homme" (voir la notice sur l'auteur). Pour les références et plus de détails, le lecteur est prié de s'y référer.

 

L'Islam n'existe pas. Ce qui existe ce sont les musulmans. C'est donc des musulmans (notamment arabes) face à la violence dont je parlerai en me référant à leurs deux sources religieuses principales, à savoir

- le Coran: Texte laconique et désordonné, il est considéré par les musulmans comme révélé par Dieu à Mahomet;

- les récits de Mahomet: Réunis dans de nombreux recueils longtemps après la mort de Mahomet, ils servent à interpréter, à combler et parfois à contredire le Coran.

 

J'aborderai ici la question de la violence dans le cadre de la famille, de l'enseignement et du droit pénal, sur le plan du pouvoir et dans les relations internationales.

 

 

1. Violence dans la famille

 

La violence dans la société musulmane commence à la maison, contre les enfants et les femmes.

 

A. Violence contre les enfants: la circoncision

 

La circoncision masculine est pratiquée par les juifs, les musulmans, les animistes et certains chrétiens. Quant à la circoncision féminine, elle est pratiquée dans 28 pays par des animistes, des chrétiens, des musulmans et des juifs (les falachas d'Éthiopie). L'Égypte (environ 75%), le Soudan (environ 98%) et la Somalie (environ 98%) sont les principaux pays musulmans qui pratiquent cette coutume sous ses trois variantes:

 

- Ablation du clitoris (recommandée par les milieux religieux musulmans);

- Ablation du clitoris et des deux petites lèvres (pratiquée en Égypte);

- Ablation du clitoris, des petites lèvres et d'une partie des grandes lèvres. Le vagin est ensuite cousu pour ne laisser qu'un minuscule orifice pour le passage de l'urine et du flux menstruel (pratiquée au Soudan et en Somalie).

 

De nombreux pays musulmans cependant ne connaissent pas la circoncision féminine (Iran, Pays d'Afrique du Nord, Jordanie, Syrie, Irak etc.).

 

Comment les musulmans justifient-ils ces deux formes de mutilations? Le Coran ne mentionne nulle part les circoncisions masculine et féminine. Au contraire, on peut y trouver des versets qui peuvent facilement être interprétés comme une condamnation de ces deux pratiques:

 

Notre Seigneur! Tu n'a pas créé tout ceci en vain (3:191).

[Dieu] a bien fait tout ce qu'il a créé (32:7).

[Le démon dit]: "Oui, je prendrai un nombre déterminé de tes serviteurs; je les égarerai et je leur inspirerai de vains désirs; je leur donnerai un ordre, et ils fendront les oreilles des bestiaux; je leur donnerai un ordre, et ils changeront la création de Dieu" (4:119).

 

On peut déduire des deux premiers versets que le prépuce est une partie intégrante du corps humain créée par Dieu et on ne saurait le supprimer pour parfaire l'oeuvre de Dieu. Le troisième verset considère le changement de la nature comme une obéissance au démon.

 

Al-Azhar (au Caire), le Centre islamique le plus important dans le monde, est pourtant à l'origine de plusieurs fatwas (décisions religieuses) justifiant aussi bien la circoncision masculine que féminine par différents récits de Mahomet. Il cite aussi en faveur de la circoncision masculine le verset coranique obscur suivant: "Lorsque son Seigneur éprouva Abraham par certains ordres et que celui-ci les eut accomplis, Dieu dit: "Je vais faire de toi un guide pour les hommes" (2:124). Cette épreuve serait l'ordre donné par Yahvé à Abraham (à l'âge de 99 ans!!) de se circoncire, comme le relate la Bible (Genèse 17:1-14).

 

A ces arguments religieux, les auteurs musulmans modernes ajoutent des raisons médicales, développées notamment par des chercheurs juifs pour justifier la Bible. Selon ces chercheurs, les partenaires des maris circoncis seraient moins exposées au cancer du vagin. Certains vont jusqu'à dire que la circoncision préviendrait du Sida. La Bible contiendrait ainsi des secrets médicaux, thème très à la mode chez les Juifs et les Musulmans.

 

Les circoncisions masculine et féminine constituent les premières violences dans la société musulmane (et juive) et frappent des enfants sains sans défense. Comble de sadisme, elles sont souvent suivies de festivités familiales. Actuellement, les milieux opposés à la circoncision masculine aux États-Unis estiment qu'elle est une des causes de la violence et de l'esprit belliqueux de ce pays. Selon les psychologues, ce que la société fait aux enfants, ceux-ci le lui rendent. Signalons ici qu'aux États-Unis la circoncision masculine est pratiquée sur environ 60% des enfants et constitue un moyen de gain juteux d'environ un milliard et demi à deux milliards de dollars annuellement pour les chirurgiens et les laboratoires qui récupèrent le prépuce et le développent pour utilisation sur les grands brûlés.

 

B. Violence contre les femmes

 

Le Coran a institué la domination de l'homme sur la femme: "Les femmes ont des droits équivalents à leurs obligations, et conformément à l'usage. Les hommes ont cependant une prééminence sur elles" (2:228). Et ailleurs: "Les hommes ont autorité sur les femmes, en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles, et à cause des dépenses qu'ils font pour assurer leur entretien" (4:34).

 

Fille, la femme est sous l'autorité du père: il peut la marier sans son consentement (parfois au plus offrant); elle ne peut contracter mariage sans le consentement du père ou tuteur mâle. Mariée, elle est sous l'autorité de son époux qui peut l'empêcher de sortir de la maison ou de travailler et l'obliger à porter le voile. Si elle désobéit, le mari peut la châtier selon le Coran: "Admonestez celles dont vous craignez l'infidélité (nushuz); reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obéissent" (4:34-35).

 

Ce passage du Coran a une histoire. Sa‘d Ibn-al-Rabi‘ avait frappé sa femme Habibah Bint Zayd dont le père était venu se plaindre auprès de Mahomet. Celui-ci lui dit que sa fille a le droit de lui rendre la pareille. Entre-temps, l'ange Gabriel révéla à Mahomet ces versets. Ayant convoqué le père et la fille, Mahomet leur annonça la nouvelle en disant: "Nous avons voulu une chose, et Dieu en a voulu une autre, et ce que Dieu veut est meilleur". 

 

 

2. Violence dans l'enseignement

 

Celui qui analyse l'enseignement en Égypte, ne peut que s'étonner de la violence et de la haine religieuse qui se trouvent dans les programmes imposés par l'État aux écoles publiques et privées. Des termes comme la guerre sainte (gihad), les mécréants (kafir), les polythéistes (mushrik) y sont souvent utilisés. Ces deux derniers termes désignent normalement les non-musulmans et ceux parmi les musulmans qui ne partagent pas le point de vue musulman orthodoxe. Ce même phénomène est observé dans d'autres pays arabes. Avec un tel enseignement, les régimes arabes poussent la jeunesse au fanatisme et creusent leur propre tombe.

 

Ce genre d'enseignement a sa part de responsabilité dans la violence qui règne actuellement en Algérie. Après son indépendance, ce pays a arabisé les programmes d'enseignement. Ceci en soi est légitime pour un pays arabe. Mais comme l'Algérie n'avait pas de cadre enseignant, il a fait venir par bateaux entiers des enseignants de l'Égypte. Il s'agissait notamment de gens diplômés de l'Université Al-Azhar, et donc de tendance intégriste. Ceux-ci ont alors incrusté le fanatisme religieux égyptien dans l'esprit de la jeunesse algérienne. Certains parmi ces enseignants ont occupé des fonctions importantes. Tel est le cas du Cheikh Al-Ghazali, qui fut doyen d'une faculté universitaire. Ce même Al-Ghazali a justifié en 1992 l'assassinat du penseur Farag Fodah, tué par des intégristes égyptiens en raison de ses opinions libérales.

 

On peut dire autant des programmes religieux diffusés à la longueur de la journée (et parfois même de la nuit) par les radios et les télévisions du monde arabe. Ces programmes créent un véritable climat d'hallucination religieuse parmi la population musulmane. Même Radio Orient - qui émet de Paris - (financée notamment par l'Arabie saoudite) n'échappe pas à ce phénomène! Et on ne comprend pas comment la France laïque ferme les yeux sur ce fait extrêmement dangereux!

 

 

3. Violence dans le droit pénal

 

Chaque société prévoit des sanctions contre ceux qui violent ses normes. L'évolution tend cependant en général

 

- à humaniser les sanctions portant atteinte à la dignité de l'homme (interdiction de la torture et des peines cruelles et abolition progressive de la peine de mort), et

- à dépénaliser la liberté de pensée et d'expression entraînant ainsi la fin de l'inquisition contre les dissidents religieux, politiques et scientifiques.

 

Qu'en est-il chez les musulmans?

 

A. Humaniser les sanctions

 

Le Coran et les récits de Mahomet ont repris et développé des normes en vigueur en Arabie, notamment parmi les juifs, copiant presque à la lettre la Bible: loi du talion (vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent), lapidation ou flagellation de l'adultère, amputation de la main du voleur, mise à mort et crucifixion des rebelles, mise à mort des sorciers, etc.

 

Étant révélées par Dieu, ces normes sont considérées par les musulmans comme supérieures à toute norme moderne. La conséquence de cette croyance est le maintien partout dans les pays arabo-musulmans de la peine de mort. L'abolir serait mettre en question les normes "divines". D'autre part, certains pays comme l'Arabie saoudite, l'Iran, le Soudan et le Pakistan continuent à appliquer les autres normes pénales islamiques susmentionnées.

 

Un grand nombre de pays arabo-musulmans cependant ont opté pour des codes pénaux inspirés des codes occidentaux. Ils se trouvent actuellement confrontés à une opposition à tous les niveaux.

 

En 1982, un projet de code pénal musulman a été présenté au parlement égyptien préparé par une commission parlementaire composée du mufti de la République, d'un ancien président, d'un vice-président et de conseillers de la Cour de cassation, du Secrétaire général du Conseil suprême des affaires islamiques, et de plusieurs professeurs des universités d'Al-Azhar, du Caire, d'Ain-Shams et de Mansourah. Ce code intègre entièrement toute la panoplie des châtiments islamiques: loi du talion (vie pour vie, oeil pour oeil, pénis pour pénis, testicule pour testicule, etc.), lapidation pour adultère, amputation des mains et des pieds et flagellation.

 

La Ligue arabe a rédigé en 1986 un projet de code pénal arabe unifié qui devrait s'appliquer à tous les pays arabes. Ce projet va dans le même sens que le projet égyptien.

 

Aujourd'hui, toute critique contre les normes islamiques est considérée comme une critique contre la religion musulmane.

 

B. Liberté de pensée et d'expression

 

Le Coran dit: "La vérité émane de votre Seigneur. Que celui qui le veut croie donc et que celui qui le veut soit incrédule (18:29). Et ailleurs: "Pas de contrainte en religion!" (2:256). Mahomet cependant aurait dit: "Celui qui change de religion [musulmane], tuez-le". Ou encore: "Il n'est pas permis d'attenter à la vie du musulman sauf dans les trois cas suivants: la mécréance après la foi [musulmane], l'adultère après le mariage et l'homicide sans motif".

 

Les musulmans tenteront toujours à vous convertir à leur religion. Le droit musulman classique ne donne aux adeptes d'une religion non-monothéiste que le choix entre la conversion à l'Islam ou la guerre. Si en revanche vous êtes juifs ou chrétiens, les musulmans se serviront du dialogue et de la persuasion appuyés par des pressions indirecte: statut inférieur pour ceux qui refusent, et de nombreux avantages pour les convertis. Rien ne peut mieux flatter l'amour propre des musulmans que la conversion d'un occidental à l'Islam, quelle que soit sa motivation: recherche de la vérité, avantages matériels ou infiltration pour espionnage, mariage avec une musulmane (Garaudy ne pouvait épouser une musulmane de la famille Al-Hussayni de Jérusalem sans devenir musulman: Paris vaut bien une messe!).

 

En revanche, l'apostasie (abandon de l'Islam) n'est pas tolérée par les musulmans. Dans le passé, c'était la mise à mort s'il s'agissait d'un individu, et la guerre s'il s'agissait d'un groupe. Aujourd'hui, seuls deux pays arabes prévoient expressément la peine de mort pour abandon de l'Islam: le Soudan et la Mauritanie. Par contre, les manuels de droit dans toutes les universités arabes enseignent aux étudiants que tout musulman qui quitte sa religion doit être tué. En Égypte (mais aussi en Tunisie, au Maroc et ailleurs), le musulman qui devient chrétien doit pratiquement quitter le pays ou ... finir en prison, voire tué par un de ces illuminés qui font l'actualité en Égypte ces jours-ci. Sa femme et ses enfants sont séparés de lui et sa succession est ouverte comme s'il était mort. Gare à celui qui tente de convertir un musulman au christianisme.

 

Cette intolérance contre ceux qui abandonnent l'Islam frappe aussi ceux qui en ont une vue différente de celle des autorités religieuses et des islamistes. Ainsi Farag Fodah, un musulman égyptien, a été tué en juin 1992 en raison de son opposition à la réintroduction du droit musulman en Égypte. Plusieurs intellectuels égyptiens sont sur la liste des islamistes pour la même raison. Les menaces de mort et les assassinats sont précédés de fatwas (décisions religieuses) contre ces intellectuels, interdisant la vente de leurs ouvrages et réclamant l'ouverture de procès pénaux contre eux pour atteinte à la religion. C'était le cas de Farag Fodah comme c'est le cas de Naguib Mahfouz, le seul prix Nobel de littérature arabe, poignardé au mois d'octobre 1994 à cause de son ouvrage Les enfants de notre quartier, ouvrage interdit par Al-Azhar. Les cas de Salman Rushdie et de Taslima Nasreen sont bien connus. Les religieux lancent l'anathème, les fous de Dieu exécutent, et Dieu connaîtra les siens.

 

 

4. Violence dans le pouvoir

 

A. Alternance violente du pouvoir

 

Chez les animaux, le mâle le plus fort prend le pouvoir (et les femmes). Le perdant et les concurrents sont tués, expulsés ou assujettis (et dépossédés de leurs femmes). C'est la "loi de la jungle" en vigueur aussi chez leurs frères humains, loi renforcée parfois par des arguments religieux: Dieu m'a confié votre sort et autant de femmes que je veux (Voir sur Salomon le Premier livre des rois 11:3, et sur Mahomet le Coran 33:50).

 

Certaines sociétés ont imaginé des formes d'alternance de pouvoir ne mettant pas en danger la vie des dirigeants ou des opposants, tout en n'impliquant pas de pouvoir sur les femmes. C'est la démocratie (doublée de la monogamie et de l'égalité des sexes). Les dirigeants sont choisis et écartés sur la base du critère de la capacité, sans menacer autrui et sans être menacés. Mais cette démocratie se mue en barbarie dans les rapports avec les autres sociétés, rapports caractérisés par la domination politique, économique, militaire et... sexuelle (le droit de cuissage fut supprimé en Occident mais n'est-il pas remplacé par le tourisme sexuel vers les pays asiatiques?).

 

La "loi de la jungle" reste en vigueur à l'intérieur des pays non-démocratiques. C'est le cas de la société arabo-musulmane. Dans cette société, la religion intervient pour légitimer la domination de l'homme sur la femme: interdiction ou limitation de l'accès au pouvoir politique et législatif, inégalité des sexes, polygamie, concubinage, mariage temporaire (chez les shiites dont les dignitaires religieux ont autant de femmes qu'ils veulent), tourisme sexuel (des riches arabes vers l'Inde et le Pakistan) sous forme de mariage (contre paiement), mariage dissous par la répudiation aussitôt après la défloration.

 

Ni le Coran ni les récits de Mahomet n'ont établi de règles relatives à l'alternance du pouvoir. Cette alternance s'est faite presque toujours selon la "loi de la jungle". Trois des quatre premiers califes ont été assassinés. Sous l'empire ottoman, le pouvoir passait au plus fort. Après son investiture, le calife se pressait, avec la bénédiction des autorités religieuses, de liquider physiquement ou d'enfermer dans des cages (qafas) les membres de sa famille dont il craignait la concurrence. Sur 26 successions, il y a eu 17 cas de destitutions par la force. Ceux qui sont destitués sont tués ou jetés dans les cages.

 

Aujourd'hui encore la violence continue. Sur 28 changements de régimes intervenus dans six pays arabes (Algérie, Soudan, Irak, Libye, Syrie et Yémen du Nord) entre 1950 et 1985, deux se sont faits par cession volontaire, deux par mort naturelle et le reste s'est fait par la destitution violente accompagnée dans cinq cas d'assassinat. Entre 1971 et 1985, il y a eu dans le monde arabe 34 tentatives de coups d'État, 37 tentatives d'assassinats, cinq assassinats de chefs de l'État et plus de 2727 peines de mort pour des raisons politiques. Il est rare qu'un chef d'État arabe abandonne le pouvoir par son propre choix ou par voie démocratique, qu'il soit monarque ou président.

 

La religion a souvent servi comme moyen pour justifier le renversement de l'adversaire, considéré forcément comme impie. Et que fait-on face à un impie?

 

Le Coran prescrit au musulman d'ordonner le bien et d'interdire le mal (9:71). Mais comment y parvenir? Le Coran dit: "Appelle les hommes dans le chemin de ton Seigneur, par la sagesse et une belle exhortation; discute avec eux de la meilleure manière. Oui, ton Seigneur connaît parfaitement celui qui s'égare hors de son chemin, comme il connaît ceux qui sont bien dirigés" (16:125). Mahomet aurait cependant dit: "Celui qui voit un mal qu'il le corrige par sa main. S'il ne le peut pas qu'il le corrige par sa langue. S'il ne le peut pas non plus qu'il le corrige dans son coeur, et c'est la moindre de la foi". Mais qui faut-il suivre: le Coran ou Mahomet? C'est le dilemme de tout musulman face au pouvoir et aux intellectuels qui ne sont pas de son avis. Faut-il parvenir à une solution par le dialogue, ou faut-il au contraire imposer sa propre solution par la force? Les réponses sont diverses, chacune s'appuyant sur des versets et des récits biens choisis.

 

Il y a avant tout le courant qui prône la révolte armée continuelle contre le pouvoir impie. Pour certains, chaque fois que les opposants atteignaient le nombre de quarante, ils devaient se révolter contre le pouvoir; cette révolte ne devait cesser que lorsque leur nombre tombe à trois. Le Calife ‘Umar Ibn-al-Khattab haranguait le peuple en ces termes: "Si vous voyez en moi un défaut corrigez-moi". Quelqu'un lui répondit: "Par Dieu, si nous trouvons en toi un défaut, nous te corrigerons par nos épées". ‘Umar répliqua: "Louange soit rendu à Dieu qui suscita dans ma nation quelqu'un qui corrige ‘Umar par l'épée". ‘Umar finit ses jours assassiné.  

Il y a ensuite le courant de la faisabilité qui ne permet la révolte armée contre le pouvoir que si cette révolte a de la chance à aboutir et à condition que le résultat escompté soit meilleur que la situation actuelle.

 

Il y a enfin le courant de la patience. Selon ce courant, il fallait user de beaucoup de tact à l'égard des autorités, fussent-elles iniques, s'abstenir de porter les armes contre elles et souffrir l'oppression du pouvoir comme une punition divine en priant que l'épreuve passe.

 

On trouve aujourd'hui ces trois courants auquel il faut ajouter le courant très minoritaire de la non-violence qui mérite qu'on s'y attarde.

 

B. Courant de la non-violence

 

Le courant de la non-violence a de la peine à s'imposer dans la société arabo-musulmane. A notre connaissance le seul ouvrage écrit par un auteur arabe musulman sur ce sujet est celui de Khalid Al-Qashtini, un opposant politique irakien qui vit à Londres. Cet ouvrage intitulé Vers la non-violence a rencontré beaucoup de difficultés avant d'être enfin publié en 1984 par Dar al-Karmil (maison d'édition palestinienne à Amman) après la suppression de certains de ses passages. Il fut réédité en 1986 à Jérusalem par le Centre palestinien pour l'étude de la non-violence.

 

Son auteur explique que l'homme arabe a commis l'erreur politique d'affronter les régimes arabes de la même manière avec laquelle il a affronté les forces coloniales, à savoir avec la violence et les armes. Le changement de régimes arabes par la force, loin d'apporter les résultats escomptés, n'a fait que radicaliser ces régimes, renforcer leur oppression et détruire les entreprises et les biens du pays. Sachant qu'en cas de perte du pouvoir, les dirigeants risquent la peine de mort, ils se protègent en muselant l'opposition et en la liquidant physiquement. Ayant été régie par l'épée, l'opposition qui parvient au pouvoir se sert à son tour de l'épée pour se maintenir au pouvoir. C'est le cercle vicieux de la violence.

 

Pour remédier à cette situation, il faut oeuvrer pour l'établissement de régimes démocratiques. Mais cela nécessite un travail de longue haleine et une éducation de la masse. Il faut renoncer à l'opposition violente, car celle-ci, qu'elle gagne ou qu'elle perde, laisse toujours des pertes irrémédiables dans les vies et les biens créant un fardeau difficile à porter.

 

Tout en reconnaissant que la notion de la non-violence reste une notion nouvelle pour les peuples du Proche-Orient, notre auteur pense qu'"après le rejet des méthodes des coups d'État militaires et l'amertume des conflits internes armés, il ne reste devant tout citoyen libre que la méthode de la résistance non-violente s'il a véritablement à coeur la réparation de ce qui est réparable". Il termine son livre sur un ton prophétique:

 

"Le Proche-Orient est une région ancienne qui a vu la naissance et la disparition d'une dizaine de peuples et de nations. Ni Dieu ni personne n'a jamais donné à la nation arabe une assurance de rester jusqu'à l'éternité. Le Coran, au contraire, dit "mes serviteurs justes hériteront de la terre" [21:105]. Or, nul d'entre nous ne considère aujourd'hui les peuples arabes comme faisant partie des serviteurs justes de Dieu. L'histoire a mis fin aux Babyloniens, aux Cananéens, aux Phéniciens, aux Pharaons en raison de leur injustice et de leurs mauvais pouvoirs et gestions. Il en sera de même de la nation arabe dont les biens seront hérités par d'autres nations si elle continue à se comporter de cette manière insolente, à s'entre-déchirer et à se gouverner d'une manière distraite".

 

 

5. Violence dans les relations internationales

 

Selon la Charte de l'ONU, les États membres doivent avoir "des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes" (art. 1.2); ils doivent "régler leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger" (art. 2.3).

 

Malgré cela, les rapports entre les États restent régis principalement par la "loi de la jungle". Cela se constate dans le cadre de l'ONU dont le Conseil de sécurité est dominé par cinq États, chacun d'eux essayant de s'imposer dans sa zone d'influence et sur ses autres coéquipiers. Trois de ces cinq États (les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne) sont pourtant des pays démocratiques sur le plan interne. Ainsi la démocratie interne de ces pays se mue en barbarie lorsqu'il s'agit des rapports avec l'extérieur.

 

Qu'en pensent les musulmans? Nous parlerons ici des rapports des pays musulmans entre eux et ensuite de leurs rapports avec les pays non-musulmans.

 

A. Violence entre pays arabo-musulmans

 

Le Coran établit une fraternité entre les croyants, fraternité fondée sur l'appartenance religieuse: "Les croyants sont des frères" (49:10). Mahomet aurait dit: "N'est pas de nous celui qui fait appel à l'esprit de clan (‘assabiyyah); n'est pas de nous celui qui meurt en prônant un esprit de clan; n'est pas de nous celui qui combat pour un esprit de clan". Après la mort de Mahomet, des tribus refusèrent d'obéir au pouvoir central dominé par la tribu de Quraysh de Mahomet. Le Calife Abu-Bakr a dû engager une guerre sans merci pour les faire revenir sur leur décision. Par la suite, ce furent des révoltes d'ordre nationaliste, menées notamment par les mawalis, les non-Arabes convertis à l'Islam.  

Les pays arabo-musulmans restent toujours obsédés par la volonté de réaliser leur unité et de supprimer les frontières politiques héritées du colonialisme. Cette contestation des frontières prend différentes formes: refus de reconnaître l'indépendance d'un pays (par exemple le Liban par la Syrie), projets d'unifications, regroupement d'États indépendants, répression violente de toute aspiration nationale (par exemple les Kurdes) et invasions militaires (par exemple le Kuwait par l'Irak et le Sahara occidental par le Maroc).

 

Toutes ces tentatives d'unification ont en commun l'absence de consultation des populations concernées. Cela ressemble étrangement au mariage des mineurs et des femmes en droit musulman: il est conclu sur décision de leurs tuteurs mâles sans tenir compte de l'avis des mariés. La famille étant la cellule fondamentale de la société, ce qui se pratique dans la famille se répercute forcément sur la société.

 

Une jeune fille du Sud Liban, mariée sans son consentement à un vieillard, s'enfuit de la maison familiale. N'ayant pas d'autres choix, elle se rend chez l'ennemi israélien. C'est ce qui s'est réalisé avec l'invasion irakienne du Kuwait. Sans parler des pertes matérielles et en vies humaines, cette invasion a jeté les pays arabes du Golfe dans les bras des Occidentaux qui y installent des bases militaires en principe pour les protéger et en réalité pour assurer leurs propres intérêts. Un proverbe arabe dit: Un fou a jeté un caillou dans un puits, où trouver sept sages pour l'en sortir?

 

B. Violence face aux autres pays

 

Les légistes musulmans ont partagé le monde en deux: d'un côté, Dar al-islam (pays d'Islam), de l'autre, Dar al-harb (pays de guerre) appelé aussi Dar al-kufr (pays de mécréance) qui, un jour ou l'autre, passera sous le pouvoir musulman. La victoire finale de l'Islam fait partie des croyances des musulmans. Mais comment y parvenir et quels rapports faut-il entretenir avec les pays non-musulmans avant la réalisation de cet objectif?

 

Avant la fuite de Mahomet de la Mecque vers Médine en l'an 622, le Coran demandait aux musulmans de ne pas recourir à la guerre même s'ils étaient agressés (16:127 et 13:22-23). Après l'arrivée de Mahomet à Médine et la création du premier État musulman, le ton change. Le Coran commence par permettre aux musulmans de combattre ceux qui les combattent (22:39-40). Après le renforcement des musulmans, le Coran leur ordonne de combattre ceux qui les agressent et de faire la paix avec ceux qui veulent la paix (2:190-193, 2:216 et 8:61). Le Coran va ensuite plus loin en permettant aux musulmans d'initier la guerre contre les non-musulmans (9:3-5). Les auteurs musulmans rapportent que Mahomet, après avoir assuré sa position à Médine, avait écrit des messages aux différents chefs de son temps les menaçant de guerre s'ils refusaient d'embrasser l'Islam ou de se soumettre à son pouvoir en payant un tribut.

 

D'après Abu-Yussuf (mort en 798), "il n'est pas permis au représentant de l'Imam de consentir la paix à l'ennemi quand il a sur eux la supériorité de forces; mais s'il n'a voulu ainsi que les amener par la douceur à se convertir ou à devenir tributaires: il n'y a pas de mal à le faire jusqu'à ce que les choses s'arrangent de leur côté". Abu-Yussuf ne fait que paraphraser le Coran: "Ne faites pas appel à la paix quand vous êtes les plus forts" (47:35).

 

Selon Al-Mawardi (mort en 1058), un des devoirs du Calife est de "combattre ceux qui, après avoir été invités, se refusent à embrasser l'Islam, jusqu'à ce qu'ils se convertissent ou deviennent tributaires, à cette fin d'établir les droits d'Allah en leur donnant la supériorité sur toute autre religion".

 

Ibn-Khaldun (mort en 1406) écrit qu'il y a une différence entre la guerre menée par les musulmans et la guerre menée par les autres communautés religieuses.

- L'Islam est une religion universelle qui s'adresse à tous; tous doivent y adhérer, soit volontairement soit par la force (taw‘an aw kurhan). De ce fait, la guerre [offensive] est légitime pour les musulmans. - En revanche, les autres religions n'ont pas de caractère universel; de ce fait, la guerre menée par les non-musulmans n'est légitime que si elle est défensive (illa fil-mudafa‘ah faqat).  

Le concept de la guerre sainte offensive qui viserait à occuper les pays des non-musulmans et à les contraindre à se convertir à l'Islam ou à payer le tribut, ce concept est maniée avec beaucoup de précaution par les auteurs musulmans contemporains, mais il n'a pas disparu pour autant.

 

Il nous faut cependant reconnaître ici que les musulmans ne sont pas les seuls à vouloir dominer le monde. Les chrétiens d'Europe ont occupé presque l'ensemble de la planète, y compris les pays arabo-musulmans. Encore aujourd'hui, ils y disposent de bases militaires et continuent à s'ingérer dans les affaires intérieures de ces pays. Les musulmans rêvent du gihad et de la domination du monde, mais dans la réalité ils sont dominés par les Occidentaux. Aux uns les rêves, aux autres la réalité!

 

Ajoutons à cela que les musulmans ne sont pas les seuls responsables du réveil actuel du démon de la religion dans le monde puisque l'Occident et l'ONU sont responsables de la création de l'État d'Israël, État discriminatoire basé sur la religion juive. Rappelons ici qu'Israël a détruit 385 villages palestiniens et expulsé trois quarts de la population de la Palestine dont une grand partie vit encore aujourd'hui dans 61 camps de concentration (13 au Liban, 10 en Syrie, 10 en Jordanie, 8 à Gaza et 20 en Cis-Jordanie). Alors qu'Israël permet aux Juifs de l'ex-Union Soviétique, de la Suisse et de Honolulu de venir s'installer en Palestine, il interdit à ces réfugiés de revenir chez eux pour le seul crime qu'ils ne sont pas juifs.

 

C. Violence et résistance

 

Nous l'avons dit, la "loi de la jungle" régit les relations internationales; elle est instituée officiellement par les Nations Unies. Et qui dit "loi de la jungle", dit agresseur et agressé.

 

Malheureusement, parmi les hommes, comme parmi les animaux, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Dans la fable de La Fontaine "Les animaux malades de la peste", le renard dit au lion:

 

Sire, ... vous êtes trop bon roi;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse;

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,

Est-ce un péché? Non, non: vous leur fites, Seigneur,

En les croquant beaucoup d'honneur.

 

Qu'en pensent les musulmans? Le Coran accorde au faible le droit de se défendre lorsqu'il est agressé: "Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui ont été attaqués parce qu'ils ont été injustement opprimés ... et à ceux qui ont été chassés injustement de leurs maisons, pour avoir dit seulement: "Notre Seigneur est Dieu!" (22:39-40).

 

Le Coran promet aux opprimés de l'emporter sur leurs agresseurs: "Nous voulions favoriser ceux qui avaient été humiliés sur la terre; nous voulions en faire des chefs, des héritiers; nous voulions les établir sur la terre" (28:5-6).

 

Le terme "humiliés sur la terre" (mustad‘afun fil-ard) revient souvent dans la terminologie des mouvements de résistance islamiques qui s'opposent à Israël. D'autres termes coraniques sont utilisés, notamment:  

- Hizb Allah (parti de Dieu): il désigne un groupe shiite situé au Sud Liban qui se bat contre l'occupation israélienne. Hizb Allah dans le Coran (58:22) s'oppose à hizb al-shaytan (parti de Satan) (58:19), terme utilisé contre les États-Unis en raison de son soutien inconditionnel à Israël.

- Gihad (guerre sainte): il s'agit de plusieurs groupes de résistants musulmans face à l'occupation israélienne au Liban et dans les Territoires occupés par Israël. On les trouve aussi en Égypte et en Algérie.

 

Si en principe le droit à la résistance face à l'oppression et à l'agression ne saurait sur le plan moral être mis en doute, on peut se demander s'il n'y a véritablement pas d'autres moyens pour résister, lesquels seraient moins coûteux en vies humaines? D'où vient ce mépris de la vie chez les musulmans?

 

Le Coran glorifie le martyr: "Ne crois surtout pas que ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu sont morts. Ils sont vivants. Ils seront pourvus de biens auprès de leur Seigneur" (3:169; voir aussi 9:111). Mahomet dit: "Personne de vous qui entre le paradis ne voudrait revenir sur terre, sauf le martyr pour y être tué une dizaine de fois en raison de l'honneur qu'il obtient par sa mort".

 

Il serait cependant faux de croire que le Coran pousse les gens à se jeter dans la bataille aveuglement. Le Coran insiste sur la nécessité que le combat se fasse en premier lieu par les biens, avant les personnes: "Luttez avec vos biens et vos personnes" (9:41; voir aussi 4:95; 8:72; 9:20, 44, 81, 88; 49:15; 61:11). Bien plus, dans certains versets il est question uniquement de combat par les biens (voir 2:261-262, 265; 9:20).

 

Malheureusement, les pays arabes ont fait le contraire dans leurs guerres avec Israël. Ils ont envoyé à la mort des milliers de leurs fils poussés par la ferveur religieuse, alors que leurs biens étaient déposés dans les banques des pays occidentaux qui s'en servent pour soutenir leur ennemi. Et si aujourd'hui des jeunes prêts au suicide se jettent à corps perdu contre l'ennemi, c'est souvent en désespoir de cause. La mort pour eux est souvent meilleure que la vie.

 

Certes, les actes de ces groupes relèvent du terrorisme, mais ce terrorisme n'est pas plus condamnable que le terrorisme d'État ou de groupes (bien plus mortel) pratiqué par les Occidentaux et les Israéliens. Il serait donc injuste de lutter contre le terrorisme des uns et de fermer les yeux sur le terrorisme des autres. Les Occidentaux et les Israéliens accusent ces groupes d'être contre la paix. Ceci relève de l'intoxication et du mensonge car on ne peut parler de paix sans éliminer l'injustice qui est la principale source du terrorisme proche-oriental. La paix ne peut exister sans justice, à moins qu'il ne s'agisse de paix de cimetière. Le Prophète Isaïe le disait il y a 2700 ans: "La paix sera le fruit de la Justice" (32:17); "Point de paix, dit Yahvé, pour les méchants" (57:21).

 

Signalons à cet égard que les Occidentaux et les Israéliens s'opposent aussi bien aux actes terroristes qu'aux actes non-violents. C'est ainsi qu'ils insistent pour que les pays arabes cessent leur boycott économique contre Israël, sans contrepartie, et sans volonté réelle à résoudre les problèmes qui en sont la cause. Ils cherchent avec cela à mettre les pays arabes à genou, - et ils y parviendront certainement en raison du délabrement actuel de ces pays. Mais est-ce que les désespérés accepteront d'être traités comme des êtres inférieurs sans droits? Comment convaincre ces désespérés que seuls les Israéliens et les Occidentaux ont doit à la dignité humaine? N'y a-t-il pas là une provocation de la part des Israéliens et des Occidentaux qui poussera les désespérés dans les bras du terrorisme à outrance?  


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Extrait de " Islamisme et Etats-Unis, une alliance contre l'Europe ",

Alexandre del Valle, éditions l'Age d'Homme, 1998:

 

Au contraire du Chrétien, qui est invité à aimer son ennemi et qui parvient difficilement à trouver dans le Nouveau Testament des versets justifiant la lutte et la défense de la société chrétienne face à une agression extérieure, le Musulman trouve dans le Coran et la Tradition islamique tout un corpus doctrinal parfaitement codifié et explicite traitant des rapports avec les non-Musulmans, qu’il n’est d’ailleurs nullement tenu d’aimer ni même de tolérer ou de laisser en vie, sauf dans certains cas spécifiques que nous allons mettre en évidence.

Helvétius met parfaitement en lumière la différence fondamentale qui existe entre les religions chrétienne et musulmane, ainsi que la vulnérabilité de la première lorsqu’elle est confrontée aux assauts de la seconde, quand il écrit : « pour résister aux Arabes [le terme arabe désignait les Musulmans en général, à l’époque d’Helvétius], il eût fallu armer les Chrétiens du même esprit dont la loi de Mahomet animait les Musulmans ; promettre le Ciel et la Palme du Martyre, comme Saint Bernard la promit au temps des Croisades, à tout guerrier qui mourrait en combattant les Infidèles : proposition que l’Empereur Nicéphore fit aux évêques assemblés, qui, moins habiles que Saint Bernard, la rejetèrent d’une seule voix ».

L’islam n’étant pas une simple religion, au sens spirituel du terme, mais plutôt un système idéologico-politique fondé sur l’impératif de soumission de la planète à ses lois théocratiques, la perception islamique de l’Altérité religieuse rejaillit inévitablement sur l’élaboration de la doctrine géostratégique des nations ou organisations islamiques internationales, c’est-à-dire, en fait, sur la perception musulmane de l’ennemi et de la menace. Il est par conséquent clair que les nations non-musulmanes constituent, de par leur refus d’embrasser la « vraie religion », des nations ennemies, du point de vue de l’islam orthodoxe.
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Si les musulmans sont gens pacifiques, 
l'islam prône une violence inacceptable.

Les versets agressifs

Libération: 
http://www.liberation.com/

Dans une interview du magazine Lire de septembre 2001, Michel Houellebecq provoquait un scandale en tenant les propos suivants : «(...) j'ai eu une espèce de révélation négative dans le Sinaï, là où Moïse a reçu les Dix Commandements... subitement j'ai éprouvé un rejet total pour les monothéismes. (...) je me suis dit que le fait de croire à un seul Dieu était le fait d'un crétin, je ne trouvais pas d'autre mot. Et la religion la plus con, c'est quand même l'islam. Quand on lit le Coran, on est effondré... effondré ! La Bible, au moins, c'est très beau, parce que les juifs ont un sacré talent littéraire... ce qui peut excuser beaucoup de choses. Du coup, j'ai une sympathie résiduelle pour le catholicisme, à cause de son aspect polythéiste. Et puis il y a toutes ces églises, ces vitraux, ces peintures, ces sculptures...»

Peu après, sur le site d'Amazon.fr (1), Michel Houellebecq revenait sur l'interview scandaleuse avec ces commentaires : «(...) il y a des bouts de phrases qui manquent. En fait, tout part d'une théorie d'un de mes personnages dans Plateforme selon laquelle plus une religion est monothéiste, plus elle est discutable. En fait, c'est même plus que des bouts de phrases qui manquent, c'est tout l'arrière-fond. On touche là un point de désaccord entre moi et Auguste Comte et Auguste Comte a été massivement suivi sur le fait que le passage au monothéisme est un effort supplémentaire vers l'abstraction et donc est plutôt un progrès de la raison. Or, je pense que c'est une théorie sur laquelle il faudrait revenir. (...) pourquoi avoir choisi un principe au lieu de deux ? Je pense qu'il y a une erreur intellectuelle dans le fait d'avoir un unique principe organisateur.»

Les infractions qui ont été reprochées à Michel Houellebecq lors de son procès du 17 septembre 2002 étaient : injure et provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes en raison de son appartenance à une religion déterminée, en l'espèce, l'islam. Il apparaît cependant à la lecture de l'interview d'Amazon.fr que ses propos doivent être replacés dans le contexte d'une réflexion plus générale, tronquée par Lire puisque des phrases manquent, ce qui déforme l'arrière-fond théorique.

Cette réflexion est une critique des fondements du monothéisme selon laquelle «il y a une erreur intellectuelle dans le fait d'avoir un unique principe organisateur», n'épargnant ni le judaïsme ni le christianisme, qui n'échappent au rejet total que pour des raisons esthétiques ou de contradiction interne : même si les juifs écrivent bien, Moïse est un «crétin», qualité que doivent partager les adeptes de sa foi et le catholicisme est en fait un pseudo-monothéisme. La haine que Michel Houellebecq ressentirait à l'égard de l'islam a donc pour objet avant tout une structure théorique, qui s'incarne certes dans le monothéisme absolu de l'islam, mais qui ne lui appartient pas en propre et s'observe en fait dans toutes les doctrines organisées autour d'un principe hiérarchique unique.

Au-delà de l'islam, c'est la forme dogmatique de toute pensée organisée par un seul principe que Houellebecq attaque. Il se trouve que cette tendance dogmatique existe bel et bien dans l'islam, le terrorisme n'en étant qu'un des avatars pathologiques. Mais l'islam n'est pas Un, homogène. Il y a des islams (au moins deux, sunnite et chiite, eux-mêmes subdivisés en sous-courants) comme il y a en fait des judaïsmes et des christianismes. Ces trois religions ont chacune subi une diaspora qui a rendu leurs visages hétérogènes, multiples, possédant des contradictions internes. Elles ont chacune donné naissance à des courants majoritaires, populaires, dogmatiques, strictement monothéistes, et à des courants minoritaires, ésotériques, critiques et qui tendent à s'éloigner du monothéisme au sens strict au profit d'une pensée plus complexe. Il en va ainsi pour la Kabbale juive, la gnose chrétienne comme pour la mystique musulmane soufie, qui ont toutes été marginalisées et parfois jugées subversives ou condamnées par les courants majoritaires orthodoxes. Que Michel Houellebecq connaisse ou non l'existence de cette mystique musulmane souvent critique à l'égard du monothéisme populaire ne change rien : de toute façon, elle n'est pas atteinte par sa haine de l'islam qui ne vise que la composante la plus dogmatique de cette religion. Houellebecq ne vise donc pas les musulmans, il vise les musulmans qui croient en «l'erreur intellectuelle du monothéisme». Il se situe sur le plan de la discussion philosophique des principes, fort loin d'une incitation bornée et stupide d'extrême droite à la haine religieuse. Il se contente de critiquer un système de croyance. N'a-t-on plus le droit d'exprimer publiquement un rejet de ce que l'on estime être un dogmatisme idéologique sans encourir aussitôt un procès ? Dans un cadre laïque, chaque religion a le droit d'exister, mais chaque religion a aussi le devoir d'accepter la critique.

Deuxième point. Dans leur diversité, les islams se reconnaissent tous néanmoins dans le Coran. Le positionnement des musulmans à l'égard de ce texte est cependant souvent ambigu. Si tous le reconnaissent comme une autorité, beaucoup estiment qu'il doit être interprété et non pas appliqué à la lettre. De fait, des propos intolérables y sont parfois consignés, de véritables appels au meurtre et à la haine contre les «infidèles» et les «idolâtres», dont voici quelques exemples (2) : sourate V, verset 56 : «O croyants ! Ne prenez point pour amis les juifs et les chrétiens ; ils sont amis les uns des autres. Celui qui les prendra pour amis finira par leur ressembler, et Dieu ne sera point le guide des pervers.» Verset 76 : «Infidèle est celui qui dit : Dieu, c'est le Messie, fils de Marie. Le Messie n'a-t-il pas dit lui même : O enfants d'Israël, adorez Dieu qui est mon Seigneur et le vôtre ? Quiconque associe à Dieu d'autres dieux, Dieu lui interdira l'entrée du jardin, et sa demeure sera le feu. Les pervers n'auront plus de secours à attendre.» Sourate VIII, verset 7 : «Le Seigneur cependant a voulu prouver la vérité de ses paroles, et exterminer jusqu'au dernier des infidèles.» Sourate IX, verset 5 : «Les mois sacrés expirés, tuez les idolâtres partout où vous les trouverez, (...).» Verset 30 : «Les juifs disent : Ozaïr est le fils de Dieu. Les chrétiens disent : Moïse est le fils de Dieu. Telles sont les paroles de leurs bouches ; elles ressemblent à celles des infidèles d'autrefois. Que Dieu leur fasse la guerre ! Qu'ils marchent à rebours !» Sourate XLVII, verset 4 : «Quand vous rencontrerez les infidèles, tuez-les jusqu'à en faire un grand carnage, et serrez les entraves des captifs que vous aurez faits.»

Face à de telles violences verbales, on peut juger et condamner ou essayer de comprendre. Si l'on décide de juger, on peut alors franchement se demander qui de Houellebecq ou du Coran aurait dû passer en procès. Cet éventail non exhaustif de citations du Livre saint des musulmans constitue un bel exemple d'injures et de provocations à la haine et à la violence envers des groupes de personnes en raison de leur appartenance à des religions déterminées, en l'espèce autres que l'islam. Soit l'on condamne et les propos du Coran et ceux de Houellebecq, soit on décide de les interpréter tous deux, de les replacer dans leur contexte. On nous rétorquera que le Coran est une parole sacrée, révélation divine, dont la traduction en français réclame des égards herméneutiques que les propos de Michel Houellebecq, simple mortel, ne méritent pas. Mais la justice laïque est indépendante de la question de l'existence de Dieu. Le Coran et les propos de Michel Houellebecq doivent donc être soumis au même examen critique.

On peut aussi nous reprocher d'avoir isolé ces phrases du Coran du contexte où elles figurent et qui fournit leur cadre d'interprétation. La juste compréhension d'un texte ou d'un corpus de citations réclame en effet de restituer le système général qui les contient, qui peut les contredire ou les expliquer métaphoriquement. Comprendre le vrai sens de ces attaques contre les infidèles suppose donc de les relier à la totalité des textes religieux islamiques de cette époque ainsi qu'au contexte socio-historico-culturel où ils ont été produits et à la psychologie de leurs auteurs. Mais, de la même façon, comprendre les propos de Houellebecq sur l'islam suppose de les replacer dans son système, c'est-à-dire le contexte général de sa pensée.

Que l'on décide ou non d'interpréter le Coran, sa littéralité reste en maintes pages d'une extrême agressivité et cautionne le recours à la violence physique contre les non-musulmans. En matière de discrimination religieuse et d'incitation à la haine, dans leur littéralité les propos de Houellebecq sont infiniment moins graves, il ne s'agit que de critiques théoriques et de sarcasmes, pas d'incitations à la guerre et au meurtre. Il est clair pour tout le monde que la majorité des musulmans croyants ou athées n'aspirent qu'à une vie tranquille loin des guerres de religion et de la violence physique. Il n'empêche que la violence symbolique de leur texte de référence peut légitimement poser problème. Dans un cadre laïque, neutre du point de vue religieux, sa publication doit évidemment rester autorisée. Mais si l'on tolère le Coran, il faut aussi tolérer qu'on le critique. Nous ne souhaitons qu'une chose : que la République française laïque vive en amitié avec l'Islam. Mais justement, c'est aux amis que l'on peut faire les critiques les plus sincères.

(1)  www.amazon.fr/

(2) Edition GF-Flammarion.