dwlpeur0.htm
La peur de l'autre en soi,
du sexisme à l'homophobie
Daniel WELZER-LANG, Pierre DUTEY et Michel
DORAIS
vlb éditeur 1994 -
Québec;
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L'adolescence: une réalité méconnue
Quand l'autre en soi grandit: les difficultés à vivre l'homosexualité
à l'adolescence
Bill RYAN et Jean-Yves FRAPPIER
Les adolescents homosexuels, garçons et filles, constituent un groupe
hétérogène peu étudié. La connaissance de l'homosexualité à
l'adolescence est donc partielle ou même erronée. Si tous les
adolescents traversent des périodes communes de développement, les
adolescents et adolescentes homosexuels font face à des dilemmes
particuliers qui peu-' vent avoir des répercussions sur leur
développement et leur adaptation. De fait ils et elles présentent un
risque plus élevé de crises psychologiques, liées à la découverte de
leur homosexualité, au rejet par la famille ou par le réseau des pairs,
au harcèlement ou aux agressions homophobes dont certains sont victimes
et enfin au risque d'infection par le VIH ou autres MTS. Souvent des
jeunes constatent qu'une personne ressource qui a accueilli positivement
la divulgation de leur orientation homosexuelle a par ailleurs joué un
rôle crucial dans l'acceptation de cette orientation et dans
l'amélioration de leur estime de soi. D'où la nécessité de s'intéresser
à leur sort.
Dans une étude sur les jeunes Canadiens face au sida, Allan King et ses
collaborateurs (1988) ont questionné un échantillon représentatif de
plus de 2000 jeunes Québécois. Il ressort que 28 % des élèves de la
troisième secondaire ont déjà commencé leur vie sexuelle et qu'au niveau
postsecondaire, ce pourcentage s'élève.à 67 %. Dans cette étude, 99 %
des jeunes, garçons et filles, se sont déclarés hétérosexuels. King a
aussi questionné des jeunes présentant diverses difficultés sociales
qu'il a appelés les jeunes de la rue. Il a distingué cinq catégories:
les sans-abri, les jeunes se livrant à la prostitution, les jeunes
contrevenants, les toxicomanes et les jeunes en quête d'emploi. Deux
pour cent de ces "jeunes de la rue" se sont déclarés gais et lesbiennes
et 4 %, bisexuels. Or, à la fin des années quarante, à la suite d'une
enquête menée auprès d'adultes, Kinsey déclarait que les comportements
sexuels ne sont pas immuables tout au long de la vie. Des études plus
récenteS2 indiquent qu'entre 8 % et 11 % des adultes sont exclusivement
gais ou lesbiennes...
On peut se demander pourquoi seulement 1 % des garçons et filles
adolescents ou jeunes adultes se déclarent, dans Fenquête de King,
homosexuels alors que plus de 8 % des adultes se disent d'orientation
exclusivement homosexuelle. Trois hypothèses liées à cette
sous-représentation des jeunes peuvent être formulées. D'abord, cocher
cette réponse dans un questionnaire rempli en classe ou dans un endroit
public ne va pas de soi. En deuxième lieu, les adolescents gais et
lesbiennes ont de la difficulté à s'identifier à l'homosexualité en
raison de la mauvaise image de cette orientation dans notre société et
d'une pression énorme durant Padolescence pour se conformer à la
majorité hétérosexuelle. À ce sujet, même si l'homophobie demeure
présente, une lente mais réelle sensibilisation s'est amorcée dans la
société québécoise depuis quelques années pour favoriser une plus grande
ouverture face à l'orientation homosexuelle. Les effets de cette
sensibilisation seront sans doute bénéfiques à plus long terme pour les
jeunes qui pourront accepter et révéler plus facilement leur orientation
sexuelle.
Déjà, dans une étude récente menée auprès de plus de 2000
élèves de 12 à 16 ans, Johanne Otis (1993) révèle que 8 % des filles et
des garçons interrogés disent avoir déjà eu une activité sexuelle avec
une peTsonne du même sexe. C'est la première fois que, dans une enquête
de ce genre, des jeunes confient dans une si grande proportion avoir eu
des activités homosexuelles. Toutefois, l'effet de cette nouvelle
ouverture est encore embryonnaire, particulièrement en ce qui a trait à
la révélation d'activités homosexuelles non plus sur un questionnaire de
recherche, mais à l'entourage immédiat.
Enfin, cette sous-représentation statistique des adolescents gais et
lesbiennes s'explique aussi par le fait que les individus découvrent
parfois tardivement leur orientation sexuelle. Dans leur développement
psychosexuel, l'adolescente et l'adolescent vivent un processus graduel
de révélation à eux-mêmes, de leur personnalité et de leurs préférences.
Lacceptation de sa propre homosexualité et de certains traits de
caractère liés à l'identité personnelle est un long processus.
Contrairement à une idée longtemps admise, l'homosexualité ne représente
pas chez certains jeunes qu'une étape de leur développement. Ils
rapportent des rêves, des fantaisies, des attirances envers les
personnes du même sexe qui datent de l'enfance, soit avant même la
puberté.
C'est donc dire que la prise de conscience initiale de
leur orientation homosexuelle s'est faite très tôt. Mais peu auront
accepté leur orientation homosexuelle vers la fin de l'adolescence, et
ce ne sera que bien plus tard qu'ils ou elles la dévoileront à leur
entourage hétérosexuel. Cette acceptation sera favorisée par une
perception positive, acquise avec le temps, de leur orientation
homosexuelle et par la certitude qu'elle est inéluctable.
Donc, encore peu d'adolescentes et d'adolescents qui ont connu une
expérience homosexuelle ou qui sentent une attraction homosexuelle en
parleront ouvertement. C'est une période de découverte souvent vécue
dans l'isolement et la clandestinité. En raison de ce silence, nous
connaissons peu les adolescents gais et lesbiennes et il est difficile
de tracer un portrait complet et exact de leur situation. L'adolescence
est vécue différemment selon le contexte familial, social et culturel;
l'analyse doit tenir compte de cette hétérogénéité.
Si, comme nous l'avons souligné précédemment, les adolescents
homosexuels constituent un groupe hétérogène et méconnu, les lesbiennes
sont encore moins connues que les garçons gais. La présomption
d'hétérosexualité semble plus forte envers les filles, entre autres
parce que la cohabitation et les manifestations ouvertes d'affection
sont davantage acceptées chez elles et éveillent ainsi moins de
"soupçons".
De plus, même si dans notre propos, nous utilisons les termes "gai" et
"lesbienne" pour désigner des adolescents qui ont une orientation
homosexuelle, il se peut que certains adolescents ne se sentent pas à
l'aise d'être qualifiés de "gais" et de "lesbiennes", parce qu'ils n'ont
pas encore assumé leur orientation, ou encore qu'ils se considèrent
davantage bisexuels, du moins à ce moment de leur vie.
Difficultés psychologiques et sociales
Pourquoi nous préoccuper des jeunes gais et lesbiennes? Parce qu'ils et
elles présentent probablement un risque plus élevé de perturbations
diverses, liées à la découverte de leur homosexualité, au rejet par la
famille ou par le réseau des pairs, au harcèlement ou aux agressions de
la part d'individus homophobes.
Les adolescents gais et lesbiennes disposent de très peu de modèles
auxquels se raccrocher. Les jeunes en général reçoivent peu
d'information pertinente quant à l'expression de leur sexualité (si ce
n'est en ce qui concerne la réduction des risques de MTS) et encore
moins s'il s'agit d'une sexualité homosexuelle. Les parents et la
plupart des pairs ne peuvent servi d'exemples aux jeunes homosexuels, ni
les soutenir, d'autant que ces derniers ne peuvent partager leur
situation et leurs difficultés avec leur famille, contrairement aux
adolescentes et adolescents hétérosexuels. Par conséquent, les jeunes
ont plus de difficulté à accepter leur orientation homosexuelle et à s'y
adapter, ce qui contribue à intensifier l'anxiété et l'isolement et à
compliquer leur développement personnel et social.
Il arrive que la famille rejette l'adolescent ou l'adolescente en raison
de son penchant homosexuel; il ou elle peut ainsi être marginalisé, mal
aimé et négligé, situation qui compromettra d'autres aspects de son
épanouissement. Certains fuient ce milieu inhospitalier, d'autres sont
chassés du domicile familial en raison des conflits et des problèmes
qu'engendrent leur orientation et son incompréhension.
Au fil de leurs interactions sociales, les jeunes
apprennent que notre société est peu accueillante envers les gais et les
lesbiennes. Diverses épithètes injurieuses témoignent de ce mépris et de
cette perception négative. Les adolescents et adolescentes qui se
désigneront éventuellement comme homosexuels ne peuvent demeurer
insensibles à ce discours. L'hornosexualité est associée à une image
négative et les adolescents gais et lesbiennes doivent composer avec
cette réalité pour se construire une image positive d'eux-mêmes, une
tâche fort difficile s'il en est.
La plupart des jeunes connaissent des troubles émotionnels à un moment
ou un autre de leur adolescence, et cela est d'autant plus vrai dans le
cas d'adolescents gais et lesbiennes. Nous constatons que plusieurs,
face à l'émergence de cette orientation homosexuelle, développent une
très faible estime de soi, cela étant dû, entre autres, à l'image
négative de l'homosexualité, aux rejets vécus et aux difficultés de
socialisation avec les autres jeunes et avec l'entourage en général.
Cette faible estime de soi et les difficultés familiales et sociales
liées à l'orientation homosexuelle expliquent nombre de problèmes
rencontrés chez des adolescents gais et lesbiennes. Plusieurs perdent
toute motivation à l'école, ont peine à se concentrer en classe et
donnent un mauvais rendement scolaire. Certains seront portés à recourir
à l'alcool et à surconsommer des drogues. Selon une étude américaine,
plusieurs jeunes homosexuels commencent à consommer de l'alcool et des
drogues à un âge plus précoce que leurs pairs, en raison du milieu
hostile, des insultes et des mauvais traitements dont ils sont victimes
(New York Native, US Department of Health and Human Services). Une autre
étude américaine révèle que 45 % des jeunes gais et 20 % des jeunes
lesbiennes ont été victimes d'insultes ou ont été maltraités (Child
Welfare League of America et Sorohan). Une méfiance inhibante peut dès
lors les envahir et teinter leurs relations avec l'entourage. De plus,
selon plusieurs études, ces jeunes seraient plus portés que les autres
adolescents à faire des dépressions suffisamment graves pour les
conduire au suicide. En fait le suicide est la première cause de
mortalité chez ce sous-groupe. L'homophobie dont les jeunes gais et
lesbiennes sont l'objet peut donc avoir les plus graves effets, trop
souvent négligés.
Enfin, plus que leurs pairs hétérosexuels, les adolescents gais ont à
composer avec un risque élevé d'infection au VIH. Cela ajoute un
insupportable fardeau à la difficulté d'acceptation de leur orientation,
à son dévoilement et à la difficulté de construire une image positive
d'eux-mêmes.
Déjà, la prévalence des MTS chez les adolescents en général est élevée.
Il est probable que les adolescents gais risquent davantage d'être
infectés par le VIH ou d'autres MIS, cela à cause des circonstances dans
lesquelles ils sont contraints de vivre leur vie amoureuse. Leur
activités sexuelles sont en effet plus souvent clandestines et les
adolescents et adolescentes ont parfois leur première relation avec un
ou une partenaire plus âgé ayant un passé sexuel plus chargé. On peut
penser que les jeunes bénéficieront dans une certaine mesure des moyens
de protection que les aînés ont adoptés, mais on ignore jusqu'à quel
point le recours à ces moyens est courant dans la population
homosexuelle. Les relations anales non protégées, l'instabilité d'un
lien clandestin que justifie la stigmatisation de l'homosexualité et,
pour certains et certaines, une multiplicité d'expériences sexuelles
contribuent à l'accroissement des risques, bien qu'il soit difficile
d'évaluer ces risques, étant donné que cette population adolescente est
encore peu connue.
Compte tenu de l'épidémiologie actuelle du sida chez les
20 à 29 ans qui désigne les relations homosexuelles non sécuritaires
comme un des modes de transmission dominants, les adolescents gais
constituent un groupe à risque potentiellement élevé. Il importe donc de
les aider à sortir de la clandestinité afin de leur permettre de vivre
sereinement leurs relations amoureuses.
Des services adaptés: place à la créativité
Le Los Angeles Suicide Prevention Center a constaté que le soutien
social est très important pour les jeunes gais et lesbiennes, étant
donné le rejet social dont ils sont victimes. Les jeunes filles
lesbiennes se trouvent d'ailleurs encore plus isolées que les jeunes
garçons gais. L'invisibilité lesbienne dont a fait état Françoise
Guillemaut dans le chapitre précédent est tangible. Or ces jeunes ne
reçoivent que peu d'aide, sinon aucune, des organismes qui desservent la
population adolescente, alors qu'ils composent une sous-population aux
besoins criants.
Les services qui s'avèrent efficaces pour améliorer l'estime de soi et
l'exercice d'une sexualité sécuritaire et harmonieuse chez les jeunes
gais et lesbiennes sont, entre autres, la consultation relative à
Faffirmation de soi et de son orientation sexuelle, et les discussions
de groupe entre pairs. Ces jeunes apprécient énormément discuter de
leurs sentiments et faire part de leur expérience: trop rarement en
ont-ils l'occasion.
Au Québec comme ailleurs, peu d'organismes ou de groupes communautaires
destinent leurs soins et services aux adolescents gais et lesbiennes. Il
faut dire que ces jeunes ne sont pas portés à s'adresser aux services de
santé ou aux services sociaux afin d'obtenir de l'aide relativement à
leur orientation homosexuelle, considérant que ces établissements sont
peu disposés à discuter d'homosexualité et craignant le manque de
confidentialité (notamment face à leurs parents). Il incombe à ces
institutions de faire preuve d'ouverture envers ces jeunes et de tisser
des liens de confiance avec eux. Ce n'est pas parce qu'ils sont
minoritaires que ces jeunes doivent être ignorés, au contraire.
À Montréal, le Centre de services sociaux Ville-Marie (CSSVM) dispense
des services aux communautés de jeunes gais et lesbiennes depuis 1976,
moment où un projet auprès de ces communautés a été lancé. Le projet
conjuguait des interventions cliniques et communautaires. Les services
cliniques incluaient la consultation individuelle, familiale et de
couple, des discussions de groupe à l'intention des adultes homosexuels
et des adolescents et adolescentes.
L'un des aspects les plus intéressants du projet visait les jeunes gais
et lesbiennes vivant dans la rue. Le CSSVM (qui est maintenant devenu le
Centre de protection de l'enfance et de la jeunesse [CPEJI Ville-Marie)
a été le premier établissement public au Canada et l'un des premiers en
Amérique du Nord à offrir ce type de services. Le projet a servi de
modèle à des projets semblables à travers l'Amérique du Nord ainsi qu'en
Europe.
Le Projet 10 (pour 10 % de la population) offre maintenant les services
de soutien social et psychologique aux jeunes homosexuels et bisexuels
des deux sexes. Des affiches et des dépliants largement diffusés
indiquent aux jeunes comment entrer en communication avec des personnes
ressources du projet. Pour la grande majorité de ces jeunes, une seule
conversation téléphonique mène déjà à une meilleure acceptation de soi.
Une minorité seulement des jeunes qui ont téléphoné viennent rencontrer
les personnes ressources. Le but du projet est d'aider les jeunes à
briser l'isolement vécu face à leur orientation sexuelle. Si cela les
intéresse, ils ou elles peuvent participer à l'un des groupes de soutien
mis en place. Les interventions de groupe consistent à offrir des
espaces où des jeunes peuvent sans gêne rencontrer leurs pairs, parler
de leurs expériences et replacer dans une perspective viable leurs
expériences de vie. I!acceptation par les participantes et participants
de leur homosexualité et leur adaptation à cette orientation sont les
objectifs visés. Deux cas vus récemment illustrent bien les types de
problèmes qui amènent les jeunes gais et lesbiennes à demander de
l'aide.
Pierre fréquente une école polyvalente de l'ouest de l'île de Montréal.
Il a quinze ans, et se fait constamment harceler par d'autres étudiants
de ses classes. Ce harcèlement physique et mental est, de plus, alimenté
par certains membres du personnel enseignant. Jusqu'au jour où Pierre ne
veut plus aller à l'école et développe des idées suicidaires. Sa mère,
réussissant à le faire parler, confronte la direction de l'école au
traitement réservé à son fils. On lui répond alors que son fils devrait
se faire soigner, voire "enfermer dans un asile avec les autres fous
comme lui". La famille décide alors de retirer Pierre de l'école. Il
perdra une année scolaire, mais aura trouvé le soutien de sa famille.
Peu après, une travailleuse sociale contactée par Pierre et sa famille
recevra le même type de réponse de la part de la direction de l'école:
"On ne veut pas d'homosexuels ici!"
Dégoûtée, la famille décide de déménager. Pierre s'inscrit à une
nouvelle école et participe à des rencontres de groupe pour adolescents
gais. Il a besoin de briser son isolement, de renforcer son estime de
soi et de trouver des modèles positifs. Il apprend aussi à refuser
d'être infériorisé par l'homophobie.
Marie demeure sur la rive-sud de Montréal et téléphone au Projet 10
après avoir vu- une publicité dans un journal. Enfermée dans sa chambre,
la musique comme bruit de fond "pour ne pas que mes parents entendent",
elle déclare souffrir d'insomnie, de perte d'appétit, d'angoisse.
Étudiante ayant déjà obtenu des notes au-dessus de la moyenne, elle ne
va plus au cégep depuis quelques jours. Incapable de fonctionner, elle a
peur qu'on s'aperçoive de son orientation sexuelle et qu'on la rejette.
Jusqu'à maintenant, elle a toujours joué le "jeu". Elle a eu des "petits
amis". Lorsqu'elle n'en avait pas, on n'avait de cesse de lui en
présenter. La voyant rompre avec les garçons, ses amies ont commencé à
la trouver difficile. À la maison, on la questionnait constamment sur
les amis masculins qu'elle n'avait plus.
Marie ne sait plus comment regarder les gars et les filles. Et
finalement, elle a décidé de ne plus voir personne, s'enfermant dans sa
chambre en prétextant un trop plein de travaux scolaires. Dépassée par
ce qui lui arrive, elle ne sait que faire. Le hasard qui lui a fait
découvrir que des services d'aide existaient pour les adolescentes comme
elle lui apparaîît inespéré... Elle qui était certaine d'être la seule à
vivre ces émois!
Les adolescents et adolescentes apprennent à s'adapter à leur
orientation homosexuelle par étapes. Pour y arriver, ils doivent d'abord
s'accepter en tant que gais ou lesbiennes par la destruction des mythes
véhiculés par la société. Ensuite, ils doivent établir des relations
amicales significatives avec des pairs, gais et lesbiennes entre autres,
et éventuellement des relations amoureuses. Cette recherche
relationnelle est importante pour acquérir une bonne estime de soi.
Enfin, ils doivent apprendre à interagir avec leur milieu de vie, leur
famille, leur milieu scolaire ou de travail et leur entourage. Chemin
faisant, il faut aider les jeunes à comprendre qu'ils ont intégré l'homophobie
manifestée par la société (voir la figure 1).
En raison de cette homophobie intériorisée, ils adoptent
fréquemment de mauvaises attitudes face à leur sexualité. Il s'agit donc
de les conduire d'une phase de négation ou de rejet de leur
homosexualité à une phase d'analyse critique de l'attitude de la
société.
Le rôle des personnes-ressources adultes auprès des adolescents et des
adolescentes est plus important qu'on peut le croire. Pour la majorité
des gais et lesbiennes, la divulgation de leur orientation sexuelle est
un moment crucial de leur vie; aider les jeunes à révéler et à vivre
pleinement leur orientation a donc des répercussions majeures. Souvent,
des jeunes filles et des jeunes garçons homosexuels constatent que le
soutien professionnel positif reçu lors de la divulgation de leur
homosexualité a joué un rôle important dans leur acceptation de cette
orientation et dans l'amélioration de leur estime de soi.
Des études démontrent que le fait de ne pas révéler son
orientation sexuelle peut être relié à une gamme de problèmes personnels
et sociaux, dont la gêne, l'isolement et un sentiment d'incompétence
devant Vexistence. Par contre, la divulgation et l'affirmation de son
orientation homosexuelle sont clairement reliées à un bien-être
psychologique. La documentation sur la prévention du VIH établit par
ailleurs une relation étroite entre ce bien-être psychologique et la
capacité d'adopter des pratiques sexuelles sécuritaires. On est certes
plus enclin à se protéger si l'on s'aime soi-même.
[Figure 1]
L'homophobie intériorisée
1. Négation:
Je suis attirée par - ou en amour avec - quelqu'un du même sexe.
Les personnes qui aiment les gens du même sexe sont malades et
dépravées.
Je ne suis ni malade ni dépravé-e.
Donc, je ne suis pas une personne homosexuelle.
2. Intériorisation de l'oppression:
J'aime un autre homme ou une autre femme.
Les personnes homosexuelles sont malades et dépravées.
Je suis toujours en amour avec cette personne.
Donc, je suis malade et dépravé-e.
3. Différence entre soi et les autres:
Je sais que je suis homosexuel ou homosexuelle.
On dit que les personnes homosexuelles sont malades et dépravées.
Je sais que je ne suis ni malade ni dépravé-e.
Donc, je ne suis pas comme les autres personnes homosexuelles.
4. Analyse critique de l'attitude de la société:
J'aime un autre homme ou une autre femme.
On dit que les personnes homosexuelles sont malades et dépravées.
Je m'aime, et je ne suis ni malade ni dépravé-e.
D'autres personnes homosexuelles que je connais ne sont pas dépravées.
Donc, la société a tort et perpétue des mythes.
Travailler auprès des adolescents gais et lesbiennes afin de les aider
suppose qu'on s'adresse à eux en utilisant un message axé sur
l'affirmation de soi et l'acceptation de leur propre orientation
sexuelle. Au préalable, il faut tenter d'atténuer les messages négatifs
et les problèmes causés à ces jeunes par les milieux où ils évoluent,
soit la famille, l'école, l'église, etc. Faire contrepoids à l'homophobie
qui les entoure n'est pas aisé, mais toute intervention qui omet ces
étapes préliminaires n'atteindra pas son objectif final.
Notes
1. Version remaniée d'un article publié dans Le Médecin du Québec
(septembre 1993) et intitulé "Les difficultés des adolescents gais et
lesbiennes".
2. Voir les données fournies par Michel Dorais dans le présent ouvrage.
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