Les hommes violents

Conclusion  

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Les hommes violents par Daniel Welzer-Lang

Daniel Welzer-Lang, Lierre et Coudrier éditeur, Paris, 1991 

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Conclusion  

Entre la fin de l'écriture d'un manuscrit et sa publication, un certain temps qui s'écoule. L'auteur peut en général en faire abstraction. Ici, il n'en est rien : entre Mai I990 et Mars 1991 - moment où j'écris ces lignes- il y a eu 10 mois. Je ne sais ce que l'avenir nous réserve, mais nous avons assisté au cours de ces 10 mois à une accélération sans précédent des réflexions, débats et démarches relatives aux violences conjugales.

D'abord un constat : lorsqu'en Automne 1989, le Secrétariat d'Etat aux Droits des Femmes a proposé une campagne de sensibilisation sur le thème des violences conjugales et/ou des femmes battues, nous étions plusieurs à être sceptiques sur son utilité. Nous aurions préféré que l'argent de cette campagne serve à financer correctement les centres pour femmes violentées et les centres pour hommes violents. Nous étions surtout perplexes sur la pertinence de l'utilisation des médias et de professionel-le-s de la communication. Nous nous sommes largement trompé-e-s. La sensibilisation engagée pendant deux années consécutives par le Secrétariat d'Etat dirigé par Michèle ANDRE, les réflexions d'un groupe d'experts animé en 1990 par Renée DUFOURT, le soutien actif de responsables d'organismes féministes comme Simone IFF et des représentantes de la Fédération Solidarité Femmes, ont modifié fondamentalement les perceptions qu'en avait la société civile française. Certes, on a encore tendance parler danantage des femmes battues que des responsables de ces violences. Certes, les lois ne se modifient que très lentement_ Mais le mouvement est lancé. En 1991, la question des femmes victimes de violences est enfin devenue une problématique débattue sur la place publique. La porte du privé s'entre-ouvre.

On voit alors l'hétérogénéité des discours au sein de l'appareil d'Etat : il apparaît très vite que les questions concernant l'Avenir (avec un grand A ) des hommes et des femmes de ce pays ne recouvrent pas les querelles traditionnelles entre la gauche et la droite. Tandis Michel ROCARD annonce aux Assises Nationales sur les violences faites aux Femmes (Novembre 1990), que cette question sera prise en charge par l'appareil d'Etat, dans le même temps Solidarité Femmes de Grenoble et SOS femmes battues de Nice sont menacées de fermeture (par manque de subventions), et Claude EVIN, Ministre de la Santé répond à Marie-Josephe SUBLET, députée du Rhône, que le subventionnement de RIME, donc l'accueil des hommes violents, concerne davantage_ le Secrétariat d'Etat aux Droits des Femmes. Dans nombre de ministères, les hommes violents n'existent toujours pas, et on en reste à une politique de victimologie. On oublie encore de chiffrer les coûts (sans jeux de mots) économiques (arrêts de travail, dégradations diverses), humains (suicides, meurtres, séparations d'enfants_) et politiques de ces violences. Que d'énergies perdues pour réclamer en France l'exercice des droits élémentaires à la dignité humaine. Quelques fois, devant notre impuissance, on en vient à désespérer_

Toujours dans le même temps, le mythe sur les violences domestiques se transforme. Je l'ai dit : un mythe est une parole vivante en perpétuelle évolution. La France découvre des femmes violentées dans les milieux sociaux favorisés et on en vient alors à ne parler que de ces femmes. On oublierait presque que de nombreuses compagnes n'ont pas de ressources suffisantes pour fuir, que la dépendance à l'homme est concomitante à la soumission.

Par ailleurs, on entend de plus en plus parler de "double personnalité" de Dr JEKILLS et Mr HIDE, d'hommes qui sont gentils, ouverts, sympathiques et qui, quelquefois, sans qu'on en comprenne le pourquoi, sans que leurs compagnes n'en comprennent le pourquoi, deviennent violents. Il peut y avoir des hommes qui ont un dédoublement de personnalité, la majorité des hommes violents que je connais ou que j'ai rencontré ne sont pas dans cette situation. L'appel à la double personnalité pour expliquer la violence des hommes n'est qu'un des aspects du mythe. La domination masculine, ce contrôle permanent pratiqué par les hommes sur leurs proches que la plupart des hommes violents reconnaissent et expliquent aisément, n'est pas comparable à l'esclavage. Oui, la vie dans un couple où l'homme est violent est quelquefois agréable_, notamment pendant les périodes de lune de miel.

La participation à un programme pour homme violent n'est jamais un gage de sécurité pour la compagne. Un événement récent vient nous le rappeler. A Lyon, un homme qui avait commencé une démarche à RIME a tenté de poignarder son ex-compagne et un de ses ami. Cet homme avait courageusement accepté d'être interviewé par une équipe de la télévision. Avec l'aide de RIME, d'autres centre pour hommes violents, ou de thérapeutes divers, les hommes peuvent changer. Ils ne changent pas tous. On ne déconstruit pas facilement en trois mois une vie d'apprentissages guerriers, nombre d'années où l'homme est confirmé sans cesse dans son rôle d'unique pourvoyeur, de père et de mari, qui doit diriger la maison et ses habitants. On assiste ça et là à des "accidents" : suicides et tentatives de meurtres sont inscrit-e-s au coeur de la problématique de la violence conjugale, même si, heureusement, tous ne passent pas à l'acte. En général, cela ne fait pas la une des journaux, mais quelques lignes dans la rubrique "Faits divers". Ne nous gorgeons pas d'angélisme, la meilleure protection pour les femmes violentées est l'existence de structures autonomes, structures où elles doivent trouver une écoute et une aide, structures où certaines pourront ré-apprendre à vivre et à acquérir des éléments d'autonomie. L'obtention de libertés économiques, politiques et culturelles pour les femmes est le meilleur moyen d'éviter que les hommes s'autorisent à les maltraiter. Ne rejouons pas la scène du défenseur de la veuve et l'orphelin. Les centres pour hommes violents sont là pour aider les hommes, les accompagner dans leur responsabilisation. Ne demandons pas à ces structures de devenir les nouveaux défenseurs des femmes. Il reste que l'accueil des hommes et accueil des femmes sont deux nécessités complémentaires et incontournables.

Dans l'accueil des hommes violents, contrairement au Québec, nous n'avons pas d'hommes -ou si peu- qui abordent l'association RIME par peur des suites judiciaires de leurs actes. Et pour cause : la justice - à l'image de la société- est largement tolérante pour les violences domestiques. Mais pour les hommes qui arrivent à RIME aujourd'hui - en Mars 1991- pour demander de l'aide, l'évolution est aussi flagrante : 90% d'entre eux viennent parce que leur compagne est partie ou est en train de le faire. Leur discours change : beaucoup d'hommes acceptent d'emblée la responsabilité de leurs actes et leur demande est simple : aidez moi à comprendre et changer. L'arrêt de la violence physique peut alors être très rapide, de l'ordre de quelques semaines. L'élaboration de comportements alternatifs aux autres violences et au contrôle permanent qu'ils exercent sur leurs proches est plus long. L'association espère d'ailleurs avoir un jour les moyens d'ouvrir un groupe de niveau 2, pour offrir des rencontres où les hommes pourront déconstruire un à un les différents constituants de l'identité masculine qui les a fait basculer dans la violence. Les premières 14 semaines n'y suffisent pas et on comprend aisément pourquoi à la lecture de livre.

En définitive pour ces hommes - notamment pour ceux qui n'abandonnent pas en cours de route - , la séparation a été utile. Ils le disent, certains le crient_Ne nous y trompons pas, le temps où l'être aimée est partie, où il se retrouve seul, est toujours un temps extrêmement douloureux. Mais c'est aussi un temps où pour une fois, ils acceptent de faire le point, de reconsidérer l'état où ils sont rendus. Ils sont loin des premiers chants d'amour, des promesses de bonheur éternel. Il faut du temps pour comprendre et accepter la réalité.

D'autres hommes - de leur prise de contact téléphonique à leur départ du centre - restent dans le déni. Ils ne sont responsables de rien. Ils revendiquent leurs prérogatives de père et de mari, ils accusent les structures d'aide pour les femmes, la justice, la police_ de s'allier contre eux. Ils sont incapables, à cette étape de leur cheminement, de penser à une relation où ils quitteraient leur pouvoir autocratique. En général, ils ne restent pas longtemps à RIME, certains reviendrons par la suite, à la prochaine crise ou au prochain départ de leur compagne.

 

Et maintenant ?

Aujourd'hui de nombreux-euses professionnel-le-s, militant-e-s, bénévoles, souhaitent mener des interventions sociales contre les violences domestiques et aimeraient alors que les spécialistes des femmes violentées ou des hommes violents apportent sur un plateau les analyses et les stratégies d'interventions. Dans cette période, la tentation semble facile, de s'autoproclamer spécialistes exclusifs des hommes violents et/ou des femmes battues. On sent poindre de nouveaux prédicateurs voulant affirmer la supériorité de leur méthode d'intervention. Quels crédits leur accorder tant que les sciences sociales n'auront pas répondu à cette question : Que signifie quitter la violence domestique ?

Car, nous en sommes là : nous pouvons comparer les caricatures présentées par le mythe de la violence masculine domestique aux réalités rencontrées chez les hommes et les femmes concernés, expliciter le déroulement de la violence, son cycle, sa spirale. Mais nous n'en sommes que là. Et je comprends la frustration du lecteur ou de la lectrice devant le peu d'éléments contenus dans ce livre sur l'après : après-violences, après-séparations, après-enfer_. Malgré leurs difficultés de financement, les recherches se poursuivent. Il faudra attendre les publications suivantes.

On ne peut plus se contenter de reprendre les statistiques des pays voisins pour affirmer dans les médias : une femme sur dix est concernée. Il faut quitter le flou artistique entretenu sur l'évaluation des programmes pour hommes violents, sur la prise en charge sociale des femmes violentées ; arrêter de crier à la répression de quelques cas paroxystiques en promettant des années de prison et des millions de centimes d'amendes aux brutes domestiques que décrivent les médias. Il nous faut absolument continuer à comprendre, et pour ce faire, poursuivre recherches et études, reconnaître l'état réel de la non-connaissance du phénomène, arrêter de cacher notre incurie derrière l'ésotérisme d'une science particulière.

Les chercheur-euse-s en sciences sociales, notamment ceux et celles qui oeuvrent en anthropologie et en sociologie des sexes, sont prêt-e-s à relever le défi. La fédération nationale SOLIDARITE Femmes a aussi mis en place une vaste enquête et des recherches, pour connaître la réalité des femmes concernées. D'autres études attendent et croupissent dans les boîtes à projets. Le temps est venu d'accepter enfin de considérer légitime l'espoir des femmes et des hommes de vivre autrement et de leur en donner les moyens.

Aux débuts de l'association RIME, nous écrivions "Toute personne, homme, femme, enfant, a droit à une alternative à la violence". J'espère, avec ce livre, avoir contribué à ce projet.

Lyon, le 4 mars 1991

Epilogue :

Lyon, France

Cher Jean-Pierre,

Je referme ce livre en pensant à toi. Tu sais, tu m'as fait un drôle de cadeau, le jour où tu as suscité chez moi l'envie d'étudier les violences domestiques. Après quatre ans de recherche, j'en sors en partie désabusé, moins naïf.

Si j'avais su ce que j'allais découvrir, je pense aujourd'hui que je n'aurais pas entrepris le voyage. L'horreur n'est pas dans les dossiers d'instruction des cours d'assises, ou plutôt si, mais celle-là, je la connaissais. L'horreur est dans la banalité, la gentillesse des centaines d'hommes et de femmes rencontré-e-s, leur proximité.

Hier, j'animais un stage auprès de travailleur-euse-s sociaux-ales, ils/elles réfléchissaient aux locaux d'accueil pour les hommes violents, leur localisation et leur décoration. J'ai dû leur dire qu'au lieu de préparer un lieu pour un inconnu, qu'ils/elles imaginaient loin d'eux, ils/elles devaient d'abord réfléchir si leur meilleur ami y serait à l'aise pour parler de lui, de ses pratiques familiales. L'horreur est là, dans l'omniprésence.

J'en sors aussi inquiet. Inquiet du risque de lois d'exception que pourrait préparer une société plus prompte à punir qu'à prévenir et à comprendre.

De nombreuses fois, devant ces hommes et ces femmes, j'ai été ému, j'ai senti les larmes monter : colère et émotion, révolte et envie de crier ; je me suis demandé à plusieurs reprises si je ne devenais pas fou. Je dois un grand Merci à ceux et celles qui alors, dans mes périodes de désespoir, m'ont amené leur support. Merci à toi Jean-Pierre, de m'avoir tenu la main pour courir, rire et évacuer ce trop plein de malaises, de tristesse. Merci pour ta tendresse, celle de tes ami-e-s.

Certains soirs, ensemble, lors des débats enflammés, on a pu rire de nos pseudos-différences : couleur de peau, age, sexe. Nos amours pluriels et multicolores sont notre énergie, notre désir de vivre, mon principal réconfort.

Tu sais, j'ai pu entendre dernièrement, que ce que nous faisons était dépassé, que la post-modernité avait balayé la domination masculine, l'oppression des femmes et l'aliénation des hommes. Ceux qui me disaient cela étaient tendus, inquiets... Dommage, c'est encore eux qui ont le pouvoir. On reparlera un jour ensemble de mes rapports à la communauté scientifique.

Mais, de cette expérience, je sors aussi plein d'espoirs.

L'hiver I989 a vu tomber des" murs de Berlin" en nombre important. Nous avons aussi découvert la justesse des critiques de certain-e-s dissident-e-s lorsqu'à propos de la Roumanie, ils/elles voulaient nous alerter sur le fascisme quotidien. Fils d'un père tchécoslovaque, élevé avec l'idée de l'immuabilité des frontières Est/Ouest, j'ai découvert, en quelques heures, à un point que je soupçonnais pas, la temporalité des frontières entre normal et anormal, entre gauche et droite, entre passé et avenir.

Nous avons tous, et toutes, y compris à l'Ouest, des "murs de Berlin" à abattre, des réflexions à mener sur l'avenir. Les trois années passées à enquêter sur les violences conjugales, m'ont appris à relativiser les murs du privé, à regarder différemment ceux et celles qui y vivent l'oppression quotidienne. A leur écoute, je sors plein d'espoirs sur notre capacité collective pour, à l'instar des "pays de l'est", savoir trouver en nous l'énergie de transformer l'inacceptable. des réflexions à mener sur l'avenir. Les trois années passées à enquêter sur les violences conjugales, m'ont appris à relativiser les murs du privé, à regarder différemment ceux et celles qui y vivent l'oppression quotidienne. A leur écoute, je sors plein d'espoirs sur notre capacité collective pour, à l'instar des "pays de l'est", savoir trouver en nous l'énergie de transformer l'inacceptable.

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Anthropologie et Sociétés

Les hommes violents par Daniel Welzer-Lang  Paris,
Lierre et Coudrier Éditeur, coll. Écarts, 1991, 332 p.
https://www.erudit.org/fr/revues/as/1992-v16-n3-as791/015246ar/
Daniel Welzer-Lang, sociologue, spécialiste du genre et de la question masculine, est maître de conférences à l’université de Toulouse-Le Mirail.