Revue TYPES 1 - Paroles d’hommes

États d'âme d'un père

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Revue TYPES 1 - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981 

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États d'âme d'un père célibataire à mi-temps

Julien, trois ans et demi, mon fils, essaye par tous les moyens de distraire mon attention de ce texte sur la paternité. Je suis assis à la table devant un bloc de papier, il a répandu ses jouets sur le sol et je sais qu'il va passer un long moment à inventer des trucs pour que j'abandonne mon stylo et me mette à jouer avec lui. Toute mon après-midi a pourtant été organisée pour lui, en fonction de lui ; jeux, activités alimentaires, promenade, discussions, disputes et réconciliations diverses. Et écrire ce texte c'est encore m'occuper de lui. Je suis donc pris dans la contradiction suivante : il me faut cesser de

jouer avec lui, malgré sa demande, pour m'en préoccuper peut-être mieux, en tout cas d'une autre manière.

Finalement, à ma grande hontes les émissions télé de l'après-midi pour les enfants me fournissent une issue provisoire. On pourrait penser que ma présence est rare et qu'il me manque, mais ce n'est pas le cas : depuis sa naissance je lui réserve la moitié de mon temps, je parle de temps actif et non seulement de soirées ou de week-ends. Non, il aime que je m'intéresse à lui. Tout en étant parfaitement capable de jouer seul pendant de longs moments, il préfère me traiter comme un camarade de jeu et il se montre insatiable de temps et d'attention... Sauf quand il joue avec d'autres enfants et alors, bien sûr il ne s'occupe plus du tout de moi.

Je ne me plains pas, qu'on me comprenne bien, j'ai désiré cet enfant, j'ai choisi de passer beaucoup de temps avec lui et j'en tire énormément de plaisir. Il est l'une des raisons qui me font refuser de travailler à l'extérieur 8 heures par jour et 40 heures par semaine. Non, mais c'est parfois malcommode. Ainsi, entre le début de ma première phrase et cette ligne-ci, il s'est écoulé plusieurs heures : jeux, repas du soir, coucher difficile avec chansons et histoires qu'il écoute religieusement, prêt à intervenir vigoureusement si j'introduis quelques variantes ou à demander la synthèse de deux histoires dont il aime les héros et qu'il désire voir se rencontrer. Ça donne des alliances incongrues du genre front commun Petit Chaperon Rouge Petit Poucet contre les loups de tous poils.

Et voilà sa tête qui pointe par l'entrebâillement de la porte et il me déclare qu'il a faim et soif, plutôt que sommeil et que " si on ne mange pas, eh bien ! on peut mourir de faim ". Cette petite personne pleine de santé (ô combien !), de plaisir de vivre, de peurs et de joies fulgurantes, est depuis trois ans et demi la moitié du temps, un jour sur deux, une heure, une minute sur deux entièrement à ma charge. (" charge " au sens de constance, dépendance, empathie continue, fascination, plutôt que fardeau, nécessité de gagner régulièrement assez d'argent, etc.) Même pendant les premiers 18 mois de son existence, quand sa mère et moi vivions dans le même lieu, nous avions déjà établi cette alternance de sa prise en charge. selon des rythmes variables mais toujours également répartis entre nous. (Cela nous permettait en particulier de travailler sérieusement quelques jours dans la semaine.) De ce fait, nous avons pu éviter la spécialisation des rôles de père et mère telle qu'elle se constitue habituellement. Nous avons été et sommes toujours pour lui à la fois père et mère, en chacun de nous. Et s'il faut raisonner encore en termes de rôles, j'incline parfois à penser que je suis plus " maternel " que sa mère. Enfin, ce qui différencie vraiment notre relation à Julien tient beaucoup plus à nos différences individuelles qu'à celles de rôles sexuels.

Je m'aperçois que parler de ma paternité va m'entraîner à parler aussi de mon père de ma famille, de la famille, des rôles sociaux, de l'État, etc... Oh là là, c'est décidément un bien vaste sujet ! Je ne l'épuiserai sûrement pas dans ce papier. Alors je vais essayer de rester " quotidien " et " personnel ", éviter de trop m'égarer dans les analyses socio-historico-politico-existentielles.

Aussi loin que je me souvienne, il me semble avoir toujours désiré un enfant ou même des enfants. Ca a dû commencer très jeune avec les phrases que les adultes, en particulier mes parents aiment à répéter aux enfants : " Tu verras quand tu seras grand et que tu auras toi-même des enfants. " Annonce d'un destin probable sinon inéluctable, qui me paraissait à la fois délicieux puisqu'il était celui de l'indépendante et excitante vie adulte, et légèrement inquiétant par ce qu'il sous-entendait de tracas et de responsabilités. Très vite, cependant, les difficultés matérielles dans lesquelles mes parents s'essoufflaient à élever leurs quatre enfants, me préparèrent aussi à m'intéresser aux avantages de la limitation volontaire des naissances.

Mon désir d'enfant a sans doute été entretenu par la découverte de mon importance dans la perspective de la continuité familiale. Très tôt, j'ai entendu des réflexions du genre : " Comme il ressemble à son père ! Ah ! c'est bien un Falconnet ! ". Ces remarques provenant non seulement des membres éloignés de la famille mais aussi de la majorité des gens de mon village, m'étonnaient et me flattaient car elles m'attribuaient une place précise dans une échelle temporelle bien plus étendue que ma petite vie. Alors je me ruais dans les cartons de photographies à la recherche des traits du grandpère ou de l'oncle paternel, tous deux morts avant ma naissance. On m'avait, de plus donné le prénom de cet oncle, véritable gloire familiale puisqu'ingénieur, disparu prématurément pendant son service militaire et dont on attendait implicitement que je suive les traces. Ainsi la famille, c'était ces ressemblances physiques, cette forme d'yeux, cette courbure du front, cette implantation des cheveux propres aux hommes du côté de mon père, et que déjà les grandes personnes décelaient en moi ! Il m'a fallu

des années pour les repérer correctement dans les photos jaunies des ancêtres et les expressions changeantes de mon père, puis pour les reconnaître sur moi à force d'observations assidues et quasi-hypnotiques devant les miroirs de la maison. Je me persuadais que l'image de cet enfant " étranger " que me renvoyait la glace avait bien un air de famille, était bien conforme au dicton célèbre : " Mes chiens ne font pas des chats ". Ainsi, j'étais bien le fils de mon père.

Le sentiment de mon importance familiale fut encore renforcé par les espoirs mis en moi comme continuateur du nom paternel, puisque j'étais le seul enfant mâle. Si je n'avais pas moi-même plus tard au moins un fils, la famille, cette institution si essentielle aux yeux de tous, allait s'éteindre sous sa forme " Falconnet ". Je percevais très bien la tristesse de mon père devant cette éventualité : comme toutes les petites gens qui n'ont rien d'autre à léguer à leurs enfants, il tenait à faire cadeau au moins de son nom et des vertus qui s'y rapportent, à sa descendance. J'étais le maillon obligé de cette chaîne qui, malgré son origine obscure et perdue dans la nuit des temps (récents) n'en était pas moins promise à un futur brillant, et ce, grâce à moi. Quel honneur et aussi quelle responsabilité !

Tout cela m'aidait à me reconnaître une place et une identité ; je ne le prenais donc pas à la légère, mais ça restait un cadre un peu formel, un peu abstrait qui a d'ailleurs vite craqué lors de mes premiers efforts pour me construire un destin un peu plus personnel. Par contre, ce qui est demeuré intact jusqu'à maintenant dans mon désir d'enfant, c'est l'envie de faire partager à un enfant le plaisir et la tendresse que mon père m'a donnés dans mon enfance. Un souvenir, incroyablement vivant, me revient en illustration.

J'ai 7 ou 8 ans, mon père m'a emmené à la chasse avec lui, faveur importante pour un garçon de mon âge et je sens bien qu'il ne peut chasser comme il le pourrait eu égard à mes faibles jambes. Nous sommes seuls, tous les deux assis en lisière du bois où il me fait découvrir les secrets de l'affût aux lapins. Ça consiste à rester absolument immobile et sans parler afin de ne pas effrayer les lapins dotés d'une vue et d'une ouïe perçantes et qui vont sortir de leurs terriers pour brouter l'herbe rase du pré dans la pénombre du soir qui s'avance. J'ai des fourmis dans les jambes et envie de dire mille choses mais la tension de l'attente me paraît formidablement excitante. Il m'a fait asseoir un peu en retrait, caché par une branche basse, je vois sa nuque, le col de sa veste de chasse, son chapeau et je suis soudain soulevé par une immense vague de reconnaissance et de tendresse pour lui qui me fait partager son plaisir et m'initie aux mystères de la communauté masculine. Je me rappelle avoir pensé : " Je l'aime... Mais il va mourir un jour, comment est-ce possible ? Comment pourrais-je supporter un tel chagrin ? " et immédiatement après : " J'aurais un jour un enfant que j'emmènerais à la chasse, à qui je montrerais la même patience et la même tendresse pour lui faire connaître les plaisirs de la vie et la qualité de ce lien enfant-père que je ressens aussi fortement. " Je veux donc aussi être aimé de quelqu'un de la même façon que j'aime mon père. L'amour se relie à la mort avec l'angoisse de la perte et m'incite à faire survivre au moins le sentiment, sans doute est-ce aussi ça le désir de se survivre soi-même dans un enfant. C'est vrai pour moi, est-ce vrai pour les autres hommes ? Dans quelle mesure la façon d'être de leur père a-t-elle orienté leur désir ou leur refus d'enfants ? ou leur conduite avec leurs propres enfants ? Par exemple, que mon père ne soit pas rebuté par les travaux ménagers, qu'il aime faire la cuisine, nous baigner, nous faire sauter sur ses genoux, nous emmener avec lui (conduites du Dimanche que je trouvais parfois trop peu masculines pour lui) m'a préparé à assumer " naturellement " Julien dans un quotidien qui n'est pas spécifiquement masculin.

Quelle que soit la préparation reçue, on ne s'habitue pourtant pas à la répétition de tâches " domestiques " et finalement monotones. Seul le plaisir que j'ai pris à découvrir, comprendre, communiquer avec un bébé, puis un jeune enfant, par l'intermédiaire des soins, de la nourriture, des rigolades et des câlins, m'a permis d'aimer Julien en désirant qu'il développe son autonomie et sans me sentir victime du rôle que je voulais tenir.

Et voilà encore Julien qui se ramène, les yeux éblouis par la lumière de ma lampe puisqu'il vient d'une pièce sombre. Il a un petit assemblage de légo à la main qu'il me tend : " Tiens, voilà un beau camion que j'ai fait pour toi, je te le donne. " Je me demande une seconde si je dois montrer de la colère parce qu'il est sorti de son lit ou fondre... Je fonds, il monte sur mes genoux et on se fait des baisers dans le cou qui se transforment vite en chatouillis avant un retour en douceur dans la chambre. Avant de me remettre au travail je dois encore téléphoner à sa mère pour fixer l'heure à laquelle je lui ramènerais Julien le lendemain et pour une semaine. Petit serrement de cœur à l'idée de la séparation habituelle ; mais je me dis que c'est pendant les semaines où je ne l'ai pas que je peux véritablement travailler et je fais comme si je ne savais pas qu'il va me manquer au bout de deux jours.

Je pensais naïvement que ça devait attendrir les populations, un homme avec un enfant en bas-âge. J'ai dû déchanter assez vite. Il n'attendrit que s'il paraît emprunté et désarmé, que s'il montre suffisamment de maladresse pour que les autres offrent leur aide ou le plaignent. Quand je me promenais avec lui, tout bébé, dans un harnais contre mon ventre, que je lui donnais un biberon ou changeais ses couches dans un lieu public, j'attirais plus de regards d'inquiétude que de sympathie. Les femmes prenaient un air parfois sévère comme si je leur volais une de leurs prérogatives essentielles ou apitoyé pour l'enfant, semblant dire " Cet enfant aurait besoin de sa mère, le pauvre petit. " Les hommes jeunes réagissaient plutôt mieux, les autres se retranchaient le plus souvent dans une attitude indifférente et hautaine, on ne les empêcherait pas de penser que ce n'est pas là le rôle d'un homme et que je ferais bien mieux d'aller au travail. Les voyageurs des deux sexes avec qui je liais conversation dans les compartiments de train, essayaient toujours de savoir si je n'étais pas " un mec plaqué par sa bonne-femme avec un lardon sur les bras ". Les réactions sympathiques existent aussi bien sûr, mais elles restent rares. Beaucoup d'ami(e)s m'ont parlé de venir prendre Julien un après-midi pour l'emmener se promener ; je n'ai pas besoin de compter sur mes deux mains pour savoir ceux qui l'ont fait. Une sélection s'est produite sans que je l'aie vraiment décidée ; je ne vois plus ceux ou celles de mes amis qui supportent mal de me voir lorsque j'ai mon fils parce-qu'il leur ôte de mon attention.

Il faudrait aussi raconter la tête que fit le directeur d'un bureau d'études le jour où je vins signer un contrat de boulot avec Julien dans un bras et un paquet de couches dans l'autre .

Mais revenons à l'histoire de ce désir d'enfant. La conviction qu'il était merveilleux d'inspirer à quelqu'un l'affection que j'éprouvais pour mon père était quotidiennement entretenue par l'envie que me portait un ami d'enfance. Un divorce précoce l'avait privé d'un père qu'il ne voyait qu'une fois par an aux vacances et sa mère le laissait élever par une grand-mère, avare de son affection, qui lui préférait ostensiblement sa sœur, et haïssait cordialement le genre masculin dans son ensemble. Il me jalousait donc gentiment mon père (qu'il considérait un peu comme un héros) et les initiations au monde des hommes que celui-ci me facilitait : chasse, pêche à la main, jeux de cartes, sports, explications techniques ou professionnelles. Mon ami dépendait alors de moi pour acquérir les informations et les rituels qui alimentaient nos jeux d'enfants campagnards. J'en tirais une importance certaine et bien évidemment une profonde satisfaction.

Après de nombreuses années de vie " adulte " (ce qui comporta au départ une rupture brutale avec ma famille, puis des choix de vie très éloignés de leurs désirs) la mort de mon père me laissa presque complètement désarmé devant une souffrance insoupçonnablement cruelle. Il s'y mêlait le regret qu'il n'ait pas connu mon enfant qui devait bientôt naître. Je sais que ça lui aurait fait plaisir, et doublement, puisque c'était un fils. Pour moi, un garçon ou une fille me séduisaient également. C'est aussi en fonction de mon père que j'ai désiré qu'il porte mon nom plutôt que celui de sa mère. C'est incroyable ce que des choses comme ça que je croyais avoir complètement dépassées " idéologiquement ", gardent une charge émotionnelle puissante.

Ce qui les fera plus sûrement disparaître qu'une analyse socio-culturelle ou leur donnera une place beaucoup plus réduite c'est l'irruption de la vie, de la personnalité, de l'individualité sans cesse affirmées de Julien qui grandit. Il n'a pas de références, pas vraiment de passé, il se sert de tous bois pour se construire, impérieusement, selon ses désirs et ses besoins. Il se fout encore du fait que sa mère et moi n'ayons pas voulu nous marier, pas voulu de l'immixtion de l'État dans notre vie intime. Il aime les gens qui l'aiment, il aime les enfants avec qui il joue, il aime s'amuser, apprendre, s'amuser à apprendre et apprendre à s'amuser, il aime s'approprier le monde par tous les moyens. Il change tout le temps, j'ai à peine eu le loisir de découvrir un trait de caractère, de me faire à l'idée d'un goût, d'une attitude, d'une expression nouvelle, qu'il l'a déjà abandonnée, dépassée pour expérimenter d'autres conduites, d'autres sentiments. Moi, qui ai beaucoup fantasmé sur la révolution, j'ai appris avec lui ce qu'était la radicalité : un bébé veut tout et tout de suite, sa santé en dépend, il ne peut différer ses envies qui sont toujours d'une impérieuse nécessité : boire, manger, être caressé, se mouvoir, attraper et porter aux yeux, à la bouche etc... Agitation et mouvance pour le plaisir et même avant toute instrumentalité. Il vit absolument dans le présent.

Au fur et à mesure qu'il grandit, des pans entiers de mon enfance me reviennent en mémoire. Il m'oblige à reconsidérer mon propre passé et m'aide ainsi à me le réapproprier. Chaque jour il me fait penser que " seul le présent est révolutionnaire " comme disaient les situationnistes. Quant à l'avenir, son avenir, c'est aussi le mien dans la mesure où il montrera la justesse ou l'erreur de mes choix faits pour lui, dans un âge où il ne peut encore choisir seul son mode de vie. Je me rends compte que l'essentiel de l'éducation donnée aux enfants dans leur famille et à l'école consiste à leur apprendre à différer leurs envies les plus simples, à se projeter dans le futur qui les récompensera s'ils ont su se résigner dans le présent. Et je n'ai pas envie de lui apprendre la résignation, même si c'est la solution la plus facile, la plus économe de temps. Comment faire ? Toutes les recherches, toutes les innovations seront étudiées avec bienveillance !

Je m'accroche à ce bloc de papier comme s'il y allait de ma vie. J'ai hésité tout à l'heure entre m'allonger un moment à côté du lit de Julien, sachant qu'ainsi il s'endormirait plus vite, et revenir à ma table finir cet article ou même écrire autre chose. Si j'étais resté là-bas, sans doute me serai-je aussi endormi parce qu'il est tard et que je me connais, mais j'ai pensé : " Ce soir, l'écriture me paraît facile, je dois en profiter parce que demain je n'en suis pas du tout sûr. " J'entends donc encore sa voix venant de sa chambre :

– Georges, qu'est-ce que tu fais ?

– J'écris. Tais-toi et dors !

Il me faut encore beaucoup prendre de temps pour lui si je veux pouvoir tenir le pari que j'ai fait : lui éviter de passer trop tôt sous le rouleau compresseur, d'abord lui laisser acquérir des forces et une sécurité affective suffisantes pour affronter la réalité sociale qui n'est tendre ni pour les enfants ni pour les autres. Je ne veux pas lui éviter cette confrontation mais je tiens à ce qu'elle commence avec des doses homéopathiques. L'école, de ce point de vue est un problème. Mes souvenirs personnels concordent tout à fait avec les analyses qu'ont pu faire Bourdieu et Passeron (" L'école capitaliste en France "). Pourtant quand j'évoque la nécessité d'une école parallèle ou différente, il y a toujours une âme charitable de " gauche " pour balancer la tarte à la crème de la socialisation, le rôle de l'école traditionnelle dans le mélange des enfants de classes sociales différentes etc. Faux ! Les classes sociales ne se mélangent pas plus à l'école qu'ailleurs et la confrontation de différences d'origine et de standing social s'y fait partout sur un mode inégalitaire, hiérarchique, agressif ou raciste ; c'est-à-dire en petits clans, en exclusions, en coups de poing et en rancœurs. Il n'est pas besoin de s'étendre sur la corrélation entre milieu d'origine et réussite ou échec scolaire.

De même la famille conjugale étant la norme psychologique et sociale, les admirateurs (plus ou moins ignares) de Freud tordent le nez quand ils voient les règles de la constitution œdipienne bouleversées. Hors de papa-maman-enfant dans un triangle point de salut ! Julien va avoir un bizarre Oedipe et j'espère même qu'il pourra passer au travers. La paternité telle que je la vis et la conçois, ce n'est pas inverser les rôles parentaux, c'est les mêler jusqu'à ne plus les reconnaître : Paternité-Maternité même combat ! Il est temps de questionner la psychanalyse à ce sujet, puisque c'est elle qui fait la loi, qui règne sur la psychologie de l'enfant, détermine les normes en usage dans les services publics (services psychiatriques, sanitaires et sociaux, scolaires etc.). Heureusement qu'en la matière, il y a une preuve : la santé, le développement psychomoteur étonnants de Julien montrent qu'un modèle différent de la famille conjugale classique n'est pas forcément pathologique et qu'au contraire... Il suffit de voir Julien, de le connaître pour constater qu'il va bien, très très bien, surtout quand on le compare à nombre d'enfants de familles " normales ". Ça leur en bouche quand même un coin à ceux qui manquent d'imagination, mais ils continuent à trouver ça suspect.

L'état, lui même rival de la famille en ce qui concerne le contrôle de la production et de l'éducation des enfants, accorde ou retire une autorité dite parentale. Il " antagonise " les parents car il leur attribue des fonctions différentes et des intérêts rivaux. Ainsi le divorce qui ne pouvait se faire par consentement mutuel. Il fallait trouver des torts. Ainsi, actuellement, les droits parentaux dans la famille dite " naturelle " parce que les parents ne sont pas mariés : l'autorité parentale est attribuée entièrement à la mère, même si les deux parents ont reconnu l'enfant et s'en occupent également, ce qui est notre cas.

Le livret de famille (naturelle) précisant à propos de l'autorité parentale : " toutefois, sur la demande de la mère ou du père, le tribunal pourra décider qu'elle sera exercée par le père seul ou par le père et la mère conjointement comme si l'enfant était légitime. " Nous sommes allés, sa mère et moi, faire une demande de partage à égalité de l'autorité parentale. Étonnement de la Justice devant ce qui paraissait un cas inédit. Non, ce n'était pas possible comme ça ; il nous fallait prendre obligatoirement un avocat ; il y aurait enquête sur nous, (recherche de torts ?) etc. Nous avons donc, provisoirement, laissé tomber, mais sa mère a ainsi la possibilité d'utiliser la loi et l'État pour prendre des décisions concernant Julien, sans ou contre mon accord. Elle ne le fera pas si elle reste fidèle aux convictions " anar " qui nous ont fait refuser le mariage. Voyez encore la belle prime au mariage, chassez l'État par une porte, il revient au galop par une autre ! Le non-mariage est considéré comme une présomption systématique d'abandon d'enfants par le père. Nul doute que la loi, sur ce point, doive être changée ! *

Un écho de ces problèmes d'autorité parentale se fait entendre à travers le débat très à la mode ces dernières semaines, sur les " nouveaux pères ". En cas de divorce, là garde des enfants a été trop systématiquement confiée à la mère, la garde à égalité ne restant qu'une exeption. Mais si, dans les articles de journaux et les débats télévisés on reconnaît de plus en plus aux pères le droit et le goût de voir leurs enfants, on se limite au cadre du mariage-divorce et on ne va jamais jusqu'à en souhaiter la refonte des rôles parentaux. Alors, il y a fort à parier que toute cette agitation retombera dans la lourdeur des pratiques judiciaires, aidées par la psychanalyse pour définir ce qu'un bon père d'un coté, et une bonne mère de l'autre doivent être ou ne pas être dans notre moderne société. L'institution divorce renforçant celle du mariage et vice-versa. Rien de bien nouveau dans tout cela, sauf que des pères différents existent ; si, si, les journalistes les ont rencontrés !

Je voulais aborder encore la satisfaction de certaines femmes devant la recrudescence des sentiments paternels, la peur d'autres femmes devant un partage qui leur retire quelque chose de leur rôle traditionnel. Ajouter quelque chose sur la nécessité que les choix de vie différents du modèle dominant se fassent en pensant aussi à ce peuple d'enfants qui est le premier opprimé, sans droits, sans possibilité de se faire entendre. Mais tout ne peut être dit en une seule fois, la naissance de ce périodique le montre. Place aussi à d'autres paroles que la mienne. Simplement, si un jour Julien lit ce papier, je voudrais lui dire que depuis qu'il est né, je n'ai jamais touché le fond de la solitude avec la souffrance qui m'habitait autrefois. Non, je ne me suis jamais senti vraiment seul depuis qu'il existe et de cela, ici, je veux le remercier.

Jacques Falconnet

* On peut se demander ce que le père a d'autre que ses chromosomes pour revendiquer sa paternité. Et pourtant : son désir, son amour, élever l'enfant...

Nous sommes quelques uns, à Types, ayant choisi le statut de " père célibataire ", en dehors de tous rapports conflictuels ou passionnels, niant les torts obligatoires, déterminés à faire reconnaître au niveau législatif, notre volonté de partager le droit parental.

Et si ces enfants nous les avions voulus sans que l'État puisse avoir un droit de regard sur nos vies " privées ", ces relations qui ont présidé à leur naissance ?

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Revue TYPES - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981

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