Revue TYPES 1 - Paroles d’hommes

Pourquoi Julien

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Revue TYPES 1 - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981 

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Pourquoi Julien ?

Julien a un an. Depuis deux mois une question me trotte dans la tête : pourquoi j ai fait Julien ?

J'ai rencontré Philippe dans un groupe de parole ; il m'a parlé d un projet d'une revue d'expression masculine dont le premier thème choisi était la paternité. Ce projet m'intéressait car je n'étais pas clair sur ma paternité et j'ai eu envie d'écrire un article sur les raisons ou le manque de raisons d'avoir un enfant. Seulement, je connaissais ma difficulté d'être devant une feuille blanche bien qu'ayant des idées en tête. Alors je me suis mis devant un magnéto et au fur et à mesure des enregistrements et des écoutes, l'article prenait Forme.

La question que je me posais était donc simplement : pourquoi j'étais père ? Je n'employais pas le mot paternité car ce mot me faisait peur : paternité-maternité, paternité-responsabilité... Il me semble que lorsque nous avions décidé de faire un enfant, je ne m'étais pas vraiment posé la question. On en parlais depuis longtemps mais on repoussait toujours à plus loin. Et un jour l'envie était là.

Cette envie n'était pas tout à fait gratuite car il y avait la pression extérieure : pression sociale et familiale (si on peut dissocier les deux !). Comment, vous n'avez pas encore d'enfants depuis que vous êtes mariés ? On nous regardait bizarrement et quand nous expliquions que nous avions envie de profiter de la vie tous les deux, rien que tous les deux, on nous taxait d'égoïsme (mais l'égoïsme ne se trouve-t-il pas plutôt dans le fait de faire un enfant ?).

A ce moment j'ai pu me dire aussi que nous avions fait beaucoup de choses, Marie-Ange et moi, mais qu'il nous restait une chose à faire : un enfant ; cet enfant laisserait une trace du couple si... car ce couple avait des problèmes, de gros problèmes. Après la naissance de Julien, je me suis trouvé d'autres raisons pour avoir désiré Julien.

Julien est arrivé à point nommé pour remplir une vie qui me paraissait fade, vide ; j'en étais arrivé presqu'à regretter les années passées, années que je pensais avoir perdu bêtement. Un enfant pouvait donner du relief, un sens à une vie, surtout avec les schémas que je pouvais avoir dans la tête.

Une autre raison que j'ai mis beaucoup de temps à pouvoir me dire : j'avais désiré Julien pour qu'il raccommode le couple qui était en train de se casser la gueule, ce couple qui représentait la sécurité pour moi et auquel je m'accrochais de toutes mes forces malgré le fossé qui s'élargissait entre Marie-Ange et moi. Julien a très bien " fonctionné " comme je l'avais prévu, tout au moins au début : pendant la grossesse nous étions très près Marie-Ange et moi, à l'accouchement aussi ; les premiers mois, notre vie étant changée et à réaménager, les problèmes étaient relégués. Après quelques mois, l'attrait de la nouveauté étant passée il ne restait plus que la fatigue qui a joué le rôle de détonateur : le couple a éclaté.

Pourquoi Julien ?

Cette question revenait toujours. J'ai pensé qu'il y avait aussi quelque chose en moi qui m'avait poussé à faire un enfant ; quelque chose de très fort et de très profond en moi que je ne pouvais pas trop approcher ni saisir, quelque chose comme un instinct, un instinct de perpétuation de la race peut-être (si cela existe !!!); car en regardant bien la situation générale et notre situation particulière à Marie-Ange et à moi, elles n'étaient guère propice à faire un enfant, alors...

Pourquoi Julien ? Malgré toutes ces réponses je restais insatisfait, comme si j'étais passé à côté d'une réponse très importante.

Pourquoi Julien ?

En relisant mes notes, j'ai vu cette réponse comme un flash : toutes les raisons que je me donne sont par rapport au couple et non par rapport à moi : désir d'œuvre, une œuvre du couple ; désir de laisser une trace, une trace du couple ; désir de raccommoder le couple... pas de réponses par rapport à moi, je n'avais pas voulu Julien. C'est le couple qui voulait un enfant et dans ce couple un autre Philippe. Avant je n'existais pas vraiment ; j'existais uniquement à travers le couple et la question " Pourquoi Julien ? " était une question par rapport à moi alors je ne pouvais pas trouver de réponse satisfaisante.

J'ai même pu dire au magnéto que j'avais adopté Julien ; en effet, en même temps que je me posais la question " Pourquoi Julien ? " mon attitude envers lui changeait.

Aujourd'hui Julien a un an et j'ai envie de m'en occuper vraiment, pas seulement de le changer et de lui donner à bouffer. J'ai envie de le prendre en charge complètement. C'est peut-être ça la responsabilité.

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Revue TYPES - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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