Revue TYPES 1 - Paroles d’hommes

J'ai déjà donné

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Revue TYPES 1- Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981 

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J'AI DÉJÀ DONNÉ

PRÉLUDE

Les groupes hommes. Le contact par Pierre puis par Jean-Michel : j'avais deux adresses. Bicêtre, mais il fallait rappeler à 17 heures, et Necker.

Les deux hostos étaient-ils rivaux ! J'imaginais que mon accord donné au premier contacté éliminerait d'office l'autre.

A Necker je demandais directement le CECOS (Ouah, le nom !) (Centre d'Étude et de Conservation du Sperme), sans expliquer le motif de mon appel à la standardiste.

" Voilà, j'appelle de la part de X. " " Qui c'est ? " (aie ! moi qui étais si content de mon piston-patronnage. Ça économise les recherches téléphoniques... Mais si on doit justifier son piston !)

Heureusement, dès que j'expose, il paraît très intéressé. La preuve il me passe la responsable du secteur " Don du Sperme " de son service. Cordiale, elle aussi. (Ils me l'avaient bien dit qu'ils manquaient de donneurs. Surtout depuis que ça n'a plus été payé...) Elle m'annonce que je devrai tout d'abord subir une discussion à bâtons rompus (interrogatoire de 1 heure à 1 H 30 avec un doktor pour préciser, déterminer, étudier des réflexions — réflexes — sur l'insémination artificielle et mes motivations d'éventuel donneur). C'était volontairement très bref.

La seule obligation qui m'attendait était de me faire pomper le sang, moi qui tombe dans les pommes à chaque fois. J'ai cru comprendre qu'il fallait absolument savoir si je n'avais rien d'aberrant dans mes gênes. D'ailleurs, elle me l'a dit, c'est rapport aux chromosomes et aux anomalies.

On a pris rencard, elle m 'a bien indiqué comment y aller, et clic ! Fini pour la prise de contact.

En reposant le combiné, dans son logement, j'avais deux, trois idées en tête.

Première Idée :

En fait, ne devait venir ici qu'une certaine catégorie d'individus. Et si c'était effectivement vrai et qu'on admette une étude statistique, les vieux discours racistes sur l'hérédité, faisant fi du milieu et des conditions de vie, seraient balayés. Etre demandeur au Cecos avec sa règle d'anonymat, c'est en tous cas nier l'idée de la transmission automatique de l'héritage culturel de classe. Si toutes les paillettes voulaient se donner la main...

Deuxième Idée:

J'avais le sentiment que, d'une certaine façon, une épreuve m'attendait. Que mon sperme soit déclaré recevable, je trouvais cela, sinon valorisant, du moins satisfaisant. Devant des sentiments tels, comment s'étonner que la vasectomie apparaisse comme une diminution, jusqu'à une mutilation, pour certains hommes. Non seulement avoir du sperme (capacité) mais faire aussi la preuve de son efficacité (puissance). Alors la vasectomie...

Troisième Idée :

Ça sort de moi, et ça n'éveille strictement aucune sensation de vide, de " don ", de rien. Le plaisir décidément n'est pas tributaire de cette émission de sperme. Elle n'en est que la matérialisation. Un fragment de la partie visible d'un continent, un défaut de continence, quoi !

ACTE 1

Incroyable, à chaque fois, cette impression de bordel, partout. Ce mélange de genres, fascinant. Ça pue la soudure autogène jusque dans les couloirs, les internes (en blouse négligée, Monsieur !) croisent les soudeurs (voir plus haut) et le personnel de salle (?), chacun dans son truc.

Et puis les escaliers sont de guingois : ça renforce le petit chancellement qui vous prend en pénétrant ce monde de maladie et de mort. Ces marches incitaient à laisser de côté toute référence à la logique, au raisonnement équilibré, à ce cher esprit cartésien.

Aujourd'hui, en plus, ils découpent la rampe en fer au chalumeau. A quoi se raccrocher, alors ? C'est dur d'être patient. Pourtant j'arrive cette fois, ni malade, ni mort, et en avance.

Petit service. Le nom des salles (Renom-Chauffard) me fait sourire. L'accueil aussi. Les conversations sont toujours aussi anodines en diable ou super spécialisées (spiropoisseuse, vagineuse ?).

Tilt ! Là où j'ai rendez-vous, une femme et une petite fille me reçoivent. J'ai presque souhaité que ce soient elles qui m'attendent. Dommage. C'est un mâle qui arrive 1 mn après moi. Je ne lève pas la tête. Je préfère avoir une image de lui " en fonction ". On verra.

Mais pourquoi aide cette petite angoisse ? C'est l'hosto ou l'inconnu. Au mur " La stérilité masculine existe aussi — les Cecos manquent de donneurs ". Et un poster où un berger emmène ses moutons vers... leurs destins.

Hop ! il m'accueille. Comme on dit, jeune, bien de sa personne, cravate, costard velours, lunettes avec (illusion ?) un rien de malice derrière les carreaux.

En fait, plein d'attention pour moi, essayant de me familiariser avec lieux et personnes présentes, de me mettre à l'aise. Ça ne ressemble évidemment pas à l'accueil que l'on reçoit dans un hosto, mais je ne m'imagine pas faire une démarche hospitalière.

Je paraissais remplir les conditions pour être donneur. Informé, la perspective de rendre un service, tout en visitant concrètement une Banque du Sperme, m'incitait à satisfaire une curiosité qui me débarrasserait des derniers clichés sur le sperme, expression virile d'une paternité

potentielle, et des derniers relents de culpabilité liés à la masturbation.

Bon. Revenons à nos spermatos.

Dans ses questions, le doc, lui, s'inquiète (souci statistique ?) de savoir comment j'ai appris l'existence du Cecos. Mes impressions sur le fait de me savoir, anonymement et potentiellement père d'enfant " ailleurs ". A moi de lui exposer les raisons qui me font différencier la prise de décision (faire un enfant) du moyen choisi (les spermatozoïdes).

Il n'insista d'ailleurs jamais dans ses questions quand il lui parut évident que je ne lui paraissais pas " névrosé ", et que je n'avais pas d'à priori dogmatique ou mystique sur le don de ma semence. De plus pas d'obstacle de statut social à surmonter. A la différence de Bicêtre, ils n'exigent pas que le donneur soit marié ni qu'il ait déjà deux enfants. C'est ouvert à tous. vous dis-je !

Pour eux, le problème est de trouver des donneurs, les campagnes faites dans les média n'ayant donné de résultats que du côté des demandeurs.

La stérilité en France est statistiquement plausible lorsque deux individus (la plupart du temps mariés ou concubins notoires) au bout de 2 ans, n'ont pas d'enfant. Elle est réelle pour 20% de ce type de population. Sur ce pourcentage, la moitié est imputable aux hommes. Cette stérilité masculine s'avère après certains examens détaillés comme définitive et totale pour la moitié (5% de cette population). Les deux recours sont :

— soit l'adoption (de plus en plus difficile pour les parents candidats et en baisse par manque d'enfants à adopter, conséquence d'après le doc du Cecos d'une meilleure information sexuelle et contraceptive).

— soit l'insémination.

A part les " névrosés ", qui semblaient, dans ce rôle de donneur, transcender certains de leurs problèmes ou vivre certains de leurs fantasmes, la majeure partie de la population masculine répugne à pallier la fécondité défaillante de ses frères de misère. La confrérie des mâles, faute de l'admettre, n'imagine sûrement pas une telle incapacité.

La seule formalité qui m'attend étant cette prise de sang, le d'oc entame une petite négociation pour me persuader de le donner. La quantité plus grande de sang obtenue leur évite d'avoir à payer la banque du sang, les analyses pour déterminer le groupe sanguin et faire un caryotype, examen obligatoire — en somme, un échange de bons procédés : la banque du sperme racole pour la banque du sang et inversement.

Il m'informe ensuite qu'il me faudra commencer par faire un essai de congélation pour vérifier que mon sperme résiste bien à cette descente en anti-enfer: -196°. Il doit en revenir aussi peu altéré que possible pour être utilisable. Si le test est concluant, suivent 5 dons réels et pas plus, car il s'agit d'éviter les risques de consanguinité. A 5 inséminations réussies, il n 'y a aucune chance pour que les enfants issus du même donneur se rencontrent fortuitement et décident de s'accoupler. A 100 le risque paraît prouvé. A 5 on a de la marge mais c'est une règle formelle. Pas d'inceste inséminatoire autorisé. Rien d'étonnant dans ce questionnaire le moins Quai des Orfèvres possible s'excusa-t-il. Sinon qu'il vaut mieux venir après avoir fait mentalement au moins, un retour sur sa généalogie. Qui se rappelle ou a jamais su que sa grand-mère était tubarde ou que son frère a un pied-bot, est aveugle ou a le diabète. OK pour l'interrogatoire.

Le fait que je sois en contact avec un certain nombre d'hommes dans les groupes l'intéresse évidemment. Je termine par une visite rapide des appareils qui conditionnent le sperme dans de petits tubes (les fameuses paillettes) et de la banque proprement dite (de gros thermos remplis de paillettes repérées de différentes couleurs suivant les groupes sanguins).

Rééchange de propos sur leur difficulté à trouver des donneurs et sur les blocages psychologiques de la majorité des hommes.

Fin de l'acte 1. Mais quel rôle y jouais-je ?

Mis au courant et en contact avec le Cecos par le canal (déférent) des groupes hommes, je n'ai néanmoins pas l'impression d'agir en militant. Et militer pour quoi ? Dans une certaine mesure, cette décision va à l'encontre de mes vues sur la natalité à limiter. L'adoption, oui, mais la fécondité triomphante, même par délégation, indéfendable !

Et pourtant il y a cette volonté de lutter contre la valorisation systématique de leur sperme que les hommes ont, culturellement (le précieux liquide). Je refuse que ce soit autre chose qu'un liquide. Précieux pour l'utilisation pratique que l'on en a, et c'est tout. Il " en " faut pour faire des enfants. Mais si la décision de faire un enfant reste pour moi un choix essentiel avec ses notions d'engagement personnel et de responsabilités multiples, c'est la décision de procréer qui est à peser, pas celle d'éjaculer. C'est simple.

ACTE II

Même lieu, une semaine plus tard.

Quand j'ouvre la porte, ce sont six femmes qui se tournent vers moi, avec un sourire ostensible. Ça ne me gêne pas mais je le remarque et j'imagine que ça pourrait être interprété comme de l'ironie et donc peu stimulant pour certains. Notre corps, nous-mêmes. La masturbation masculine est affaire d'hommes ?

L'une d'entre elles toujours se fendant à moitié la pèche, m'emmène presque par la main avec un petit sac en plastique contenant un entonnoir. Je commence à sentir une complicité entre nous. Et me revoilà dans cette pièce, si peu hospitalière pour être plus hospitalière (comme dit le doc), où je dois sacrifier au culte de l'onanisme.

Il m'avait bien proposé de venir avec ma partenaire privilégiée, histoire de ménager ma susceptibilité (seul le résultat compte) de pauvre petit mâle et à condition de pratiquer le coït interrompu (le résultat vous dis-je). Mais je préfère les revues suggestives bien " qu'elles datent un peu ", avait-il admis, faute de crédits.

Mon propos n'étant pas de donner ici ma recette, sachez simplement que je n'ai pas eu trop de mal à remplir modestement cette saloperie d'éprouvette dans laquelle il faut quand même bien viser. Cet impératif logistique efface d'ailleurs les effets de la " petite mort " qui accompagne l'éjaculation.

Après cela, chemin inverse, mêmes sourires (après tout ce doit être une déformation professionnelle).

En leur remettant mon sperme, je ne fais même pas preuve de la curiosité la plus élémentaire et n'insiste pas pour assister à l'épluchage de mes spermatos... la prochaine fois ? mais est-ce qu'une chèvre qu'on vient de traire s'installe à la fromagerie ?

En attendant, je dois rappeler demain matin pour savoir s'ils ont résisté à la congélation. Eh bien, ça n'est pas brillant. Ils en ont pris un sérieux coup à la mobilité. La femme au bout du fil ne s'explique pas cette défaillance. Il va falloir recommencer.

C'est sûr, j'aurais dû respecter leur consigne d'abstinence de rapports sexuels durant les 3 jours précédant le don (pourquoi au fait ?). L'appel de la chair a été le plus fort. Je suis vraiment tarte, je n'ose pas leur avouer.

Une semaine plus tard, donc, rebelote. Je commence à me sentir décontracté.

Je me retrouve à nouveau dans cette petite cabine d'un bateau nommé " désir d'enfant ", avec son lit, son papier peint, son lavabo (tant qu'à se laver, un bidet m'aurait paru plus commode), ses essuie-" tout ".

Ce coup-ci je feuillette toutes les revues, les françaises, les anglaises, les allemandes.

A travers la cloison, j'entends les conversations du personnel Cecos. C'est pas le moment de l'être et c'est dur de se concentrer.

Je remplis quand même ce devoir et l'entonnoir. Et puis, est-ce l'environnement aseptisé ? Est-ce une association (déplacée) d'idée ? Je ne peux m'empêcher de retendre le

drap de protection du lit. Effacer les traces de mon passage. Du travail bien fait !

En remettant l'échantillon, nous devisons sur la raison de la faiblesse de mes spermatos précédents, et j'avoue mon inconséquence : j'avais eu des rapports. S'ils savaient que je n'ai pas plus respecté la règle du jeu cette fois-ci ! Ça va bientôt devenir un acte manqué. Dans les deux sens !

Effectivement, le lendemain, coup de fil désolé. Le sperme n'a de nouveau pas résisté à la congélation, et cette fois d'une manière catastrophique que n'explique pas mon nonrespect de leurs règles d'abstinence. En discutant ils s'aperçoivent que j'ai été très fortement grippé la semaine précédant le don et la déconfiture paraît logique. Au cours de la maladie les spermatos en ont pris un vieux coup et ils ne sont renouvelés que tous les 72 jours... Je suis bon pour attendre et montrer le bout de mon nez lorsqu'ils seront revivifiés.

En résumé, et en l'état actuel de l'expérience, je peux juste constater :

1) La masturbation pour être possible, chez moi, ne devait pas forcément s'effectuer dans un cadre approprié. Je n'ai pas calé psychologiquement à l'hosto, mais c'est une constatation ponctuelle. Que ça marche ou que ça bloque, c'est toujours psycho-soma, quoi ! C'est sûr, là, on ne peut pas tout contrôler.

2) J'assume la masturbation. Ça m'arrive de me branler. J'aime bien mais je le gardais pour moi (si l'on peut dire !). Ça date de mon adolescence et des endroits discrets et incongrus. Cet ouvrage public a teinté ma pudeur d'une reconnaissance revendicative de cette part de ma libido.

3) A part François, tous les hommes à qui j'en ai parlé ont refusé de donner leur sperme. Tous. La raison la plus invoquée est cette responsabilité qu'ils ne veulent pas prendre d'être irresponsables d'enfants qu'ils auraient faits (?). Le Cecos aura été le révélateur de cette répugnance profonde ainsi exprimée. Je laisse de côté, peut-être un peu vite, ces indifférents. C'est vrai, je ne crois pas qu'on puisse être interpellé par l'impossibilité de procréer si on n'a pas... de désir d'enfant.

En relisant cet acte II, je commence à me demander ce qui me motive, maintenant.

Je n'ai pas de sentiment d'échec, et contrairement à ce que je pensais avant, je ne me sens aucunement dévalorisé par cet examen raté. J'ai juste fait la preuve de ma capacité à émettre du sperme, mais pas la preuve de sa puissance...

Je suis pour moitié à l'origine de la naissance de deux filles (Clémence, Zoé, je vous embrasse), et ça me donne l'impression d'être totalement dégagé dans cet acte de donner du sperme.

Déjà père, je n 'ai rien à affirmer.

Pas de sentiment de pouvoir posséder d'autres femmes, mêmes inconnues.

Pas d'envie de connaître ou reconnaître des rejetons possibles.

Non, décidément, il ne reste que cette sensation d'avoir à dépenser de l'énergie pour rien. Rien ne reste de cette curiosité spontanée qui m'avait poussé.

Le don du Cecos : bof ! Un acte totalement gratuit.

Philippe Coussonneau.

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Revue TYPES - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981

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