Revue TYPES 1 - Paroles d’hommes

Pérennité

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Revue TYPES 1- Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981 

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PÉRENNITÉ

Tu m'as fait le coup du pélican qui se sacrifie pour sa progéniture. Mon œil ! ton altruisme, cher papa, je n'en veux pas. Ta mort, tu iras la transcender ailleurs que dans mon corps. Je veux vivre à mon compte : j'ai envie de m'aimer.

Mais peux-tu m'entendre ? Je crois que non. De toute façon, ton héritage, je vais le trimballer toute ma vie ; mieux : je le refilerai en partie à " mon gars ", ton " petit-fils ". Difficile d'y échapper ! Mais je voudrais appeler les choses par leurs noms, savoir où tu m'as mis les pieds. Il y va de mon identité. Tu sais ce mot accolé à la carte qui me singularise, me nomme entre des millions, ça désigne en fait ce qui est identique, ça se dit " d'objets ou d'êtres parfaitement semblables, tout en restant distincts " : toi et moi.

Ce qui va suivre est ordinaire, tu le sais très bien d'ailleurs, mais moi j'ai toujours eu tendance à croire que j'étais exceptionnel. Je suis déçu. Tant pis pour moi !

Je suis le premier du lot, celui qu'on a désiré, le remplaçant, le dauphin : le fils aîné, frère de quatre enfants. Tu t'es donc reproduit à cinq exemplaires ; soit deux petits pères et trois petites mères. Cinq copies conformes (ou presque) qui, une fois achevées, vont te permettre de t'effacer, d'accepter la mort avec la fierté du devoir accompli, la présence de deux petits-enfants attestant de la transmission du relais. Tu ne t'es pas sacrifié pour tes enfants, tu les as phagocytés, lentement, leur ôtant toute altérité.

Mais de quoi as/avais-tu peur ? De toi ? De l'autre ? Les deux ensemble, à coup sûr. Comme moi ! Tu ne pouvais donc pas vivre seul. C'est mortel la solitude !

Première chose à faire : neutraliser la femme, la réduire à l'état de mère. Indispensable pour tes projets une bonne reproductrice. Pas seulement pour des raisons biologiques mais sans doute parce que la Femme gît au fond de ta/ma/leur peur. Et l'enfant paraît ! Qu'il soit ou non ton portrait tout craché (d'où vient cette expression ?), il va falloir procéder à la longue et nécessaire métamorphose de cet inconnu (il sort de la femme, fût-elle tienne). En faire un futur père, une future mère, pour qu'il partage ta peur, pour qu'il t'en débarrasse.

Comment t'y es-tu pris ? Par la distance,

— qu'instaure ton regard juge et sanction,

— par laquelle tu te dérobes sans cesse devant la demande de reconnaissance de l'enfant,

— qui t'évite de donner : tu promets (projettes, procrées, produis, etc.), mais ton amour n'est jamais acquis, toujours à reconquérir,

— qui appelle la tension de l'autre vers toi, l'inaccessible, vers le futur (tu seras un homme mon fils),

— dans laquelle enfin, naît son désir de prendre ta place dans l'espoir idiot de satisfaire son attente, d'obtenir la reconnaissance promise.

Piégé, il se tournera vers l'autre, le nouvel enfant, la femme pour être à son tour promu père, mari, mâle.

Ton pouvoir paternel n'est pas affaire de domination de l'un sur l'autre mais de reproduction de l'un par l'autre. Affaire de miroir. Investir l'enfant dans sa totalité, l'habiter si intimement qu'il se prenne à te penser, à te vivre. Pas se vivre. Te vivre à la première personne. Preuve vivante de la réussite de ta vie de ta pèr(e)pétuation.

Le pouvoir ne serait-il que 1a quête de l'amour du père ? Dans ce cas c'est une histoire sans fin. A moins que les femmes ne brisent la sacro-sainte Maternité, que leur relation à l'enfant ne bascule loin de la sphère paternelle, loin dans le présent tant redouté par les malades de l'éternité.

A présent, j'ai envie de parler de ma paternité...

Claude Barillon

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Revue TYPES - Paroles d’hommes - N°1 Janvier 1981

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