Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs diffus - Plaisirs ensablés

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs diffus - Plaisirs ensablés

Difficulté à parler du plaisir quand on doit commencer à le situer. Il y aurait comme du désir au premier mot et de la jouissance tout au bout de la phrase et puis de frôlement en virgule cette vaste étendue de plaisir.

Recherche d'un parcours à fleur de peau de mon plaisir.

Vacances

Espace où les corps sont un peu plus libres, dérobés au territoire social.

Écriture qui ondule d'enfance en adolescence et puis encore plus loin... recommencée. Et puis souvent, ces premières fois, et cette obsession à les combler, à les dépasser. Vertige d'une pensée masculine qui s'adapterait mal au vide, qui prendrait peur devant le gouffre, qui ne tolérerait pas la béance.

Remplir, emplir son désir pour être dans le plaisir.

Remplir, emplir son plaisir pour être dans la jouissance.

Et cette page blanche, qui s'étale à perte de vue, démesurée, qui me fascine et me hante...

" Page blanche, plage blanche "

Sur laquelle j'avance à pas comptés. Plage solitude, plage rencontre, espace à remplir de larmes ou de rires. Un vent sale parcourt ma peau et de caresse en caresse mon sang apprend la vie.

Flux et reflux de ma mémoire...

" Petit homme sur la plage "

Je vais quêter le premier baiser de cette douce Mamie qui m'enveloppera dans son grand drap de plage. Nudité naissante qui s'habille en fantôme. Nous nous aimerons à l'abri de nos sexes.

" Pas tout-à-fait un grand "

Vacances dans le midi. Maillot léopard. Je me jette violemment à la mer. Crawl endiablé : pieds hélices, bras papillons ; pourvu qu'elle(s) me remarque(nt). Essoufflé, je sors de l'eau, mes muscles se tendent sur ma serviette et le nez sur le sable j'ai pour seul horizon ses cheveux blonds. Nos regards, par moments, franchissent les dunes. Mais seuls quelques rêves audacieux consacreront nos retrouvailles dans les oasis.

" Remontée dans mon adolescence "

Premières heures dérobées à la nuit parfumée de la plage. Mon cœur cogne au bruit des vagues. Nos mains ondulent un peu. Elle a des étoiles jusqu'au fond des yeux et j'ai des poèmes pleins la mémoire. Je ne sais plus très bien si " oser embrasser " rime avec " lèvres salées ".

Étourdis de tendresse, la permission de minuit viendra mettre fin à nos voyages. Mais demain !

" Et les Beatles chantaient " !

Ce repas du soir est interminable. Je me précipite à la salle de bains. Pantalons blancs, chemise oxford bleu par-dessus un bronzage entretenu à coup de volley-ball. Mes cheveux sont blondis de soleil et raccourcis d'autorité paternelle. Ce soir, j'aimerais bien revoir Jane, Geneviève, et poursuivre nos conversations où plage vide et jambes à jambes nous tenions des propos sérieux sur Brel et Brassens...

" Rock so longs ! "

Dancing en plein air. Arrivée à pied par la plage. Je m'assois au milieu des rires crépitants. Jane est bien loin de moi et sa robe est si bleue... Je danse trop mal le rock et mon désir me cloue au fond de cette chaise blanche et bancale. Je prends des airs nostalgiques devant une menthe à l'eau...

" Et j'entends siffler le train "

Heure du slow. Rivalités obscures. Je me sens moche et Jane est si belle. Je me sens bête et Jane est si... Le temps de la réflexion, Bernard l'a déjà invitée.

Mon regard se dérobe, je plonge à perdre haleine dans le romantisme et je rame de rage et de désespoir...

Je berce doucement ma souffrance dans le mistral. Je trouverai bien un morceau de lune où m'abriter pour pleurer.

" Solitude séductrice "

J'empile ma solitude dans les romans de Camus. Je l'affiche avec Sartre. Rimbaud viendra à bout des muscles dorés de Bernard (première estimation forcée de ces espaces de pouvoir). Jane glissera quelques jours plus tard quelques vagues de ses cheveux blonds sur ma nuque " intello "...

" Tourner la plage ! "

Il y avait des yeux pleins le sable et des oreilles au sommet des grands pins. Nos baisers prenaient de la durée, devenaient performants. provocateurs. Je passais mon temps à plat ventre pour cacher ce sexe grandissant. Il fallait mettre nos corps à l'abri !

" Entente "

Nous fuyons la plage. 16 h. Après avoir dépassé les marchands de glace au citron, arrivée au terrain de camping. La chaleur nous permet de franchir incognitos, dans un nuage de poussière, les premiers joueurs de pétanque. La canadienne transpirait d'inquiétude en ne nous voyant pas arriver. La fermeture éclair est vite refermée et nous voilà côte à côte dans une odeur effrénée de matelas pneumatiques. Nos baisers restent frais et nous nous plongeons dans un torrent de plaisir par 35° à l'ombre. Les cliquetis des couverts et les murmures des camping-gaz nous sépareront, étourdis de caresses, et nous renverront, un peu inquiets, affronter la table familiale.

" Ivres de liberté "

Nous nous étions rencontrés un soir de 15 août. Nos parents devaient rentrer plus tôt et nous avions la permission de rester encore un peu.

La villa était immense et résonnait de nos rires acidulés. Le vent s'engouffrait dans la maison et nos voix se répondaient en échos généreux. Nous ne nous couchions jamais avant d'avoir regardé le soleil déployer ses grands bras orangés et inonder de gaieté les draps blancs de notre lit. Nos caresses mesuraient le temps qui nous séparait de la rentrée ; nous nous mordillions encore un peu au grand jour après nous être dévorés la nuit. Notre peau frissonnait de tous les interdits, nos cœurs s'inquiétaient qu'il en reste si peu.

Nous parcourions notre nudité le souffle coupé. Nous installions notre sexualité dans la salle à manger et sur la terrasse encore toutes habitées de censure parentale. Si par instant nos corps nous échappaient, c'était pour aller se rafraîchir dans des vagues d'écume, se réchauffer sur un sable brûlant.

Entre famille et scolarité nous avions ancré notre jouissance dans ce premier espace de liberté.

" Un mois ou plus... "

Plage océan. Notre vie se perd dans l'horizon atlantique. Un mois entier pour essayer d'être vrais, pour se connaître, se prolonger peut-être ? Un mois au bout duquel nous pourrons éventuellement apposer d'autres mois. Mais nous en déciderions à notre retour sur Paris.

Pourvu qu'on ne fasse pas de faux pas ! Les yeux fixés sur la rentrée nous n'en pouvons plus de délicatesse : " J'épluche les tomates, tu fais cuire le riz. " " Tu as froid, je vais te frictionner. " " Ce soir on pourrait peut-être manger un plateau de fruits de mer sur le port ? " " Demain. nous irons absolument visiter la vieille chapelle ! "

Longues promenades sur la jetée où nous nous risquons à dériver sur notre avenir. Les têtes hors de la tente nous scrutons notre bonheur dans la nuit profonde. Nous blottissons notre amour dans des duvets qui ne font plus qu'un. Nous nous endormons, rassurés par le plaisir de nous retrouver le matin. Nous nous réveillons en mots douillets, déjà un peu étonnés de s'aimer encore autant, mais tellement heureux !

Ce matin nous irons au marché par le petit chemin ombragé...

" Contre-vent "

Appuyé à mon bureau, je me prends le front à deux mains. Mes histoires se superposent. Ma mémoire se balade de grain de sable en grain de sable. Bientôt 35 ans. Peur de la répétition, du déjà vu.

Mettre un peu plus de tempête dans sa tête. Danser sur la mer des tangos argentés. Fantasmer le plaisir. Cette feuille blanche qui ondule et me hante à nouveau. Je vais appuyer ma jouissance sur des points d'exclamation gigantesques. Des amoureux courent sur la plage. Points d'hésitation, ils nous ressemblent.

" Casser le rythme "

De cette mer sans cesse recommencée.

De cette vague qui naît, ondule et s'éclate.

De celle qui se meut lentement, délicatement, enveloppe toute une vie.

De celle qui hache, morcelle, coupe des espaces de vie.

De celle qui se heurte, se brise, crépite, le temps d'une nuit.

" Rompre l'ondulation "

Réinventer nos corps dans l'amour. Ondulations perpétuelles. Obsessions renouvelées. Plaisir vague. Vagues de plaisir.

Un mouvement doux et violent parcourt mes lignes, parcourt ma vie...

Alain Jouclard

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