Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs diffus - Je crisperai encore mes doigts 

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs diffus - Je crisperai encore mes doigts sur une plume ou un fusil

J'avais écrit trois mots sur le plaisir d'exister. Ils auraient pu voir le jour si, entre-temps, je n'avais pas eu l'occasion de feuilleter la collection de TOUT ! kaléidoscope de l'après-Mai qui, entre deux comptes-rendus de luttes ouvrières, ouvrit ses colonnes au MLF, au FHAR et au FLJ. Le texte qui suit n'a pas la prétention d'être le reflet condensé de ce que fut ce journal. Loin de là. Par contre, au-delà de ses propres limites, notamment son caractère incantatoire, il évoque toujours, dix ans plus tard et avec la même brutalité, le plaisir de la révolte.

Au risque de déplaire ou, pire, de paraître démodé, il remplace avantageusement mes trois mots.

Nous sommes de la frange des jeunes révoltés, nous avons de bonnes raisons d'être souvent désespérés et nous ne donnerons à personne de l'espoir à bon compte. Nous avons engagé notre coeur et notre âme, nos bassesses et nos défauts, tout ce qu'il y a de grand et de médiocre en nous, afin de savoir ce qui valait la peine qu'on vive ou qu'on meure pour. Le plus difficile n'est pas de savoir si l'on est prêt à mourir, c'est de savoir si l'on veut vivre, et si l'on est prêt à assumer la radicalité d'un tel choix.

Les nuages de la tristesse n'ont pas fini de crever dans nos âmes et la morosité de baigner nos jours, il reste que même si je n'avais qu'une femme à aimer un soir pour rêver, je chercherais à crisper mes doigts sur une plume ou sur un fusil. Nous ne ferons à personne des phantasmes de bonheur à bon marché ni croire que la vie s'accorde avec la simple perspective de changement politique.

Vous êtes responsables de ce que vous êtes et de ce qu'on vous fait.

En définitive il n'y a qu'à vous que vous puissiez vous en prendre d'être si malheureux.

Il est temps que vous arrêtiez de justifier votre soumission par celle des autres, votre lâcheté par le manque de courage des autres. Il n'y a pas d'autres traîtres que vous-mêmes, d'autres chefs que ceux que vous acceptez de subir, d'autres bureaucrates que ceux qui institutionnalisent votre passivité. La jeunesse est un sourire qui n'en finit pas de s'éteindre, alors même que les bouches sont édentées. Elle n'est qu'un mythe qui ne peut qu'être éternel ou n'être rien. Voilà un de ces mythes qu'aucune répression ne pourra tarir.

On crève d'avoir 15 ans parce qu'à force de vouloir vivre on oublie d'exister, on crève d'avoir 15 ans même quand on en a 40. Il suffit de se souvenir et de compter les années. Mais tout cela n'est que du vent, notre misère à tous est commune et les esclaves consultent le calendrier comme on attend la mort et soufflent les bougies d'anniversaire comme on s'assure qu'on peut encore souffler. Et, alors que tout sombre et peut être excusé, subsiste une vague idée du bonheur qui nous maintient farouches et en vie. Ceux qui veulent nier l'angoisse sont ceux qui manqueront la résurgence de la vie, le déferlement qui couve va surprendre les tranquilles, les sans-âme et aussi, pour une partie, les nouer car ceux là aussi nous oppriment, qui assurent que tout va aller bien pour s'assurer de notre passivité alors même que nous sentons que tout va si mal, qu'il ne dépend que de nous pour que tout aille bien. Il va y avoir, dans les temps à venir des bouleversements sans précédent dans l'histoire. Des masses énormes de gens vont s'insurger, balayer les frontières et incendier le globe terrestre.

Vous verrez des pays que vous n'avez jamais vus et ferez des choses que, ni vous, ni vos parents n'ont jamais faites. Vous verrez des régimes politiques se succéder et vos enfants insatisfaits continuer la lutte. Fatigués, vous voudrez vous asseoir, et vos fils, en éclatant de rire enlèveront la chaise, et vous l'aurez mérité, qu'ils ne soient pas bons, car vous ne l'étiez pas.

Vous allez jouir plus, et las d'avoir tant joui, vous vous apercevrez que la nuit est tombée et vous ne comprendrez pas. Vous irez au cimetière, où les tombes ne sont plus fleuries, vous recueillir un peu et vous souvenir.

Vous allez apprendre à tirer sans avoir jamais appris, vous allez apprendre à mourir pour ne pas survivre.

Et puis, cessez de croire que vous êtes unique, car vous ne l'êtes pas. L'émeute est le seul feu de joie où vos membres engourdis pourront se réchauffer.

VIVE LE FRONT DE LIBÉRATION DES JEUNES !

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Revue TYPES  2/3- Paroles d’hommes - 1981

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