Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs diffus - Fragment de vie, fragments de plaisir

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs diffus - Fragment de vie, fragments de plaisir

Le plaisir ? Quel sens je donne au plaisir dans ma vie ? Sont-ce toujours ces beaux jardins d'Épicure ?

A se poser brutalement la question du plaisir, c'est dangereusement violer le signifiant chien qui mord comme ce n'est pas le signifiant plaisir qui fait jouir, si tenter de dire que le plaisir procure nécessairement de la jouissance.

Conception mécaniste et désabusée du monde en cause à effet.

La peine peut procurer un certain plaisir. " Nous autres, êtres finis avec un esprit infini, nous ne sommes nés que pour la peine et pour la joie, et on pourrait presque dire que les plus distingués, obtiennent par la peine, la joie. " (Ludwig Van Beethoven) Lui s'en est tiré grâce à son œuvre qui était le sens de sa vie. Et sa vie le sens de son oeuvre.

D'autres s'inscrivent dans leur vie en écrivant pour du plaisir. Le plaisir d'écrire, c'est ainsi qu'un je se déclare Tribunal des flux et reflux, des tourbillons monotones de ce qui l'entoure. C'est par ce chemin que " j'essaye " " d'écrire " convaincu que combler " l'ignorance, c'est remettre l'écriture à demain, ou plutôt la rendre impossible " (Gilles Deleuze " Différence et Répétition ".)

Lorsque l'on veut écrire, de multiples broussailles d'épines se dressent, se débattent contre vous, en vous. Écrire cela ressemble à l'atmosphère de Noël, à ces journées envenimées de fin d'année, de luttes contre le temps. Mettre le feu à une page blanche me renvoie continuellement à moi-même, à ma vie, à ce plaisir qui transparaît dans ma vie. C'est une cure qui se transfère sans cesse. Avec ces moments intenses et pathétiques, où dans la torpeur des soirs : le fantasme, l'imaginaire, les fluides d'un rêve s'arrachent du réel pour jouir enfin enlacés, confondus à l'idéal d'un Je. En fait cet idéal où enfin tout se réalise, balaye du souffle de l'image les trivialités incongrues de la vie, et écrire c'est un peu la même chose ; c'est réinventer sa vie.

Pendant que j'écris ces lignes du miel fond dans ma bouche et voici une autre ligne, un fragment, une coulée de plaisir...

Suffit-il de penser pour ressentir, pour s'apercevoir du Plaisir ?

J'aime la vie, mais je ne peux dire pour autant que j'aime ma vie. Éternel insatisfait, négativiste au possible, falsification fictive du présent pour se projeter dans un avenir où là au moins ce sera mieux. Ce n'est jamais mieux mais c'est au moins pas plus mal, sauf que le temps nourrit la vieillesse. Je ne supporterai pas voir mon corps se flétrir. De la séduction. Moteur du désir, du plaisir. C'est par le regard que l'on séduit. L'autre devient par l'aube de sa connivence maintenant possible. Nos névroses et psychoses conjuguées c'est l'aventure de la profondeur. Nous sommes pris au piège des réseaux d'autrui, dans la dérive de ses désirs. De tes lettres profondes surgissent des fleurs qui n'éclosent qu'en moi (tu n'es pas Génica Althanassion et moi Antonin Artaud).

Ces bruits que fourmillent mon corps lorsqu'enfin de ce qui était hier encore impossible tu viens maintenant mourir dans mes bras. Je suis fondu, heureux, enchaîné dans cette musique qui me berce, les flots de ta voix m'étranglent. J'écoute. Enfin la rupture amère, au service de laquelle un monde nouveau subira mon regard, mes intonations, d'autres intuitions. Le quotidien, la réalité se dévorent par des lois, des principes qui n'ont jamais été au service de l'Homme. Cet homme que je suis, se débattant, s'essoufflant à rompre des mailles invisibles, des toiles que lui ont tissées ces autres hommes, qu'il aime ou qu'il hait, qui le frustre ou lui procure du plaisir, du sens. S'il suffisait de changer la réalité pour changer les Hommes !

Je t'attendais près de la gare en écrivant ce texte. L'heure de notre rendez-vous est maintenant largement dépassée, dois je rester ou partir ? Quelle jouissance m'influe de ton absence pour rester ? Je ne peux rien te dire de ma souffrance, ni même jouer : piéger ton silence par un signe. Si tu décodes ce signe c'est la preuve de ton amour. Je réduis ces instants en un double jeu, celui de te plaire et celui plus pervers encore d'attendre. Attendre c'est par définition angoisser. Dans cette gare je guette à plaisir chaque silhouette qui semble-t-il est la tienne. Cigarettes, cigarettes. Plus j'attends, davantage je serai agressif et désagréable. Je ne veux déjà plus te plaire. Je décide que si tu ne viens pas je ne te reverrai plus. Je t'imagine en pleurs, mais tu arrives, ravie, heureuse, pleine de bonheur dans les bras.

Le plaisir d'être deux, d'être seul, se retrouver à plusieurs près d'un feu pour des veillées interminables. L'important du plaisir est de pouvoir choisir. Choisir d'être seul, à deux, à plusieurs. L'ennui dans le (contre) plaisir est de se retrouver à plusieurs lorsque l'on veut être seul ou égoïstement à deux.

Plus tard.

D'elle aucun signe. Je n'attendrai jamais plus pour elle. La jouissance, l'envie se sont assombris. Elle trahit de ses actes ce qu'elle attribue au sens de ses paroles. Je veux rompre. Elle devient figure. Je la quitte ! Je ne connais rien d'elle. Mur de silence. Aucun autre signe. Son plaisir. Inventer des complications en guettant une de mes réactions qui justifierait son état de vide, de béance. Du vide ? Elle est là, assise, sans rien dire, vous lui posez quelques questions auxquelles elle ne répond pas ou par un vague signe indéchiffrable. " Je ne sais pas. " " J'ai pas envie. " Voici l'euphorie de nos rencontres. N'existe même plus le plaisir d'attendre, de vouloir pour du rien, en effet il n'y a rien, mais c'est un rien qui est devenu péniblement bête. Seul son corps me procure du plaisir, dur, souple, svelte, câlin, puis monotone, se réveillant enfin pour des caresses larges et somptueuses, des cous qui réapparaissent puis disparaissent, des griffes, mordillements subtils. Des absences-présences, des parcours, des chemins identiques mais jamais les mêmes. Des cruautés, des désespoirs, le Bonheur en fait de faire parler deux corps qui s'appartiennent et s'aiment à merveille pour deux êtres qui ne sont pas les mêmes et se détestent sans oser se l'avouer.

Finis les rendez-vous manqués, il n'y aura plus l'espoir infiniment subtil d'attendre pour enfin se retrouver.

Elle ne ressent rien de ces complicités d'amour, d'appel, de fuite, elle joue sans savoir qu'elle joue ; elle tourne, tourne et moi je ne veux plus me faire attraper.

Pour rien.

Jean-Jacques Bosch

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