Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs diffus - La 15ème fois

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs diffus - La 15ème fois

M'enfin, ils font chier à Types à vouloir absolument que j'écrive sur le plaisir. Ça ne m'amuse pas d'écrire. Ça m'ennuie. Je préfère rêvasser. Ou alors parler, énoncer des idées, comme ça en l'air. Mais le coucher sur le papier, faire l'effort de triturer les mots, ranger les idées, j'essaie, puis très vite j'abandonne...

C'est la 15ème fois que je commence un texte, que je voudrais drôle, brillant, enlevé, original. Quelque chose qui, une fois fini, me satisfasse. Mais voilà, très vite ma plume s'arrête. Non, il faut que je m'y remette. Je me lève énervé ; je vais à la cuisine boire un coup. Pendant quelques instants, je vais me détendre. En buvant, pendant une fraction de seconde, je vais sentir au fond de ma gorge le passage d'un liquide frais. Sensation fugitive, douce et agréable entre le fond de la langue et le début de l'œsophage. Dans " Deep Throat ", c'est là qu'était situé le clitoris de l'héroïne. A sa place j'aurais pris des centaines de kilos à boire de la bière, du jus de pomme ou des yaourts aux fruits.

Il faut que j'y retourne. Je sais ce qui m'attend. Une soudaine torpeur va me tomber dessus et m'abattre. Il n'y aura pas le choix. Dormir. M'enrouler tout habillé dans les couvertures, recroquevillé comme un grand fœtus de 35 ans et sombrer dans une douce somnolence, rêver à demi éveillé.

Je m'inventerai des histoires. Que j'ai fini l'article de Types. Que je rencontrerai une belle nana. Qu'elle aurait des beaux nichons, des belles fesses ou de belles lèvres. Que j'aurai de l'argent, que je m'achèterai n'importe quoi et peut-être même n'importe qui. Et puis je m'endormirai. Sommeil de délivrance. Fini les problèmes, l'article de Types, le boulot, l'argent, les autres.

Deux heures plus tard, je m'éveillerai de fort mauvaise humeur. Je suis déprimé, tout m'irrite. Je ne suis pas à prendre avec des pincettes. Mauvaise humeur qui va chercher sa raison au profond de moi-même. Fâché contre moi, je le reporte sur mon entourage. Fâché d'avoir cédé à un plaisir immédiat, pour repousser une difficulté qu'il faudra bien finalement affronter. A moins que plus astucieusement à force de repousser, je finisse par éliminer ce projet. " Écoute, l'article pour Types, je l'ai pas fait, je n'y arrive pas. Je ne ferai rien. "

Je ne ferai rien et je ne fais pas grand-chose.

Pourtant je connais aussi le plaisir du travail accompli. Regarder son œuvre, se sentir fatigué et heureux. " J'ai souffert mais j'y suis arrivé. " Cette fierté du travail accompli, c'est le plaisir de se sentir exister. C'est une autre dimension, dans laquelle certains se perdent. A vouloir trop exister ils n'existent plus, ces encravatés essoufflés que guettent l'infarctus et la dépression nerveuse. Quel plaisir ontils à courir ? Ils ne sentent plus la vie qui les entoure. " Schizofrénie " productive ! Tous les dangers nous guettent. Bien que moi, velléitaire chronique, je pense être à l'abri de ce genre d'accident.

Fragment d'un discours... interrompu par une lourdeur sur les paupières.

Pierre-André Lestocart

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