Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs diffus - Georgette

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs diffus - Georgette

C'est en écoutant une chanson de Neil Young que, ça m'est revenu. Une très belle chanson : " Peace of mind "... et mon esprit s'est vidé d'un souvenir enfoui...

Assis sur mon lit, je me balançais au rythme de la musique. Et puis soudain mon corps prit conscience (peut-on dire ça ?) que c'était un rythme de balançoire. Au loin, à l'autre bout de ma mémoire, je me suis retrouvé avec " elle " sur la balançoire...

Georgette avait passé sur ses épaules un gilet de laine. C'est qu'en août, les nuits sont fraîches. Plus qu'on l'imaginerait, alors que tout le jour s'est déployé dans l'atmosphère moite du plein été.

" Il faut bien te couvrir, tu sais, sinon tu prendras froid sur les balançoires !! " me répétait ma tante. Mais ça me paraissait absurde, en plein mois d'août. J'emportai donc un pull-over, sur mes épaules, " comme Georgette ". Mais ma tante insista pour que je le mette tout de suite, devant elle.

Je n'ai plus un souvenir précis de la couleur du gilet de Georgette. Sans réfléchir, comme ça, je dirais : vert. Mais peut-être était-il rouge... Les souvenirs doivent être un peu daltoniens à vrai dire... En tout cas c'était un gilet fin, léger et certes moins encombrant que ce gros pull où j'étais engoncé et qui me faisait enrager !...

C'était donc le dimanche de la fête du village.

La fête commençait le vendredi soir, sitôt installés les manèges, les différents stands... et se prolongeait presque sans interruption jusqu'au dimanche soir. Georgette était serveuse au café de ma tante. La salle ne désemplissait pas pendant deux jours. On sortait même des tables et des chaises supplémentaires dehors. Mais le dimanche soir il y avait un peu moins de monde car la plupart des jeunes se rendaient au bal dans une petite ville, à quelques kilomètres du village. Georgette pouvait alors se reposer un peu et je lui étais confié par ma tante pour m'emmener avec elle à la fête. Nous allions aux balançoires ensemble, nous tenant par la main, comme un frère et sa grande sœur.

Mais tout ce monde basculait soudain. et un autre s'ouvrait à moi lorsque je me trouvais seul avec Georgette sur les balançoires.

C'était des balançoires métalliques en forme de bateau. avec deux sièges qui se faisaient face. Entre les sièges. il y avait juste assez de place pour nos jambes.

Pour lancer la balançoire, nous nous mettions debout tous les deux. Mais Georgette était plus forte que moi : c'est elle qui devait fournir l'effort pour mobiliser la balançoire, pour l'arracher à son inertie. Le plus dur c'est le début. Après ça va presque tout seul, la balançoire semble de plus en plus légère.

Parfois cependant le garçon des balançoires nous aidait pour partir, en nous poussant ; ce qui lui permettait de mettre en valeur ses épaules musclées sous son débardeur. Georgette souriait aimablement, se donnant un air flatté. Mais au fond je crois que ça la vexait un peu : de ne pas être avec un garçon de son âge, qui aurait entraîné la balançoire pour elle.

Cependant elle me montrait comment être efficace. Comment coordonner mes poussées avec les siennes. En montant, arc-bouter les hanches en avant pour amplifier le balancement ; en descendant, plier les genoux pour entretenir le mouvement. Je crois que, déjà alors, je n'étais pas très ardent dans l'effort physique, et elle s'employait à m'encourager : " ... après tu verras, Ça ira tout seul. "

Effectivement une fois lancée, la balançoire perdant de son poids. me donnait l'impression d'être transportée ailleurs dans un autre monde...

Le vent très frais. très vif du balancement dans la nuit nous balayait le visage. Je grelottais un peu par moments. Mais était-ce seulement à cause du froid ?... Et nous nous balancions de plus en plus fort. Et la balançoire s'élevait dans le ciel. Et s'élevait de plus en plus haut dans la nuit. Très haut d'un côté, puis très haut de l'autre. Je voyais basculer les poteaux télégraphiques, osciller les ampoules multicolores suspendues en l'air. Mais plus montait la balançoire, plus tout devenait silencieux autour de nous. La musique d'ambiance crachée par les haut-parleurs de mauvaise qualité semblait lointaine. Vacillante. Au-dessus de la foule, nous disparaissions des regards d'autrui. Et lorsque nous étions parvenus très haut, plus haut que le toit des maisons, je me mettais à rire très fort, j'étais secoué par un rire qui faisait trembler tout mon corps. Et elle aussi riait. Sa bouche découvrait ses dents, ses dents sa langue. Arrivée tout en haut, la balançoire semblait s'immobiliser un court instant et je ne pouvais m'empêcher de regarder alors intensément Georgette. Je crois que ses yeux brillaient aussi. J'étais heureux. Ses cheveux défaits battaient son visage comme battait mon cœur. Battait mon cœur d'enfant excessivement ému, remué au plus profond de lui par le vent vif de la balançoire allant-venant, le vent vif du corps de Georgette qui, allant-venant dans une souplesse apparue sous sa robe de soie, semblait se confondre avec la nuit qui enrobait tout mon corps d'enfant tremblant.

Alors, brusquement, je me sentis tout étourdi, j'avais la tête qui tournait trop, je demandais à Georgette (mais j'étais obligé de crier à cause de la musique qui revenait en force dans mes oreilles) d'ARRÊTER... Je souriais encore, mais il me semblait que j'étais devenu pâle, que le sang avait quitté ma tête. Je regrettais sincèrement : elle semblait vouloir continuer. Oui, elle. Elle désirait, bien sûr, que nous nous arrêtions qu'à la fin, quand il faudrait céder la place à d'autres. Le premier, je m'asseyais. J'avais vraiment " mal au cœur ". Pas elle. Mais elle s'est finalement assise aussi Nous avons laissé la balançoire se freiner d'elle-même. Je m'en voulais.

Lorsque la balançoire descendait du côté de Georgette, sa robe se soulevait sur ses cuisses. Elle dut s'en apercevoir, et elle appliqua une main sur sa robe. Le faisait-elle parce qu'elle savait que j'avais envie de regarder ses cuisses se découvrir, ou songeait-elle seulement aux regards des garçons en bas ?

Nous étions en nage en descendant de la balançoire.

Quand nous rentrâmes, ma tante, me voyant dans cet état, pâle et trempé, ne manqua pas de pousser des cris en levant les bras au ciel, m'enleva en trois temps quatre mouvements pull-over, chemise et tricot de corps, m'essuya avec une serviette éponge et me plongea dans son grand lit après m'avoir passé un pyjama en quatrième vitesse.

Plus tard, un ou deux ans plus tard peut-être. Georgette fut autorisée par ma tante (qui se comportait avec elle comme une vraie tutrice morale) à aller au bal... qui. me disais-je, devait grouiller de garçons prétentieux comme celui des balançoires... De fait, depuis que Georgette est allée au bal, le dimanche soir de la fête, elle ne m'a plus emmené aux balançoires. Ce devait être inconciliable !...

Et c'est peut-être depuis cette époque que je n'aime plus tant que ça les fêtes de village, en tout cas que j'y éprouve toujours un certain malaise, une impression que les filles y sont toujours avec les autres. Et je m'y sens d'autant plus seul de voir tous ces gens s'amuser, tous ces couples se former et s'égarer à l'écart de la fête.

Du temps des balançoires, Georgette devait avoir 17 ans et moi 12 ou 13.

Bernard Golfier

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