Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs et sexualité  - Sourds mais pas muets

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs et sexualité - Sourds mais pas muets

Entretien entre Bernard, Georges, Gilbert

Gilbert: Pour toi, Bernard, la masturbation est un substitut ?

Bernard: C'est un substitut, oui.

Gi.: Y'aurait mieux, en gros...

Be.: Ah oui !

Gi.: A chaque masturbation Y'aurait mieux ?

Be.: Y'a mieux : c'est la rencontre avec quelqu'un qui débouche sur le plaisir.

Georges: Mais tu sais, moi, j'avais lu dans un bouquin de vulgarisation, de sexologie des années 50, que la masturbation c'était normal, mais que c'était beaucoup moins plaisant que faire l'amour avec quelqu'un. Et pour moi, la masturbation a été la découverte du plaisir et de l'orgasme, une découverte absolument fantastique, parce que je ne pouvais pas imaginer qu'un plaisir aussi fort puisse exister. La première fois... le premier orgasme que j'ai eu, ça m'a complètement bouleversé parce que c'était une dimension qui se révélait soudain à moi et qui bouleversait complètement mes idées sur la vie.

Plus facile mais bien moins bon

Et j'ai lu dans ce livre que faire l'amour avec quelqu'un c'était infiniment plus plaisant que la masturbation. Alors, je me suis mis à rechercher comme un fou, à faire l'amour avec quelqu'un, à rencontrer quelqu'un d'autre. Mais cela a duré longtemps, cette période où je me suis masturbé de façon substitutive, en imaginant ce que pouvait être faire l'amour avec une femme. Et puis le jour où cela m'est arrivé, j'étais vierge, elle aussi, et cela n'a pas été facile, pas plaisant. Au niveau du simple plaisir orgasmique c'était... infiniment moins plaisant que le plaisir que je pouvais avoir en me masturbant. Et j'ai été complètement déçu. Content quand même, parce qu'il y avait tout ce truc d'initiation qui fait que quand tu baises avec une femme, tu deviens vraiment un homme, tu quittes ton statut d'enfant. Mais sur le plan du plaisir, la première fois que je fais l'amour avec une fille, c'est pas plaisant du tout. C'est une lutte, il faut se battre, je sais pas comment faire et puis, du plaisir elle n'en a pas et moi non plus.

Be.: Hm hm. C'est vrai que quand on parle du plaisir, c'est toujours représenté comme quelque chose qui est donné. Qu'il suffirait d'un... de baiser pour qu'on atteigne le summum du plaisir, l'orgasme et tout... Alors que moi la première fois, ça s'est passé un peu comme pour toi. C'est-à-dire que c'était fait, mais à côté de tout... de tout le plat qu'on en faisait, c'était vraiment loin, quoi. Et la masturbation c'est sûr qu'au début ça provoque un plaisir qui vient peut-être plus facilement. Moi, la masturbation je la vis comme un plaisir un petit peu mécanique et qui est facile à provoquer. Maintenant je sais très bien qu'est-ce qui peut m'amener à l'explosion quand je me masturbe. Mais ça me semble un peu limitée, aussi, cette manière de canaliser son plaisir par rapport à d'autres trucs que je vis.

Gi.: Et moi j'ai vécu ça un peu comme Georges. Avec en plus le fait que les premiers rapports sexuels que j'ai eus, ont été super tendus, parce que j'avais dans la tête des rôles et que je ne savais pas exactement comment les tenir, ces rôles. Je me demandais : " Est-ce que ça doit se passer comme ça ? " C'est beaucoup moins tendu dans le cas d'une masturbation où le plaisir, je peux le prendre un peu comme je veux, où il n'y a pas de problème de rôle qui se pose, où il n'y a pas de relation à un autre que soi. De ce côté-là c'est beaucoup plus détendu. Longtemps, la masturbation a été un substitut à une forme de sexualité que je désirais mais que je n'avais pas avant mes premiers rapports avec des femmes. Alors dans ma tête c'était moins bon puisque les rapports avec des femmes c'était ce qu'il pouvait y avoir de mieux. Ensuite, il y a eu une phase culpabilisée, d'autant que l'environnement familial ne m'aidait pas : c'était dissimulé caché. Les premières années de mon adolescence c'était un peu dur parce que je partageais une chambre avec mon frère et ma sœur. C'était d'autant plus dur à dissimuler et à cacher. Ensuite ça a été un peu plus facile vu que j'avais ma chambre mais c'était toujours solitaire et la solitude n'était pas évidente à obtenir. Mais ensuite ça a été plus détendu. Il m'arrive maintenant de préférer un plaisir masturbatoire à un plaisir avec quelqu'un d'autre. Parce que c'est un plaisir que je recherche pour moi et donc je ne vois pas pourquoi j'y inviterais quelqu'un d'autre. Il m'arrive de préférer et de loin un rapport masturbatoire à un rapport amoureux qui pourrait être mauvais.

Be.: Quand tu dis ça je me demande si la manière dont on pose la masturbation n'est pas très limitative. Parce que quand on parle de mauvais rapport amoureux j'ai l'impression qu'il y a une forme de masturbation qui peut se produire pendant un rapport pas amoureux mais sexuel avec quelqu'un. Je veux dire par exemple que la prostitution pour moi c'est quelque chose qui est vachement proche de la masturbation...

Gi.: Justement !

Ge.: Ben oui justement. Il vaut encore mieux se masturber seul que de se masturber sur quelqu'un ou avec quelqu'une.

Be.: Dans le cadre d'une masturbation ça me semble évident que pour se masturber il peut y avoir une main ou il peut y avoir un vagin ou un anus. Il y a toute une série de choses qui écartent la culpabilité en cas de masturbation dans un vagin...

Be.: Moi un truc qui me gêne c'est que ma main soit sèche, froide et qu'il y a certains rapports sexuels où le contact que le sexe peut avoir n'est pas très doux très chaud. C'est quelque chose qui provoque une excitation mécanique.

Gi.: Mais tu ne t'es jamais masturbé dans ton bain ?

Ge.: Mais tu peux mouiller ta main !

Be.: Si ça m'est arrivé de me masturber dans mon bain mais ça n'enlève pas cette impression de rugosité.

Ge.: Et si c'est une femme qui te masturbe par exemple ?

Be.: Si c'est une femme qui me masturbe ça rentre dans quelque chose de plus complet de plus satisfaisant.

Gi.: Tu tiens absolument à ce que le rapport à deux soit obligatoirement Le Rapport Satisfaisant .

Be.: Mais c'est comme ça que je le vis moi.

Gi.: Moi j'ai déjà eu des rapports à deux très décevants après lesquels je me disais : " Bon sang il aurait mieux valu ne rien faire. " Des rapports à deux que je regrettais terriblement, ce qui ne m'est jamais arrivé dans le cadre d'une masturbation.

Be.: Hm hm.

Gi.: Il ne m'est jamais arrivé de le regretter sinon quelquefois en me disant : " Merde j'ai manqué un rendez-vous ! ".

La première fois

Be.: Comment c'est venu chez vous la masturbation ? Qu'est-ce qui a été au point de départ ?

Ge.: Pour moi ce sont des copains qui étaient plus âgés que moi. Je devais avoir 11 ans et ils m'ont dit : " Voilà comment il faut faire tu verras c'est vraiment bien. " Et alors j'ai essayé. Mais il avait un problème de différence avec eux parce que j'avais eu une opération à 10 ans : on m'avait enlevé le prépuce parce que ça ne passait pas. Ça s'appelle un phimosis. Eux, il leur suffisait de tirer sur la peau pour se masturber. C était une stimulation suffisante. Pour moi, c'était pas possible vu que j'avais le gland à l'air. Il était donc nécessaire de trouver une autre technique.

Gi.: Un lubrifiant.

Ge.: Oui un lubrifiant. Et ce lubrifiant, je l'ai trouvé comme ça, en prenant de l'ambre solaire de ma sœur. J'ai mis deux jours à essayer des techniques variées pour trouver ce qui marchait. Ça a été très long, la première fois, pour avoir un orgasme. Après vu que je trouvais ça vraiment fantastique le mécanisme s'est mis en place je me branlais, systématiquement, matin et soir, tous les jours. Ça a duré pendant des années. Je vivais dans un environnement où il y avait une grande culpabilité où il fallait se confesser. On se confessait toutes les semaines d'avoir eu de mauvaises pensées ou de mauvais actes. Les curés savaient très bien ce que ça voulait dire. Ils disaient : " C'est pas grave " et donnaient l'absolution. Il n'empêche qu'il fallait le dire et que moi je me cachais. C'est une chose que je cachais à mes parents. C'était un plaisir insensé par rapport aux autres plaisirs que je pouvais avoir étant enfant mais qu'il fallait cacher, dont il fallait se sentir coupable. C'est vraiment abominable que le plaisir soit lié à un interdit, à la dissimulation, au péché, à ces trucs-là. Ça a bousillé des millions de mecs.

Be.: Pour moi, c'était pas interdit. C'était le silence quoi ! Ça aurait été inconvenant. Je le ressentais comme si ça avait été inconvenant de faire voir ça. Tant que ça se voyait pas, ça pouvait bien se faire sans culpabiliser. Pourtant j'étais catholique et j'ai l'impression qu'ils ont oublié ça dans ce qu'ils interdisaient.

Gi.: Moi, on m'en avait jamais parlé. Mais si je devais dire à partir de quand j'ai commencé à me masturber, j'en serais incapable. Je sais que pendant des années et des années, sur les bancs de l'école, j'avais toujours une main posée sur mon sexe... J'avais sûrement un rapport de plaisir avec cette main, qui était chaude et qui reposait sur mon sexe. Mais dire à partir de quand j'ai fait l'acte volontaire, j'en serais incapable. Je sais que je me masturbais à 14-15 ans. Et effectivement, les traces c'était quelque chose de terrible ! Le problème des traces se pose pour tous les enfants qui vivent dans leur famille. Et c'était pas évident de devoir calculer le moment où dissimuler le mouchoir sur lequel je me masturbais. C'était très difficile. Et souvent j'avais des trouilles que ça se voit !

Be.: Moi j'avais des copains plus âgés. La première fois, ça se passait dans un bassin désaffecté, vidé, On descendait, il y avait des troncs d'arbres. On était complètement coupé. Il faisait vachement soleil. Il y avait un côté à l'ombre, dans le bassin, un côté au soleil. Et là, dedans, j'ai appris à fumer... Et puis un copain est arrivé en disant : " Si on se touche comme ça et comme ça... vous savez il sort du jus. " Enfin " jus ", c'était peut-être pas le mot mais, il sort quelque chose et puis il a fait la démonstration : il s'est masturbé et il a éjaculé. Alors je me disais : " C'est vraiment bizarre ce truc ! (rire) tiens, alors ça j'aurais jamais pensé. " Il nous a dit : " Essayez, vous verrez, c'est vachement bien. "

Peut mieux faire

Mais il n y avait pas moyen de bander quoi ! Ça venait pas, y avait que dalle (rire). C'est venu petit à petit à partir du moment où j'ai fantasmé. J'ai compris que c'était relié à autre chose. J'ai bandé et j'ai commencé à me masturber et cela m'a lancé dans toute une activité fantasmatique et qui était très orientée par rapport aux idées que j'avais à cette époque. C'est-à-dire, que j ai commencé à me masturber, plusieurs fois me disant : " Il y a une puissance à acquérir de ce côté-là, il faut que je développe pour ne pas être un minus (rires) ça doit progresser ce machin-là. "

Ge.: C'est le côté sportif (rires).

Be.: Sportif ?

Ge.: Le rendement sportif.

Be.: Sportif ? Je sais qu'à une époque je me masturbais en fantasmant une scène, en m'allongeant sur le traversin. Quand j'arrivais à 6 ou 7 fois je commençais à me dire là c'est...

Ge.: Le rendement sportif.

Be.: ... C'est pas mal mais en pensant : " Je suis toujours très inférieur à ce que je devrais être " !

Ge.: Peut mieux faire !

Be.: Peut mieux faire.

Ge.: Il est doué mais peut mieux faire (rires).

Ge.: Et le plaisir là-dedans ?

Gi.: A la septième fois ?

Be.: Et bien le plaisir je crois que c'était un plaisir vachement de mec d'arriver à me prouver que je pouvais atteindre un objectif que je me fixais. Rien de comparable avec ce que je connais maintenant dans les rapports avec une femme.

Gi.: Quand tu te masturbes maintenant tu as plus de plaisir qu'à l'époque ?

Be.: C'est-à-dire que maintenant quand je me masturbe je fais tilt. Je fais tilt mais c'est très bref. Très vite je suis capable de dire : " alors maintenant faut pas déconner faut dormir parce que demain matin je me lève " ou " qu'est-ce que j'ai à faire aujourd'hui ? ". Le cerveau reprend vite le dessus.

Gi.: T'as pas un rapport très détendu avec ça.

Be.: Non. Tandis que quand j'ai un orgasme en faisant l'amour avec quelqu'un, je perds complètement les pédales, j'ai même pas les moyens de me dire : " reprends-toi ". Je réintègre pas ma peau tout de suite, je flotte dans un espèce de truc qui est très agréable, mais où la volonté est éliminée. Ça se joue sur d'autres règles.

Gi.: Moi il m'arrive de ressentir des choses de ce type. Mais la masturbation est obligatoirement un acte, quelque chose d'actif. Alors que dans un rapport avec quelqu'un d'autre, et avec une femme par exemple, tu peux ne pas être actif. Il m'est arrivé de désirer ne pas être actif du tout, ne pas penser aux gestes, me laisser aller complètement, ne pas bouger... Néanmoins en me masturbant je connais des plaisirs intenses comparables aux plaisirs que je peux avoir avec quelqu'un. C'est un plaisir plus ou moins fort, irrégulier. Ce n'est pas un plaisir automatique de la même intensité à chaque fois mais ce n'est jamais décevant.

Faire durer

Be.: Et vous pouvez vous arrêter de vous masturber avant d'avoir éjaculé vous ?

Ge.: Pas moi, quand je me masturbe, c'est pour éjaculer, je ne vois pas l'intérêt de m'arrêter. Quand j'étais adolescent je me masturbais en essayant de faire durer le plus longtemps. Parce que je m'étais aperçu que plus je faisais durer plus l'orgasme était fort. Je crois que ça m'a entraîné très vite dans les premières relations sexuelles que j'ai eues avec des filles, à essayer de faire durer le rapport sexuel.

Be.: C'est chouette de partir comme ça sur cette base-là.

Ge.: C'était une recherche de mon propre plaisir, et il se trouvait que ça tombait bien parce que les filles que je rencontrais aimaient mieux que ça dure plus longtemps. Mais au départ c'était un hasard. Parce que d'un autre côté, plusieurs années de masturbation, en attendant d'avoir des rapports sexuels et en fantasmant ceux-ci, ça ne m'a pas préparé à faire l'amour avec une femme, mais plutôt à me masturber avec elle. Je ne savais pas du tout comment faire et je pensais que le simple fait de la pénétration devait lui faire plaisir et qu'elle devait s'y retrouver.

Gi.: Moi je pensais même que l'orgasme était quelque chose de simultané. C'est-àdire que l'éjaculation du mec était ce qui provoquait l'orgasme de la femme. C'était ça le déclic. Dans les romans, la représentation qui est habituellement donnée du plaisir est que l'orgasme est simultané. Il y a un plaisir qui monte chez les deux partenaires et au moment où le mec éjacule la femme a aussi un orgasme.

Ge.: Au départ je ne savais pas que les femmes avaient des orgasmes comparables aux hommes. Je l'ai découvert le jour où je suis tombé sur une fille qui en avait avec moi alors que les filles avec qui j'étais allé n'en avaient pas eu. Personne ne me l'avait dit.

Be.: On s'est beaucoup polarisé dans les rapports sexuels hommes-femmes sur la pénétration alors que finalement la masturbation est un mot qui conviendrait mieux. Parce que la pénétration s'accompagne de toute une série de connotations de triomphe : " Ça y est j'y suis arrivé ! " Le plaisir du mec est orienté par ce mouvement de va-et-vient et souvent c'est comme ça qu'il pense qu'il va le trouver.

Ge.: C'est comme ça qu'il le trouve en général ! La main n'est pas un vagin, c'est vrai : tu es habitué à une stimulation que tu peux parfaitement doser, et quand tu te retrouves avec une femme, tu attends une stimulation du même ordre. Or, comme c'est toi qui est actif, parce que les rôles sont comme ça au départ, tu lui imposes, en faisant l'amour avec elle, une auto-sexualité qui ne tient pas compte du tout de son propre rythme. Ce qui fait que la plupart des femmes, au début de leurs relations sexuelles trouvent les hommes extrêmement violents, brutaux. Ils sont simplement habitués à se masturber depuis des années de cette façon-là; c'est aussi la façon la plus rapide de jouir, pour eux.

Gi.: La seule façon, oui ! Mais il me semble, Bernard, que tu as un rapport à la masturbation qui n'est pas très jouisseur.

Be.: Non, ça me mène à une jouissance mais qui est incomplète. je ne sais comment dire : intermédiaire. Quand je me masturbe, parfois au bout d'un moment, je me dis : " Ça fait combien de temps que ca dure cette histoire ? " Et je sais très bien sur quel fantasme, quels déclics, sur quels mouvements je peux jouer pour conclure. A ce moment-là, ça peut venir très vite. Mais, c'est pas très jouissif. Par exemple, une des périodes où la masturbation était vachement importante, c'est quand je vivais en couple et qu'on avait des rapports sexuels très espacés. Moi, je les désirais, elle ne les désirait pas. Il fallait bien que j'arrive à calmer la douleur que je ressentais au niveau du sexe.

Gi.: Une douleur ?

Be.: Une impression d'avoir une énergie dans le sexe qui était bloquée à l'intérieur. C'est comme si toute mon énergie était polarisée sur ce point-là. la masturbation permettait de soulager cette douleur et de dormir.

Gi.: Prophylaxie !

Ge.: La masturbation du prisonnier !

Gi.: Tu te dis jamais quand tu décides de te masturber : " Je vais passer un bon moment. " ?

Be.: Ça dépend de ce que tu appelles un bon moment.

Gi.: Un moment très agréable.

Be.: Non.

Ge.: Moi oui.

Gi.: Moi oui. Il m'arrive de me dire : j'ai envie de me masturber parce que j'ai envie de ce plaisir, et pas d'un autre.

Be.: Et pourtant tout à l'heure il me semblait que tu parlais aussi de solitude après.

Gi.: Ah ! Non, pas du tout ! Je disais que quand j'étais jeune, c'était pas facile de s'isoler. Ça entraînait un rapport coupable avec la masturbation ; Mais depuis que j'ai des rapports avec des femmes, je continue à me masturber. Je le vivais comme un substitut et ce n'est que quand j'ai eu des rapports avec des femmes que j'ai pu me décider de me masturber en jouisseur. Avant, j'avais toujours le sentiment, en gros, de vider un trop-plein dont il fallait que je me débarrasse. Je crois que c'est depuis ce rapport plus détendu que j'y trouve vraiment un plaisir sans contrepartie négative.

Fantasmes masturbatoires...

Ge.: Mais je ne sais pas si ça sous arrive aussi... Il m'arrive de me masturber parce que la journée n'a pas été plaisante du tout, et que je n'ai pas eu mon compte de plaisir. Arrivé chez moi, si je suis tout seul, j'ai envie de reprendre un contact plaisant avec mon corps et même de me rassurer sur ma capacité à avoir du plaisir. De plus, ce qu'il y a d'agréable dans la masturbation c'est qu'on peut choisir ses fantasmes, les expérimenter. choisir, dans l'imaginaire ce qui fait bander. Je peux prendre l'image d'une femme que j'ai rencontrée et dont j'ai envie, ou prendre une revue porno et imaginer des situations. J'expérimente les fantasmes selon leur pouvoir érotique. Concrètement il y a des fantasmes qui marchent mieux que d'autres et il y en a certains, très efficaces auparavant, qui un jour ne marchent plus. Il y a une évolution. Je me rappelle très bien les fantasmes que j'avais eu en me masturbant je voulais les vivre. Vu que je tirais du plaisir de mon imaginaire j'avais et j'ai encore envie de voir ce que donne mon rêve dans la réalité. Par exemple, il y a un fantasme de faire l'amour avec deux femmes que j'ai pratiqué dans la masturbation pendant longtemps avant de pouvoir le réaliser vraiment. Et maintenant, ça continue à ne pas me déplaire mais ,ca n'est plus du tout cette dimension... qui me faisait rechercher cette situation parce qu'elle était la plus excitante que pouvait trouver mon imaginaire. Si je ne réalise pas un fantasme comme celui-ci, il finit par accumuler un énorme potentiel de désir dont je reste prisonnier. Je sais que d'autres gens n'ont pas du tout envie de réaliser leurs fantasmes.

Be.: Mes fantasmes masturbatoires se résument étrangement à des fantasmes de domination. Pendant ma masturbation, je pense à des situations qui m'amèneraient à l'éjaculation : la pénétration d'une femme, la sodomisation. C'est une femme précise, c'est pas La Femme. C'est une femme que j'ai déjà rencontrée, que je désire, ou avec une femme avec qui je vis quelque chose. C'est complètement coupé de la réalité de l'heure actuelle où je ne suis pas dominateur. Quand je me masturbe c'est : " Splasch ! ", telle position et le plaisir vient comme ,ça. Si dans le temps je faisais l'amour en me disant : " On va prendre telle position, là on va bouger comme ,ça et comme ça " maintenant c'est plus du tout comme ,ça.

Gi.: Moi, je sais que si ça peut prendre des formes variées il y a une constante : c'est toujours solitaire. Enfin, disons que je ne peux me masturber en public, la présence de quelqu'un d'autre m'empêche absolument de me masturber.

Ge.: Même si c'est avec une relation amoureuse ?

... et recherche expérimentale

Gi.: Ce qui m'empêche de me masturber parce que je me masturbe toujours avec des relations dans la tête, ce qui fait que je ne peux avoir aucune relation avec les gens qui sont à côté de moi. Je peux par contre être masturbé par une femme

Mes fantasmes peuvent être très variés, des rapports avec quelqu'un comme ceux que je vis habituellement ou d'autres que je ne vis pas. Ça peut être un fantasme sado-maso avec une ou des femmes, souvent avec un support photographique. Il peut y avoir une recherche expérimentale dans la masturbation parce qu'on est seul et qu'on peut tester toutes les possibilités qu'on entrevoit.

Be.: Qu'est-ce que sous appelez une recherche expérimentale  ?

Gi.: On peut fantasmer ce que l'on veut, on peut décider de la position que l'on veut sans que ça implique quelqu'un d'autre tout simplement.

Be.: Mais t'es pas obligé de te masturber pour fantasmer la position !

Ge.: Non, mais l'imaginaire n'a pas de limites.

Gi.: C'est ça ! L'imaginaire n'a pas de limites, les rapports avec les autres ont des limites bien sûr. Mais c'est pas la masturbation qui recule les limites de l'imaginaire ou qui permet de les dépasser.

Be.: Je peux être assis quelque part sans me masturber et commencer à rêver à ce qui va se passer. Il me semble que mon imaginaire galope quand même.

Ge.: Je crois que les hommes, nous avons une sexualité très orientée vers l'imaginaire. On se masturbe pendant très longtemps avant d'avoir des rapports sexuels, chose qui n'est pas vraie pour une majorité de femmes. Elles découvrent plus souvent la sexualité d'abord avec un partenaire avant de passer à la masturbation. En tout cas, l'imaginaire est une dimension fondamentale de ma sexualité ; peut-être parce que masturbation et fantasmes associés ont été la seule vie sexuelle possible puisque j'étais trop jeune pour qu'aucune fille veuille faire l'amour avec moi. J'essayais mais je me faisais renvoyer. Donc, pendant des années le plaisir est lié à toutes sortes de situations imaginaires et c'est pour ça que j'ai eu des premières relations difficiles avec des femmes. Il a fallu que je raccorde mon imaginaire à une réalité vécue, à celle d'une relation à une femme réelle, ici et maintenant. Et pas du tout un homme et une femme dans l'absolu comme je pouvais le rêver au travers des romans, des films ou des imaginaire n'a jamais disparu. La masturbation est importante parce qu'elle m'apporte du plaisir. Si elle m'apporte ce plaisir c'est pas parce qu'elle est simplement mécanique ou parce que je peux réguler la stimulation comme je le désires mais parce qu'elle fonctionne avec et en même temps que mon imagination. D'une certaine façon elle reste d'autant plus nécessaire que je n'ai pas les relations que je veux avoir avec les partenaires que je voudrais.

Be.: J'ai l'impression que, chez vous, c'est très important ce côté expérimenter des situations, trouver des trucs...

Gi.: Tu veux dire que ca permet de vivre de façon fantasmée des choses qu'on souhaiterait connaître dans la réalité mais qu'on ne vit pas pour des raisons morales, par exemple, ou bien parce qu'on ne trouve pas les partenaires adéquats ?

Be.: C'est comme si l'imagination était stimulée par la masturbation.

Be.: Non, c'est exactement le contraire, il est bien évident que c'est l'imaginaire qui pousse à la masturbation. Le désir est lié à l'imaginaire, c'est le désir qui te pousse à faire l'amour ou à te masturber. C'est pas simplement le stimuli du taureau : la vache en carton, pour l'insémination artificielle. Et même ça, ,ça appartient à l'imaginaire du taureau. Le désir sexuel, y compris l'érection, n'est pas une chose mécanique du tout, ça passe par le cerveau. C'est l'imaginaire qui te fait être sexuellement excité. Quand tu as essayé de te masturber la première fois, ton imaginaire n'était pas branché et tu n'as pas réussi à bander.

Be.: Je le reconnais, mais j'essaye de comprendre par rapport à ce que je dis. Il peut m'arriver d'être assis dans mon rocking, à ma table de travail pour bosser et puis de m'arrêter, de commencer à rêver des situations que j'ai envie de vivre sans que la masturbation intervienne là-dedans.

Gi.: L'imaginaire érotique n'est pas forcément associé à la masturbation. Mais quand je me masturbe, la condition absolument nécessaire pour que ça me procure du plaisir, pour qu'il se prolonge, c'est de fantasmer. Je sais qu'il est augmenté si j'imagine la situation qui est la plus adéquate avec mes souhaits présents. J'ai tout le champ du possible des relations sexuelles : je peux tout vivre. Il y a une sélection très rapide qui se fait vers la situation qui est la plus jouissive, la plus en rapport avec le plaisir que je cherche.

Be.: Si tu veux la masturbation, elle débouche sur une frustration profonde : de me retrouver seul.

Gi.: Toujours ?

Be.: Oui, toujours.

Gi.: Et jamais de plaisir à te retrouver seul pour te masturber. Ça tu ne connais pas .

Be.: Quand on parle d'orgasme, il me semble que l'orgasme auquel amène la masturbation me prive de quelque chose dont j'ai besoin. Quand j'ai une relation sexuelle avec quelqu'un, ce qui se passe après l'éjaculation me satisfait vachement. Tout ce qu'on peut échanger après, c'est encore quelque chose qui est lié à l'orgasme. Alors que dans la masturbation, une fois que j'ai éjaculé, le truc est fini.

Concurrence ou complémentarité

Ge.: Pourquoi mettre en concurrence la masturbation d'un côté et la relation sexuelle de l'autre ? Pour moi, il n'y a pas concurrence du tout, il y a même, peut-être complémentarité. Parce que le plaisir, qu'il soit obtenu par la masturbation ou par la relation sexuelle, c'est toujours l'exploration de moi-même en relation avec les autres, que ce soit l'imaginaire seul ou que ce soit dans la réalité, finalement le plaisir, c'est le plaisir d'explorer comme un enfant découvre le monde. Et là je me découvre dans mon désir des autres et dans mon plaisir avec les autres.

Au début de ma vie commune avec une fille, je me masturbais pas parce que j'avais l'impression que ca allait lui enlever quelque chose, dans la mesure où je me considérais comme ayant un nombre fini d'orgasmes possibles, dans une soirée. Je me disais : " Si je me masturbe je vais lui faire moins plaisir, je vais être moins capable de faire l'amour avec elle. " Ou bien au contraire, avant une rencontre je me masturbais pour tenir le coup (rires) et ne pas éjaculer trop vite.

Gi.: Ça m'est arrivé aussi.

Be.: Oui. moi aussi.

Ge.: Mais maintenant, pour moi c'est plus du tout en concurrence, au contraire. Les situations vécues avec les autres, je peux m'en servir comme fantasme pour me masturber ensuite, parce qu'elles m'ont fait plaisir. D'un autre côté, je peux avoir envie de retrouver avec quelqu'un des fantasmes que j'ai élaborés pendant la masturbation. Y compris le fait de me masturber devant quelqu'un. Ça peut être aussi une des formes de la relation : se masturber devant l'autre c est une complicité, c'est l'excitation que ça lui procure qui finalement est renvoyée sur moi et qui fait que je peux me masturber. Si c'est une chose qui la dégoûte je peux pas me masturber, bien sûr.

Gi.: Pour moi aussi, c'est complémentaire à ma relation à l'autre. Mais pas dans les mêmes termes vu que je me masturbe toujours seul. C'est complémentaire en ce sens que, à des moments où mes relations avec les autres sont tout à fait satisfaisantes pour moi. j'ai envie de me masturber.

Be.: Et bien, moi j'ai l'impression qu'au bout du plaisir dans la masturbation je ne peux avoir qu'un plaisir de moi à moi et que dans une relation sexuelle, j'ai un plaisir de moi à moi et puis un plaisir de moi à l'autre. Ça me manque beaucoup dans la masturbation que cette dimension qui m'est nécessaire soit obligatoirement éliminée.

Ge.: Et le fantasme, ce n'est pas une relation imaginaire avec quelqu'un d'autre ?

Be.: L'autre est là, mais ce qui se passe avec quelqu'un c'est tellement plus riche que le simple fantasme. Au moment où l'éjaculation monte c'est comme si j'étais projeté et que le reste soit évacué. J'ai l'impression de perdre les pédales et le fantasme disparaît. Je me retrouve avec moi, seul : je ne retrouve pas l'autre. Tandis que, quand je fais l'amour, il peut y avoir cette impression complètement dingue de perdre les pédales, mais de toute manière, après, je retrouve l'autre. Alors que quand je me masturbe, c'est comme si l'éjaculation avait tué le fantasme.

Tiens, il y a un truc bizarre : quand je me couche tard le soir et que je dois me lever tôt, si je me masturbe, souvent je ne me réveille pas.

Ge.: Et si tu fais l'amour tu te réveilles ?

Be.: Oui (rires), mais c'est pas forcé. Mais par rapport à la masturbation, c'est une peur. Hier soir, j'ai eu une conversation amoureuse au téléphone et je me suis masturbé après. Et ce matin, je ne me suis pas réveillé alors que j'avais un rendez-vous important. Tu vas me dire : c'est accidentel, mais non, parce que j'ai des problèmes d'absence au boulot, ils sont chiants. Et bien des fois si j'ai envie de me masturber, je me dis: " demain tu travailles, tu ne vas pas te réveiller, fais pas le con ! "

 

Nos vrais plaisirs consistent dans le libre usage de nous-mêmes. (Buffon)

 

Dans les W.C...

Gi.: Dans les moments où je suis dans des endroits stressants où j'ai peur du milieu ambiant par exemple à l'université il m'est arrivé d aller aux W.C. me masturber en ayant l'impression de subvertir ce lieu terrorisant. J'y rentrais comme tout le monde, je veux dire tout habillé avec mon sac d'étudiant et j'en ressortais de même. Ça me faisait rire dans ma tête, ce plaisir énorme dans cette tension difficilement soutenable. Sinon, ça peut être chez moi, dans la voiture, dans un W.C., dans une multitude d'endroits différents.

Mais il ne vous arrive jamais de vous masturber dans des lieux qui ne sont pas socialement associés au plaisir ?

Ge.: Ah si !

Gi.: Par exemple des lieux de travail ?

Be.: Moi non.

Gi.: Ou des cafés. Il y a des waters dans les cafés...

Ge.: Ça ne m'arrive plus mais ça m'est arrivé souvent, dans des lieux de travail, n'importe où, en fac ou ailleurs. Et souvent quand il y avait un stress quelconque parce que c'est un moyen de relâcher les tensions. Si Bernard ne se réveille pas c'est peut-être parce qu'il est détendu et qu'il dort plus profondément.

Be.: Il me semble que la sexualité comme moyen de relâcher les tensions, c'est quelque chose vers lequel on nous canalise en tant que mecs, un espèce d'exutoire. Quand ça va trop mal ailleurs, on aurait ça pour se réconforter.

Ge.: Mais heureusement !

Gi.: On se dit que ça vaut tout de même le coup. (Rires.) A la limite, quand j'ai un rapport sexuel avec quelqu'un et que sur d'autres plans rien ne va plus, il m'arrive d'avoir très peur. Je me dis : " Et si ça ne marchait pas. " non pas si je ne bandais pas mais plutôt : " Si on était tous les deux après complètement frustrés. " Ce serait encore plus terrible. Il m'arrive de me dire ça, avant un rapport sexuel, dans les périodes ou je suis très très tendu. Par contre par rapport à la masturbation : jamais. Je sais que ça marchera toujours.

Ge.: Je ne suis pas d'accord du tout (avec Bernard) parce que toute l'idéologie masculine : le sport, la compétition, l'armée, la virilité est basée sur l'idée de tension, de performance de ne pas relâcher la tension : il s'agit de rester maître de soi et de contrôler les choses. Et pour la sexualité, c'est la performance qui joue : nombre de coups à tirer. Mais qui dit nombre de coups à tirer dit que la tension n est jamais relâchée, justement.

Be.: Ce que je voulais dire, c'est que cette séparation de la vie entre tout le reste et la sexualité, le repos du guerrier c'est un peu ça, aussi. Le mec qui a bien lutté peut se permettre de faire un certain nombre de choses qui sont impossibles pour lui quand on le regarde. Il peut se permettre " en privé " certains moments de faiblesse.

Ge.: Oui mais la généralisation du repos, c'est la suppression du guerrier. Alors arrêtons la guerre et commençons à érotiser les choses.

Gi.: Quand je me masturbe dans les lieux de travail, j'ai la satisfaction de subvertir un peu ce lieu. Donc, c'est un peu contradictoire avec l'idée du guerrier qui au contraire apprécie les champs de batailles.

Ca ne pisse pas loin

Be.: Si j'osais, je dirais que pour moi, ça ne pisse pas loin ce type de comportement. Ca me vient pas ce phénomène de compensation. J'ai l'impression qu'il y avait quelque chose de commun quand vous disiez : la journée a été dure, j'ai eu des tensions, bon et bien je vais me replier dans mon coin, arriver à me détendre comme ça. Mais si tu veux je suis incapable d'agir autrement que d'essayer de la désamorcer sur place. Quand il y à une tension quelque part, j'essaye de faire bouger les choses, je ne me donne surtout pas l'illusion de couper la tension.

Ge.: Quand tu t'isoles, comme il le fait ce n'est pas un repliement sur soi. Tu refuses d'être décorporalisé ou désérotisé par les institutions ou par les contraintes de travail, par les lieux où tu t'ennuies ou qui sont stressants, qui ne sont pas faits pour ton plaisir. Et tu te rebranches là sur toi-même. Pour moi ce n'est pas un désinvestissement du social. Le modèle des hommes est depuis des siècles : agissons sur la nature, sur le monde, sur les femmes, y compris la révolution. Mais le plaisir à être avec soi-même, on peut en faire l'impasse complètement. La sexualité avec quelqu'un ou la masturbation résistent à cet espèce de stress et de choc que t'infligent toutes les institutions de ce monde qui n'est pas fait pour ton plaisir et qui te vole de ton corps et ton imaginaire.

Gi.: Disons que ça permet de refuser l'alternative imposée par ces lieux de lutte et de combat, être vainqueur ou être vaincu.

Be.: Et ton problème il continue à exister !

Gi.: Mais ce problème ce n est pas le mien : je vis dans une société qui impose des rapports de force. La masturbation peut être un moyen de les écarter de les subvertir un peu et même de les vivre différemment. Ça permet de pouvoir échapper au sentiment d'être vaincu et ça c'est fondamental.

Be.: J'ai l'impression que je ne me coupe pas de mon plaisir et, au contraire que je le multiplie quand je crée les conditions pour lui permettre d'exister.

Ge.: Cela veut dire que, dans le monde actuel, tu te condamnes à n'avoir du plaisir que très rarement.

Be.: Moi j'ai l'impression qu'il est permanent.

Moralité

Gi.: Est-ce que la moralité intervient dans vos masturbations ?

Il y a des formes d'intervention de la moralité qui sont un peu perverses. Par exemple dans mes fantasmes, tout est possible, sauf d'impliquer des gens que j'aime et de leur faire vivre des situations qu'à priori elles ne voudraient pas vivre. Je ressens ça un peu comme un viol.

Ge.: C'est le viol imaginaire.

Gi.: Même si dans le fantasme, ces personnes sont consentantes.

Ge.: J'ai eu de la culpabilité par rapport à des femmes que je connaissais, étant plus jeune, quand je les utilisais dans mes fantasmes. Évidemment, quand je les rencontrais, je rougissais jusqu'aux oreilles (rires). C'était madame Untel avec qui j'avais des rapports très formels et dans mes fantasmes on avait fait des tas de choses ensemble, alors que, manifestement, elle n'était pas d'accord pour les faire dans la réalité.

Gi.: Et maintenant, ça t'amuse.

Ge.: Ah ouais, même d'imaginer devant quelqu'un d'un peu formel une situation sexuelle ou vraiment ça serait complètement inverse de l'image qu'elle donne.

Gi.: C'est un peu la façon par laquelle j'ai fait reculer cette culpabilité.

Ge.: Je me suis interdit pendant longtemps tout un groupe de fantasmes sadomasochistes, parce que ça ne coïncidait pas avec ma propre morale d'un amour ou d'une relation sexuelle, libérée, généreuse, complice avec l'autre. Tous les fantasmes qui avaient trait à une femme en tant qu'objet, en lui infligeant un traitement sadique, je me le suis interdit. Je m'interdisais aussi le fantasme homosexuel. Et puis un jour, ça a craqué, le fantasme a été le plus fort. Et à ce moment-là, je l'ai vécu dans la culpabilité : comment cela pouvait-il me faire bander de maltraiter les femmes ? Mais cette culpabilité-là est terminée maintenant. Il y a eu tout un travail sur moi-même, et si j'ai des fantasmes sadiques, je les ai et au contraire je veux les explorer à fond.

Parlons-en

Gi.: J'ai commencé assez tard à parler de ma masturbation de façon détendue, avec les femmes que je connaissais. Mais avec des hommes, ça ne s'est fait que dans le cadre des groupes hommes.

Be.: Il me semble que la sexualité, telle que la morale nous pousse à la vivre, inclut, sans le dire, une grande part de rapport de force et que la masturbation échappe à la règle. Il faut donc la condamner, la faire disparaître ou à défaut ne pas en parler. Ce que je veux dire, c'est que la sexualité est enfermée dans des moules (rires). On est porté à révéler une forme de sexualité qui sorte de ce qu'on nous impose. On a habitué les mecs à parler de leur sexualité sur un ton de vantardise, de mise en valeur, d'une certaine force, d'une certaine habileté, et ce n'est pas tellement flatteur pour eux de dire : " Je suis arrivé à trouver du plaisir simplement avec moi... "

Gi.: La masturbation, j'ai l'impression que c'est une conversation qui est tabou. Par contre, la sexualité avec quelqu'un, même si elle échappe aux schémas habituels, même si elle est égalitaire ou présentée comme telle, peut être discutée.

Be.: Et tu sens un frein chez toi ou un mur chez les autres ?

Gi.: Je ne sais pas si le mur que je ressens chez les autres me permet de dire que, chez moi, il n'y en a pas.

 

Arrivé très tardivement, François est peu intervenu dans cet entretien sur la masturbation. Aussi, nous avons préféré séparer d'un côté l'entretien entre Bernard, Georges et Gilbert et d'un autre l'intervention suivante de François.

Le plaisir cesse de l'être quand il devient une habitude

François . Je ne pourrais pas dire combien de fois je me masturbe. Je me masturbe lorsque j'en ai en vie et je ne me suis pas amusé à faire une comptabilité.

Georges . Tu en as envie souvent ?

F.: Non. Le matin lorsque je bosse, ce n'est pas possible, je n ai pas le temps parce que je me réveille trop tard. Au boulot, ca m'arrive pas... souvent ! {rires) Lorsque je rentre chez moi, je mange, je vais me coucher, il y a des gens qui peuvent venir à la maison, je peux aller faire quelque chose dehors, et je me mast... je me vois pas me... Enfin, depuis trois ans, je me vois pas en train de me masturber pendant ces trucs de la journée, pendant les heures de travail, enfin pendant la semaine de boulot, enfin pendant la semaine des cinq jours (rires), enfin, pendant les jours ouvrables (rires). Voilà. Ça m'arrive le soir. Lorsque je suis entré me relaxer pour dormir et le sommeil. En général, je me masturbe et j'éjacule parce que c'est un meilleur somnifère que de prendre du médicament. Ça, c'est pendant les jours ouvrables.

Ge.: Et ca te fait plaisir ?

F.: Ah oui, sinon je ne le ferais pas. Depuis que je travaille, je ne me masturbe pas, en général, pendant mes heures de boulot... Enfin, pas souvent. Mais le week-end, là si, j'ai envie de me masturber pour y trouver du plaisir, parce qu'en général c'est pour y trouver du plaisir... Mais mon geste de masturbation je l'interprète un peu comme de la masturbation eugénique. C'est-à-dire que je me masturbe pour avoir du plaisir et que dans mon boulot je n'en ai pas eu, du plaisir. Alors j'ai besoin d'une compensation. Le week-end je ne suis pas compris (sic) par le temps, donc, je peux prendre le temps.

Ge.: Alors tu te masturbes seulement le week-end ?

F.: Non, tous les soirs comme somnifère, enfin presque tous les soirs.

Gilbert: Et le week-end dans la journée ?

F.: Non, non le week-end quand j'en ai vraiment... non, à n'importe quel moment.

Gi.: Ça fait une fréquence d'une demi-douzaine par semaine ?

F.: Oui. Disons dix par semaine.

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Revue TYPES  2/3- Paroles d’hommes - 1981

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