Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs et sexualité - Plaisir quand tu nous détiens

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs et sexualité - Plaisir quand tu nous détiens

Réunion du groupe où on parle de la prochaine revue consacrée au plaisir : " Ça serait bien que quelqu'un regarde un peu du côté des journaux destinés aux hommes dans le style : LUI, PLAYBOY, ou VOGUE, IL... et qu'à partir de là, il essaye de dégager les conceptions que l'on nous impose de notre plaisir. "

Je n'ai pas écrit dans la première revue et apparemment cet article va nous manquer. Je me jette à l'eau, heureux peut-être, d'avoir un alibi sérieux pour consulter des revues qui le sont moins. " Je veux bien essayer mais je ne vous promets rien. "

Sur le chemin du retour, me voilà un peu préoccupé : quelles revues acheter ? où (certainement pas chez ma libraire), à quel moment ? J'en achèterai quatre (1). Deux qui font travailler l'œil immédiatement avec de nombreuses photographies. Deux autres qui vous proclament intelligents, vous parlent de vos fantasmes ou de ceux des femmes sans jamais vraiment vous montrer leurs corps.

L'heure de l'achat

Minuit. Drugstore. Je ne suis pas particulièrement à l'aise. Un peu peur de croiser quelques copines ou copains féministes :

" Salut Alain ! — Tiens salut ! — J'achète des revues pour écrire un article dans Types. — Ouais, ouais, ouais...— Bonne nuit Alain !!! "

Bon, et puis après tout, c'est idiot, qu'ils pensent ce qu'ils veulent, ça m'est nécessaire (pour mon article).

Rapidement. Une vendeuse. Regard amusé. Quatre revues d'un coup, ça n'a pas l'air de lui arriver souvent ! Impressionnée par mon côté impressionné elle prendra gentiment soin de me les glisser dans un emballage neutre (discrétion).

Discrétion à nouveau, je prends garde à mon tour de mettre cette pochette dans mon sac et de ne pas l'ouvrir dans le métro (bon sang, qu'est-ce que je peux me trimballer comme culpabilité).

Découverte

J'ouvre la pochette sur mon bureau. Bureau de ma Maman qui était directrice d'école. Le bois craque un peu ! Et voilà les revues toutes étalées avec en vis-à-vis " Les souffrances du jeune Werther ", " Premier amour ", " De la séduction "...

Deux bas noirs + un slip à crochet, rouge + 2 gants blancs qui ne montrent même pas le coude pour trois jeunes femmes à la peau dorée qui occupent respectivement les trois premières revues. La quatrième couverture est envahie par un " superman " aux yeux " bleu lavande ", au teint mat, au sourire " made in USA ". Il a bien entendu quelques poils sur la poitrine et la chemise légèrement entrouverte.

Concentration

Je voudrais trouver une méthode pour aller au plus efficace (" il faut être un homme efficace ") et ne pas m'attarder de manière inconsidérée sur les photos. Mais :

— comment se plonger sérieusement dans la publicité quand il y a un peu plus loin : " Pamela pas mélo " (2) ?

— comment se livrer au " bon choix avec Ariane qui n'a gardé qu'un fil ou presque ".

— " Bri Bri de Meaux " m'empêche de me concentrer, quant à " Prudence qui est une femme d'expérience " elle ne m'a toujours pas laissé le temps de lire la nouvelle de " Jim Harrisson ".

Décidément je trouve ce bureau de plus en plus étrange et je commence à-ne plus savoir très bien pourquoi je suis assis sur cette chaise plutôt que d'être tranquillement allongé sur mon lit (merci au groupe homme d'avoir confié au plus célibataire une étude aussi sérieuse...).

Je me ressaisis, ne me laisse pas aller à l'encouragement (on verra bien plus tard) et essaye de regarder ces photos sous un " plus grand angle ", avec " l'objectif approprié " :

— les nus sont souvent légèrement voilés, noyés dans la fourrure, plongés dans la dentelle, très rarement intégraux, avec en tous cas les ombres appropriées, exception faite pour la photo du milieu qui est plus grande et se dégrafe sans grands efforts ;

— les photos sont plutôt de bonne qualité : seins, fesses, toisons apparaissent et se dérobent de façon subtile.

— la plupart de ces photos sont précédées d'un texte d'un homme politique, écrivain, économiste... et suivies de la dernière nouvelle à la mode (l'intellect sert le sexe qui lui-même sert l'intellect).

Contours

J'essaie donc de laisser de côté mes désirs et de m'attarder sur l'univers de ces personnes ravissantes :

— elles sont toutes installées dans des décors somptueux : villas luxueuses, intérieurs raffinés, plages de rêve... (je regarde mon petit deux pièces, scrute mon avenir professionnel et me sens tout à coup bien à l'étroit).

Leur milieu :

— Prudence travaille " au sein de l'une des plus grandes banques d'affaires londoniennes ".

— " Irène, pour dormir, se sépare rarement de son collier de perles fines ".

— " Terry aspire, pour quelques heures, à devenir une simple américaine ".

— Quant à Lory, " un milliardaire lui offrit un collier de 50 millions, en échange d'une nuit ".

Réalisme

Mon porte-monnaie est désespérément plat et si je venais à en douter encore, quelques vedettes inaccessibles sont là pour me le rappeler :

— " Leslie se la coule douce dans une île du Pacifique ".

— Clio me met carrément les points sur les I car elle est " l'aventure, l'inaccessible, celle pour laquelle il faut être prêt à tout quitter, tout abandonner ". (Il va de soi qu'il ne s'agit pas de votre usine ou de votre petit bureau.)

Me voilà donc fixé au cas où je voudrais transformer mes rêves en réalité. Si toutefois, je me méprenais encore sur la place que j'occupe ici-bas, l'entretien avec David Rockfeller me fait renoncer à jamais à regarder du côté de mon carnet de chèques.

C'est on ne peut plus clair, le plaisir proposé ici-même ne s'entend pas sans un coffre-fort bien ventru.

Espoir

Tout n'est pas perdu, deux articles dans les deux numéros " plus habillés " me proposent, à défaut, la voie de la séduction :

— " soyez irrésistible ".

— " un corps de surfer dans une âme de manager ".

Pas tellement surfer, encore moins manager, comment vais-je m'en tirer ?

— " Vous êtes en pleine ascension sociale " (je suis au chômage).

— " Vous régnez sur un staff que vous dirigez d'une poigne de fer... "

Le manager, je renonce carrément {je suis quand même politisé), voyons côté surfer, côté corps :

— " un visage de jeune premier ".

— " la beauté des hommes actifs ".

Comment y parvenir ?

— " Dans un cadre d'une virilité raffinée " (y'en aurait donc un qui le serait encore moins) je pourrai avoir " relax-ondes, masque d'argile, application d'ampoules d'émulsion progressive... "

Déjà le rire salue au passage les chefs, les autoritaires, les vedettes, les meneurs d'hommes en tous genres. (R. Vaneigem. Livre des plaisirs.)

Difficultés /

J'ai encore quelques difficultés, il me reste :

— les eaux de toilettes séductrices :

" Jules, la ligne très masculine ", " Balafre, pour l'homme ", " Le parfum de l'homme qui sait ce qu'il veut et est habitué à l'obtenir ", celui de " l'homme qui est rare ".

— les voitures qui rassurent :

" Une force rare et sage ", " La maîtrise du progrès, la constante amélioration des performances ", " Celles que rien ne fait reculer "...

Si toutefois je ne pouvais les acheter, on me propose de changer leur aspect : " changer d'allure, de peinture, draguer avec une voiture neuve ".

Admettons même que je n'aie que le porte-clés, il me reste la possibilité d'être bien habillé :

" Des pyjamas que l'on peut partager " (je vais peut-être un peu vite), " un costume à la griffe de l'homme ", " La haute couture pour l'homme du monde "...

Bien entendu, si je devais enlever ces vêtements, j'aurai un " slip dernier cri ", je serais " mince et bronzé "...

Supposons qu'avec tous ces instruments, toutes ces panoplies, je n'aie pas encore réussi à rencontrer ce style de femme sur papier glacé, là, on me donne néanmoins des adresses " spécialement réservées aux lecteurs où je serai accueilli par les plus charmantes hôtesses ".

Je persiste à faire le difficile, je veux rester chez moi, qu'à cela ne tienne : nombreux livres ou films érotiques me sont proposés pour me détendre au cours de mes longues soirées solitaires.

Plénitude

Et d'ailleurs pourquoi être aussi inquiet puisque comme tous les lecteurs d'une des revues (qui sont plusieurs centaines de milliers):

" Je suis jeune, riche, beau et intelligent ".

Bon, j'arrête là, je n'en peux plus, je vais me coucher...

Alain Jouclard

(I) Celles nommées au départ.

(2) Toutes les photos ont un petit texte d'accompagnement

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Revue TYPES  2/3- Paroles d’hommes - 1981

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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