Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs et sexualité - Faire l'amour

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs et sexualité - Faire l'amour

Il me semble qu'il est intéressant de réfléchir un peu sur le sens des mots en général et sur ce que signifie en particulier l'expression : " faire l'amour ". Souvent quand je l'entends, j'ai envie soit de hurler, soit de rigoler comme quand je regarde une triste farce. Il m'arrive aussi d'avoir envie de pleurer...

Très souvent, dans la bouche de beaucoup d'hommes, elle est utilisée à la place de " baiser ". Cela semble sans doute plus noble ou moins gênant. Ils crachent leur venin, sans s'apercevoir qu'ils s'empoisonnent, aussi, eux-mêmes en cachant la triste réalité derrière des mots maquillés pour les accuser d'être piégés à l'heure de la déception : l'hypocrisie cache et engendre la misère affective et sexuelle qui fait partie d'une certaine façon de vivre le plaisir.

Souvent cela me semble maintenant tronqué mais significatif d'une certaine façon de vivre la sexualité : par exemple quand j'entends un copain dire qu'il a vu des chiens " faire l'amour ", je me crispe. Je me demande comment peut-on à un certain âge continuer à effectuer ce parallèle. La réponse m'effrayerait si mon désir et mon espoir que ça change n'étaient pas aussi forts.

Comme aurait pu le faire un étranger qui ne comprendrait pas, j'ai eu la curiosité de regarder le dictionnaire.

Faire : il doit y en avoir une page entière dans le petit Robert, mais en gros, cela peut se résumer ici à rendre concret.

L'amour : chacun est censé y mettre ce qu'il veut (ou ce qu'il peut) ; c'est une illusion que j'ai souvent rencontrée. Brièvement, ce serait soi-disant " une disposition favorable à l'affectivité. Une disposition à vouloir le bien d'un autre que soi (dieu, le prochain, l'humanité, la patrie) et à se dévouer pour lui " comme un goût de sacrifice. La suite est aussi, sinon plus significative : " inclination envers une personne d'un autre sexe, le plus souvent à caractère passionnel fondée sur l'instinct sexuel, mais entraînant des comportements variés " (sic}. Comme un arrière-goût de drame quasi obligatoire, un arrière-goût de reproduction et de périodes de rut. Alors par curiosité j'ai regardé à instinct... qui vient d'" impulsion... qu'un être vivant doit à sa nature ". On nous dit qu'il s'agit d'" une tendance innée et puissante commune à tous les individus d'une même espèce qui conduit à faire des actes déterminés, exécutés parfaitement sans expériences préalables en étant subordonné à des conditions du milieu ".

Le dictionnaire n'a pas la prétention d'être révolutionnaire, il clarifie simplement des situations existantes, et qui sont suffisamment répandues.

Ici, pour peu qu'on se donne un tant soit peu la peine de réfléchir en étant honnête avec soi-même, la mystification apparaît clairement : on voudrait nous faire croire que les comportements que la société nous apprend, entre autres à travers l'éducation, sont naturels donc inévitables ; donc ça ne pourrait être que de la folie de penser qu'on peut les changer. Il faut faire avec ce qui existe ; il faut se résigner à ce qu'on a.

Ce serait beaucoup plus simple si on se rendait compte du mécanisme qui joue dans de nombreuses situations : la phallocratie ne dévoile jamais clairement les ressorts sur lesquels elle s'appuie. Elle met en avant d'autres facteurs contre lesquels il est vain de s'acharner parce que ce ne sont pas eux qui sont déterminants : s'ils sont détruits, on en trouvera d'autres sans que rien, fondamentalement, ne soit changé. Ainsi par exemple, les modes de production peuvent se succéder, sans que la structure de la société patriarcale soit remise en cause, les femmes continueront d'être opprimées par des hommes aliénés...

Beaucoup de souvenirs qui remontent. Par exemple, des copains qui disaient clairement il y a une quinzaine d'années qu'" un trou est un trou ". C'était dire précisément ou se trouvait leur plaisir et que les femmes étaient interchangeables, l'occasion faisant le larron. Ou en Allemagne, des mecs qui me disaient qu'en Bavière, pour coucher avec une nana, il fallait (et il suffisait) de lui dire: " Ich liebe dich ". C'était la clef qui permettait d'obtenir ce qu'on voulait, de prendre son pied, en niant ce que l'autre désirait : pas besoin d'être très futé pour imaginer comment ça pouvait se passer ensuite. L'objectif était d'arriver à ce qu'elles cèdent pour pouvoir " s'exploser ". Après, au fond tant qu'on n'était pas marié, c'était mieux si c'était : une de perdue, dix de retrouvées.

Dans cette comédie qu'on appelle la drague, les déguisements que l'on utilise dès le départ pour tromper l'autre sont significatifs et pervers. La tendresse et la communication peuvent exister dans ce cadre-là, mais elles me semblent plutôt plus que moins laminées, mutilées parce que quand elles existent, elles sont finalistes, orientées, pour aboutir à un but précis où ils sont fondamentalement seuls les mecqs.

Quand on veut éliminer la mauvaise herbe, c'est aux racines qu'il faut s'attaquer.

Dans ce plaisir qu'il peut éprouver en aimant, l'homme serait déterminé par des tendances animales qui le conduiraient vers un but précis... comme des chiens ! Alors qu'il est sensé par ailleurs choisir l'orientation de sa vie grâce à son intelligence. Il y a quelque chose qui cloche. Chez l'homme, les sentiments en général ont tendance à manifester leur existence en dessous de la ceinture, par des comportements variés voire opposés : entre Don Juan et le mari fidèle, il peut y avoir plus de points communs qu'il n'y parait à première vue.

Le viol, sous toutes ses formes, n'est pas un accident. Il est la conséquence logique d'une manière de rechercher son plaisir qui sous sa forme la plus extrême va jusqu'à nier l'autre totalement, en réduisant toute la richesse que peut donner un être humain à un trou, à des trous réduits au silence. Plaisir infiniment narcissique, sexuellement d'une pauvreté absolue ou presque. Et si vous demandez comment je le sais, je vous dirais que c'est parce que j'ai essayé, dans le cadre du mariage, sans pouvoir y arriver. Je pense à la question absurde et monstrueuse qu'il parait que les violeurs posent quelquefois à leur victime : " Tu as joui ". Elle montre bien qu'entre violer et ce qu'ils mettent sous " faire l'amour " il y a un lien très fort.

Les hommes sont mystifiés sur le plaisir, sur les " zones érogènes ", les leurs et celles des femmes, polarisés. Les livres, les films, la télé,. les photos érotico-pornos et autres charlatans-sexologues y sont pour quelque chose. Ce qui attire chez les femmes est réduit à des chattes béantes, des gros nichons, des culs... des parties de corps stéréotypés. L'" homme " lui, est un pénis en érection, une machine à piston et en définitive seule l'éjaculation a de l'importance pour être satisfait, ou du moins le croire quand on n'a jamais cherché réellement à ressentir autre chose.

J'ai tellement, maintenant, l'impression d'un gâchis quand je regarde autour de moi, quand j'écoute les mecqs parler de leurs petites histoires, que j'en suis malade.

Les sources du plaisir se sont tellement diversifiés chez moi, se complétant, se renforçant les unes les autres ; les manifestations de l'amour peuvent être tellement riches et prendre des formes si variées, donnant au plaisir des dimensions multiples : il peut jaillir n'importe où, n'importe quand au contraire de ce qu'on veut nous faire croire. Pourquoi n'arrête-t-on pas le massacre ?

Maintenant, c'est tout mon corps qui me donne du plaisir. Mon sexe existe certes, je ne peux pas le nier et je n'en ai plus aucune envie, mais il n'est plus un phallus, centre autour duquel tout s'organise directement ou indirectement. Fini le " je bande donc j'existe ", fini le phallocentrisme, finies les préparations savamment dosées. Mon plaisir peut vivre, exister autrement ; il peut venir d'ailleurs que de cette énergie qui converge vers le sexe et me mener à une autre jouissance, à d'autres jouissances. Il m'est arrivé que mes doigts de pieds me mènent jusqu'à l'inconscience, pour ne donner qu'un exemple. Différent, cela peut être intense ou doux dans une détente et une liberté absolue, infiniment reliée à celle de l'autre.

Maintenant, mon plaisir s'est élargi en étant intimement lié au sensuel. Quand j'emploie l'expression " faire l'amour " en parlant de relations sexuelles, je ressens le besoin d'ajouter en parlant de ces moments : " au sens restreint ", pour préciser que " faire l'amour " pour moi comprend à part entière tous les moments de la vie, les séquences du bonheur que l'on conjugue ensemble. Bien sûr, cela comprend les moments où mon corps exulte, ou il fusionne avec un autre, pénètre partout en lui, avec violence ou douceur dans la tendresse, le laisser-aller, l'écoute, le don...

Mais cet aspect physique ne pourrait être qu'artificiellement détaché du reste de ce que je peux vivre avec quelqu'une. Je voudrais pouvoir dire tout simplement " faire l'amour ", en parlant, d'une promenade au bord de la mer, avec ou sans soleil couchant, ces moments à ne rien faire quand nos yeux se disent plein de désir et la joie d'être ensemble, quand la complicité et notre intimité nous unit en faisant la vaisselle ou la cuisine ou d'autres corvées nécessaires, ensemble. Il y a bien longtemps que j'ai abandonné, vraiment sans aucun regret tous ces petits avantages, consistant à se mettre les pieds sous la table pour manger de bons petits plats ou à me faire éplucher mes fruits, pour partager les tâches ménagères.

Pourquoi présente-t-on toujours ces moments comme des temps morts ou négatifs, au mieux comme des intermèdes et les vit-on comme ça ?

Je voudrais pouvoir dire " faire l'amour " en parlant du dialogue avec quelqu'une dont je me sens si proche, unis par des moments d'intimité me permettant en les prolongeant de mieux me comprendre, de mieux la connaître, de m'épanouir et d'être heureux.

J'ai l'impression que tout ce que je peux échanger avec quelqu'une forme différents niveaux de mon plaisir qui s'entremêlent et se renforcent.

Je me demande pourquoi tant de mecqs ne font pas éclater ces chaînes qu'on leur a mises dans la tête, qui empoisonnent leur sexualité et la vie : il me semble qu'il n'y a rien ou si peu à perdre et tant à gagner pour tout le monde.

Bernard Berthier

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