Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Plaisirs et sexualité  - L'adoration du saint-râle

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Plaisirs et sexualité  - L'adoration du saint-râle
Dernières révélations sur le "nouveau désordre amoureux"

P. Bruckner et A. Finkielkraut
Ed. Seuil. Coll. Essais

D'abord, c'est dur, je sais, je vais décevoir, mais il faut dire aux naïfs qui, comme moi, attendent que des choses concernant beaucoup de gens soient comprises par le plus grand nombre d'entre eux ; aux béotiens pour qui la " continuité lexicale ", c'est l'emploi des mêmes mots, et qui ne perçoivent pas la vertigineuse différence de profondeur entre : " Le terrorisme est consubstantiel à ceux-là même qui le subissent ", et " On peut subir le terrorisme et le pratiquer " ; aux populistes que le " quasi-point ", " l'axiomatique du revenu ", " le dessaisissement " et le " topos seductif " dérangent, qu'ils en seront encore une fois pour leurs frais. La vulgarisation espérée est encore pour demain. (Et si, idée en passant, on se mettait, chacun avec ses petits morceaux du code, péniblement décryptés, à se faire de la traduction ? Sacrilège !). Bref, le nouveau désordre amoureux, c'est encore un peu écrit en patois philo-semio-psy-j'en-passe-et-et-des-meilleures (Mais il y'a bien pire, faut être honnêtes ,ca reste dans les limites raisonnables). J'ai un peu l'impression qu'à force de devoir se défendre dans la jungle des " confrères ", et une jungle, comme dirait l'autre, " consubstantielle " à ceux qui s'y débattent !!!, on adopte un style " pro " pour être pris au sérieux. Mais c'est pas anodin, on se retrouve vite avec une écriture (une façon de parler) bardée de défenses, de stratégies, d'écailles de tours de remparts de mâchicoulis de herses de pont-levis, et ça finit par devenir inconscient.

Pour Bruckner et Finkielkraut, ça doit pas encore être tout à fait intégré, la preuve ces petits passages encadrés très drôles qui ponctuent le bouquin (et contribuent à le rendre lisible) Mais justement le fait de mettre l'" humour " comme ça dans des petites boites, autre écriture, ça fait très " bon vous voyez on sait rire mais notre théorie, attention„ c'est du sérieux, y'a un temps pour tout et finie la récré ". Un peu comme le jeune cadre bronzé, ski le ouiquande, mens sana in corpore sano, d'ailleurs , ça accroît la productivité, mais attention, une fois rentré, quand on bosse, on bosse. Pour moi l'humour c'est d'abord être capable de prendre de la distance par rapport a ce qu'on raconte soi.

Et le ton des chapitres " normaux " (vous reconnaîtrez facilement, y'a pas de cadre noir autour, et on rigole presque pas) sent un peu la théorie qui s'installe. Au fond une théorie, c'est intéressant quand ça n'est encore qu'excitation, surprise, hypothèse. Dès qu'on commence à y croire, ça devient impérialiste. Partant d'une rencontre, d'une expérience, ça veut les manger toutes, ça veut devenir " universel ". Et c'est comme ça qu'on se met à vouloir démontrer, et qu'on se dit même qu'à défaut en affirmant avec suffisamment de talent les gens n'y verront que du feu...(et si on se contentait de montrer ?). Et c'est comme ça que, tout en attaquant la norme avec vaillance et bonne volonté, PBAF (OK pour l'abrev. ?) se mettent l'air de rien à nous délimiter une élite des bien-jouissants, et assener des énormités comme : " La chute du potentiel amoureux après le coït, si elle existe, ne peut exister que chez l'homme ou la femme qui ont calqué leur plaisir sur le modèle masculin de la jouissance ".

Traduction : Vous les femmes qui après l'amour avez envie de dormir, de fumer un clope, de faire un tour ou une tisane, on vous en veut pas, on sait bien que c'est pas de votre faute, mais enfin, faut pas le dire, c'est pas la façon de jouir des vraies femmes. Ou, dans un autre genre : " Le coït n'a rien de naturel : C'est un produit historique " !!! Parlez-en à mon cheval, ou aux lapins de ma grand-mère, je pense pas qu'ils aient pleinement conscience d'accomplir quotidiennement un acte historique (Et pourtant... Je crois qu'ils coïtent...Troublant...).

Alors, comment nos héros en sont-ils arrivés là ? Vous le saurez (peut-être...) si vous voulez bien patienter le temps d'un petit intermède lyrique.

" Elle s'est envolée vers la terre promise, charriant avec elle une formidable intensité. Son corps s'est distendu jusqu'à dépasser les limites de toute corporéité. Il s'est dispersé en un poudroiement aux quatre coins du Cosmos, faisant naître des étoiles et des mondes incandescents. Pourtant ses forces ne diminuent pas. Au contraire, elles diffusent, enfin libérées dans leur tension primitive, et la font renaître en même temps qu'elles la pulvérisent en un ravissement souverain. Les signes fusent, prolifèrent, signes qu'il n'y a rien sinon du chaos et de la matière en fusion... "

Qui est-ce ? Que fait-elle ? Mystique : La sainte Vierge le jour de l'Assomption ? La déesse Shiva (variante). Technique : La supernova TE46578. Encyclopédique : La créature éparse : Titre d'un roman de Peter Randa, auteur de romans policiers, puis de science-fiction, de seconde zone. Paru chez Fleuve Noir-Anticipation vers 1958. (variantes : Créateur d'étoiles, Solaris, etc.). Inquiet : La nouvelle bombe atomique chinoise ? Radiophonique : Une poudre pour désinfecter les lavabos ? Eh bien non ! aucune de ces réponses n'est la bonne. C'est simplement une copine de Pascal (ou d'Alain, ou les deux), et elle prend son pied.

D'accord, c'est facile. Justement. Bonne occasion de renvoyer l'ascenseur aux copains, et rappeler que le petit traitement qu'ils appliquent à Reich, on peut, avec plus ou moins de talent œuf corse, l'infliger à n'importe qui, (Et que ça fait pas de mal !)

Parce que PBAF nous annonçant la déception du pauvre gars suivant " les conseils du Dr Reich (il allait se confondre avec le Cosmos, pas moins !) ", fin de citation, c'est un peu la poêle qui se moque du chaudron : Question Cosmos, ils se défendent pas mal non plus. (Et hélas, en quarante ans, le Cosmos a pris, malgré les Hippies un sacré coup de vieux...)

Autre exercice, peut-être plus instructif ; j'ai dressé deux listes (partielles !) des termes expressions, etc., qualifiant les organes et orgasmes masculins (à ma gauche) et féminins (à ma droite)...

Précocité glandulaire, bref, faible, essoufflement, s'écrase, s'affale, petites réserves, pauvre en sensations, monotone, stéréotypie, précoce, prématuré, catastrophique, mort, inapte, vidé animal, chair froide, insignifiant, contingence biologique, liquide séminal, orgasme minuscule, épanchement séminal, désillusion charnelle, évacuation, vidange, guillotine (carrément ! N.D.L.R.), puissance d'arrosage, rudimentaire, en bas, du fond de la vallée, tuyau à pipi, purgatoire, désert.

Immensité potentielle, profondeur infinie, excès vertigineux, excessif sommet, déchaînement, bouleversement, transports sacrés, déferlement inouï, dérèglement total, indomptée, sauvage, ouverture, démence, Dieu, voracité, boule en fusion d'où sortent des planètes (vous voyez que j'inventais rien), stupeurs, hautes cimes, ravissement souverain, corps fabuleux, poudroiement sans fin, voluptés autonomes, paradis, univers inouï (oui, encore), fiction, incandescent, terre promise.

Expliquez et discutez. Ben, Euh,... Par ce choix de vocabulaire, les auteurs veulent exprimer que,... Si l'on peut dire,... En quelque sorte,... L'orgasme masculin c'est moins que l'orgasme féminin ! Évidemment, devant cette profusion de termes, les uns tout en bas de l'échelle, les autres tout en haut, (on sait pas très bien quelle échelle, d'ailleurs, mais en tout cas on sait où sont le haut et le bas, de ce côté-là pas de problème), et même si c'est pour nous dire : Voyez comme c'est incomparable ! devant ces choses affirmées comme universelles (" La Femme ", " L'Homme "), jamais comme des vécus individuels (ça c'est pour une expression qui marche, ça, Coco, " des vécus individuels ", Damned, serais je atteint, moi aussi ? Redoublons de vigilance !), qu'estce-qu'on peut faire ? Si on ne veut pas confondre " Je " et " l'Homme ", si on croit que c'est déjà pas mai de dire : moi j'ai l'impression de réagir plutôt comme ci ou comme ça, de penser ci ou ça, on se soupçonne d'exhibitionniste, on se demande si on n'est pas en train de se piéger à comparer ses orgasmes comme on comparait nos zizis à la récré, et jouer finalement une valorisation contre une autre : Mon orgasme, il est plus long euh, et le mien il est plus fort, euh. Et non, hé pauvre gland, c'est juste que tu sais pas les faire jouir, les gonzesses, et j'parie qu'tu sais même pas faire le reservatus. Si je sais, c'est même pas vrai, euh. Tant pis, assumons...

J'accroche pas à la description de l'orgasme de mecs que donne PBAF. Je m'y retrouve pas, ou peu. Pas l'impression de l'attendre comme une expérience divine, ni de le vivre comme une vidange. En tous cas, pas comme une fin du désir, du plaisir. Non pas que ça soit toujours forcément tout le contraire, pied géant et tout et tout. Mais si parfois je suis angoissé, c'est pas de " l'éjaculation qui me privera de mon érection ", mais plutôt de glisser à côté d'un possible sans l'avoir senti, et si je suis déçu, ça me tombe pas d'un coup tout seul dessus, pile synchronisée avec le dernier spasme. L'orgasme, il a un peu la couleur de toutes les caresses et de tous les mots avant, parfois magique et parfois pas, et si l'ensemble de tout ça est décevant, ce n'est pas par rapport à une extase pressentie et inaccessible ; c'est par rapport au pied que c'est des fois et qu'on aimerait bien„ tant qu'à faire, retrouver et transformer encore le plus souvent possible... Moi, cette histoire de partir à tous les coups à l'assaut d'une extase divine qu'on n'a jamais vue, de se casser la gueule, et de repartir quand même exactement pareil la fois suivante, en moyenne quelques centaines de fois par ans, de 7 à 77 ans (enfin, c'est façon de parler bien sûr), désolé mais j'ai vraiment du mal à y croire. Du mal à y croire qu'après 1843 " vidanges catastrophiques ", on se lance avec la même ferveur dans la 1844°, s'il n'y avait pas autre chose de bigrement chouette derrière. Ou alors vraiment " c'est plus de la foi c'est de la rage ". (Autre hypothèse, mais que PBAF ne semblent pas envisager)

Bien sûr, c'est aussi un peu simple, et peut-être que tout ce dont parlent PBAF est tellement angoissant que j'ai tout refoulé. Peut-être aussi (et là je me suis vraiment posé la question, mais sans pouvoir y répondre) qu'en refusant leur description des jouissances masculines et féminines, je refuse d'aller sur un terrain où, en tant que mec, je suis battu, je refuse aux femmes le lieu même où leur supériorité serait incontestable ? Vieille stratégie macho ? C'est vrai qu'il y a quelque chose de vertigineux dans cette jouissance que parfois une femme offre à ma perception forcément un peu voyeuse, et dans l'idée qu'on ne saura jamais jamais ce que c'est du dedans. Mais merde je saurai jamais non plus ce que ressent un Nouba qui danse en transe, ni Menhuin au milieu du concerto en ré m., ni un pétrel fulmar en vol ! Je peux les voir, je peux en rêver, je peux en nourrir mes fantasmes, je peux essayer de ne pas rester tout seul à ce jeu-là, de ne pas avoir honte de la mienne, de jouissance. A quoi ça sert de vouloir comparer des jouissances qui n'ont de toutes façons que des références internes à chaque individu. En quelle unité tu la mesures, la jouissance, pour savoir laquelle et la plus cosmique. En litres ? En joules ? En degrés Celsius ? En magnitude, comme les étoiles, ou plus vraisemblablement en décibels ?

C'est déjà fou d'aller par la présence de l'autre là où je sais bien que je serais jamais allé tout seul, et que comme par hasard ça marche encore mieux si c'est réciproque. (Acte de foi idéaliste ?)

Ça me gonfle qu'on n'ait pas le temps de dégager un petit bout de plaisir, le faire exister pour soi, sans raison et sans alibi, faut que des mecs viennent t'y coller sur le dos Dieu, l'univers et leur angoisse existentielle. (Car on ne peut pas ne pas remarquer, dans la petite liste ci-dessus, en plus de l'opposition grand-petit, que la jouissance masculine est décrite en termes techniques, fonctionnels, matériels, et la féminine, elle, nage dans le spirituel et, disons-le, le divin : Vieux poncifs du nouveau manichéisme, occidental—technique = matérialiste = berk caca, oriental = spirituel = ressenti = naturel = le pied. Yin et Yang, quoi). Dieu n'existe pas, le cosmos n'est pas un grand tout et l'étonnant dans l'histoire c'est bien que les petits paquets de neurones que nous sommes aient pu s'inventer des besoins pareils ! Y'a pas de " terre promise ", même pour les femmes, que soit dit en passant, ça fait peut-être doucement marrer (ou bien chier ? biffer la mention inutile) de vous voir la chercher dans leur orgasme après qu'on ait cru si longtemps y trouver l'enfer. En passant aussi, quitte à idéaliser, ça m'aurait été moins suspect de le faire en bloc ; parce que dans le nouveau désordre amoureux, de la femme qui jouit, on en cause ; mais de la femme qui mâche, qui dort, qui pense, qui mange, qui bosse, qui rêve, que dalle, ou si peu. C'est pas encore une façon d'en faire un objet (de culte) sexuel ?

Au fond, je suis toujours épaté que des gens puissent à la fois dire des choses que je trouve vachement justes et fines (cette façon qu'ils ont de décortiquer la séductions, les pièges où la spontanéité perd tout sens, comment on en est réduit à une surenchère sur la façon de jouer avec les codes. Ce qu'ils racontent sur le porno et la prostitution, et cette envie de dégénitaliser...), et de ne pas voir ce qui m'apparaît comme des contradictions énormes. Autrement dit les mecs qui pensent pas comme moi... j'arrive pas à les comprendre ! Pour finir, et pour me rassurer, ce que je trouve contradictoire, c'est dire : 1° que le plaisir de la femme n'est pas limité au sexe, mais

distribué sur tout le corps, et 2° " seule peut-être dans la sodomie l'homme peut approcher l'extase féminine ! ".

C'est 1° montrer que c'est la société patriarcale virile etc. qui a fait de l'amour génital (la baise, en quelque sorte) le seul critère de plaisir amoureux. Crier à l'escroquerie, que c'est notre corps entier qui est jouisseur, et pas seulement quelques cm3 de sexe. (Et ça j'applaudis des deux mains !) Dégénitaliser, quoi !... et 2° décrire l'orgasme comme une malédiction, puisqu'elle nous prive de l'érection, et la débandade comme une calamité qui met nécessairement fin au plaisir. (" pénis flasque, petit garçon, orgasme flétri, anéanti, éventé "); citer, dans sa défense du coït reservatus, l'ARSAMATORIA (chinois comme il se doit), " Après l'émission, le corps de l'homme est fatigué, ses oreilles bourdonnent, ses yeux sont alourdis de sommeil, sa gorge est desséchée et ses membres sont inertes " !!! (Ça ne vous rappelle rien ? Moi si : Les vieux catéchismes à propos de la masturbation) ; fantasmer sur " l'énergie fixée dans les bourses (nucléaire non merci) et " rêver d'un sperme qui parcourrait chaque membre, chaque circuit nerveux... " (Pourquoi pas, après tout, mais moi ça ne m'excite pas particulièrement).

Un instant j'ai cru à la grosse gaffe : Tout était à prendre au deuxième degré, j'avais rien compris ! Hélas, ça récidive avec une bonne volonté désespérante, retenir le semen c'est donc se mettre au même niveau que la femme " (Vas-y Poupou, garde ton sperme tu l'auras au sprint), " Ce n'est qu'en gardant sa petite quantité de semence que l'homme peut la redistribuer dans toutes les parties de sa chair " (Pourquoi, c'est particulièrement riche en vitamines ? Je laisse aux physiologistes le soin de discuter cette curieuse conception de la circulation sanguine,... et aux psy l'analyse symbolique de cette tendance à la rétention...) ; avant de nous condamner sans (r)émission à la déception perpétuelle : " Se retenant, l'homme n'aura gagné que le droit au nomadisme... il n'aura connu l'intensification que comme horizontabilité à perte de vue, sans halte... " Caramba ! J'ai pas très bien compris ce que c'est que l'horizontabilité, mais en tout cas ça doit être terrible !

Bon bon bon ; c'est un peu bête de devenir agressif, comme ça. Bien sûr tout le bouquin ne mérite pas cette virulence, et c'est plutôt bien qu'il existe, et que des tas de gens le lisent. Ce qui m'embête, c'est qu'il se présente comme une théorie, et pas comme un témoignage. Et c'est qu'il soit en train de devenir une référence.

... Existe-t-il d'autres références sur le sujet ?...

... A-t-on vraiment besoin de références, sur le sujet ?...

Jean-Louis Viovy

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