Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Sans paroles

EuroPROFEM - The European Men Profeminist Network europrofem.org 

Contributions by language

 

Précédente Accueil Suivante

22_type2.htm

 

Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

----------------------------------------------------------------------------------

Sans paroles

" Le monde autour de nous est incohérent, nous l'interprétons, nous déchiffrons tant bien que mal les données d'une question dont nous ne connaîtrons jamais la réponse. Tant mieux ! Seuls les hommes brutes ont des réponses pour tout et lorsqu'ils manquent de mots, c'est à coups de poing qu'ils vous démontrent qu'ils ont raison. " REZVANI.

Vous êtes assis à une grande table dehors à boire un demi, manger des frites, discuter avec quelqu'un. Autour, les gens des tables voisines parlent, bavarderies, plaisanteries...

Et puis soudain vous entendez un bris de vitrine. Sex shop. Vitrine de sex shop brisée. En trois coups, consciencieux, pesés, presque tranquilles. Un mec avec un passe-montagne noir.

Juste le temps de faire la liaison avec un petit " groupe de jeunes " rassemblés sur la place à côté du café. Juste le temps d'un coup d'œil. Aussitôt surgissent quatre bêtes en civil, pistolets au poing, irréductiblement menaçantes. Tristes justiciers qui n'ont rien des héros de thriller : juste des bêtes bien dressées...

" Ils " en prennent un au hasard dans le groupe et tapent. Tapent, tapent avec la crosse de leurs pistolets. Long apprentissage de la virilité anti-guérilla. Une autre bête arrive et se joint aux autres et tape, tape, tape avec un manche de pioche. Les oreilles, les épaules, le dos, les tibias. " Ils " visent. L'autre, dessous, fait le mort, ne bouge plus, se recroqueville. Il n'a plus que ça à faire.

Après, la " suite des événements " est moins importante. Tout s'est passé en quelques secondes. Après, c'est la banalité spectaculaire du maintien de l'ordre. L'autre restera étendu par terre, entre les bottes des bêtes qui l'encerclent, le pistolet pointé vers leur " proie ", restera... dix minutes, un quart d'heure ou plus... Il voit son sang couler de son visage, il pisse peut-être dans son froc. Comme un gamin. Et il a peut-être HONTE... Mais il a peut-être aussi JOUI pendant l'étincelle de violence. Comme si la violence était devenue pour certains le seul moyen d'avoir une jouissance vraiment intense, et non plus l'exutoire d'une révolte.

Maintenant il est au sol, comme une bête (lui aussi) anéantie entre cinq autres bêtes même pas repues, au regard inquiet (les autres, les non-armés, les impuissants et les poltrons se sont agglutinés autour pour voir, pour savoir ce qui s'est passé).

Devant tout ça, ces coups, ce sang versé, on a du mal à croire qu'il y ait de la jouissance dans la violence. Et pourtant il y en a, c'est sûr. Mais au lieu d'un orgasme, d'une plénitude, c'est une décharge de coups, de douleur, de sang qui coule. Je ne comprends pas. Et ça me bouleverse. Est-ce que je devrais comprendre ? Chercher à comprendre ça ? Ou bien fermer les paupières, fermer les oreilles et attendre que je puisse oublier ?

Mais je ne peux jamais oublier les violences physiques. Je ne peux pas. Et je ne peux pas comprendre non plus.

Parmi les autres (les clients de l'intérieur sont sortis pour " regarder "), parmi les autres je me suis " indigné ", j'ai entendu ma voix pousser sa gueulante inutile et couarde, j'ai senti que j'avais froid, j'ai fini mon demi et mes frites (et ca, après tout ça, ça me faisait du bien : m'abstraire de la situation qui venait de se dérouler sous mes yeux, dans mes oreilles, faire comme si rien ne s'était passé).

Et ça s'est passé peu après une des dernières réunions avant le bouclage du n° 2 de Types. Et ces bêtes sont aussi des " types " parmi les types. Pas les mêmes types de types évidemment, mais des types, avec leurs problèmes, enfermés derrière une braguette, sous un casque, dans des blousons de cuir...

Et moi, ce soir, j'ai vu ces mecs, sans une parole, tout juste des grognements, des " Prends ça ! " et compagnie, ces mecs sans paroles cogner et un autre se faire cogner, sans paroles lui aussi...

Et je me dis soudain que des textes sur le Plaisir ne devraient pas seulement parler du plaisir tel qu'on le rêve, tel qu'il est parlé par ceux qui écrivent, mais aussi de ce qui se passe dehors dans la rue certains jours et qui fait flipper la tête, la tête qui ne peut pas comprendre mais qui est bien obligée d'admettre qu'il doit y avoir du plaisir enfoui-enfermé dans la mutité de la violence bestiale.

Oui, il est important de ne pas rester silencieux... La violence physique ne dit rien. C'est devenu un spectacle.

--------------------------------------------------------------------

Revue TYPES  2/3- Paroles d’hommes - 1981

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


Précédente Accueil Suivante