Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Dix mai Bastoche Plaisirs non-stop

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Dix mai Bastoche Plaisirs non-stop

Un peu peur d'exprimer le plaisir que j'ai ressenti le soir du 10 Mai, de ne pas écrire assez au pluriel, peur de le trahir ce plaisir. De ne pas savoir traduire comme il est passé dans mon corps, dans mon cœur (le vrai), dans mes veines partout où ça vibre, où ça émotionne. Il y avait de l'orage dans ma tête bien avant 1 h 30 du matin :

Dimanche après-midi. Nous travaillons sur la maquette de Types. Types sortira début Juin. Début Juin socialiste ? Difficultés à me concentrer. Longue, longue après-midi. La bonne photo, la bonne citation... mais aussi les résultats de 20 h. 19 h 45. Nous abandonnons la table de travail et allumons la télé :

— " Ils ont des sales bobines, quand même, nos journaleux ! "

— " Oui, mais sous avez vu le nombre d'abstentionnistes qui ont voté cette foisci !"

Quart d'heure interminable.

J'ai mal au beau milieu du ventre. Là où j'ai mis tous mes espoirs et aussi toutes mes craintes.

20 h. Sept paires d'yeux sont braquées sur la télé. Des yeux démesurés qui voient apparaître un front qui ressemble à un autre front. Et puis les premiers sourcils en pointillés et des bouches qui crient leur plaisir : " Mitterrand Président ".

Première image informatique d'un président de gauche. 51,7 % et toutes ces défaites gommées qui transcendent notre joie.

Le balcon accueille mon premier cri de vie dans la rue : " la droite a perdu ! ". Le ciel était plutôt gris ce dimanche, mais il est tellement bleu ce soir-là !

Arrivée chez d'autres amis. On voudrait les voir tous. Il fait bon, il fait chaud jusqu'au bout des doigts de pieds. Bises nombreuses, vertigineuses, parfumées. Même les hommes appuient tranquillement leurs lèvres contre des barbes de combat. Pour la première fois c'est la télé qui nous regarde et non pas nous qui la regardons.

Le champagne pétille presque autant que nos yeux. Nos rires crépitent comme des feux d'artifice.

J'ai toujours eu du mal à bien situer mon orgasme. Mais ce soir il m'envahit, il est partout et dure incroyablement.

Rebisous. Même mon whisky commence à faire des bulles !

Les voix des journalistes et les commentaires politiques se heurtent aux rumeurs de la rue. Le temps de savourer certaines mines qui s'allongent démesurément, d'autres qui deviennent parchemin et nous plantons là le petit écran qui se rétrécit de plus en plus devant l'événement.

Les escaliers sont encore plus ronds que je le croyais !

Bouffée d'air vif et nouveau. Concert de klaxon de toutes les couleurs. La rue nous appartient et les pavés brillent à nouveau. Les têtes sortent hilares des voitures bondées. Les drapeaux flottent de main en main. Cette nuit le ciel est rouge vie. Rouge de bonheur. " On a gagné, on a gagné, on a... " On ne sait plus très bien combien Mitterrand a marqué de buts mais on est tellement content.

République-Bastille avec pour seul mot d'ordre, le plaisir est dans la rue : " Cours-y site, cours-y site ! ". Et nous courons, et nous sautons. On n'en finit plus de s'embrasser. On s'aime en grappes. On est persuadé de s'être déjà rencontrés. On se reconnaît tous. Un flot de rêves déferle vers la Bastille.

Place de la Bastille.

Le 10 Mai devient 14 Juillet. 36-68.

Je bois, à m'en étouffer, des grands coups de mémoire collective. Le génie a la tête dans les étoiles et fait des clins d'oeil à la République. Les fleurs poussent à travers les pavés. Je respire le printemps à pleins poumons. On danse à perdre haleine sur les chansons de Rocard, d'Huguette...

Ça tourbillonne, ça farandole et ça carmagnole (enfin, quand on a la place pour remuer). On est les uns contre les autres, tellement près. Ensemble.

Nous sortons de nos lits d'angoisse, de nos films du dimanche soir. Nous dansons nos espoirs retenus frileusement. L'amour étourdit nos têtes encore un peu éberluées.

On se prend la main, on se prend par le cou, on s'éprend... on est heureux. Encore trop heureux pour être vrai. En larmes ou en sourires nous reprenons notre place, réoccupons notre espace d'espérance, notre terrain des luttes.

L'orage vient laver nos blessures, les grêlons frappent nos imaginations. Comme on est bien côte à côte, joie contre joie. Un grand feu nous réchauffe tendrement, doucement...

Je nous regarde tout à coup : " Dites, c'est vrai, on ne se quittera plus jamais ! "

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Revue TYPES  2/3- Paroles d’hommes - 1981

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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