Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes

Des sorcières comme les autres

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Revue TYPES 2/3 - Paroles d’hommes - 1981 

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Des sorcières comme les autres

Le numéro de " La revue d'en face " consacré en partie aux groupes hommes et aux différentes initiatives qui en émanent a donné lieu au sein du collectif de rédaction de " Types/Paroles d'hommes " à un débat contradictoire selon la formule consacrée. Les quatre textes qui suivent s'efforcent d'en témoigner.

 

" ... mais je veux croire que seule notre évolution générale fonction comme elle est — ce qui la complique — de diverses évolutions particulières sera de nature à donner à ce que nous aurons pu entreprendre ensemble sa véritable signification... " (Breton)

 

Chères sœurs étrangères

Dans " TOUT " n° 12 du 23 avril 1971, des féministes disaient à un mec : ... " Notre histoire est une histoire identique et collective. Mais pour créer des relations nouvelles, on est en face de nous devant l'inconnu... En plus, individuellement, les mecs, ils font une espèce de chantage sentimental et ils se placent en victimes incomprises qui ont besoin de tendresse et d'amour. C'est-à-dire qu'ils continuent à nous culpabiliser... juste au moment où on commence à réaliser nos désirs.

Ces phrases demeurent d'actualité dans la mesure où elles situent bien la méfiance qu'ont manifestée certaines féministes quand fut connu le texte de l'affiche expliquant ce que nous aimerions écrire.

 

Constats...

En partant du constat que les femmes sont socialement et personnellement opprimées, les féministes mettent en œuvre les objectifs et les moyens de leur libération. L'autonomie du mouvement des femmes s'est appuyée sur l'évidence que des oppresseurs ne pouvaient parler à la place des opprimées. Cette nécessité est confortée par l'expérience qu'ont eue des féministes de voir des hommes s'exprimer en leur nom dans diverses organisations de gauche ou d'extrême-gauche.

 

L'inquiétude des féministes devant la constitution de groupes hommes et la parution d'une revue comme " Types ", se comprend donc assez bien. Soucieux de cela, nous avions pris soin de préciser notre démarche : pas question selon nous, de nous approprier les théories féministes pour discourir sur la meilleure manière de lutter contre la phallocratie.

 

Partant de ce constat global, souhaitant que soient créées des relations égalitaires entre hommes et femmes dans la société et dans ma vie, convaincu de l'importance des luttes féministes pour leur progression et pour m'apprendre ce qui y fait obstacle, je me dit que faire ? Attendre " le grand soir du triomphe de la juste lutte d'émancipation des femmes ", en allant applaudir les manifs féministes, en suivant avec intérêt les progrès de leurs luttes, en lisant leurs revues, en " battant ma coulpe " sans cesser d'être coupable (malgré tout, quand même !) de porter pénis et phallus ?

 

Je préfère avoir une attitude plus positive, moins " voyeuriste ", plus axée sur la découverte, entre mecs, de nos conditionnements et des possibilités ouvertes par d'autres rapports sociaux et individuels que ceux qu'impliquent les normes masculines et la phallocratie. Je suis donc entré dans un groupe homme (1). Ce choix accompli avec quelques autres me paraît être la seule manière de tenter de dépasser la contradiction existant entre mon appartenance au genre masculin et vouloir, vivre, mener la critique de la phallocratie. Je n'attends donc de ce vécu des groupes hommes ni la vérité anti-patriarcale révélée par je ne sais quel prophète, ni les nouvelles recettes pour savoir bien se comporter avec une féministe (ou formulé autrement : comment mieux les séduire), ni les consolations déculpabilisantes contre les méchantes meurtrissures au moral, aux sentiments de bonne conscience, qui m'auraient été infligées par les féministes. Non le groupe hommes n'est pas pour moi un salon-cocon-divan-cathéchisme pour ex-militants repentis de leur virilisme.

 

Lieu de changements patiemment profonds, assemblage d'individus cherchant à percevoir leurs histoires, leurs situations de mecs, leurs critiques des normes masculines,

 

voulant exprimer fermement mais sans forfanterie qu'ils ne supportent plus de les vivre, ni de les reproduire.

Pas de stratégie donc, ni de définition idéologique préalable, proclamatoire, programmatique du genre : " voilà ce que sont et doivent être de "nouveaux hommes" ". D'autant que dans ce vocable de " nouveaux ", lancé par les médias, nous ne nous reconnaissons pas. Conscients de nos contradictions, de nos ambiguïtés, de nos limites, mais aussi de notre envie de changements, nous avons " annoncé la couleur " dans l'éditorial du n° 1 de " Types " :

" Comme les groupes "hommes" cette revue sera peut-être accusée de vouloir aider les hommes à reconquérir — ou renforcer — un pouvoir qui leur est contesté. Nous ne croyons pas, quant à nous, que le simple maniement de nos stylos ou que le cliquetis de nos machines à écrire nous fortifient dans une primauté que de toutes façons nous ne revendiquons pas...

 

Comme eux, cette revue sera peut-être accusée de constituer une parenthèse dans la vie sociale, sans perspective militante, sans prosélytisme organisé. Les questions que nous nous posons, nous les laissons parfois sans réponse : c'est vrai. Nous ne sommes pas une "avant-garde masculine libérée". Nous sommes seulement désireux d'entrouvrir les carcans dans lesquels, enfermants, enfermés, nous nous éloignons d'un changement potentiel. "

 

Les belles images

 

Nos déclarations d'intention n'ont pas été suffisantes puisque c'est finalement de tout ça (et bien d'autres choses), dont justement nous accusent trois articles d'une revue féministe : " La revue d'en face (2) ". Certains intertitres donnent le ton : " les groupes hommes ne sont pas ce que quelques naïves imaginaient " ; " de quoi veulent se punir les hommes ? " ; " castration ou pouvoir " ; " ils ont beaucoup souffert " ; " nouveaux hommes, vieilles illusions ".

 

Les belles images... d'une certaine manière de nous mettre en scène.

 

Premier article : 

" A propos des groupes hommes ". L'analyse est basée sur la lecture du n° 4 de " Pas rôle d'hommes " et du texte de l'affiche de " Types ". Notre histoire est ainsi résumée... Déprimés par le militantisme, nous aurions découvert après les féministes le fait que " le privé aussi est politique " et l'aurions adopté comme dernière mode subversive (pour moi ce serait rétro car j'aimais en 1967 ce que disaient les situationnistes à cet égard...). Puis mis en cause par les féministes, nous aurions culpabilisé sur la et notre phallocratie (exact...). Ensuite les doutes étant trop dérangeants et la culpabilité trop lourde à porter, nous nous serions découverts nous aussi opprimés, non par la phallocratie (mot que nous aurions banni de notre vocabulaire pour ne plus nous sentir des âmes de martyrs...), mais par la virilité. Nous revendiquant comme plus ou moins " dévirilisés ", notre intérêt pour le privé serait donc la recherche de la " mère consolatrice ", du repos du guerrier. Quant à la parution de la revue " Types ", elle représente conclue C. Lapierre, un " affranchissement de la critique féministe " (qui) peut aussi fournir une base idéologique plus subtile pour le retour au statu-quo ante...

 

Ce " digest " de l'article de C. Lapierre nous montre comme porteur d'un projet machiavélique : " digérer la révolte féministe ", tout en évitant la réflexion préalable sur l'inégalité entre les sexes et les conditions de son dépassement.

 

Deuxième article : 

" D'étranges frères, étrangers ". Une bonne partie de l'article explique les méthodes contraceptives masculines. Mais pourquoi se donnent-ils tout ce mal ? demande ensuite F. Gilles. Elle cite alors diverses phrases tirées d'" Ardecom " et trouve dans l'inconscient des mecs se contraceptant le désir de castration, de punition symbolique face aux féministes. Mais la culpabilité, là non plus ne peut pas marcher longtemps. Alors F. Gilles préfère penser que la contraception masculine correspondrait bien au désir d'hommes de contester le pouvoir d'enfanter des femmes et le droit nouvellement acquis de contrôle de la procréation. Les motivations de ces hommes ne sont donc, selon elle, pas limpides. Elle n'envisage pas évidemment la limpidité du choix de partager la conception, la responsabilité d'élever un enfant... Non les hommes doivent par essence reproduire le rôle du patriarche ou du père absent ! Sortis de ça, ils deviennent vraiment suspects.

 

Troisième article : 

" Le mâle de vivre ". Celui-là pose la question de l'intérêt pour les luttes féministes qu'existent des groupes hommes. " Chacun ses intérêts ", dit en substance I. Théry. Il n'y a pas de symétrie possible entre le mouvement des femmes (luttes des opprimées) et les bénéficiaires du patriarcat même " pourvus d'une conscience malheureuse ". Argument irréfutable, si on admet entre hommes et femmes la logique des " camps " constitués sur la base d'objectifs, d'intérêts contradictoires... A partir de cette évidence se constitue une définition des groupes hommes aussi simple que le principe d'Archimède : puisque les féministes nous ont plongé dans le liquide amère de nos contradictions, nous exerçons une pression et la pesanteur de notre appartenance au " camp " phallocrate remonte bien entendu à la surface. En effet pour I. Théry : " Bref de quelque côté qu'on se tourne, dans l'attirance pour les groupes hommes ce qu'on retrouve toujours c'est la volonté de dire son malaise (s'approprier un discours dont on était exclu), de dénoncer la norme (se déresponsabiliser), d'analyser les carcans de la Virilité (se poser en victimes). " Moins élégamment dit, ça revient à ceci : envieux, irresponsables, simulateurs, et ca me rappelle la manière dont le P.C.F. désignait les gauchistes comme des éléments étrangers à la classe ouvrière. La ressemblance avec ce discours pourrait même aller plus loin, puisque l'article se conclue sur le dévoilement de notre stratégie inavouée : le mythe du " nouveau camp " nous agite et nous parcourons déjà " tout le chemin qui va d'une crise de la virilité à l'affirmation d'une "nouvelle masculinité" ".

 

Prudence...

 

Certes, il vaut mieux être critiqué qu'ignoré quand on veut être connu. De plus, les articles saluent quand même notre existence, avec, au passage un certain intérêt. Saluons donc l'effort de perspicacité déployé par les rédactrices de " La revue d'en face ". Elles ne partagent pas la logique extrémiste des " lesbiennes radicales " (3). Pourtant la mise en scène des " noirs desseins " ou " destins " des groupes hommes et de " Types ", si elle s'appuie sur une méfiance fort compréhensible de la part de féministes, relève du désir de condamner nos tentatives et non de les comprendre. Il en ressort dans l'ensemble un portrait de nous légendé ainsi : " attention, ces hommes sont dangereux ". Pourquoi ? Peut-être parce que pour une féministe, il est plus facile de se réidentifier face à un " phallo " qui s'assume comme tel, qu'avec des hommes dont les contradictions sont pesantes à partager ? Je n'en sais rien finalement...

 

En tout cas les théorisations hâtives de " La revue d'en face " créent en moi le malaise de sentir que ces féministes qui nous situent (comme nous le disons aussi d'ailleurs) comme une conséquence directe ou indirecte de leurs luttes, nous jaugent à partir du postulat implicite : " tous les mêmes ! "

 

Cela ne me laisse pas indifférent, ni serein (en refusant de réagir, je signifierais que je me moque de pouvoir communiquer ou non avec elles... ah ! le nouvel homme qui s'en sort de cette foutue culpabilisation des critiques féministes). L'aspect caricatural de certaines analyses de nos intentions traduit le blocage d'un débat et d'éventuelles actions communes. Pour parodier C. Lapierre : " Le pas de la déconnexion est franchi, on a tranché dans le vif d'une utopique convergence, celle de groupes d'hommes nous épaulant consciemment dans notre lutte contre la patriarcat, probable naïveté de certaines féministes. " Peut-être, mais je crois que ce sont elles qui ont tranché dans le vif en décrétant notre nonconformité d'emblée.

 

Répondons donc aux critiques. La phallocratie existe. Cette structure inégalitaire entre sexes, nous la côtoyons et la vivons sur nos lieux de travail, dans la rue, dans nos relations quotidiennes. En faire l'inventaire est plus aisé que d'observer dans nos vies, les conditions de sa reproduction. En partant de cette réalité, de l'envie de la changer, nous disons : comment la remettre en cause, ici et maintenant, en moi, en nous et dans la société. Si tenter cela, chercher d'autres manières d'être, refuser les rôles et normes masculines hétéros (et homos aussi) assignés à chacun, c'est inventer cette " nouvelle masculinité ", vocable dont nous affuble " La revue d'en face ", et qui permet de si ardentes mises en garde, eh bien nous, ça nous intéresse ce masculin aussi singulier. Rien à voir avec ce phantasme de " Trilatérale " de la " nouvelles virilité " " dévirilisante " mais encore avide de pouvoir et de récupération, qu'elles imaginent pour nous.

 

J'opposerais à ce phantasme notre propre scepticisme sur nousmêmes :

" Nous voudrions ouvrir un espace de vie. De nos vies de "mecs". Pour nous laisser enfin aller à dire nos cheminements au jour le jour, nos espoirs et nos lassitudes, nos amours et nos peurs, nos incertitudes, nos désirs, nos plaisirs. Pour dire la découverte de nos manques, l'apprentissage de nos isolements face aux images que nous renvoient les institutions obligatoires — l'école et l'armée — et le reste — les films, la publicité, les revues dénudées, la pornographie, la violence. Pour raconter nos explorations à côté ou à contretemps des modèles que nous sommes censés reproduire, des symboles dont nous sommes investis. Pour affirmer un droit à l'errance, à l'erreur, au rire, sans prétendre détenir la seule vérité qui vaille ou représenter les "nouveaux hommes" dont on nous rebat les oreilles. Ni archétypes, ni contretypes. Comme eux, cette revue n'existerait peut-être pas s'il n'y avait eu une interpellation des féministes ou des homosexuels. Mais, comme eux, cette revue se fera aussi bien : avec des hommes pour qui la tâche urgente est de réfléchir à ces interrogations, qu'avec des hommes qui revendiquent plutôt une réflexion autonome — pas hostile — sur nos spécificités, nos insuffisances et nos positivités (4). "

 

J'ajouterais à cette citation une autre de Simone de Beauvoir extrait d'une interview parue dans le même numéro de " La revue d'en face (5) " (réponse à une question posée par I. Théry) :

S. de B. : Je n'ai jamais entendu parler de groupes d'hommes. Mais je connais quelques hommes effectivement féministes, évidemment parmi les plus jeunes (...) Il dit que si les hommes pouvaient parler entre eux avec autant d'honnêteté que les femmes parlent entre elles, ce serait une très bonne chose car des quantités d'hommes ont aussi des problèmes sexuels, des problèmes d'impuissance, de ceci ou de cela, dont ils ne veulent ni n'osent parler, car il y a une censure très forte chez eux. Peut-être que s'ils faisaient des groupes d'hommes, ce serait une bonne chose.

 

I.: C'est en tout cas tout à fait dans cette perspective qu'ils se regroupent. Pour lutter contre l'idéologie virile qu'on leur impose. Mais ils ne se réunissent pas simplement comme des amis. Ils se réunissent pour faire de la politique, produire une analyse, lutter. Est-ce que même avec la meilleure volonté du monde, ces groupes ne sont pas amenés inévitablement à détendre leurs intérêts d'oppresseurs puisque chaque homme reste un agent de l'oppression même s'il la combat ?

S. de B. : Je ne sais pas ce que pourraient être des groupes d'hommes, comment ils évolueraient... "

 

Nous partageons cette prudence de S. de Beauvoir car les groupes hommes n'ont pas des années d'expérience derrière eux. Il est donc difficile de déjà discerner ce que sera leur avenir, leur fonction et leur pratique de façon aussi globale et aussi assurée que l'a écrit ." La revue d'en face " surtout sur la base de la lecture d'un seul texte.

 

Jean-Yves Rognant

 

(1). cf Finalement vous changez quoi ? p. 70-72 de Types n° 1

(2). La revue d'en face, revue politique féministe du mouvement de libération des femmes, n° 9-10, p 29 à 47

(3). Voici ce qu'écrit l'une d'elles : " Dans cette société ou les antagonismes entre la classe des femmes et la classe des hommes sont si violents, si oppressifs, qu'on ne peut que parler de guerre. Dans cette société ou, pour obliger les femmes a pactiser avec l'oppresseur, le patriarcat a inventé la grande logique Hétérosexuelle : les hommes et les femmes seraient complémentaires de par leur Différence sexuelle. Les hommes peuvent donc en toute impunité violer les femmes : ça s'appelle des rapports sexuels. Ils peuvent s'approprier une femme, l'enfermer dans une maison et lui faire faire leur ménage ; ça s'appelle le mariage.

(4). Éditorial de Types n° 1.

(5). Page 13 de La revue d'en face n° 9-10

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Revue TYPES  2/3- Paroles d’hommes - 1981

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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