Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

Du côté de nous - l'extra et l'ordinaire

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982 

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DU CÔTÉ DE NOUS - L'extra et l'ordinaire

'étais là parmi d'autres dans la chaleur humaine du groupe. Ainsi coupés de l'extérieur, hors nature, nous faisions nous-mêmes le jour et la nuit comme des extras en soucoupe volante. Le soleil et la lune n'existaient pas pour nous, en ce lieu conçu comme un œuf suspendu dans l'espace-temps cosmique. Chacun vêtu de sa peau sensible, presque nue de poils, nous étions tous à l'aise, heureux de faire corps fraternel. Je me sentais d'accord, indiciblement. Le silence disait le bonheur du groupe détendu, mollement étendu sur la moquette douce, et nos regards souriants parlaient l'inaudible langage des hommes qui savent l'essentiel. En toute conscience collective, l'être là sans raison et sans but était le comble de la jouissance. Vivre avait un goût de miracle. Chacun des autres, là, devenait de plus en plus exquis, délicieux merveilleusement bienvenu. Mon voisin me toucha le bras comme pour dire qu'il trouvait inouï que j'existe avec lui, que c'était bien pour tous que je sois là présent, et je lui répondis en posant ma main sur sa cuisse. Gestes d'hommes qui se remercient de vivre ensemble, corps à corps, et qui se disent sans bruit : " je t'aime tel que tu es fait, en ton costume de chair délicate et fragile, reste là vivant ! "

Nos respirations servaient de musique en fond sonore. Aucun de nous n'avait envie d'agir, de s'agiter, d'agiter les autres en ce lieu d'agréable loisir ou faire était de trop, comme dire. Nous étions en congé de tout, congé de production, congé de reproduction, congé même de copulation sexuelle, hors système. Nous nous voulions ainsi chaque week-end et chaque congé, non pas en un monde ou en un autre monde, mais voyageurs d'entre les mondes, extras de nulle part, habitants de la conscience jouissive. Notre lieu n'était qu'un décor de théâtre, planté comme une soucoupe dans une grande salle de séjour banale. Là pas d'acte, sinon l'acte de paix totale, y compris sexuelle. Pas de femme. Pas d'enfant. Personne d'autre que nous les hommes extra-sexuels, ni homo, ni hétéros, ni rien.

Nous mangions juste pour vivre, certes avec plaisir mais ce plaisir ne faisait pas problème ; nous avions beaucoup mieux que ça. Le temps passait à ne rien faire que nous consumer les uns les autres en calumet de sages indiens jouissant d'être là sous la tente cosmique du grand savoir-vivre. Paroles d'hommes savants... les ronds de fumée se perdaient à l'infini, aspirés hors du fini où nous célébrions la consumation rituelle.

Théâtre sacré, sacré théâtre !

Claben

 

 

Transformation

1980

Rien ne va plus dans mon couple. Je crève de jalousie. Mon épouse prend de plus en plus de liberté, fait des choix, sort avec un type, puis d'autres. Je les déteste. Je lui dis que je l'aime ; que je me vengerai ; que je vais la quitter ; que moi aussi, je vais être amoureux de quelqu'une et que tout sera fini.

Dans les moments plus calmes, nous nous expliquons. Parfois même nous nous retrouvons : j'ai l'impression que tout va aller mieux. Je comprends ses désirs de rencontre, de partage d'émotions. J'ai moi aussi les mêmes désirs mais je tourne en rond : rien ne se passe dans ma vie et quand elle me quitte, je me retrouve seul.

Seul avec rien ou presque, un soir, j'ai trouvé de l'alcool et Jacques Brel. Ils m'aident à combattre de terribles images où je la vois se faire salir et se salir au contact de violeurs. Quand elle est rentrée ce soir-là, elle m'a méprisé. Ça m'a meurtri, mais au moins j'existais.

Un autre jour, un samedi, après l'avoir obligée à subir un énième questionnaire et l'ultimatum habituel, on s'engueule et je décide de sortir, de penser à autre chose. Je vais dans un endroit que je connais à peine, le 46 du Pré-St Gervais. C'est à côté de chez moi et je crois savoir qu'il y a des gens " sympa ", peut-être une femme que je rencontrerais, qui m'écouterait, que je pourrais aimer.

Dans cet endroit, au contraire, je vais trouver des hommes " intellos-marginaux " qui parlent de contraception masculine. N'ayant rien d'autre à faire et l'esprit ouvert, je m'assieds dans la salle sans me faire remarquer et j'écoute : c'était une réunion d'Ardecom. Vers 17 heures, la réunion se termine. Je vais encore être seul. Mais non, j'y rencontre mon frère Jean-Paul, plus à l'aise que moi dans ce genre d'endroit. Il a acheté deux revues : la revue d'Ardecom et une autre, qui s'appelle " Pas Rôle d'Hommes ".

Jean-Paul est pressé, il me donne " Pas Rôle d'Hommes " et s'en va. Je le reverrai dans un mois ou deux...

Sur le chemin du retour, je lis ce bulletin. J'y découvre un texte de Bernard qui me raconte un bout de sa vie : lui aussi a été jaloux, a eu envie de se battre pour garder sa femme. Son histoire ressemble trop à la mienne et puisqu'il a mis son numéro de téléphone, je décide de l'appeler...

C'est comme ça que je vous ai connus, les mecs, d'abord Bernard, puis Jean-Yves, Gérard, Pierre, Gilbert etc.

Pour moi les premières réunions n'étaient pas simples. J'y soupçonnais une homosexualité latente qui m'effrayait. En même temps j'étais fasciné par ce désir de compréhension d'un conditionnement masculin qui me faisait souffrir. Bien sûr, j'avais des copains qui auraient pu m'écouter et me donner des paroles consolatrices mais vous les mecs, vous me donniez bien autre chose : la possibilité de me comprendre et de vous comprendre.

La confrontation de nos vécus dans la tendresse et dans le rire m'a donne envie de partager votre rituel : la bise. Beaucoup d'entre vous sont devenus mes amis, et mon téléphone, qui ne sonnait que pour elle, se souvient encore de ces communications longues et douces. En général vos démarches ne coïncidaient pas vraiment avec les miennes. Vous exprimiez avant tout une difficulté de communication entre les hommes et vous prétendiez bien mieux vous confier à des femmes.

A cette époque je n'osais que très peu parler à l'autre sexe. Les quelques sorties en boîte que je m'octroyais me donnaient parfois l'illusion de rencontre. J'allais draguer et, de temps en temps, j'avais une aventure : on s'était choisi sur un physique et on se rendait vite compte qu'on avait peu de choses à se dire...

1982 : Aujourd'hui, après avoir appris à parler de mon vécu, mon mode de communication avec les femmes s'est transformé. Je ne rencontre plus une femme mais un prénom, une histoire. Je me sens son égal. Mon désir de sexualisation n'est plus une obsession mais une possibilité éventuelle si nous le désirons.

Et si j'avais été voir un psychothérapeute, en 1980, en serais-je au même point ? Peut-être... Les groupes hommes ont été pour moi l'occasion de grandir, j'ai pu mieux repérer mes désirs face à la vie en allant me confronter avec ceux que je considérais comme mes rivaux. Il y a deux ans, je ne pouvais pas frôler un genou féminin sans penser que peut-être il aurait pu se passer d'autres choses. Cette demande souvent informulée, parasitait mes échanges et c'est en frôlant le genou des mecs que j'ai appris à connaître mon désir réel envers la personne de l'autre sexe.

Je pourrais encore vous raconter bien d'autres choses : comment ont évolué mes rapports à Annabelle, ma fille ; à Christiane, ma compagne ; à mon travail ; a mes loisirs. Tout bouge, cela continue de bouger. Je vis.

Actuellement enseignant, j'ai encore devant moi des garçons et des filles qui se regardent sans oser être vrai. Alors Adam, la revue, les groupes hommes, moi j'y crois.

Christian Ollivier

 

 

Groupes hommes ?

Tu connais ?

Texte paru dans " Espace-Temps n°16 " - février 1982

Bien sûr que je connais. Tiens assieds toi et écoute :

" Il y a bien longtemps... alors que féministe je militais dans un groupe femmes, nos hommes respectifs, jaloux de nos tardives réunions, de nos petites virées communes et de notre tendresse partagée, décidèrent un beau jour qu'il n'y avait pas de raison et que eux aussi étaient capables d'en faire autant. Ce fut le premier groupe homme que je connus. Mais depuis j'appris que leur origine remonte aux alentours de 1971. Alors que les groupes femmes tenaient meeting sur le viol à la mutualité, les hommes gardèrent ensemble les enfants.

C'est ainsi qu'ils se plurent, s'unirent et firent beaucoup de petits groupes hommes.

Intéressée d'apprendre que les groupes hommes avaient survécu à ces premiers sursauts, faisaient tache d'huile et publiaient même une revue, je décidait d'aller les interviewer avec la casquette " espace temps ".

C'est comme ça qu'un beau soir d'hivers, Lenny, Alain et moi-même, nous nous retrouvames en compagnie de trois " hommes " : Alain, Christian et Jean-Yves, devant une table richement garnie.

Comment et pourquoi êtes-vous rentrés dans un groupe homme ?

Jean-Yves : D'abord par culpabilité. Quand on vit avec une féministe, on est mis en cause assez profondément : d'abord en tant que représentant d'une espèce biologique qui est celle des oppresseurs (inégalités, agressions subies par les femmes, etc.), ensuite dans notre vie personnelle en tant que porteur de schémas qui assurent le pouvoir aux hommes (manières de penser, propriété des femmes, de leur corps, de leur sexualité, etc.). Même celui qui partage les tâches domestiques ou l'éducation des enfants, garde dans la tête l'idée que les femmes lui doivent quelque chose.

Une autre question : est-ce qu'on peut imaginer une autre manière d'être mec ? Ce qui amène à l'interrogation : quelles sont nos valeurs ? On critique les valeurs de la virilité et quelque part on est un peu fasciné par les valeurs remises en avant par les féministes : possibilité de communiquer, de s'embrasser, etc.

Alors pour moi, la question suivante s'est posée: comment peut-on essayer de changer quelque chose dans nos comportements ?

Christian : Je suis venu dans les groupes hommes car ca allait très mal dans mon couple. Christiane était très imprégnée de ces valeurs féministes sans avoir participé à des groupes femmes. Elle avait des revendications par rapport à sa liberté d'être et je comprenais mal pourquoi elle avait envie d'autres horizons. J'ai été accroché par un texte de la revue " Pas rôle homme " où un copain racontait sa propre évolution avec une histoire qui ressemblait un peu à la mienne. J'ai donc pris contact avec les groupes hommes.

Alain : J'ai vécu en communauté avec ma compagne qui n'était pas engagée dans le mouvement féministe mais qui se réclamait de ce discours. J'ai été obligé de m'interroger sur mes comportements et j'ai voulu les modifier.

Par ailleurs dans mon itinéraire de militant, j'ai observé les oppositions, les réticences du monde politique masculin par rapport à la constitution des " commissions femmes ". Je restais mal à l'aise sans trouver de solution. On a fait une ébauche de groupe hommes dans notre syndicat. J'ai toujours été très sensible à ces problèmes, j'ai participé, essayé de comprendre, lu, assisté à des débats car je sentais qu'il y avait là quelque chose d'essentiel à ma relation aux autres femmes. Mais je me sentais voyeur... J'ai remis en cause mon comportement dans le partage des tâches mais cela me paraissait très insuffisant. . .

Le deuxième aspect c'est ma relation avec les hommes. Avec les militants j'avais des rapports très conformistes, des rapports de mecs tournés vers l'accession au pouvoir... Avec les copains j'avais des rapports très superficiels dans le champ du théorique.

Tout cela me gênait beaucoup ; les féministes avaient des rapports de tendresse. Je ne voyais pas pourquoi je n'en aurais pas avec d'autres hommes. J'ai rencontré plus ou moins par hasard Jean-Yves et j'ai eu très vite envie d'entrer dans un groupe hommes malgré quelques peurs : peur d'un espace clos de l'homosexualité, peur du discours pas du tout politique, de gens coupés de tout.

Que se passe-t-il dans un groupe homme ?

Notre groupe est un groupe de parole. On y traite de :

— l'approfondissement de notre vécu, notre rapport aux femmes, aux autres hommes,

— la critique du comportement masculin,

— la jalousie,

— notre préoccupation du moment, etc.

Bien souvent, le thème d'une réunion disparaît derrière le vécu. Le groupe (de 4 personnes actuellement) est peu directif. D'abord on entre en intimité. Il y a un plaisir de se retrouver et une certaine complicité.

Est-ce que le groupe homme a changé quelque chose dans votre vie ?

...Dans votre vie personnelle d'abord ?

Christian : Au départ comme je suis entré au groupe homme dans un état de crise, cela a été un peu psychothérapique, pour moi. J'ai pu parler, être écouté .

... Le groupe homme a été pour moi un moyen de comprendre. C'est un moyen privilégié pour réfléchir à son propre conditionnement.

... Je sens une évolution au niveau de ma sexualité et de mes fantasmes.

Alain : Je commence à prendre en compte tout le reste de mon corps et plus seulement mon sexe et je deviens plus exigeant dans mes rapports sexuels. Je désire qu'on reconnaisse tout mon corps.

Jean-Yves : Au départ le groupe homme c'est tout un vécu qui change : difficultés relationnelles, début d'une analyse... Pour changer la société, il fallait que je change.

... Mon regard sur la politique, sur les jeux de pouvoir a changé. Je commence à avoir une attitude plus critique par rapport à la parole universelle, à la détention des vérités.

Depuis quelques mois, je me sens devenir bisexuel.

Dans vos rapports avec les hommes ?

Alain : J'ai le sentiment d'être marginal, mais en même temps, après avoir analysé le comportement macho, je suis plus à même de percevoir l'homme qui est en face de moi et de le comprendre dans ce qu'il peut avoir de sympathique ou d'antipathique et cela facilite les relations. Je comprends ce qui se passe dans sa tête de mec.

Jean-Yves : Je me sens marginal de par le type de communication qui existe dans les groupes hommes : la capacité de parler de notre intimité, de notre sexualité, à ne plus réagir en termes de compétition, à accepter les critiques, à écouter l'autre.

... Ne pas rentrer dans le jeu du langage classique des mecs du style " oh cette nana, t'as vu son cul etc. ". Ne pas être dans ce type de discussion amène à se faire traiter de frustré !

... Dans le milieu de travail face à la concurrence, le goût du pouvoir, le langage phallocrate, j'ai du mal à ne pas me sentir marginal. Je ne dis pas que j'échappe à tout cela en permanence, mais j'y échappe peut-être plus vite qu'un homme qui n'est pas dans un groupe hommes.

Christian : J'ai été élevé comme petit garçon et j'entretenais des rapports difficiles avec les hommes. Le groupe m'a permis de découvrir qu'il pouvait y avoir autre chose que de la compétition entre nous, qu'il pouvait y avoir de la tendresse, de la compréhension.

Alain: Je suis devenu plus critique par rapport aux guérillas sournoises des militants pour se faire une place, à l'exhibitionnisme.

... Je suis rassuré par les mêmes peurs des autres hommes du groupe face à l'homosexualité ; j'ai découvert que le seul ennemi c'est moi et pas l'autre en tant qu'homosexuel. Mais j'ai encore peur par rapport aux gestes de tendresse. Pourtant dans les groupes hommes la tradition est de se faire la bise au lieu de se serrer la main.

Jean-Yves : Je n'ai plus envie de déstabiliser l'autre.

Dans vos rapports avec les femmes ?

Alain : Je me sens plus serein face aux féministes dans la mesure où je réfléchis parallèlement à ma masculinité.

Christian : Je me sens plus clair face aux phénomènes de jalousie.

jean-Yves : J'avais très peur de mon propre désir ; il avait comme alibi mon accord total avec le féminisme ; les discussions que j'ai pu avoir sur la sexualité, le désir, les contradictions par rapport à la nature de ce désir des hommes, m'ont aidé à être un peu plus spontané, naturel dans mon envie de donner de la tendresse à une femme. J'ai une attitude moins codée.

Dans vos rapports avec les enfants ?

Christian : Je me sens davantage comme parent responsable, alors qu'avant je me sentais incompétent dans certains domaines réservés aux mères : seule la mère pouvait consoler, soigner... Ma communication est meilleure avec ma fille.

Alain : Avant je n'entendais parler des enfants que par les femmes. Maintenant j'entends parler de rapports affectifs... charnels entre père et enfant. J'ai envie d'avoir un enfant... mais cela n'est pas dû seulement au groupe hommes.

Jean Yves : Mon rapport aux enfants a changé. Il ne me serait pas venu à l'idée il y a quelques années de proposer à une copine de garder son enfant une fois par semaine. J'ai voulu voir ce que c'était de s'occuper entièrement d'un enfant.

Est-ce que votre groupe débouche sur des activités ?

Nous nous retrouvons déjà souvent dans les réunions de groupe, dans les permanences d'information que nous tenons deux fois par mois, dans la prise en charge de la revue Types que nous éditons.

D'autre part, il y a toute une série de tentatives de prolongement non pas du groupe lui-même, mais des individus du groupe dans le cadre des loisirs.

Beaucoup de propositions ont été faites : hammam, massages, mais peu aboutissent. Nous ne souhaitons pas entrer dans un processus d'activités non spontanées.

Propos recueillis par Alain Viguier, Marie-France Leroy, Lenny Tepper.

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

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