Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

La certitude d'être mâle

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1981 

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Du Côté de nous

La certitude d'être mâle

Ouvrage réalisé sous la direction de Hervé de Fontenay.
Éditions Jean Basile - 1980 - QUÉBEC

Pourquoi ce titre bizarre ? La réponse à cette question est implicitement donnée dès les premières pages : l'objet de l'ouvrage n'est pas seulement de livrer différentes interrogations d'hommes sur l'identité masculine, son contenu social et ses multiples contradictions. Il veut aussi proposer de nouvelles alternatives, de nouvelles références qu'il serait, plus ou moins, possible de substituer à l'identité sociale virile afin de vivre la masculinité tout en essayant de refuser d'être oppresseur et opprimé.

" De l'engagement affectif au célibat, du corps masculin aux fantasmes sexuels, des images de la virilité à la paternité ", ce livre nous fait voyager " de thème en thème a travers la condition masculine ". Une restriction importante cependant est clairement annoncée dans le sous-titre : " Une réflexion hétérosexuelle sur la condition masculine ". La raison de cette exclusive nous est donnée plus loin, dans l'avantpropos " Après dix ans de féminisme actif à grande échelle et de luttes de la part des homosexuels, il était temps que les hétérosexuels se décident à prendre la parole ; qu'ils tentent à leur tour de s'énoncer différemment ". En clair : que les féministes et les homosexuels qui ont déjà tout le loisir de s'exprimer dans leur lutte et dans leur presse nous laissent, à nous les hétéros-masculins-qui-nous-interrogeons-sur-lavirilité, nos espaces d'expression propres et exclusifs. A moins de réduire l'exercice de la virilité à la relation homme-femme, il semble pourtant difficile de séparer aussi nettement les réflexions hétérosexuelles ou homosexuelles sur la masculinité. Les uns et les autres vivent, par exemple, les mêmes relations de concurrence et de rivalité entre hommes dans le monde du travail... Comment, d'autre part, expliquer la présence d'une femme dans le collectif de ce livre ? L'exclusive est ici légèrement sélective... La crainte de se faire passer pour homosexuel quand on se questionne sur la virilité est-elle tellement terrifiante qu'il faille se démarquer sur ce point ?

Les différents textes contenus dans la " certitude d'être mâle " (CEM par la suite) abordent des thèmes très disparates. On ne parlera ici que des plus spécifiques.

Les groupes hommes et les fantasmes masculins

Dans " Le Groupe ", J. Broue, après avoir dressé un rapide historique des groupes hommes au Canada, s'interroge sur la remise en cause des rôles masculins que ces groupes sont susceptibles de produire. Il souligne ainsi que, si cette remise en cause est envisageable dans la vie privée quotidienne, elle est plus difficile sur le terrain social où les multiples formes de rapports interindividuels sont largement institués et dépendent assez peu des refus de chacun.

Le danger de voir se développer un nouveau corporatisme masculin dans le groupe homme, celui-ci pouvant en effet facilement " ... se transformer en un lieu où chacun viendrait vider sa misère ou ses peines pour aller, par la suite, le cœur léger, continuer à vivre les mêmes rôles traditionnels " (p.35) est souligné par J. Broue qui finit par s'interroger sur le vif intérêt des médias pour la réflexion sur la masculinité. Pourquoi cette réflexion a-t-elle plus de succès que celle des féministes ? Est-ce un symptôme d'une récupération en cours (les nouveaux hommes médiatisés) ? Ces questions, auxquelles il est encore difficile de répondre, sont ici clairement posées.

Il est souvent considéré que les fantasmes permettent l'évacuation des tensions et favorisent le fonctionnement social. A. Michaud, dans Les fantasmes, avance cependant l'idée qu'ils peuvent également constituer un mécanisme d'apprentissage à certains comportements. Ainsi, les fantasmes masculins, par exemple, alimentés par les représentations omniprésentes de la pornographie, peuvent influencer et modifier les relations de l'homme avec lui-même et avec les autres, et contribuer à reproduire les oppressions hommes-femmes.

Cocktail disparate

A côté de ces textes qui, parmi d'autres, constituent un apport réel à la réflexion masculine sur les rôles et la virilité, certains écrits contenus dans la CEM sont, à bien des égards, ambigus et critiquables. C'est d'ailleurs l'avis qu'A. Michaud exprime sans détour dans le numéro de la revue Hom-Info de mai-juin 1981 (1) : " Dans l'une et l'autre de ces deux productions (2) il est des textes qui, à mon avis, sont inadmissibles quand, comme auteur, on prétend se situer dans une perspective de remise en question des rôles et des stéréotypes masculins... ". La CEM rassemble, en effet, une quinzaine de textes écrits sans concertation ni réflexion collective. Le résultat est logiquement, un cocktail disparate d'écrits dont plusieurs justifient explicitement la préservation de certains privilèges masculins.

L'homme de marbre et la femme de chair

Ainsi, R. Richard, dans La transition, veut montrer les nombreux dangers d'une remise en cause de certains comportements masculins.

R. Richard commence par énoncer que, jadis, les muscles masculins étaient valorisés par les labeurs pénibles tandis qu'aujourd'hui, la mécanisation et les profondes transformations des modes de travail ne nécessitent plus une musculature d'Hercule. Le travail moderne deviendrait de plus en plus asexué. " L'organisation du travail dans la société moderne suit la loi de l'indifférence des sexes, et si les mâles se trouvent plus nombreux que les femmes dans certains métiers, on considérera cette situation comme le relent d'un passé révolu ou un privilège fantasmatique des mâles " (p.73). Après les nombreux travaux qui ont mis en évidence la division hommes-femmes du travail) il y a là de quoi surprendre. Mais peut-être ignorons-nous que le Canada est une Atlantide où l'exercice des armes, et du pouvoir politique et économique, n'est pas principalement masculin, où la division sociale du travail ménager entre hommes et femmes n'est qu'une trace presqu'effacée d'un passé révolu...

Conséquence de tout cela : les modèles masculins se dévirilisent, se féminisent. Les différences physiologiques et biologiques sont les dernières qui distinguent encore hommes et femmes. Mais, qu'en est-il encore sur ce terrain ?

Pour R. Richard l'homme est, naturellement, biologiquement, plus éloigné de son corps que la femme, car, contrairement à elle, il n'a pas de cycles réguliers et, d'autre part, il ne peut connaître les transformations de la grossesse. Enfin, il n'a pas de cavité vaginale pour lui permettre de vivre le plaisir sexuel intérieurement, pleinement. Conséquence ? L'émotion physique lui est inconnue, son corps de marbre est frigide et la seule exaltation qu'il peut saisir dans l'amour consiste à regarder la femme jouir, intensément en rejoignant, abandonnée et les yeux fermés, " l'espace intérieur de sa sensation ". Et si les femmes simulent parfois et feignent la volupté, " ... c'est qu'elles se rendent compte que la vue de cette jouissance est essentielle à la jouissance masculine. " (p.83). On devine la conclusion de R. Richard : la remise en cause des rôles, passif pour la femme et actif pour l'homme, dans la sexualité, risque de priver ce dernier du seul plaisir qu'il peut connaître : celui de faire jouir l'autre.

On fera simplement remarquer à R. Richard que les travaux de W.H. Masters et V.E. Johnson, et S. Hite, (entre autres), ont montré que les femmes ne focalisent pas nécessairement leur plaisir sur la sensation vaginale. D'autre part, les hommes qui veulent connaître l'extase de la pénétration ont, comme les autres, un orifice anal nerveusement très irradié.

Les propos ambigus de R. Richard se rapprochent fortement d'une petite croisade de défense des positions du pouvoir masculin. Cela n'étonne finalement qu'assez peu puisque, pour leur auteur, ce pouvoir masculin est à la fois une réalité et une chimère à laquelle s'accrochent désespérément les féministes : " Quoiqu'en disent les mouvements féministes pour nourrir leur lutte légitime, le portrait du mâle imbu de pouvoir, omnipotent, surpuissant, n'existe plus, sinon dans les fantasmes de ces femmes et de ces hommes qui n'ont pas encore renoncé au portrait du mâle de la société traditionnelle et qu'elles (sic) remontent en épingle pour se donner un ennemi à la mesure de leur lutte politique. " (p.72)

La violence : une affaire d'homme

A l'opposé, c'est un discours culpabilisé à l'extrême mais tout aussi ambigu que présente L. Grégoire dans La Violence. Cela commence par des propos de pénitent : " ... en tant qu'homme, en tant que mâle, j'ai l'impression d'être porteur d'une matraque entre les jambes. " (p. 113). Pourquoi cette culpabilité ? Parce que la société est établie, dirigée, contrôlée par les mâles à l'aide de la violence. Mais cette violence se retourne contre ses propres auteurs car, constate R. Grégoire dans la compétition entre homme, on a jamais définitivement gagné.

La violence du mâle lui interdit le plaisir. Ainsi, dans la masturbation, l'homme décompense ses insatisfactions, ses échecs, et décharge sans jouissance les tensions du moment. La pornographie emprisonne les hommes et les femmes par des images et des représentations de domination qui sont contraires à l'épanouissement. Néanmoins, précise L. Grégoire sans ironie, " ... la pornographie nous permet d'apprendre de nouvelles techniques amoureuses ou encore de développer une sensualité (!). C'est une façon de colorer notre vie sexuelle ou d'agrémenter une certaine routine. " (p.117). Enfin, le viol est l'aboutissement de l'apprentissage masculin à la violence.

Puissance et pouvoir sont les principales motivations de l'homme et la règle du jeu masculin est la compétition sans pitié. L. Grégoire illustre cela de façon saisissante : " En un mot, tout bon mâle viril est bien conscient qu'il est au fond de lui-même un de ces sales putes qu'il méprise tant. " (p.122).

Pour aguerrir l'homme à la rivalité incessante, il a fallu, continue L. Grégoire, tuer en lui toute vie émotionnelle. Aussi, pour réinventer d'autres règles du jeu relationnel, pour que l'homme puisse vivre l'épanouissement dans son rapport à l'autre, il faut, tout d'abord, qu'il apprenne à exprimer ses émotions. Mais, là encore, la culpabilité prend le dessus et les catégories simplistes émotion = féminin = bien et violence = masculin = mal réapparaissent dans le message que L. Grégoire adresse aux hommes, pour qu'ils apprennent l'émotion : " A nous de découvrir la femme en nous, de l'aimer et de l'exprimer. " (p.124).

Les groupes hommes: un besoin social ?

Outre ceux qui ont déjà été signalés (Le Groupe, Les Fantasmes), la CEM contient plusieurs écrits qui constituent des apports véritables à la réflexion sur la masculinité. Dans un texte introductif, H. de Fontenay s'interroge cependant sur la récente émergence de cette réflexion chez les hommes. Les questions qu'il aborde sont essentielles et se posent à tous ceux qui s'intéressent actuellement à la compréhension du fonctionnement masculin.

H. de Fontenay commence par constater que l'apparition des groupes hommes et les premiers balbutiements d'une réflexion collective masculine sur la virilité sont intimement liés aux luttes menées par les féministes et les homosexuels. Ces mouvements ont, en effet, interpellés de nombreux hommes et les ont amenés à s'interroger sur le sexisme, la phallocratie, les relations entre hommes et plus globalement, sur la condition masculine.

Aussi, depuis maintenant plusieurs années, de plus en plus d'hommes se sont engagés dans cette réflexion autonome sur les " conditionnements, les rôles et l'imaginaire symbolique " du mâle. On ne peut, néanmoins, que reprendre en conclusion, les questions posées par H. de Fontenay :

" Les hommes commencent tout juste à entamer cette réflexion. Il est encore impossible de dire où cela les conduira ni à quelles conclusions ils aboutiront. De même, personne ne peut encore préjuger de l'impact et des effets de cette prise de conscience sur le corps social. Mais nous sommes en droit de nous poser déjà un certain nombre de questions, comme celle-ci par exemple : Qui est le véritable maître d'œuvre de ces changements chez les hommes ? Est-ce les hommes eux-mêmes qui se décident enfin à se proposer d'autres alternatives, ou est-ce le système qui a peut-être " faim " de ces nouveaux mâles pour se créer d'autres besoins ? " (p.22).

(1) Hom-Info est un bulletin mensuel sur la condition masculine publié au Québec.

(2) Ces deux productions sont la CEM et un autre ouvrage collectif, L'Orgasme au masculin. On trouvera une présentation de ce dernier livre dans le n°2/3 de Types.

Gilbert Cette

 

 

Quand la réaction nous guette

Il n'y a pas qu'en France que des hommes s'interrogent sur la virilité, la phallocratie et, plus largement, sur la masculinité. Des groupes hommes se réunissent régulièrement, depuis plusieurs années parfois, dans d'autres pays. Au Québec, ces groupes semblent assez nombreux et une revue ronéotée : " Hom-Info, bulletin mensuel d'information sur la condition masculine ", diffuse régulièrement leurs réflexions.

Un texte paru dans Hom-info de janvier-février 1981 s'interroge sur le contenu des discours tenus par ces hommes dans les médias, dans les groupes hommes et dans plusieurs publications (" L 'orgasme au masculin " et " La certitude d'être mâle ? "). Nous publions ci-dessous de larges extraits de ce texte, qui fait apparaître quelques manques, quelques ambiguïtés et, disons-le, quelques glissements auxquels Types paroles d'hommes pourrait être également exposé.

Le " nouveau " discours masculin est florissant ! En quelques mois seulement, il a su envahir la presse et les ondes, et il se passe rarement une semaine sans qu'une émission ou un article ne recueillent les derniers propos des " nouveaux hommes ". Cette couverture ne se contente pas d'être attentive. L'importance qu'elle nous accorde devrait nous étonner nous-mêmes. (...) Quand on songe que les femmes ont pratiquement dû, pour se faire entendre, mettre sur pied leurs propres maisons d'édition, il y a lieu de se demander pourquoi dans notre cas, les massmédias nous sont servis comme un plateau ?

Le fait est que notre discours, comme tout discours dominant, jouit de crédibilité au départ, et qu'il n'a pas à mériter ses titres de noblesse. Le fait est également que ce discours contient un potentiel réactionnaire et qu'il risque de participer, directement ou indirectement, au courant qui croît actuellement en ce sens au Québec ! On clamera par exemple en public " qu'il y a une oppression spécifique des hommes ", que les hommes ont à se dégager des modèles de comportement qu'on leur impose et à retrouver une nouvelle identité. Mais de quel on s'agitil ? Ne le précisant pas, on laisse en place une ambiguité qui peut être comblée de façon fort dangereuse. Bien sûr, entre deux bières, on dégagera qu'il s'agit peut-être de l'oppression d'une société de production et de consommation, on fera allusion à la répression homosexuelle... Par contre, de retour au micro, ce qui est dit, c'est que " le féminisme est fait pour culpabiliser les hommes ", qu'on ne veut plus être cet " homme dont les femmes négocient la condition ", que " les enfants sont le haut lieu du pouvoir des femmes ", on parle de société matriarcale, du " pouvoir de l'utérus ", et on ira jusqu'à suggérer qu'" il nous faudrait peutêtre un Conseil du statut de l'homme " ! Bref, l'ennemi n'est plus qui l'on croyait, et c'est littéralement le monde à l'envers !

Mais enfin, qui sont-ils ces nouveaux hommes qui tiennent un discours si libérateur ? Un sondage auprès des participants à l'assemblée générale d'Hom-Info tenue en décembre dernier révèle que plus de la moitié (57,1%) ont trente ans et plus, et surtout que nous sommes plutôt du genre intellectuel : 87,7% ont un diplôme universitaire, dont 36,7% supérieur au bac. Côté politique, 53,1% sont d'allégeance péquiste et un autre 16,3% sont dans des groupes de gauche. Parmi ceux qui lisent Hom-Info depuis plus de trois mois, 70% sont célibataires, séparés ou divorcés...!!!

Petite hypothèse : quoiqu'on en prétende parfois auprès des journalistes, parmi les hommes qui se remettent en ques... pardon, qui participent au " mouvement de... " pardon, qui suivent de près ou même se prononcent sur la condition masculine, la majorité en sont venus là suite à une rupture, vraisemblablement d'ailleurs d'avec une amie féministe ! Ça colore évidemment un peu le discours ! Bon, je conviens que ce n'est encore qu'une hypothèse, n'ayant pu la vérifier que sur environ 90% de ceux que je connais moi-même dans le " circuit "...

Pour en revenir au discours, si on examinait un peu son contenu ?

C'est un discours qui s'adresse beaucoup aux femmes et leur claironne chaque petit remous dans l'âme (et le sexe) des hommes, tous ces petits changements qui " forment un bouquet de bonnes nouvelles ". L'exemple caricatural en serait peut-être ces longues litanies dans L'Orgasme au masculin : " Écoutez bien les filles... " (pp.48-51).

C'est un discours où les hommes tiennent si clairement à " réaffirmer leur virilité et leur masculinité " qu'on peut se demander, par exemple à la lecture de Certitude d'être mâle ?, si le point d'interrogation dans le titre est question d'ironie ou erreur de typographe... ?

C'est un discours — " une réflexion hétérosexuelle sur la condition masculine " — qui délimite soigneusement ses distances par rapport à l'homosexualité. " On ne voulait pas prêter à la disqualification ", répondra-t-on même aux journalistes, pour expliquer l'absence de témoignage homosexuel dans L'Orgasme au masculin.

C'est un discours revendicateur en matière de sexualité, qui réclame surtout des femmes qu'elles s'occupent de notre corps avec encore plus d'attention. Passons bien sûr sous silence quelques mignonneries du genre : " Il m'arrive de penser que l'orgasme est une bien belle chose... "

C'est un discours qui réclame plus de contrôle sur la question des enfants, " sans quoi on risque de se retrouver avec toute une génération d'enfants qui n'auront été élevés que par des femmes... ", enfin, bref, une génération de plus, quoi !(...)

Bon, je pense que je devrais me rétracter un peu. j'ai échappé tout à l'heure, à propos du discours masculin, que c'était littéralement le monde à l'envers. Eh bien, oui je le retire ! Car, en somme, ce que propose ce " nouveau " discours, c'est que le monde " reste " bien à l'endroit, comme il l'était avant qu'un " certain discours féministe " ne vienne brouiller les cartes de tout le monde... enfin, d'une " certaine moitié " du monde !

Michel

 

 

Moi, jamais ! Je suis à la revue " Types "...

Contrairement à ce qui se passe au Québec (1), le discours de Types et des groupes hommes français n'a pas encore envahi la presse ou les ondes, et les mass-médias sont loin de nous être servis comme sur un plateau. Loin s'en faut. Cela tient probablement à ce que nous avons clairement exprimé, dès le numéro 1 de Types, que nous n'entendons en aucune façon reprendre aux femmes des privilèges que les féministes nous auraient arrachés. Nous voulons, au contraire, que Types soit un espace ouvert aux récits de nos explorations bien souvent maladroites " à côté ou à contre-temps des modèles que nous sommes sensés reproduire, des symboles dont nous sommes investis " (2) Les carcans qui nous enferment et que nous désirons entrouvrir sont bien antérieurs au mouvement féministe. Avant lui, ils étaient d'ailleurs probablement plus lourds et plus rigides.

Ces phrases, ouverture au concert de nos paroles d'hommes, sont garantes de notre bonne foi. Mais, pour moi, elles ne sont que cela. Prononcées, publiées, affichées, elles n'en constituent pas moins un garde-fou bien fragile contre un glissement progressif et insensible vers une tentative de reconquête du pouvoir masculin contesté.

Au premier abord, les différents textes déjà publiés dans Types peuvent sembler très divers. Dans certains, on trouve l'absolue certitude d'en avoir fini une bonne fois pour toutes avec la phallocratie et les comportements individuels oppressifs. Comment ? C'est très simple. Après avoir compris que l'oppression des unes est contraire à l'épanouissement de tous, on décide d'en découdre définitivement avec le sournois viriliste qui sommeille en chacun de nous. Et si l'on fait partie de ceux qui ne doutent pas qu'il suffit à un homme décidé de vouloir pour pouvoir, le tour est joué. D'autres, plus nombreux, doutent au contraire de ce volontarisme et s'interrogent sur les différentes valeurs viriles qu'ils peuvent véhiculer, et sur leurs relations ambiguës avec certains lieux d'oppressions spécifiques (pornographie, phantasmes, etc.) individuelles ou sociales.

Mais, sous l'apparente hétérogénéité de ces multiples paroles d'hommes regroupées dans une même revue (un même projet ?) on ne trouve que très rarement l'expression d'une réflexion collective critique sur la virilité. L'objet de Types est pourtant de susciter et de véhiculer à la fois des interrogations individuelles et cette réflexion collective désespérément absente des numéros 1 et 2-3. On y rencontre plutôt, plus ou moins feutrée mais toujours avec une bonne foi touchante, l'affirmation que nous ne sommes pas (plus) tout à fait comme les autres. Comment ne pas entendre cette volonté si forte de se démarquer des " autres " comme un cri de séduction. Et de la séduction à la réhabilitation...

Ce brûlant désir de séduire pour être réhabilité est bien présent dans Types. Sans aller chercher bien loin, plusieurs éléments prêtent à réflexion.

Tout d'abord le fait que Types semble principalement intéresser les femmes, et parmi elles, bien sûr, les féministes. Notre discours ne leur est pourtant pas plus particulièrement adressé, mais chacun d'entre nous a pu constater que, le plus souvent, ce sont des femmes qui achètent Types. N'y trouvent-elles pas un tendre chant de sirènes (pour des hommes opposés à la virilité obligatoire, ce serait bien normal) qui leur serait destiné ? Nous sommes du sexe des oppresseurs. Difficile constat qui favorise la fermentation de culpabilités douloureuses auxquelles le plus délicat remède est la séduction. En publiant nos réflexions sur la virilité et la phallocratie, nous attendons, en échange, l'estime et la reconnaissance des féministes qui, comme on doit, paraît-il, séparer les torchons des serviettes, devraient nous distinguer des autres, des phallocrates. Nous avons d'ailleurs été (presque) tous particulièrement sensibilisés de ne pas toujours plaire à toutes. Les féministes sont quand même bien capables de faire la part entre le bien (nous) et le mâle (les autres) ! Et quand certaines expriment des doutes, gare, car alors l'empire contre-attaque avec vigueur pour les convaincre que nous sommes du bon côté. Le plaisir de croiser le fer a décidément la peau dure. Nous aimons tant entendre dire que nous plaisons et qu'on nous aime... Et la complaisance avec laquelle nous avons publié presque in extenso, dans le numéro 2-3 de Types, la lettre particulièrement élogieuse de Sylvia n'est pas surprenante. A côté de cinglantes réponses aux critiques acerbes que nous a faites La Revue d'En Face, il était trop doux de placer délicatement ce courrier d'une femme qui se dit " séduite, un peu amoureuse de Types, de vos (nos) fragilités... " pour s'en priver.

Ensuite, le fait que dans chacun des deux numéros parus, une femme, une seule (à la fois trop et trop peu), s'exprime parmi nous. Pas pour nous caresser dans le sens du poil, il faut l'avouer, mais cette participation d'une " guest star " dans le premier numéro devient celle d'une " collaboratrice " à part entière dans le second. Faut-il préciser que cette collaboratrice, qui ne pensait pas avoir droit à tant d'honneur, aurait préféré ne rester qu'une invitée... Mais qu'importe, une femme, féministe qui plus est, a collaboré avec nous. N'en déplaise à Paroles d'hommes, autrefois Pas rôles d'hommes.

A quand une revue d'hommes qui ne soit pas destinée à plaire aux unes et aux autres, qui ne soit pas qu'un véhicule de culpabilités mal digérées ?

A quand une revue d'hommes qui voudrait porter et susciter des interrogations individuelles sur la virilité et la masculinité mais aussi une réflexion plus collective sur nos contradictions et sur d'éventuelles issues ?

(1) Cf. texte précédent: " Quand la réaction nous guette ". (2) Éditorial du numéro 1 de Types.

Gilbert Cette

 

 

Entre les définitions

Ce numéro consacré aux " Relations entre hommes " aurait-il dû être le premier de la revue Types, celui qui en quelque sorte l'aurait défini ? Curieusement, après deux ans d'existence, on peut se poser la question, et logiquement ... on pourrait l'admettre. Mais admettre cette logique comme nôtre, finalement nous aurait peut-être fait du tort, en nous classant d'emblée et brutalement dans un projet préétabli, je veux dire dans un programme, une image de marque. A mes yeux ces deux ans d'existence de la revue Types évoquent plutôt une démarche concrète issue des paroles de groupes-hommes et visant à montrer, à donner vie aux autres faces de la masculinité. Une démarche en forme de contre-marche en somme.

Pourtant, malgré les précautions prises dans l'éditorial pour ne pas apparaître comme institution de nouvelles contre-normes, notre revue ne peut éviter de faire naître des images, avec deux types de risques, deux limites entre lesquelles elle est amenée à naviguer.

Le premier risque c'est de demeurer un peu bâtards dans l'esprit de nos lecteurs potentiels, je veux parler de tous ces hommes que " n'intéresse " pas la revue Types pour des raisons que nous ne pouvons qu'essayer de deviner : nous ne sommes pas homos, donc pas opprimés, donc sans lutte justifiée ; nous sommes des mal-baiseurs ou des maris aigris et nous cherchons simplement à séduire autrement les femmes par le biais de nos petites misères. En tout cas le risque est réel que notre propos apparaisse partiel — un sous-propos disons — si notre mise en question de la virilité n'est pas explorée jusque dans ses fondations individuelles et sociales. C'est à dire si elle ne réveille pas, aussi bien chez ceux qui écrivent la revue que chez leurs lecteurslectrices des malaises, des obscurités, des blocages franchis, élucidés, dépassés au fil du temps. C'est en somme le risque de soulever et d'avoir à assumer une image multiple, contradictoire et peut-être hétéroclite.

Quant au deuxième risque, il est que notre démarche engendre son propre carcan, à savoir une définition qui l'enferme sur elle-même, qui nous conforte, nous rassure d'une certaine façon et aussi, insidieusement, nous fige dans un rôle. Or une démarche à mon sens c'est plutôt la réalisation, l'expression d'un ensemble de mouvements, de réflexions, de réactions à l'intérieur de chacun de nous, suscités par ce que l'on vit en faisant la revue, numéro après numéro. Si j'insiste sur ce point, c'est parce qu'il me semble qu'il existe aussi un support de la virilité qui consiste à établir une définition, un cadre, un territoire idéologisé, une certaine rigueur en quelque sorte, qui fait bander peut-être mais qui reproduit l'éternelle angoisse masculine de ne pas être pris au sérieux, de ne pas être " crédible ", de ne pas être assez solide.

Mais la force n'est pas toujours dans la solidité d'une définition, elle peut être dans les tâtonnements assumés comme tels, donnant libre cours à la reconnaissance et à l'expression de nos faiblesses parfois, de nos ambitions également, et non comme un manque de sérieux ou une perte de temps. Au contraire nos identités peuvent y gagner, quitte à prendre le risque de les découvrir : à nous-mêmes, entre nous et face aux sarcasmes (tenaces, n'en doutons pas) des hommes qui ne le font pas pour préserver leur mâle sécurité.

Et la force n'est pas non plus obligatoirement dans une crédibilité qui, en devenant le souci principal d'un projet, finit parfois par être tributaire de certaines idéologies à la mode telle que celle des " nouveaux hommes ", ou autres " hommes fragiles ".

Enfin il se peut que la force vivante de la revue Types se trouve dans un dosage souple du sérieux et du ludique, du " théorique " et du témoignage, dans l'équilibre entre la responsabilité qu'a toute revue par rapport à ceux, celles qui la lisent, permettent et stimulent son existence, et la liberté qu'il est souhaitable qu'elle prenne quant à l'image, au style, aux repères qu'elle renvoie dans les médias.

Alors, cette " force " évoquée, peut-on l'inventer autrement sans réactiver, en dépit de nos bonnes intentions (...), la part maudite de la virilité ? Car en faisant une revue d'hommes contre la virilité obligatoire où se lance-t-on sinon dans l'obligation de défendre une joie collective et de pouvoir écrire quelque part des paroles, des réflexions et des ambiguïtés aussi qui se veulent indépendantes à la fois du contexte de l'autosatisfaction ou de l'agressivité mâle et d'une nouvelle forme de " maternité " : les nouveaux hommes s'accouchant complaisamment du ventre fécond du féminisme. Car il nous faut aussi la défendre à l'intérieur d'une spécificité en mouvance : celle qui se cherche à travers la communication tâtonnante entre les hommes et qui n'en finissent pas de découvrir tout ce qui les a séparés, de père en fils, d'école en armée, de bistros en compétitions sportives, de syndicats en partis, de tailles de bites et batailles rangées, et même parfois, de groupes-hommes en réunions d'une revue ... qui s'appelle Types.

A ceci près que la tendresse naissant du désir commun de ne plus mettre en jeu la compétition (avec l'arrière-pensée de défendre son bifteck, son narcissisme mâle) est un pas qui tend à se faire entre nous et nous ouvre la possibilité de réinventer une solidarité qui ne soit plus une promesse de discours mais le sentiment d'une nécessité : pousser devant soi deux bébés étrangement frères ; l'un qui parle au masculin singulier en laissant de côté son amour-propre de mâle ; l'autre qui parle du pluriel masculin là où il se sépare de son chauvinisme tranquillement complice.

Bernard Golfier

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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