Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

JR notre héros

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982

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J.R. NOTRE HÉROS

Après de multiples transformations au cours de son histoire — sa loooooongue histoire — notre ancêtre, l'homme des cavernes, a évolué en homme chasseur, cultivateur, seigneur, roi... et plus près de nous industriel, banquier, publicitaire, etc... Aujourd'hui enfin l'homme d'affaires commence à s'intéresser à ses petites affaires, ses affaires d'homme tout simplement. Insensiblement (mais inexorablement) s'est en effet installée une lassitude de fabriquer des objets de consommation (trop c'est trop !) ; l'homme se laisse alors tenter, doucement séduire par... lui-même : nous sommes dans l'ère de l'homme-objet. Auto-consommation de la virilité, produit nouveau et intéressant.

Un homme de la passion

Jacky Rection semble bien vouloir contribuer à l'érection de ce nouvel idéal passionnant : être parfaitement, totalement, intensément homme-objet, en l'occurrence homme-trou de balle en chasse d'hommes-bites. Il est en train de constituer une collection dont il est difficile de ne pas être fier. En apparence il pourrait s'agir d'un pari — peu banal au demeurant — se faire empapaouter par les plus grosses bites de la place parisienne ; et cependant, il n'est pas question de lancer une mode de plus dans le concert du snobisme décadant ; ce n'est pas une collection gratuite que fait J.R., mais — le mot n'est pas trop fort — une entreprise menée hardiment, avec tout ce qu'il y a de plus sérieux. Il y consacre assidûment (amoureusement ?) de nombreux et précieux moments de sa vie et nous démontre par là, si on voulait l'ignorer (ou faire semblant), que la jouissance est une tâche de tous les instants, une activité exigeante qui appelle un investissement toujours plus attentif, telle la croissance des têtards ou le développement des plants de tomates. Non, non, il ne faut pas sourire, mais au contraire s'arrêter quelque peu sur l'intéressante démarche de J.R. (" Je ne veux pas faire comme les autres " dit-il en toute simplicité) s'arrêter aussi sur sa personnalité (" ... On peut pas me qualifier d'homosexuel pur. Disons que je suis un garçon sexuel qui est dérivé... et qui, par les relations sexuelles qu'il s'est faites — parce qu'il fonce, il attaque, il n'attend pas que ça vienne n'est-ce-pas — fait de nombreuses rencontres homosexuelles ").

Un homme d'action

Comme on peut le noter, les découvertes de J.R. reposent, bien loin d'un hédonisme béat, sur un sens affirmé de l'initiative et de l'observation intime de ses contemporains ; d'où ses formules incisives et troublantes qui peuvent choquer tout un chacun... Alors... J.R. : un cas ?... Sans doute, mais qui ne s'inscrit pas moins dans l'histoire des performances viriles. Car toute époque a été, est encore marquée par la passion furieuse des records, terrain par excellence de l'expression ludique de la virilité : depuis les records sportifs jusqu'aux cérébraux en passant par les digestifs (mangeurs de spaghettis, de choucroutes, de saucisses de Francfort, de vélos, etc...)

Un homme au cœur des hommes

Pour sa part, J.R. a choisi une voie personnelle qui tient à la fois du plaisir d'une performance et de la rigueur d'un projet. Il s'est assigné pour tâche non d'être riche (il l'est déjà), non d'être puissant (le pouvoir ? .. quel pouvoir ?), mais tout simplement de parfaire sa collection d'hommes-objets auxquels il accorde en contre-partie de la participation à une entreprise humanitaire (la jouissance des mâles) le soulagement d'être (enfin !...) acceptés, eux, ces pauvres bougres à problèmes... d'excès de bite. Projet pour le moins subversif (la jouissance nom de dieu ! la jouissance, la vraie, pas dans la tête, mais par et pour la viande), mais pas moins magnanime. Au besoin J.R. ne rechignerait pas à se recycler comme assistante sociale pour hommes atteints de virilité chronique (une forme rare mais qu'on néglige trop souvent en ces temps difficiles de crise de la virilité exagacée par un féminisme qui a décidément la vie longue).

Quelques conseils aux béotiens

Alors, pour finir, quels sont les recettes principales, le BA BA d'une telle capacité de jouissance ?

1) Avoir le temps et l'argent (" C'est sûr que le fric est libérateur. Il n'y a plus de contraintes. ") ; savoir gérer sa vie : " Dans mon système personnel de gestion, j'ai côte à côte des vies hermétiquement séparées, la vie professionnelle, la vie amicale et associative, et la partie fesse. Ma vie sexuelle ne change en rien ma place dans la famille. "

2) " Ou on fait l'amour physiquement, ou on fait l'amour psychiquement. La plupart des gens font l'amour avec leur tête. Moi, je fais l'amour physiquement et uniquement physiquement " En corollaire J.R. conseille de ne pas trop se poser de questions. Mais aller droit au but, exiger de soi et des autres des critères précis pour des rencontres efficaces, sans tomber pour autant dans des rôles fixés. Comprenons bien : ce sont les paramètres qui sont fixes : " Ou bien le type a une énorme bite ou il ne l'a pas. S'il l'a, et qu'il l'utilise, bien sûr il est derrière. Si elle est moyenne et si le garçon est physiquement appétissant, il peut être devant. Car il n'y a pas que la bite : il est sûr que si je peux faire l'amour avec un garçon moche qui a une grosse bite, je ne peux pas faire l'amour avec un garçon moche qui n'a pas de bite. L'un compense l'autre. "

3) Les femmes ? Une formule concise mais combien riche d'enseignements nous simplifie leur compréhension : " Je suis persuadé qu'une femme qui a goûté une grosse bite ne revient pas en arrière. " De là à taxer J.R. de misogynie, il n'y a qu'un pas... Mais alors, que penser de cette observation de J.R. sur lui-même : " Mais les femmes éveillent en moi, bien sûr, des idées de plaisir. " Hein ?... Non décidément, il y en a qui ne veulent vraiment pas comprendre la philosophie de J.R. : " Nouveaux garçons et femmes mentales ! ", tel pourrait être le nouveau mot d'ordre des hommes nouveaux.

Bernard Golfier

 

Exhibition, PIÈGE À CONS

Faut le faire ! Enfin, façon de parler, bien sûr. Mais au fait, pour qui ? Pour Jacky Rection, de vivre ce genre de trucs, ou pour nous de le publier ? (Qu'est-ce qu'on en a à faire ? Ou qu'est-ce qu'on a à en faire ? Sûr que c'était pas les mauvaises raisons de publier ça qui manquaient. Par exemple une fascination pour l'énorme, le record, le spectaculaire — exhibition piège à cons — et la tentation d'en profiter pour en faire l'homme à abattre, de se créer l'" ennemi " si nécessaire au bon moral des troupes.

Et puis il y en avait quand même de meilleures (de raisons). Entre autres, se dire que c'est une caricature, d'accord, mais que ce n'est justement pas la caricature qu'on aurait faite si on avait essayé d'en faire une. Comme quoi y'a pas mal de choses qui nous échappent, et c'est un endroit parmi d'autres où les chercher. Pour le moment, j'ai surtout eu envie d'écouter ce que cet interview dit, non pas de Jacky, ni de la " phallocratie ", mais de nous.

C'est frappant, ce dialogue de sourds qui s'installe quand l'auteur de l'interview veut aller, ce que nous, nous appellerions " plus loin ", (oui oui, on a compris, mais l'œdipe, dans tout ça ?). Jacky y répond, aux questions. Ça nous arrangerait plutôt, au fond, qu'il se réfugie dans l'agressivité, ou le mutisme. Mais non. Il y met même une certaine " bonne volonté " (et la question n'est pas de savoir pourquoi J.R. se prête à ce jeu, seulement comment il s'y prête, et nous avec. En sachant bien sûr que s'il y avait des enjeux plus sérieux, on sortirait sans doute une autre artillerie). Donc Jacky répond aux questions... Mais bien sûr complètement " à côté ". A côté, c'est à dire chez lui. Dans son système. Et ça lui reste très confortable. Son système, il est tout à fait capable de digérer nos questions. Toxicité : néant. On aimerait bien pouvoir dire : " Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ". Mais il veut bien entendre, Jacky ! Et d'ailleurs ça doit faire longtemps qu'il a déjà entendu ça. Il n'y croit pas, c'est tout. " Je ne vois pas ce que tu veux me faire dire ", et bien sûr il sait très bien ce qu'on veut lui faire dire. C'est " Je ne crois pas à ce que tu veux me faire dire " qu'il faut entendre.

Les questions " dérangeantes " de Gilles, ce qu'elles remettent en cause, c'est surtout leur propre efficacité. La leur c'est à dire la nôtre : ç'aurait pu être Louis ou Paul ou Lucien au lieu de Gilles, et en face un plus banal lecteur de Gérard de Villiers, ça n'aurait pas changé grand-chose. On n'a rien pour créer le déclic qu'il faudrait. Pas d'analyse, ou peut-être surtout pas de langage pour ébranler des archétypes un peu bien implantés dans un mec. Pour entendre les questions qu'on pose, il faut se les être déjà posées avant. N'empêche, j'aimerais bien un jour que les mecs que je croise dans la rue aussi me soient moins étrangers.

 

Des virilons par millions

Jacky Rection n'est pas un monstre étranger à notre monde : c'est un homme qui va tout simplement jusqu'au bout d'une certaine logique. Ses conditionnements sont ceux de tous les mâles et les valeurs symboliques auxquelles il se réfère sont celles qui flattent de multiples représentations sociales de la virilité. Et ces représentations ne sont pas uniquement véhiculées par des hommes comme Jacky Rection. Totalement intégrées à notre société, elles sont présentes dans tous ses multiples témoins culturels : littérature, cinéma...

En interviewant Jacky rection, mon projet n'était pas d'exhiber une caricature pour pouvoir dire ensuite : " Nous, phallos ? virilos ? vous plaisantez. Lisez plutôt ce que raconte cet homme : Jacky Rection ". Est-il possible de décréter en avoir fini avec le système de fonctionnement basé sur la concurrence virile ? Les lieux de cette concurrence se déplacent, et au-delà des gadgets obsessionnels, notre système de fonctionnement et d'auto-évaluation peut être semblable à celui de Jacky Rection, mais orienté sur d'autres objets, vers d'autres champs de bataille.

Jacky Rection présente, par exemple, sa vie comme étant composée de parties hermétiquement séparées : sexe, profession, famille. La connaissance de sa vie sexuelle par son milieu professionnel lui serait probablement préjudiciable et cette compartimentation hermétique le protège. Toutes les minorités qui ne respectent pas scrupuleusement la normalité sociale (homosexuel(le)s...) connaissent bien ce problème. Mais les hommes qui rejettent la phallocratie et les rivalités des rapports entre hommes vivent également cette difficulté. Ils sont placés devant l'alternative de refuser ou d'accepter les règles du jeu social des rapports professionnels. Dans le premier cas, ils prendront des risques importants en se présentant relativement désarmés dans les rivalités permanentes du monde du travail. Dans le second, ils compartimenteront eux aussi leur existence pour vivre pleinement les rapports professionnels durs, virils et concurrents d'une part, et, d'autre part, des rapports tendres, attentifs aux autres dans leur vie affective et dans leur groupe homme. Mais on pourra alors s'interroger sur le sens d'une réflexion critique sur la virilité, si la pratique de cette réflexion s'arrête au seuil de l'entreprise, quand des risques sont à prendre. Ces groupes, ces lieux de tendresse où l'on trouve l'affection n'ont ils pas, dans ce cas, pour seule fonction de donner plus de force à vivre, à côté, des relations très différentes, basées sur la rivalité la plus brutale ? On retrouve bien ici le fonctionnement de Jacky Rection qui, par prudence aussi, sépare d'un rideau de fer sa vie professionnelle et familiale et sa très absorbante vie sexuelle, l'une étant, pourtant, bien complémentaire de l'autre. Une différence, cependant : Jacky Rection ignore la contradiction qui consiste à mener une réflexion critique sur des rôles et des comportements qu'il pratique quotidiennement.

Il n'existe pas encore de virilomêtre permettant de mesurer la quantité de virilons portée par chacun. On peut pourtant penser que Jacky Rection bloquerait le compteur de cet appareil à plusieurs millions de virilons, mais là n'est pas le problème. L'intérêt de cette interview est surtout de mettre en évidence tout un ensemble de valeurs viriles arborées ici de façon caricaturale par un seul homme. Et je pense que chacun retrouvera, dans les propos de Jacky Rection, certains comportements, certaines valeurs qu'il peut ou aura pu véhiculer.

Gilles Serre-bête

En illustration, ce court extrait de " Les raisins de la colère " de J. Steinbeck {Gallimard folio - p.252) " Le borgne dit à mi-voix. — Vous croyez... qu'une fille voudrait de moi ? — Ben, bien sûr, dit Tom. T'as qu'à dire que ta pine a grossi depuis que t'as perdu un œil.

 

De l'excroissance chiffrée aux alternatives

Tous les hommes ont, à un moment ou à un autre de leur enfance, rêvé du métier qu'ils exerceraient plus tard. Souvenez-vous... Nous avions l'imagination fertile pour envisager des carrières originales et d'une infinie variété : nous voulions tous être marin, aviateur, pompier, comptable ou médecin ! Le stéréotype régnait dans ce large éventail de professions où se mêlaient quelques romans d'aventures, des uniformes, le besoin d'espace et les ambitions de papa. Plus tard nous avons tous — ou presque —choisi, ou seulement accepté, des professions sans rapport aucun avec l'imagerie d'Épinal de l'enfance masculine. Fort heureusement ! Quel que soit l'intérêt que nous trouvons chacun à nos boulots actuels, nous regrettons rarement d'avoir trahi les rêves standardisés de nos huit ans. Au moins, cela nous épargne une société ubuesque écrasée sous la domination des hommes-grenouilles et des chasseurs alpins.

Il n'y a pas de sot métier

Qu'il n'y ait pas ici de malentendu : nous savons que notre économie réclame son quota de sapeurs-pompiers et de chirurgiens, et qu'il est heureux que certains rêves de petits garçons deviennent effectivement leur réalité d'adultes ; chaque profession ayant son utilité sociale. A l'exclusion, bien sûr, d'un petit nombre de parasites qu'une " minima moralia " oblige à réprouver : le mercenaire, le promoteur ou le flic nous répugnent à tous. Mais quant au reste des jobs de nos semblables, tenons-nous en à ce que le sens commun affirme : il n'y a pas de sot métier.

J. Rection (1) a ceci d'intéressant, pour notre propos, qu'il a pu, à l'âge adulte, réaliser un lointain dessein de petit garçon : être comptable. Avec cette particularité qu'il y consacre toute sa vie, qui se définit et se résume par un nom de métier : comptable. Cet homme-là compte, recompte, et il compte encore. Pensez que le petit Rection, devenu grand, aurait pu tout aussi bien passer sa vie dans les nuages, sur les flots bleus ou dans des forêts en flammes. Eh bien non, il préfère compter. Tout le jour, toute la nuit, devant le magnétophone ou sous son lit, Rection fait des comptes. Il quantifie, mesure, chiffre, compare, additionne, multiplie, doubledécimétrise, statistique, bref il compte. Mr J.R. devient d'ailleurs d'un mutisme et d'une incompréhension qui confinent à la stupidité dès qu'on lui demande autre chose que de faire ses comptes. Ses déclarations sont limpides de ce point de vue. A chaque phrase, ce ne sont que chiffres et pourcentages, poids et mesures, grandeurs et volumes, paramètres et indices, rendements et tutti quanti. Tout cela est aussi vivant qu'un tableau récapitulatif dans Le Grand Livre des Records : " Le saut de haies, 1920-1980, palmarès des performances par pays et par catégories ". La sensibilité y est égale à celle d'un rapport d'exploitation d'une multinationale. La qualité de la réflexion, l'élégance du ton font penser au compte-rendu de la Bourse de votre quotidien préféré. Et la lecture de l'ensemble est d'un ennui incommensurable.

Déjà vu, déjà dit

Quel intérêt peut-on trouver à ce genre de discours ? Nous savons depuis longtemps déjà que certains aiment réduire la sexualité à des données quantifiables et veulent faire de la jouissance un autre PNB. Cette conception chiffrée du plaisir a même déjà essayé de bredouiller dans un jargon scientifique, et le rapport Kinsey, en son temps, a produit une avalanche de calculs pour prétendre définir la sexualité de toute une population. Alors, là-dessus, le petit Rection vous a un goût de réchauffé ! Nous savons aussi que certains hommes maugréent au fond de leur fantasmatique et espèrent la naissance d'un puissant mouvement social revendicatif sur le thème " à chacun selon sa longueur ". On peut facilement imaginer, quelque part, un technocrate anxieux qui souhaite nous affubler tous d'une carte d'identité sexualisée-informatisée.

Les temps changent et certaines valeurs sont en baisse. Mais il y aura toujours quelques irréductibles pour concevoir une hiérarchie de l'aventure amoureuse fondée uniquement sur quelques centimètres en plus ou en moins. Sommes-nous surpris et sommes-nous concernés ? Les situationnistes ont déjà tout dit, en des analyses admirables, sur les aspects d'une société où tout — et notamment l'affectif et le sexuel — est traduit et vécu en termes de mesures, de consommation et de valeur marchande. Plus près de nous dans le temps, Libération a offert une plate-forme aux partisans du désir façon règle à calcul ; il y gagna sinon une fortune, du moins une audience fort éloignée de sa pensée d'origine. Est-ce que " Types " doit refaire cette expérience négative ? Il faut effectivement s'interroger sur la signification profonde de la névrose système métrique. Mais ce n'est pas en répertoriant les exigences décimales à longueur de colonnes que notre connaissance y gagnera, et notre critique encore moins. A faire dans le détail, fût-il anatomique, la réflexion critique se fourvoie au lieu de s'étayer. Notre démarche tant analytique que pratique, suppose autre chose que d'aider un, deux où trois Rection à rendre leurs livres de comptes publics (la revue " Union " qui a, elle aussi, le sens de la mesure (2), peut même se permettre d'ironiser sur les obsédés du gigantisme et faire état de certains correctifs...). Laissons les chiffres à ceux dont c'est le seul mode de jouissance possible.

Chez ces gens-là

Une grande partie du discours collectif, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel, valorise les mêmes choses. Rection ne s'en distingue absolument pas quand il applique à son bas-ventre — peut-on vraiment parler de sexualité dans son cas ? — cette opération idéologique simpliste : je mesure donc j'existe. Tout ça traîne déjà dans certains spots publicitaires et dans toute littérature porno. D'autres écrivent, disent ou rêvent ce que celui-là s'essouffle à concrétiser : que le plaisir est affaire de dimensions et le bonheur de quantités.

Ce genre d'idées ne doivent rien au Rection de service. Elles sont partie d'un système qui fait de la consommation et de l'accumulation de biens l'objectif de tout le corps social. De la possession avant toute chose. Le cinéma porno n'en est qu'un des supports les plus visibles. Il s'agit d'un ensemble de valeurs, d'une vision du monde, où socialité et sexualité se réduisent à des quantités consommables et à une multiplication des échanges. Dans ce système, J.R. n'est en rien remarquable, ni caricature ni porte-parole, un comparse tout au plus. Gardons-nous d'en faire un portrait-robot, il n'est pas plus comique, plus lugubre ou plus bête que tous ceux qui adhèrent encore, avec une pratique plus ou moins " radicale ", à cette triste idéologie. Rection n'est que le produit banal — fortuné et disposant des moyens de ses ambitions angoissées, mais banal — d'un système complexe mais qui tient en quelques formules : vivre c'est posséder, jouir c'est accumuler, être c'est avoir. Rection militant nostalgique et obstiné d'un système de valeurs qui s'effiloche et s'accroche à ses calculs. Parce que faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne pense pas, Monsieur, on ne vit pas, on ne jouit pas, on compte, on compte.

Si on parlait d'autre chose ?

Avoir ramené le " phénomène " J.R. à de plus justes proportions, tenir le bonhomme Rection pour ce qu'il est, et rien d'autre, emporte aussitôt une question : pourquoi ? Pourquoi avoir multiplié les commentaires, avec leurs différences, sur les propos du personnage ? Ses rodomontades sont suffisamment explicites, s'énoncent comme discours provocateur et vide, au surplus ignorant à ce point l'arrière-plan de ses valeurs, sans qu'il soit besoin de les méditer à sa place et à sa suite. Autrement dit, qu'il n'en méritait pas tant. C'est vrai et ça ne l'est pas. Face à tout discours agressif, il est deux attitudes possibles : taire en ignorant ou refuser en s'expliquant. Certes le silence, à raison du mépris évident qu'il comporte, est aussi un argument. Mais on a vu à de nombreuses reprises, dans des débats majeurs, que le silence peut aussi laisser place à des hypothèses plus ou moins douteuses, des falsifications plus ou moins subtiles. Et aussi laisser dans les mémoires des jalons d'incertitudes gênantes. C'est pourquoi ces remarques nous étaient nécessaires, et ces réponses utiles. Afin qu'au moins il ne soit pas possible de (se) demander : " mais ces Types, ils roulent pour qui ? "

Il n'y a là aucun moralisme, déguisé ou non, velléités de, etc. bien au contraire. Le numéro 1 de la revue, dans son édito, posait effectivement la nécessité " d'affirmer des identités multiples mais qui se cherchent ". Oui : pas n'importe où et n'importe comment. Le droit à la différence ? Nous le revendiquons, en commençant par le droit de choisir quelles " différences " nous concernent. Question qui ne se pose même pas avec J. Rection. On chercherait vainement dans ces plastronnades la moindre idée novatrice, le plus petit aspect d'une pratique sexuelle qui — en s'écartant des normes — poserait néanmoins problème. Or si certaines interrogations, certains examens peuvent être dérangeants, donc positifs pour nous, c'est là qu'ils se situeraient, se situeront. Du côté de fantasmes ou de comportements qui après avoir dépassé ou transgressé les normes ne feraient que poser de nouveaux problèmes, faire surgir d'autres débats. Et c'est là sans doute que tout reste à dire, et beaucoup à inventer : peut-on se démarquer, s'extraire, des normes qui régissent nos sexualités sans aussitôt aller se réfugier dans un espace qui ne serait alors qu'une " autre " norme ? Si le danger existe, pour nous, d'un moralisme qui ne dirait pas son nom, c'est là qu'il réside, du côté d'un ailleurs dont nous n'imaginons même pas les formes. Mais surtout pas du côté de Rection, des vieilles ficelles usagées du sexisme et de ses succédanés. De ce côté-là, hormis le spectacle parfois pénible d'une grande misère —, rien. Rien qui nous tente, nous dérange, nous surprenne ou nous interroge. Rien. Répertorier, repérer les valeurs qui prédominent dans la sexualité des individus, interroger les comportements, les attentes et les rêves, a déjà été fait, y compris de façon intéressante. Dans toute une série d'interviews, Xavière Gauthier — " Dire nos sexualités " — a déjà commencé ce travail d'enquête et de réflexion. On y trouve certes ces historiettes de mesure, mais surtout beaucoup d'autres aspects qui méritent un examen critique. Et de nombreuses pratiques sexuelles sont encore tues, absentes de tout discours social. De même, de Bataille à L. Cohen existe déjà, dans toute une littérature de talent, l'énoncé de comportements sexuels qui se veulent transgressions et ont sans aucun doute déjà trouvé leur traduction dans tel ou tel espace social (à moins qu'ils n'aient fait que la suivre). Ce ne sont que des exemples. Ils montrent qu'il existe au profond du discours ou des pratiques sexuelles de chacun une recherche. Une recherche qui, sans avoir déjà découvert un autre rapport aux corps, aux désirs, à la pénétration, la sensibilité, à l'érotisme, le don de soi, la gratuité ou la fantaisie, fait néanmoins partie de ce champ-là, s'essaye à y appartenir. Ce champ du possible dont la réalité de ce Rection n'a que faire.

Rassurez-vous : si la lecture du Rection nous endort, nous ne sommes pas pour cela de nouveaux puritains ! Nous voulons effectivement nous interroger, vous interroger, sur la sexualité. Élaborer une réflexion et des paroles d'hommes sur toute cette partie de nos vies. Les pratiques sexuelles, les fantasmes — vos fantasmes — nous intéressent. La sexualité des hommes, dans ses variantes, son uniformité ou ses zones d'ombres est pour nous un espace de questions multiples. Il s'agit d'en situer les origines, comme de la replacer dans un ensemble : d'itinéraires, d'influences, d'idéologies, de réseaux sociaux, de peurs. Qu'en est-il, par exemple, de notre rapport aux règles des femmes ? Où situer l'origine de nos plaisirs ou de nos distances, de notre symbolique et de nos silences ? Les questions sont infinies, les réponses souvent difficiles, que nous parlions des caresses ou de la séduction. Mais si nous devons explorer un discours, voire des pratiques qui soient autre chose que les images gentillettes et sages des manuels d'éducation sexuelle classe de 6ème, ça n'est certainement pas auprès des Rection de tous poils qu'il faut chercher. Les sexualités nous interrogent et nous concernent dès lors qu'elles disent et veulent autre chose que les platitudes mécanistes affichées chaque soir au ciné porno du quartier. Dès lors qu'elles permettent à des types, et à " Types ", d'avancer, y compris difficilement, dans une certaine démarche : celle d'une critique inventive, qu'il serait dommage de relativiser au profit des faux attraits du spectaculaire.

Jonathan Breen

Jean-Yves Rognant

(1) On peut se demander si le minimum d'ironie applicable à ce monsieur n'aurait pas justifié le choix d'un pseudonyme moins banal, et si King Kong, Marathon Man ou autres n'eussent pas mieux convenu... D'autant que depuis quelques mois, et par le biais d'une mauvaise série télévisée, les initiales J.R. ont une résonance et une saveur particulières ! Les nombreux amateurs — j'en suis — de " Dallas ", feuilleton télé imbuvable, savent de quoi il retourne. Pour ceux qui n'auraient pas encore eu le plaisir de découvrir ce chef-d'œuvre quelques éclaircissements : un autre J.R. représente à merveille un dosage subtil de sottise pesante, de franche brutalité, de médiocrité tranquille et d'un cynisme fade. Le tout sur un fond d'affairisme grotesque géré par des petits garçons impétueux devenus de grands machos joufflus et qui n'osent pas avouer leurs trafics à un papa musclé et sévère... Sacré J.R. va !

(2) " Le Rapport sur le comportement sexuel des Français dit Rapport Simon indique, quant à lui, les chiffres suivants non fondés sur une estimation extérieure mais sur ce que les Français, eux-mêmes, imaginent de la longueur du pénis.

Toutes catégories confondues, les hommes pensent, pour leur part, que la longueur moyenne, en érection, est de 17,2cm alors que les femmes, également dans les conditions identiques, considèrent qu'elle n'est que de 16,2cm.

1% des hommes comme des femmes pensent qu'elle n'est que de moins de l0cm.

5%, qu'elle est de 12/13cm ;

14%, qu'elle est de 18cm ;

et enfin

8%, de 19/20cm.

Toujours selon le Rapport Simon, les uns et les autres " tendent donc à surestimer la taille du pénis en érection (les hommes plus que les femmes, soit par une simple erreur d'évaluation de sa mesure, soit en raison de la valorisation sociale de l'organe sexuel ".

Et le Rapport Simon de préciser — il s'agit, cette fois, de considérations statistiques qui ne se fondent pas sur des témoignages mais sur des mesures établies à partir de multiples mensurations — que " prises en dehors d'un rapport sexuel les dimensions moyennes du pénis en érection sont de 155mm de long, 40mm de large et de IlOmm de circonférence ".

Les obsédés du gigantisme pénien peuvent se consoler en pensant que la baleine franche mâle a un pénis de trois mètres de long. Comme on n'a pas tous les jours l'occasion de voir une baleine, ils peuvent aller au zoo et admirer, plus modeste, le pénis de l'éléphant qui ne fait qu'un mètre quatre-vingts ! "

extrait de " Union ", déc. 81

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01429398/document

 


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