Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

L'homme épouvantail

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1981 

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L'homme épouvantail

A propos de La Sainte-Virilité d'Emmanuel Reynaud. Ed. Syros.

Écrire ce que j'ai ressenti, ce que je pense de ce livre, n'a pas été simple. Je connais l'auteur. Emmanuel Reynaud est quelqu'un avec qui je n'ai, pour l'essentiel, partagé que des moments d'affrontement. Nous nous sommes mutuellement refusés. Quelquefois il y a eu accord. Ainsi dans un café, lorsque des " gros bras " pâmés en entendant les paroles suaves de Mike Brant dans le juke-box, s'exclamèrent d'un air dégoûté : " Dommage qu'il ait été pédé ! ". Ainsi dans une réunion de la revue lorsque je défendis l'utilité de publier le texte d'Emmanuel proposant la création d'un mouvement anti-patriarcal (" sur des bases claires, assez " pur-dur ", donc non susceptible de ces errements " masculinistes " qui pour Emmanuel constituent une tentative de repeindre — sous des prétextes variés : tendresse, émotion, singeries des féministes — le patriarcat avec des tons pastels.

Un auteur intransigeant...

La plupart du temps, il y a eu désaccords, anathèmes, agressivité. Ceux qui m'ont le plus particulièrement atteint, sur l'instant, consistaient à être ramené au rang du vulgaire " phallo ", puisque je n'adhérais pas en bloc à l'intransigeance d'Emmanuel, puisque je me permettais d'émettre l'opinion selon laquelle certaines théorisations féministes n'étaient pas convaincantes. " Tu n'as pas le droit, en tant qu'homme, en tant qu'oppresseur d'émettre un jugement. Il est obligatoirement émis du point de vue le moins juste qui soit : celui d'une classe dominante, celle des hommes, donc suspecte ", me rétorquait-il.

J'ergotais sur ce point de vue imparable et me sentais bien coupable d'être homme, moi qui brûlais du désir incandescent de me faire pardonner par les féministes en général, ma copine féministe en particulier.

Pourtant quelques lueurs secrètes me disaient que nous ne saurions, — comme au bon vieux temps des débats sur la classe ouvrière, cette " rédemptrice de l'humanité " qui me donna tant de bonnes raisons d'être combattant et fier de l'être,— continuer à opérer un transfert de bonnes causes. Après celle de la classe ouvrière, celle des femmes ! Devant Emmanuel j'étais tout désemparé : ses paroles tombaient, impeccables, logiques, jusqu'au-boutistes. Il brillait de ce feu qui avait animé les géniales synthèses situationnistes, ces inquisiteurs du vieux monde. Il brillait (à mes yeux s'entend !) du poli de ces théories sans faille qui permettent souvent au plus profond de nos doutes, de nos ambiguïtés, de nos contradictions, de nos utopies, de se raccrocher, de se dire que l'avenir n'est pas incertain si le passé a été balayé par une critique n'autorisant aucun point de non-retour, aucune errance—erreur réformiste.

Dans un contexte Flou...

Et puis ce feu s'est essoufflé. Dans les groupes hommes j'ai découvert mes " merdes "; j'ai quitté mon nuage de " pur esprit " ; le costume d'anti-phallo en côtes de mailles tressées par les textes théoriques, et les exaltantes manifs de femmes, devenait un peu étroit, un peu de confection. Je désirais une veste plus large, celle de la réalité des hommes comme moi... pas du surhomme qui a compris tous les messages féministes et qui suffisamment culpabilisé, devient un fervent combattant du " front secondaire " que constitueraient les groupes hommes et la revue " Types ", vis-à-vis de la " glorieuse et invincible (puisque juste) lutte des femmes, ces seules esclaves de l'histoire ". Le sublime, très peu pour moi ! Je découvrais que l'abandon de tous les pouvoirs passe aussi par celui de le pratiquer (l'abandon) et entre autres de ne pas s'ériger en détenteur de la théorie aussi pure et aussi convaincante soit-elle.

C'était bon et ça créait entre hommes et femmes que je cotoyais des moments chouettes où il était inutile de se situer dans un camp ou dans un autre. De la collaboration de classe, du recentrage, de subtiles négociations où le plaisir l'emportait sur la peur et la haine !

Et voilà que dans ce contexte, cet " îlot d'autogestion ", je me remets à lire " la SainteVirilité ". Rappel de réalités passées, écho grimaçant du temps où je vivais comme un homme tout à fait semblable aux autres, " dévoué à mon papa, espérant acquérir femmes et enfants dans le sinistre processus d'appropriation des femelles par les mâles et la tête emplie des phantasmes de viol susceptibles d'éponger mon arme-pénis, ma pauvre sexualité uniquement guidée par mon cerveau pétri de patriarcat prédateur avide des honneurs absurdes du pouvoir hiérarchique ".

Car le livre d'Emmanuel Reynaud, à la première lecture m'a donné cette impression : l'homme (en tant que catégorie sociale, en tant que classe) c'est ça : le papa, le mari, le violeur et aucun replâtrage réformiste du genre " Paroles d'hommes ", encore moins les balbutiements imbéciles et commerciaux sur le " nouvel homme " n'y changeront rien

Alors croyez-moi, tenter la critique de ce livre, " c'était pas de la tarte ", comme l'ont dit, certains, de l'autogestion.

Définit des concepts clairs...

La " Sainte Virilité " est un livre qu'il faut lire. Il interpelle chaque homme en tant qu'agent du patriarcat et tous les hommes en tant que phallocrates. Il est en effet le premier livre français où un homme systématise de manière claire les conclusions de certaines théories féministes ; principalement celle qui définit les hommes et les femmes comme deux classes antagonistes dont l'une des deux : les hommes s'est développé à travers le patriarcat, mode d'exploitation et de domination des femmes qui traverse les divers modes de production, mais rencontre maintenant une résistance accrue par les luttes féministes.

Je ne suis pas d'accord avec ce présupposé théorique du livre. Je considère la réduction des catégories de sexe, homme-femme à des situations de classes comme relevant d'un économisme sommaire et mécaniste. Je n'ai pas envie de le démontrer ici. Irène Théry l'a fait bien mieux que je ne le pourrais, dans la Revue d'en Face n° 9-10.

Malgré ce désaccord de départ, la lecture offre une systématisation du phallocrate dans la vie quotidienne, un décapage des oripeaux virils. Que je ne me reconnaisse pas dans ce miroir peu complaisant tendu par Emmanuel Reynaud n'est pas le problème essentiel. Ce livre a le souci de faire le procès des hommes en tant que classe et en tant que catégorie de sexe.

Résumons les actes de ce procès tels qu'ils figurent dans les sept chapitres du livre.

1°) L'homme et son corps : Cravaté, armé d'uniformes, séparant corps et esprit, même parfumé à coups de pubs virilo-tendres, il a une maxime : " sois laid et parle ". Le travestissement n'y change rien. Seul moyen d'y échapper : se libérer de l'enfermement dans une catégorie de sexe.

2°) L'homme et son sexe : Bien que son pénis ait un fonctionnement biologique assez proche de celui du vagin, l'homme transforme son petit bout de chair en arme, en décoration, en objet de pouvoir dont la taille l'obsède au point de le mutiler, de donner à cette douce excroissance un seul objectif : la puissance. Seul moyen d'y échapper : sortir de la catégorie de sexe.

3°) L'homme et la sexualité : L'homme limite sa sexualité au petit bout de chair décrit ci-dessus. Menace pour son pouvoir, sujet de délectation des spécialistes (les sexologues), elle le conduit à ne pouvoir vivre que le mariage, la prostitution et le viol. L'homosexualité, réprimée en Occident, l'effraie car il se sent ramené à l'état de femme. Mais en sortant des catégories hommes-femmes, homosexualité-hétérosexualité, les individus échapperaient à la frigidité, la violence, la peur et connaîtraient la volupté.

4°) Le mythe de l'orgasme phallique : Dans ce chapitre (celui que j'ai le plus apprécié), l'auteur critique tous ceux (curés, sexologues, psychologues, reichiens etc...) qui réduisent la sexualité de l'homme à l'orgasme éjaculateur. Il se moque aussi des thèses sur l'impuissance et l'éjaculation précoces dans lesquelles les " mécanos du sexe " occultent que le plaisir suppose l'abandon du contrôle sur soi et l'obsession de posséder les femmes pour leur échapper : " chassez le phallus de votre tête ".

5°) Le papa et le violeur : Ce titre se suffit à lui-même. Reproducteur des schémas paternels l'homme s'approprie les femmes par la violence sous toutes ses formes ; le viol étant pour l'auteur " l'archétype de la sexualité masculine ". Les femmes ne sont pour lui que des proies, objets de son désir et de son pouvoir.

6°) Le mariage : Équilibre entre le papa et le violeur obtenu grâce au Droit (l'auteur cite d'édifiants extraits du Code Civil), cette institution assure à l'homme, l'usage personnel d'une femme en se servant du mythe de l'amour, de l'esclavage domestique et du viol conjugal. Mais conclue E. Reynaud, un " tournant historique s'amorce " grâce aux luttes des femmes pour remettre en cause le mariage comme droit de propriété.

7°) Entre hommes : Concurrence, compétition, guerre sont les trois mamelles de la hiérarchie, cette absurde mesure du pouvoir, qui après avoir prospéré dans l'esclavagisme et la féodalité et la bourgeoisie, mène par le pouvoir des spécialistes et des bureaucrates, le monde à la catastrophe nucléaire.

Les conclusions tirées par E. Reynaud de ce procès du patriarcat et de la phallocratie résidant au plus profond de tout homme sont les suivantes. Avant le patriarcat on ne sait pas quelles relations existaient entre hommes et femmes. Cela n'empêche pas de constater l'homme ou la femme ne sont pas un " état de nature ". Ils, elles, ne sont que les produits d'une division sociale des sexes. Les porteurs (de ces derniers) se sont constitués en classes à travers l'histoire. Cette lutte des classes conduit les hommes à reproduire le patriarcat dont l'absurde finalité peut conduire à son auto-destruction par une guerre nucléaire. Une solution : détruire la catégorie homme. Cela a commencé avec la lutte des femmes, " lutte des premiers et derniers esclaves de l'histoire ". Participons-y, nous hommes, en nous débarrassant de l'homme " incrusté en soi " et en cherchant " le plaisir de vivre hors du pouvoir ", ce qui " peut donner le coup de pouce qui fera basculer l'histoire ". Et voilà...

Pour faire " table rase " de l'homme

En bref, ce livre se veut une négation. Exprimée avec la force d'une logique, le talent de la polémique, l'efficacité de la critique et l'effet de la simplicité.

Cette négation se formule ainsi : l'homme-classe-catégorie sexuelle, à la source de tous les maux de l'histoire, doit être détruit. Table rase ! Ce portrait-épouvantail de cet homme, E. Raynaud le peint dans des formules, des détails du quotidien tout à fait saisissants. (Ainsi le rapport de l'homme à l'urinoir, donc à son sexe. qui le conduit souvent à se pisser dessus). On se reconnaît parfois dans cette mise à nu de la phallocratie.

Mais ce réquisitoire serré contre les oppresseurs (qui ne méritent donc pas une once d'indulgence) suppose des sanctions. " Détruire, dit-il ".

Comment ? Là, pas de réponses... sinon la bonne volonté des individus, hommes convaincus par le livre que ce qu'ils sont : des salauds, mérite une autodestruction aussi radicale que rapide... sinon le triomphe de la juste lutte des femmes. Cette deuxième hypothèse, le livre n'en trace aucune destinée puisque c'est un oppresseur qui parle. En dehors de ces deux voies rien !

Avons-nous besoin de ce nihilisme, de ce décapage ? Certes... mais après ?...

Mais à quoi ça sert ?

Finalement, je me retrouve, après la lecture de ce livre, à me rappeler de vieux souvenirs militants, d'exaltantes lectures théoriques où le brio des démonstrations l'emportait sur le souci de fonder une pratique. On passait aisément de la critique des armes, des armes de la critique au désespoir révolutionnaire, aux distributions de tracts, ou aux joutes oratoires. Les " banalités de base " des " situs " faisaient chaud au cœur devant les querelles sectaires (toujours à propos de la meilleure façon de s'organiser en organisant le prolétariat) des trotskystes, devant les idolâtries maoïstes pour la théorie pratique de la théorie, la pratique théorique de la théorie etc... (je m'embrouille ; j'ai oublié !), devant les " trahisons " du PCF ou la mollesse du PSU. Chaud au cœur, le temps de rêver d'anarchie et de prendre un vieux coup de bâton sur nos gueules, nos années et nos utopies.

Fonder une utopie réaliste demeure nécessaire. Ce livre ne m'y aide pas. Il est trop simpliste. Il ne manque pas d'audaces dans la recherche du néant. Mais le néant, moi, j'ai goûté. J'ai pas envie de replonger. Ma vie n'a pas 2000 ans de patriarcat à se faire pardonner. Il ne sert à rien " de se faire les chiens de garde de la manière la plus habile qui soit, en aboyant contre toutes les séquelles de l'inhumanité ancienne ". (Vanighem). Phallocratie et patriarcat ne s'abolissent pas à coups de canon théoriques, de définitions des champs impossibles à explorer pour le changement. Stériliser par avance tous les petits pas de la transformation des hommes en les ramenant à un seul objectif : détruire une classe, celle des hommes, voilà la principale impasse du livre d'Emmanuel Reynaud. Il a de l'ambition : celle d'une critique totale. Dommage qu'à se vouloir si radicale, elle se soit transformée à ce point en catéchisme, en " commandements " de ce que les individus hommes ne doivent pas être. Elle en oublie ce que nous sommes. L'universalisme et le goût des dogmes ont vraiment la peau dure ! Je comprends cependant que pour se critiquer et progresser, beaucoup y aient encore recours. Si ça les rassure...

Jean-Yves Rognant

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

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