Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

No future, mecs ?

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982 

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ET ENSUITE ?

No future, mecs ?

Il était une fois, deux fois, trois fois des réunions de la revue " Types ". En essayant de repérer les caractéristiques les plus marquantes des relations entre hommes, la discussion s'était déplacée de proche en proche vers un débat jamais réellement abordé, souvent repoussé : celui des spécificités masculines — si elles existent. D'exemples en contre-exemples ces spécificités n'arrêtaient pas de nous filer entre les doigts pour filer accrocher leurs postiches aussi bien aux femmes qu'aux enfants ou au fonctionnement des institutions. Jusqu'à ce que ces réunions s'arrêtent, sans conclure. Il est vrai qu'entre-temps, s'était posée la question troublante du " modèle " que, plus ou moins consciemment, nous transportions avec nous, à la revue, dans les groupes mecs... Notons pour la petite histoire que ces réunions se sont terminées sur une chamaillerie : ne perdions-nous pas stérilement un temps qui aurait pu être consacré à l'élaboration du sommaire ?

Ce texte, qui soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses, est issu de ce débat. Non qu'il le résume. Au contraire il est volontairement partiel, partisan et pour tout dire inachevé. Il traduit simplement le désir que les questions alors rencontrées ne continuent pas à rester souterraines mais qu'elles suscitent réflexions et débats.

Bien souvent l'évocation des relations entre hommes en brosse un tableau tout unidimensionnel : de la compétition sexuelle bien " virile " à la violence manifeste des matches de foot, de la fausse complicité des beuveries à la misogynie, latente ou non, sur laquelle s'élabore la moindre solidarité entre mecs et autour de laquelle se règlent, plus ou moins bien, les rapports de force affectifs et professionnels, tout y passe. De cette dénonciation trop commode pour n'être pas suspecte ne ressort pas seulement une grande négativité. Elle véhicule aussi un grand pessimisme quant à la possibilité de vivre " autrement " la masculinité et, soit dit en passant, une grande dénégation de ce qui fait que cette revue existe. Si tout ceci c'est bien nous — toi, moi et les autres ; car en plus on nous prévient : pas de bonne conscience de croire que certains, à la revue comme ailleurs, sont différents des autres — si tout ceci c'est tout-à-fait nous, vers quoi pouvons-nous nous diriger, que voulons-nous ?

Dénoncer, disent-ils.

N'y aurait-il donc aucune positivité dans les relations entre hommes ? Se réduisent-elles vraiment à de tels stéréotypes qui, reflets fidèles de ce que seraient les mecs, ne sauraient être considérés que négativement par rapport à l'image hyper-valorisée des femmes et des relations qu'elles entretiennent entre elles ? N'y aurait-il alors qu'à hésiter sur une alternative : soit la totalité des attitudes ainsi repérées comme " spécifiquement " masculines sont naturelles, consubstantielles aux mecs (voire congénitables : problème de gènes ou d'hormones ?) : soit elles résultent d'une armure constituée de façon réactive contre les images en creux de la " gonzesse " et/ou du " pédé " et acquise, inculquée, à travers les institutions que chaque homme doit traverser — bon gré, mal gré — durant sa vie ? Ces institutions seraient alors elles-mêmes sujettes à interrogation` : d'où vient que leur effet soit précisément de rendre les hommes si unidimensionnels même lorsqu'elles ne sont pas particulièrement dominées — en apparence tout au moins — par des hommes, à l'instar de l'école maternelle et primaire ?

Dans le premier cas, il n 'y aurait plus qu'à renoncer à être homme : reste à savoir ce que ça veut dire, à fortiori comment c'est possible. Dans le second, il n'y aurait plus qu'à subvertir les institutions : mais de quelle façon, surtout lorsque ces institutions sont informelles (exemple : les groupes de jeunes...) ? Cette deuxième option qui correspond plutôt — me semble-t-il — à la tendance d'une bonne partie des mecs de la revue, ou des groupes hommes, même lorsque affectivement/intellectuellement ils sont plus proches de la première, pose elle-même un nouveau problème : vers quoi les changer ? quel est le modèle implicite que véhiculerait une telle transformation ?

On en revient alors à la première question : quelle positivité reconnaissons-nous aux relations entre hommes et, à travers elles, aux " comportements masculins ". Et là encore, en gros, deux réponses :

— soit il n'y en a aucune : la culpabilité à l'égard du féminisme aboutit alors généralement à ne voir du positif que du côté des opprimées, soit dans leurs attitudes supposées " naturelles " de dominées (tendresse, douceur, non-compétition et entraide...), soit dans leur révolte à l'égard de leur oppression (le positif c'est la " classe " des femmes en action...).

— soit il y en a : ce sont alors les attitudes non — ou non totalement — gangrenées par les stéréotypes sociaux de la performance, de la compétition, de l'invulnérabilité : bref, ce qui reste de douceur, de tendresse, d'entraide... dans les relations des hommes.

Un stéréotype peut en cacher un autre.

Cette seconde réponse, si elle me paraît personnellement plus intéressante par sa force de dénonciation, ne me semble cependant pas dénuée d'ambiguïtés. Passons sur le fait qu'elle permet à certains — et à certaines — de ne voir dans les mecs remettant en question les " rôles d'hommes " que des dominants/dominés de la compétition entre hommes — ceux qui ne seraient ni les play-boys de rêve, ni les capitaines d'industrie, ni les champions en tout genre. Cette petite polémique ne disqualifie que ses auteurs. Non, la difficulté réside bien ailleurs. D'abord dans le rejet sans nuances de tout comportement masculin réputé " traditionnel ", même lorsque celui-ci traduit — de façon à quel point partielle ou biaisée, là est le problème — l'affirmation assumée d'une différence. Ensuite dans le caractère à mon sens bien mythique du retour à une " authenticité " non " pervertie " de l'homme non " viril " qui giserait encore au fond de chacun de nous (et qui serait alors — comme par hasard —porteur des valeurs " féminines " évoquées ci-dessus).

Concernant le premier point, je pense par exemple au " rôle de père ". Non qu'il me paraisse souhaitable de perpétuer le stéréotype du père absent, du père incapable d'échanges émotionnels, du père autoritaire. Sans doute aucune étiquette attributive ne peut à priori définir ce que devrait être ce rôle de père. Du moins peut-on admettre qu'il n'est guère recommandable non plus de brouiller complètement les rôles à l'égard de l'enfant et qu'il vaut mieux chercher à assumer et à rendre claire à l'enfant la différence qu'il verra de toutes façons entre son père et sa mère.

Autre exemple : le sport. Ici la spécificité éventuelle (un tel aime le sport ou un sport particulier, tel autre non) n'est pas assignable à une différence sexuelle (puisque en grande majorité ces activités peuvent être pratiquées par tous). Bien souvent le sport est assimilé à la " championnite ", à la compétition et à la violence plus ou moins larvée et celles-ci à la masculinité. Passons sur la niaiserie de cette seconde assimilation. Quant à la première, elle n'est certes pas dénuée de fondements ; ce qui pose le problème du rôle potentiellement manipulateur des activités sportives dans la reproduction des stéréotypes dominants. Sans prétendre régler en deux mots cette question complexe — précisément parce qu'elle n'est, si j'ose dire, pas si simple — faut-il nier la qualité au moins cathartique de ces activités ? Et, bien plus profondément, faudrait-il du coup se refuser au — et refuser le — caractère ludique du jeu, du plaisir du geste mieux accompli ? S'interdire la plénitude — rare mais indicible — du mouvement bien fait, cet instant où l'équilibre du corps semble faire corps avec un ballon rond, cet instant où, au sortir d'un passage difficile de varappe, on se sent en état d'apesanteur, cet instant où, à force de faire des longueurs de piscine, on finit par oublier son souffle et à se mouvoir sans effort apparent dans l'eau, cet ensemble d'instants inatteignables sans une exigence astreignante sur soi-même — souvent en elle-même un plaisir d'ailleurs — et qui prennent, à mon sens, une dimension supplémentaire dans les jeux d'équipe parce qu'ils résultent d'une création collective. On aura beau dire, aucun vestiaire de douches — même si je les évite — ne me fera renoncer à la complicité d'un " unedeux " réussi, comme aucun chauvinisme ne me fera renoncer à la jubilation d'un " cadragedébordement " irrésistible.

Authenticité, dites-vous ?

Ce n'est pas vraiment un hasard si ce deuxième exemple — bien que trop souvent considéré comme " surtout " masculin — nous éloigne de ce qui serait spécifiquement masculin. Il souligne à rebours combien mythique — voire mystificateur — serait un retour à une " masculinité authentique ". Si même nous désirions (re-)trouver l'homme " non viril ", l'homme " non perverti " par les institutions virilisantes, l'homme " naturel " qui est en nous, que trouverionsnous et qui trouverions-nous ? Non pas quel homme, mais quel type d'homme ? Nous formons-nous en effet autrement que par rapport à — avec ou contre — des interdits et des identifications ? Ne voyons-nous pas chez les enfants en groupe, même les plus petits, des phénomènes de concurrence, de leadership, de domination qui concernent aussi bien les filles que les garçons et sont difficilement assignables à des institutions sauf à étendre le sens de ce mot au point de lui faire perdre toute signification ? Bref, si " authenticité " il pouvait y avoir, seraitelle nécessairement conforme à l'image rousseauiste qui en est parfois donnée ?

Une saveur spécifique.

Au fond y a-t-il besoin de cette mythologie pour simplement reconnaître que dans nos attitudes comme dans nos relations entre nous ou avec les autres, il peut exister — il existe déjà — des composantes fort différentes de celles que brosse le tableau unilatéral que je dénonçais en commençant ?

Faut-il voir dans ces composantes des espaces non Contamines par les stéréotypes ambiants ? Peut-être... Mais n'est-ce pas plus sûrement qu'aucun stéréotype ne saurait suffire à rendre compte de la complexité d'une pratique ni de la totalité d'un vécu ? Et, plus fortement, que la prégnance d'aucun modèle culturel ne saurait circonscrire ou éliminer complètement la variété des attitudes réelles — leur marge d'indétermination ?

Faut-il alors voir dans ces composantes ce qui resterait de la " femme qui est en nous " et chercher à les réhabiliter à ce titre ? Pour ma part, comme je demeure incorrigiblement bouché à l'égard de ce que serait la femme (et donc l'homme), je ne saurais guère utiliser ce distinguo. D'autant qu'il me paraît fort peu intéressant d'aller trouver " ailleurs " — notamment chez les femmes — les " bonnes valeurs " qu'il conviendrait de prôner et de suivre.

N'est-il pas plus enrichissant de nous pencher d'abord et surtout sur des aspects de nos expériences à l'écart des stéréotypes dominants et trop souvent oblitérés ?

Une illustration, entre dix autres : les relations d'amitié. Sans doute ne suis-je pas aveugle sur les fausses complicités, les concurrences récurrentes, la vantardise et la misogynie sur lesquelles reposent fréquemment de telles — ou prétendues telles — relations. Mais, à côté de tant d'exemples de ce genre, n'avons-nous pas, les uns et les autres, connu d'amitié(s) d'une toute autre sorte ?

Je me réfère, pour ce qui me concerne, à une amitié d'adolescence qui m'a permis, bien avant d'en être capable avec des femmes, de faire l'apprentissage d'un mode de communication intime et profond ; une relation où les discussions sur la vie, la révolte et la révolution, sur les filles, sur nous, étaient autant d'occasions de se livrer l'un à l'autre avec nos espoirs et nos illusions, nos craintes et nos faiblesses, sans peur d'un piège tendu par l'autre, mais aussi parfois l'occasion d'un apprentissage de la pudeur — qualité trop souvent déconsidérée — quand, au détour d'un silence trop transparent, se révélait tout-à-coup une blessure secrète. Et si je me souviens d'une nuit où, bouleversés par La Collectionneuse de Rohmer, nous avions parlé sans discontinuer de nos libertés, puis de celle qu'exprime le geste ultime de se détruire et finalement du suicide, trois ou quatre ans avant, du père de cet ami, à ce souvenir en répondent comme en écho bien d'autres, faits de silences, de présence chaleureuse quand, restés seuls au petit matin d'une nuit de surboum, nos regards fatigués traduisaient la joie calme de nos complicités dans la découverte de la vie.

Sans doute cette complicité — ou plutôt ses liens apparents — s'est-elle, dans le cas de cette amitié, ensuite distendue. Question de divergences progressives dans les choix, les opinions, les activités. Question aussi peut-être de cette armure, de ces défenses dont cet ami et moi nous sommes peu à peu entourés. Toujours est-il que si je m'essayais à caractériser une spécificité masculine — si tant est qu'elle existe — c'est à décrire et à analyser la douleur pareille à nulle autre qu'engendra cet éloignement insidieux que je m'attellerais : car l'amitié est un amour à la saveur spécifique.

J'ai d'ailleurs mis du temps à pouvoir à nouveau entrouvrir ma carapace, à laisser à nouveau filtrer la tendresse avec des hommes, à être à nouveau capable d'une présence et d'une écoute attentives à leur égard. L'expérience des groupes hommes — à laquelle j 'ai participé principalement pour retrouver une telle qualité de relations avec d'autres mecs — fut sur ce plan fort importante pour moi comme pour d'autres. Notamment parce qu'elle ouvrait un espace où nous pouvions plus sereinement, sans être sur la défensive, nous exposer aux autres, nous oser à nos fragilités : c'est-à-dire à nos vérités.

Ni archétypes ni contretypes.

C'est à cause de ces expériences — et d'autres — que je sais maintenant pourquoi ne laisse pas de m'agacer toute dénonciation unilatérale des " spécificités masculines ". Non, ce qui m'apparaissait prometteur dans le projet de la revue, comme c'était déjà le cas des groupes hommes, ce n'était pas la pure et simple dénonciation de la " sainte virilité ", mais de ce qu'elle est obligatoire, de ce qu'elle a d'obligatoire ; par conséquent, à travers les formes qu'elle emprunte, de ce qu'elle a de mutilant pour nous comme pour ceux — femmes, enfants, autres mecs — à qui nous la faisons subir. Réciproquement, c'était la " découverte de nos manques " — par rapport à cette obligation stéréotypée — et la découverte de la positivité de ces manques ; donc la reconnaissance que nos " défaillances " n'en sont peut-être pas, mais sont l'écume d'autre chose, que nous apprenons à discerner et à nous communiquer. C'était enfin l'interrogation sur les cheminements à contre-courant — ou à côté — de ces normes et qui nous ont conduit à lire dans ces manques des pleins, pleins d'avenir, pleins de notre avenir.

Mais je me méfie pour ma part — sans prétendre toujours l'éviter — de toute forme d'angélisme. Car — faut-il le considérer comme un " aveu " ? — nos cheminements, nos démarches ne sont pas toujours ni même souvent une renonciation à toute " virilité ", à toute émulation, à tout conflit — si même nous le pouvions. Ils constituent plutôt des parcours en zigzags vers la possibilité à la fois de refuser certains stéréotypes — de déroger à leurs injonctions — et d'assumer des valeurs que nous croyons reconnaître à tort ou à raison dans — derrière, en-dessous de — certains autres, ou les mêmes. La solidarité malgré les fausses solidarités, l'effort malgré la compétition, la tendresse malgré ses substituts (les claques dans le dos ou les injures dans le texte de Loïc...). Ce qui nous amène à essayer d'améliorer, voire d'inventer, nos formes de relations aux autres mais aussi, éventuellement, à composer, à passer des compromis avec les stéréotypes comme avec les institutions. Notre remise en cause, ce n'est pas la table rase, mais d'abord la volonté de s'y retrouver — en soi-même et avec les autres, et dans le mouvement social .

Ni archétypes ni contretypes, disions-nous (voir l'éditorial du n° 1). De là vient sans doute que notre démarche puisse être si facilement accusée par nos contempteurs d'être non révolutionnaire, récupératrice, peu activiste dans ses dénonciations..., bref de fournir le marchepied pour retrouver une primauté battue en brèche. Que nous importe ? Rappelons-nous le vieux principe : c'est la pratique qui permet de trancher. Quant à la critique éventuelle de nos efforts comme nouveau moyen de séduction — condamnée comme si elle ne pouvait que s'identifier à une " drague " pleine de mépris pour son " objet " ; diable ! toute expression d'un désir estelle " phallo " ? — outre que cette manière de voir est bien réductrice, faut-il, le cas échéant, s'en culpabiliser ? Faut-il réprouver tout narcissisme, tout effet secondaire de valorisation de nos comportements ? A ceux qui le préconiseraient — qu'ils ou elles soient " féministes " — je répondrai : " Faites donc, si ca vous plaît ! ". Je n'ai pour ma part aucun goût à m'enfoncer dans le masochisme.

Jusqu'où ne pas se nier ?

Ce qui m'intéresse en revanche, c'est de combattre et de savoir subvertir ce que la " virilité obligatoire " peut avoir d'oppressant pour moi comme pour ceux qui m'entourent. Pour cela, pas de trucs, guère de modèles ; pas de recettes générales qui conduisent sur la voie royale ni de grands soirs où je sois capable de me dévêtir de tous les oripeaux du " vieil homme " viril que je trimballe avec moi. Et, de toutes façons, serait-ce le bon moyen ? Car je ne cherche pas plus à dévaloriser tous les plaisirs que je peux prendre dans des activités qui ont mauvaise réputation (comme le foot...) qu'à me nier comme mec.

Dois-je nier par exemple un désir que je connais bien en moi : celui que jouisse la femme avec qui je fais l'amour ? Pour avoir été pendant longtemps avec une femme que je ne " faisais " — généralement — pas jouir et en avoir ressenti et exprimé de l'insatisfaction, j'ai pu prendre conscience de l'oppression que constituait pour elle cette " obligation " de jouissance. Cette oppression m'apparaissait à vrai dire — à tort ou à raison — moindre que celle d'un désintérêt du " mec " à l'égard du plaisir de la femme. Mais, en tout état de cause, sa non-jouissance constituait pour moi, surtout à la longue, une oppression aussi. En avoir parlé, avoir " transigé " avec ces oppressions n'a finalement rien résolu — même si notre compréhension réciproque empêchait au moins une dramatisation excessive. Ne pas me nier, ça a d'abord été de rencontrer des femmes avec qui cette difficulté n'existait plus. Ça a surtout été de me sortir du piège que constitue le stéréotype " faire jouir ". Ce que je désirais, au fond, c'était " jouir avec ". Si elle ne se préoccupe pas de ma jouissance, ma jouissance, si elle a lieu, sera un plaisir que je me serais fait/donné à moi-même, pas un don de moi à elle. Si je jouis avec elle, je veux jouir d'elle. Réciproquement, m'efforcer qu'elle jouisse de moi c'est lui laisser la possibilité de me donner cette jouissance : et non la " prendre ", pour ma jouissance. Il est évident que tout ceci n'a rien à voir avec des " recettes " quelconques, à fortiori avec de la " technique " (je n'ai d'ailleurs jamais bien compris ce que pouvait vouloir dire ce mot). Admettre que la jouissance peut n'être pas oppressive et s'efforcer de la rendre non-oppressive suppose un risque : le risque de tout don, le risque de tout partage, peut-être de toute passion, de toute fusion. Car se donner, c'est se livrer et se livrer, c'est s'exposer. Il faut donc être deux à le vouloir.

Oppressions.

Pas de " trucs " donc. Il n'en reste pas moins que la question : jusqu'où ne pas me nier comme mec, avec mes plaisirs et mes exigences, cette question comporte au moins un autre versant ce que j'appellerais un point-limite (que j'ai — bien entendu — trop souvent franchi) : c'est l'oppression que j'exerce sur les autres (car c'est à travers elle que je prends en général conscience de celle que je m'inflige : sinon, pour celle-ci, je suppose que je fais comme tout le monde : je compose). Encore que, pour être décisif, ce critère est loin d'être toujours clair et simple.

Bien sûr, si une femme ne me désire pas et me le dit et que je veuille quand même l'amener à faire l'amour, il y a oppression. Symétriquement, si elle exige de moi que je bande pour prouver mon amour ou ma virilité. Mais si, dans une relation donnée, ce non-désir devient fréquent il devient vite aussi oppression pour celui qui continue à désirer. Qui n'a connu, ou vu autour de lui, ce genre de situations ? Avec souvent trois façons de les affronter, parfois successives. La plus classique : se bloquer, se refuser à toute remise en cause, être sûr de son bon droit : bref, la crispation qui conduit soit à la pérennisation de l'oppression, soit à la rupture. Une plus " nouvelle " (pour des hommes...) : l'intériorisation du conflit sur le mode de la culpabilité — style : c'est parce que je suis un mec que... ; quand j'aurai fait le ménage dans ma tête, mon corps, mes attitudes... Et puis il y a la reconnaissance d'un conflit en tant que tel, dont les causes — les " fautes " — et plus encore le déroulement sont rarement unilatéraux ; ce qui débouche sur la nécessité de la " négociation ", des " efforts " de chacun, de la " bonne volonté ". Et, parfois, sur une autre reconnaissance, la plus douloureuse : celle que le changement partiel de l'un — fût-ce son " rejet des stéréotypes " — ou de l'autre n'est pas toujours suffisant pour éliminer le conflit, l'incompatibilité. Comme ne seront pas toujours suffisants une meilleure " communication ", un modus vivendi, une " négociation ". Car le conflit, s'il peut être l'indice de rapports de pouvoir et, en tous cas, de forces, n'y trouve pas nécessairement son explication. De même, la " compétition " ou la " virilité " (non pas biologique mais culturelle), si elles peuvent être les instruments d'une prise de pouvoir et de pouvoir sans partages, ne se réduisent pas nécesque sur le mode de la culpabilité : à un angélisme trompeur ou à la haine de soi.

sairement à cette volonté de pouvoir et qui serait " masculine ".

Ces phénomènes n'existent pas qu'entre nous les mecs ou avec nous. Si notre démarche vise à en déconstruire les machineries et les effets, elle ne doit pas nous amener à leur intériorisation systémati

Ne pas opprimer, sans nous nier. Le chemin n'est pas plus facile pour nous que pour elles ou pour nos enfants. Mais c'est peut-être à le parcourir sans relâche que nous parviendrons enfin à débattre plus clairement de ces spécificités dont on nous affirme l'existence.

Mais ceci est une autre histoire.

Didier Uri

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

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