Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Le livre de ma mère

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Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983

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Le livre de ma mère

... " Comme l'image calme apparue la dernière,

Si beau si doux si tendre, le visage de sa mère " ;

Côté face, il y a la tradition, ces quelques mots de Gilles Servat qui sentent bon la lavande et les images d'Épinal. Côté pile... Il y a deux textes : mère trop absente, mère trop présente, mère toujours amère.

Du respect religieux au piétinement sacrilège, au moins un point commun... une peur en filigrane. Ont-elles voulu, ont-elles choisi nos mères, tant de peur, tant d'amour et tant de haine ? C'est une des questions auxquelles Christiane Olivier, dans son analyse des relations entre une mère et son enfant et des comportements qui découlent pour l'adulte, propose des réponses. Les réactions à son livre " Les Enfants de Jocaste ", enthousiastes ou haineuses, reproduisent si souvent la démesure des rapports à la mère entrevus ci-après qu'elles justifient bien un degré supplémentaire de " relativisation ".

Lire

Les enfants de Jocaste

Voilà un livre dont l'histoire à elle seule mériterait un article tant elle est caricaturale du mode cyclothymique et artificiel sur lequel se propagent les idées en ce moment.

Il est sorti dans l'indifférence du public, mais sous les huées des " spécialistes " : Freudiens de tout poil (comment, la libido féminine ne serait pas exactement conforme à la description de Freud, mais vous rêvez, madame !!), et féministes (comment, les femmes participeraient à la reproduction de la phallocratie, mais tu vois pas que tu fais le jeu de l'oppresseur ?), unis dans le même anathème.

Et puis le temps passe, et tout à coup c'est le rush. Deux rééditions épuisées. M. Denoël-Gonthier n'en revient pas, c'est le gadget de l'année, le dernier must de l'intello de base (l'intello de haut vol se devant, quant à lui, d'avoir tout lu avant la parution, c'est connu). Après tout, tant mieux, c'est peut-être un livre rare, parce que facile à lire et pourtant pas complètement creux.

Et puis c'est un livre qui, bien que " féministe " * en ce sens que la fonction d'oppression des hommes y est reconnue et dénoncée, ne décrète pas d'office ne parler qu'aux femmes et nous être totalement imperméable.

En tout cas, c'est un livre qui devrait être distribué dans les écoles, offert aux papazémamans futurs au lieu de stupides layettes. Que Les enfants de Jocaste restent chez les intellos, c'est donc certainement dommage, mais d'un autre côté, que les intellos en restent aux Enfants de Jocaste c'est un peu inquiétant si l'on pense aussi à l'incroyable " naïveté " de freudienne fraîche émoulue du séminaire qu'il trahit parfois.

Bref, " pour " et " contre " tout à la fois, faut " qu'on en parle ", avec objectivité, subjectivité (que j'assume tôôôôôtalement, bien sûr) et hélas aussi sans doute, des contresens qu'il faut bien assumer également et qu'on me pardonnera peut-être. Ouf... C'est parti !!

Les enfants de Jocaste, donc, commencent par un petit rappel ou " résumé des chapitres précédents "... Beaucoup de chapitres, mais peu de rebondissements, pour une histoire qu'on pourrait intituler : " la psychanalyse et les femmes ". Christiane Olivier nous rappelle à cette occasion qu'à de rares exceptions près, comme Luce Irigaray ou Hélène Cixous, depuis Freud la psy n'a cessé d'être un " discours d'hommes ". Nous préférerions sans doute lire ici " discours viril " : ce n'est qu'un point de vocabulaire, bien sûr, mais justement, la tautologie à laquelle nous essayons d'échapper s'y projette Et si Freud était " phallo ", ses successeurs s'en sont donné, eux aussi, à cœur joie pour " inventer " la femme. " Que la théorie psychanalytique révèle remarquablement ce que l'homme attend que la femme soit, c'est évident ", nous dit encore Christiane Olivier. La plupart des femmes analystes se sont toujours contenté de " pratiquer " en silence et elle se propose d'être, elle, " femme et psychanalyste "... qui parle pour dire, une fois n'est pas coutume, l'autre moitié de la psy, sa " parole de femme ".

Si papa l'a dit

Pourtant, on n'échappe pas pour commencer à une 745e " relecture " du dit Freud. On y voit, démontés, les invraisemblables et fragiles scenarii qu'il élabore pour faire endosser à la femme la libido " prêt à porter " qu'il vient de lui confectionner, et justifie de façon " naturelle " l'" envie de pénis " et le " renoncement au clitoris ". On y comprend un peu mieux par quels tours de passe-passe il postule la symétrie entre garçon fille quand elle l'arrange (symétrie qui consiste à projeter purement et simplement sur la petite fille le schéma élaboré pour le garçon) et l'oublie quand elle le dérange. En effet " pourquoi ne pas analyser aussi "l'envie du vagin" (2), "l'envie de sein" ? " (1) ..

Au passage, on pardonnera aisément à Christiane Olivier d'appliquer, comme bien d'autres, le principe du choc en retour et d'inverser un peu la vapeur en ce qui concerne le manque : " Le démuni, dans l'histoire, c'est l'homme ". On peut en effet je pense en vertu de cet autre grand principe psychologique " c'est-çui-qu'il-dit-qui-y-est " (d'aucuns appellent aussi ça la " projection "), et vu les portes béantes que certains croient obligés d'enfoncer avec beaucoup d'énergie : " la femme n'est pas toute disait Lacan (3) !... En voilà, une nouvelle ! Le brave homme a eu la sagesse ou la modestie de ne jamais dire s'il estimait, lui, être tout, mais en tout cas, pour en proférer de pareilles, faut être vraiment trop !

Continuant notre visite guidée de Freud, citations à l'appui, on s'aperçoit bientôt que sur la fin de sa vie il avait tout compris, ou presque " La grande question, qui n'a jamais été éclairée et à laquelle j'ai été incapable de répondre malgré trente années de recherches dans l'âme féminine, c'est : que désire la femme ?... " Question bien vite oubliée par les successeurs de Freud... Décidément Freud c'est, comme Marx, les saintes écritures et la Samaritaine, avec de la patience et de bons ciseaux, on y trouve tout ce qu'on veut. Et j'avoue que je me serais bien passé de ce chapitre qui n'apporte pas grand chose à la démonstration et qui sent un peu la justification : " vous voyez, je suis plus freudienne que vous, finalement ". Surtout venant de quelqu'un qui regrette, dans le même temps, que " la psychanalyse se soit développée sous la forme : comment parler, sans dépasser le père ? " !

Assymétrie

Enfin, Freud ou pas, le bouquin chemine vers l'essentiel, ce qui en constitue en quelque sorte la clé de voûte. A savoir, le fait que le schéma œdipien tel qu'il nous est habituellement servi ne marche que pour le petit garçon, et que pour la fille, il faut bien trouver autre chose. Parce que, toujours, c'est la mère qui s'occupe des enfants. Donc primo le premier objet fusionnel c'est toujours une femme. Pour un garçon qui se trouve d'emblée dans l'œdipe, et pour une fille qui aurait à " changer d'objet ".

Secundo, et c'est là que c'est un peu nouveau, Christiane Olivier remarque que l'œdipe est à double sens (enfant-mère, mais aussi mère-enfant). L'attitude de la mère constitue la dimension oubliée (" oubliée " par la psychanalyse, s'entend !) de la relation œdipienne que Christiane Olivier nomme complexe " de Jocaste ", pour marquer la différence. Et elle dépend radicalement du sexe de l'enfant. La raison principale invoquée par Christiane Olivier, à savoir le fait que cette mère est une femme, qui ne peut désirer que le sexe de l'homme, m'a paru assez parachutée. Mais ce qui est amplement prouvé, en tout cas, c'est que des choses quantifiables comme l'âge du sevrage, la durée de la tétée, dépendent du sexe du bébé et pas qu'un peu (durée moyenne d'un tétée à deux mois : 25mn pour les filles, contre 45mn pour les garçons !) (4).

Scenarii

Partant de là, Christiane Olivier décrit en détail et en quelques chapitres l'évolution typique du garçon et de la fille, soit, pour résumer schématiquement :

— Pour le garçon .

Relation orale très fusionnelle et satisfaisante avec la mère. Par contre, grosses difficultés pour échapper, un peu plus tard (" stade anal ", ou phase d'affirmation de soi), au désir fusionnel et possessif de la mère (justifié plus loin). Ceci explique, quand ça se passe " trop mal ", les symptômes observés presque exclusivement chez le garçon (énurésie, etc.) Voilà pour la " clinique ".

A plus long terme, l'homme en garderait une agressivité généralisée à tout le monde extérieur, et une ambivalence généralisée à toutes les femmes : désir de retrouver la relation fusionnelle mais peur du désir de la femme, ressenti comme dangereux.

L'homme voudrait " avoir la femme sans son désir " (1)... De plus, le garçon fixerait inéluctablement la possessivité de la mère sur son propre sexe, retrouvant par là le complexe de castration cher à Freud.

— Pour la fille .

Relation orale d'emblée insatisfaisante, car la petite fille est " aimée comme enfant, non désirée comme corps " (1), et expérience très précoce de la dichotomie. Nécessité de gagner par son comportement une reconnaissance qui n'est pas acquise : d'où un apprentissage plus précoce du langage, de la propreté, de la coquetterie, l'importance attachée au regard des autres... et des symptômes de type " oral " quand ça se passe mal, comme l'anorexie, la boulimie...

Ensuite... Ensuite ça s'éternise, pour deux raisons : parce que le père, qui pourrait apporter ce regard valorisant, n'est pas là (à la maison) ou, s'il l'est, c'est plutôt comme un zombie ; ensuite parce que, d'après Christiane Olivier, " le corps de la petite fille n'est comme celui de personne " : ni comme celui du père (pas de zizi), ni comme celui de la mère (pas de seins) ; Tout ceci lui fait dire " Petite fille, ça ne se vit qu'au futur ".

Papa, maman, la belle-mère et moi...

Et voilà, tout est en place pour la grande scène du Deux, que Christiane Olivier nomme " l'impossible rencontre " et analyse dans une optique très conjugale : l'homme et la femme sont poussés l'un vers l'autre par l'Amour, avec un grand A mais version psy = recherche de la relation fusionnelle originelle. Ça ne marche pas, parce qu'on projette en même temps sur l'autre les comportements destinés à la mère et le scénario de l'échec. L'homme, qui fuit la symbiose dès qu'il y touche de peur d'être " mangé ", est d'autant plus incapable de donner des " preuves " d'amour à la femme qu'elle les demande avec plus d'insistance, bref d'être la " bonne mère " qu'elle attend depuis toujours (notons au passage que de " bon père " et de " complémentarité " il n'est plus question). Car si lui peut encore se payer un peu de régression (le repos du guerrier), la seule à la maison qui n'ait pas de maman c'est la femme. De toutes façons, boulimique de signes, elle " n'arrive jamais à intégrer la réponse positive de l'amant à son "m'aimes-tu ?". " (1). Bref, la joie dans les chaumières...

Mais, de peur sans doute de nous avoir par trop dégoûté du couple, Christiane Olivier nous rassure in extremis : tout n'est pas perdu, à condition d'" arriver à refouler suffisamment le négatif de notre histoire et à fantasmer le positif. " (Bonne chance, les mecs !!!)

Après l'ambition de l'analyse, on reste un peu incrédule devant la naïveté de ce genre de " solution ". C'est pourtant un décalage auquel la psychanalyse, dans ses hésitations entre déterminisme et volontarisme, entre " bonne science " et " bonne conscience ", aurait dû nous habituer.

Heureusement, sous cette caricature passent aussi pas mal d'idées intéressantes à creuser. Par exemple, celle selon laquelle pour les mecs l'acte sexuel ne serait souvent qu'un moyen de prouver qu'on est " bien débarrassé de sa mère et libre pour un engagement social auprès des autres hommes " (1). Et c'est vrai que chez beaucoup de mecs, on a bien l'impression que c'est d'une possession-preuve qu'ils ont besoin. Que la jouissance, et la femme avec qui ça se passe, n'ont pas grand-chose à voir là-dedans... Qu'on a sans doute, nous, pas mal de commentaires spécifiques à faire, au prix d'une " petite " digression...

" Mais qu'est-ce qu'ils veulent ?..."

J'ai le souvenir de cette affirmation, retrouvée d'amie en amie : " j'ai besoin d'être aimée pour me sentir exister ", ou ses variantes. Quel temps, quelle tendresse perdus autour de cette demande, de mon refus obstiné, et un tant soit peu condescendant, de comprendre, de cet attachement borné au premier degré des mots. Bien sûr, à se heurter au même mur, à rencontrer surtout des filles sachant le contourner chacune à leur manière, on apprend et on comprend petit à petit des choses. Cet apprentissage pragmatique de la relativité des codes, cette distinction un peu floue, mais transmissible à coups de quotidien, entre les mots et la réalité qu'ils recouvrent, l'analyse de Christiane Olivier vient bien à point pour lui donner des bases, la structurer, me faisant par la même occasion regretter un peu de ne pas faire partie des petits veinards qui peuvent d'emblée commencer par là... L'apprentissage sur le tas, d'accord, mais pas au prix de n'importe quel gâchis !

Si, comprenant au départ le mécanisme d'une éducation qui consiste justement à remplacer, à coups de " sois belle et tais-toi ", " je pense donc je suis ", affirmation réservée aux mecs, en " on m'aime donc je suis ", on aborde les autres avec un peu moins de dédain, c'est toujours ça de pris ! D'autant que notre " autonomie " à nous est loin d'être à l'épreuve des balles et que, dans ce modèle, si la femme n'existe qu'à force de ne pas vivre, l'homme ne vit quant à lui qu'à force de ne pas jouir.

Alors, oubliant Freud qui nous présentait la fuite (la sublimation, mec !) comme un aboutissement nécessaire, on peut à nouveau analyser notre insatisfaction en termes de désirs contradictoires en regarder en face, ou du coin de l'œil pour commencer, tous les termes. Entre autres ce masochisme apparent qui fait que bien souvent, un mec ne peut être amoureux d'une femme que tant qu'elle (ou dès qu'elle) se refuse, c'est-à-dire qu'elle ne donne pas prise à la peur qu'un beau jour elle s'accroche. Comment ces contradictions s'articulent-elles avec le social, avec le regard, et en particulier celui des autres mecs ? Ou encore, pourquoi les hommes, si désirants, se révèlent-ils si peu jouisseurs ?

Pourquoi ce besoin d'accumuler, de thésauriser ? De recommencer éternellement une approche pour se désintéresser du " graal " dès qu'il est à portée ? (Entendu récemment à la radio ce vieux poncif toujours à la mode, semble-t-il : " le meilleur moment de l'amours c'est quand on monte l'escalier " — et ce n'est justement pas la symbolique à double sens qui est à remarquer ; elle est elle-même tellement éculée qu'on ne peut guère y voir qu'un alibi faiblard au 1er degré en béton qu'elle accompagne). Est-ce seulement parce qu'en haut de " l'escalier " il y a le mur de la " perte d'identité " qu'on ne laisse opérer le désir qu'en deçà de son objet (qu'on gravisse indéfiniment te dit escalier ou qu'on reste sur le palier, l'air d'être là par hasard...) ?

— Et ta mère !...— Traite pas ma mère

Est-ce, comme le suggère aussi Christiane Olivier, pour montrer aux autres mecs qu'on s'est bien débarrassé de sa mère, qu'on " baise " d'autres femmes ? Alors, à nous d'aller plus loin, de voir où, quand, comment, ces autres mecs nous demandent de prouver qu'on n'est plus " dans les jupes à sa mère ". Comment cette preuve à donner s'éternise, revient périodiquement comme la radio des poumons, y'a toujours une rechute qui te guette. (Tu te l'es faite ? Pas encore ? Qu'est-ce que t'attends ? — avec toujours le sous-entendu de quelque chose d'infamant sous ce délai.) Et pourquoi l'opinion de ces autres mecs a-t-elle autant d'importance ?

Est-ce que finalement ça n'est pas d'abord pour échapper à ce questionnement perpétuel et terroriste par " les autres ", c'est-à-dire le corps social, qu'on se marie ? Tout autant, ou plus, que pour retrouver la " fusion avec la mère " dont nous parle Christiane Olivier...

Quoi qu'il en soit, on se marie, de toutes façons, et la boucle est presque bouclée. La femme, toujours pas satisfaite par ce mec qui passe son temps à fuir, est fin prête pour s'approprier le seul " homme " sur lequel elle ait momentanément assez de pouvoir pour le faire, à savoir le premier rejeton mâle qu'elle va mettre au monde (et les suivants, ce qui est peut-être le point le plus étonnant de la théorie de Christiane Olivier : que la mère ne se lasse pas rapidement de ce jeu de qui perd gagne, et n'équilibre pas progressivement son rapport à ses enfants au fur et à mesure qu'ils se succèdent). C'est une des quelques " acrobaties logiques " de ce livre, qui en contient pourtant assez peu, issues pour la plupart des " grands classiques " de la psy. Une autre, et de taille, est celle par laquelle elle élude le désir homosexuel ! En effet, pour que la femme recherche dans son mari ou compagnon la " bonne mère ", il faut bien qu'elle soit capable de projeter sur un sexe ce qu'elle attend d'un autre. On ne voit pas bien alors ce qui l'empêche de sexualiser un tant soit peu ses relations avec sa fille, si c'est de ça qu'il s'agit avec le garçon. Cette logique de la " bonne mère " ne conduirait-elle pas tout aussi bien à un cycle homosexuel féminin où l'homme n'ait qu'une place annexe de reproducteur, ailleurs prôné par un certain courant féministe (sur une autre analyse, ça va sans dire) ? Christiane Olivier n'a pas l'air de le souhaiter, ni même de l'envisager une seconde. D'une manière générale, l'idée d'un désir homosexuel, féminin en particulier, qui soit autre chose que de la " pathologie " est curieusement absente du livre. On est bien obligé de faire des parallèles et de constater que comme par hasard le refus de l'homosexualité est un des grands classiques de la psy, freudienne et autres...

Tu causes, tu causes...

Le temps d'un chapitre, on sort un peu de la famille pour voir les conséquences de ces conditionnements sur le langage. Avec cette idée bien féministe (en ce sens qu'elle confère aux femmes une positivité objective) que le langage des hommes est à l'image de cette dissymétrie des rapports à la mère dans la petite enfance : " L'homme ne peut se construire dans un premier temps que dans la contre-identification à la femme ". Son premier langage sert à éloigner, et en particulier à refuser à la femme le droit à la parole. Au contraire, le langage de la femme, à l'image de celui de la fille, cherchera d'abord à rapprocher, à être entendu. Langage unificateur... Je me contente de noter qu'il y a là dessous encore un choix idéologique, ou plutôt moral, laissant à débattre ailleurs la question de la négativité " intrinsèque " de violence, agressivité, opposition, etc.

En tout cas, c'est à travers le " nouveau langage " des femmes que Christiane Olivier retrouve l'optimisme dont on avait un peu oublié la couleur dans les derniers chapitres. Abandonnant la " folie " de rechercher dans " l'homme oedipien " la reconnaissance (l'existence), dépassant la rancœur par rapport à la mère (rancœur double : de n'avoir pas été assez aimée, et de n'avoir pu accéder à l'amour du père), les femmes " découvrent enfin " dans la sororité " la similitude tant recherchée et toujours évanouie depuis l'enfance ". Et les mecs, dans tout ça ? A vrai dire, on ne sait pas exactement, pas plus qu'on ne sait où et pourquoi cette " similitude tant recherchée " s'avère insuffisante et préserve la " nécessaire complémentarité " du sexe de l'homme.

Nucléaire non merci...

Enfin, retour à la famille, pour un dernier (last but not least) chapitre, beaucoup plus " socio ", où Christiane Olivier dénonce la famille nucléaire qui " dramatise les conflits ". Elle insiste sur l'importance de structures sociales prenant en charge l'enfant (seul moyen selon elle d'échapper au surinvestissement " jocastien " de la mère sur celui-ci) et d'une autre répartition des tâches parentales.

Point d'orgue, en forme d'avertissement :

Les mecs, on ne sera plus vos mamans, ni celles de lardons dont vous voulez profiter sans en assumer rien (c'est dit plus élégamment, mais je crois ne pas trahir le message). A bon entendeur...

Jean-Louis Viovy

* Je m'en voudrais d'en faire une définition, le féminisme s'en passe fort bien, et ici surtout, mais disons un critère possible...

(1) Christiane Olivier " Les enfants de Jocaste ", Denoël-Gonthier

(2) Luce Irigaray, " Spéculum, de l'autre femme ", éditions de Minuit.

(3) Jacques Lacan, " Séminaire XX "

(4) Elena Gianini Bélotti, " Du côté des petites filles ", éd. Des femmes

Ma première histoire d'amour :

Marie ma mère

Hier c'était l'anniversaire de ma mère, comme elle habite très loin, je lui ai téléphoné ; elle était très émue au bout du fil. Ce matin, pour la n.ième fois, je ne veux pas me lever pour aller travailler.

Une lueur de clarté : je vis dans son attente ; j'essaye de retrouver ces moments bénis où nous étions tous les deux, où j'étais tout entre ses mains, où je tétais son sein.

C'est tellement clair que souvent je n'ai pas voulu devenir Grand (le nom de mon père). Jean-Louis, arraché, écartelé entre une relation à maman inaccessible et un " devenir grand " qui prenait, qui prend les allures noires du désespoir.

J'ai pourtant appris le métier de mon père, mais je ne peux plus ou plutôt je ne veux plus.

Un matin frileux dans un atelier de banlieue, où j'étais censé travailler ce formica glacé, je suis allé jusqu'à m'évanouir pour retrouver ce lit, pour retrouver le sein de mon amie quittée in extremis à peine deux heures plus tôt.

De la même manière qu'à quatre ou cinq ans je me fabriquais des angines à répétition pour retrouver le lit et les soins attentifs de marie ma mère ; maintenant je reste simplement au lit des matinées, des journées à attendre.

Je lis " psy " pour comprendre.

J'espère le coup de téléphone de celle qui viendrait se déshabiller et se mettre dans mon lit. Nous serions l'un contre l'autre, des heures à faire l'amour, à jouer et à parler.

Mais là, je suis seul ; elles sont parties travailler à leurs bureaux, à leurs salles de cours, à leurs situations ; et moi je reste là à attendre ce qui ne viendra pas.

Manière morbide de vivre ; désespoir, c'est-à-dire perte d'espoir devant la vie, le présent et l'avenir. Ce présent qui n'apporte pour tout présent que le néant. L'argent commence à me manquer sérieux, j'ai négligé de bien gérer ma vie matérielle. Je croyais qu'en trouvant l'amour, tout cela viendrait :

la confiance en moi

le dynamisme de vivre

la FORCE d'être un homme.

Parfois, quand j'étais obstiné, j'ai trouvé l'amour à la croisée des chemins, des nuits et des jours à faire l'amour, à parler, à jouer, à se caresser, à se découvrir.

Et puis après, le lundi matin de son départ au boulot, je ne décoinçais pas ; je ne voulais pas.

Je restais là dans mon lit, dans la pénombre de mes draps à ne plus bouger, à dormir, à rêver.

Impossible de sortir, célébration inquiète d'un rituel suicidaire

Je ne pouvais pas partir.

Je ne voulais pas quitter cet état.

Non, ce n'était pas possible !

Hors de cela, tout me semblait vide, désespérément vide, les gestes du petit déjeuner, le trajet métro-boulot, le premier contact avec l'outil, la première pensée d'une journée de travail : " qu'est-ce que je vais faire aujourd'hui ? "

Rien à faire ; j'étais pris possédé par cette force qui allait me propager dans un univers aux limites de la misère.

J'allais encore me plaindre, me plaindre de l'argent que je n'ai pas, de l'énergie que je n ai pas, de la force que je n'ai pas.

Me plaindre : encore une de ces multiples manière de vouloir attirer ma mère dans le guet-apens de ma nostalgie irrévocable. Me plaindre encore et toujours ou comment tenter encore de me faire aimer d'elle " Pauvre petit, c'est pas possible d'être malheureux comme ça ! "

Manière de toucher son coeur de mère de dire : " Maman fais attention à moi " ; manière de réclamer " Maman aime-moi comme avant "

Du coup, système économique (lui aussi dépressif) aidant, je me suis installé dans la semi-zone, cet entre-deux où on ne zone pas vraiment mais où on n'est pas vraiment inséré.

Volonté désespérée et délibérée de ne pas me promouvoir socialement.

Énergie passée à attendre l'Éden qui ne viendra pas en gardant toujours secrète dans un coin de ma tête la pensée folle, l'espoir lubrique qu'il me reste toujours la mort pour me délivrer

— De tous mes péchés

— De toutes mes attentes

— De toutes mes amours

— De mon premier amour : marie, ma mère.

Jean-Louis Le Grand

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Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1983

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