Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Je t'aime, moi non plus

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Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983 

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Je t'aime, moi non plus

L'amour et ses infinies définitions. L'amour, ralliements et déraillements. L'amour, cette vaste besace d'inaccessibles rêves, méritait quelques mots évocateurs : Aurélie ; invention ; granit ; faits ; pleurs... On peut tout en dire, s'y épuiser et ne rien justifier. Alors musique !

CHANSON D'AMOUR
(Lluis Llach)

Je parlerai des lois
qui ont fait de notre corps
un si grossier mensonge
qu'il faudrait peut-être dire
que les lois ont confondu
famille et plus-value.

Je ne sais si j'ai raison
peut-être est-ce toi, peut-être est-ce moi.

L'amour est le plaisir
gratuit et sincère
d'un jeu plein de frissons,
un poème d'épidermes
où le sexe est l'accent
d'un très simple langage.

Je ne sais si j'ai raison
peut-être est-ce toi, peut-être est-ce moi.

Si aujourd'hui je parle d'amour
c'est peut-être pour vous dire
sans force et sans habileté,
que j'ai fait force chansons
où je cachais les vérités
sous des jeux de paroles.

Peut-être n'ai-je pas raison,
mais il faut maintenant le dire.

 

Aurélie, l'enfance séloigne

 Aurélie avait sept ou huit ans, je crois, et j'en avais vingt, quand je l'ai rencontrée pour la première fois. A dire vrai, lors de cette première rencontre, c'est la mère d'Aurélie dont la présence d'abord m'avait marqué. Elle était à peine plus âgée que moi, son assurance m'attirait autant que son charme. Mes tentatives de séduction, si maladroites ou si limpides, étaient peut-être touchantes ; elle eut assez d'humour, ou de complaisance, pour ne pas en rire. Je lui soulignai avec passion la nécessité et l'urgence d'accorder tous les droits à l'enfance, de lui bâtir des écoles parallèles qui soient une autre perspective que l'institution et la norme. Elle me crut sincère, et je l'étais. Les thèses d'Illich, loin d'être simple prétexte à notre discussion, me passionnaient. Je m'intéressais à l'enfance, Aurélie m'intéressa. Elle m'étonnait tout d'abord. Son regard, léger et profond, cette gaieté, sa beauté aussi. Par instants, elle semblait s'éloigner très vite, s'abstraire de tout le bruissement du social, pour y revenir aussitôt par une remarque ou une question dont la pertinence, encore empreinte de naïveté, laissait un malaise. Aurélie réussissait à rassembler ainsi sur elle toute l'image romantique que je voulais avoir de l'enfance, et elle regardait le monde avec autant de fraîcheur que de gravité.

J'ai revu Aurélie un peu plus tard, elle venait d'entrer au lycée. Nous avons commencé de nous rencontrer régulièrement. Cinés, jeux, promenades. Une période riche et calme. Ce temps où les plaisirs de l'enfance déjà pèsent un peu le poids du réel. Regards ironiques sur le monde et désir de le comprendre. Mais l'imaginaire et le rire pour continuer de se protéger des contraintes du quotidien. Flâner pour dénicher un salon de thé, des heures à dévorer des pâtisseries, force grimaces et arabesques chocolatées sur la nappe blanche pour mieux effrayer la dame patronnesse ou les étudiantes bon-chic-bon-genre de la table voisine. Puis, au détour d'une affiche ou de la tête d'un commerçant, s'interroger sur la ville, l'univers, la botanique ou le rouge à lèvres. Passer sans transition d'une manif à un spectacle de marionnettes. Nous échangions nos confidences avec le plus grand sérieux mais nous étions sans pitié pour tous ceux qui s'étonnaient de nos chuchotements... Et la tendresse qui s'installe presque comme une évidence.

Faire du réel un jeu, en essayant de connaître le fonctionnement du monde. Ironie, prudence, errances et volonté d'apprendre. La concierge de l'immeuble excitait notre imagination, nous lui inventions des pouvoirs surnaturels, un cousin népalais et princier et lui donnions des pseudonymes tout à fait surréalistes. Les achats de bonbons cachaient des rites tandis que le métro devenait Transsibérien. Nous nous promenions sur notre île en regardant tous ces Persans, dans le lointain, avec curiosité, méfiance, indulgence ou férocité. Souvent, j'étais présent au moment où Aurélie devait aller dormir. Nous restions à bavarder jusque fort tard, essayant toujours de grignoter sur l'heure-limite, heureux d'être si peu raisonnables et maudissant les horaires barbares de l'école. Regarder une fois de plus les images d'Astérix puis débattre du principe moral de l'argent de poche ou bien ricaner des tics familiaux. Nos secrets se multipliaient et fortifiaient autour de nous le mur protecteur de nos complicités. Chaque départ était pour moi d'une tendre douleur, et ma joie extrême le jour où Aurélie eut cette remarque tranquille et magnifique : " avec toi c'est pas pareil que quand je parle avec des adultes ".

Ses années-lycée. Je ne peux pas connaître de chiffre, de dates. Il y a la période Place des Vosges, la période Pâtisserie Viennoise, des images, des images, c'est tout. Dans le temps je n'ai pas — je ne peux pas avoir — de repères plus précis. Et c'est déjà là tout ce qui fait problème. J'ai très vite cessé de savoir l'âge d'Aurélie. Aurélie n'a pas d'âge, ses anniversaires n'étaient pas des dates mais seulement d'autres images dans cette longue histoire. Depuis le début de notre relation, je tente vaguement de nous relier à quelques points du temps réel, effort difficile, vite annulé, vain. Ce premier disque que je lui ai offert, ça s'entendait partout durant l'été, c'est quelle année déjà, je n'en sais trop rien, Aurélie n'a pas d'âge, le temps ne passe pas, des signes imprécis, son stage de voile, son déménagement.

La géographie parfois est cruelle. Nous avons cessé de nous voir pendant quelque temps. Je vivais, sans m'en étonner, sur nos certitudes. Puis nous nous sommes retrouvés. La complicité était intacte, seul son contenu évoluait peu à peu. Aurélie avait dû avancer dans sa scolarité puisque nous parlions maintenant d'autres choses. Elle commençait de remettre en cause certaines des légitimités adultes, s'inquiétait des rares possibilités d'exercer dans l'avenir un métier intéressant, s'ennuyait avec l'un de ses premiers flirts. Mais ce n'était plus seulement l'objet de nos discours secrets qui avait changé. Nous aussi peut-être. Dans une lucidité toute inconsciente, par quelques signes nouveaux, nous avons découvert l'existence de cette réalité banale et écrasante : le temps passe. Aurélie n'avait plus huit ans. Des images de nous moins paisibles, plus indistinctes. Une prudence nouvelle différait nos élans de tendresse, les regards autour de nous se faisaient moins confiants, plus curieux, et déjà un peu inquiets aussi. Nous avons senti confusément le regard social changer, et l'étonnement manifeste n'avait plus pour seule cause le merveilleux ostensible de notre histoire.

Aurélie est partie vivre à l'étranger, très loin d'ici, pour une année. Son départ nous a confrontés au degré de notre émotion, son absence nous en a révélé l'importance. Cette séparation est venue souligner, un peu brutalement, que le temps existe et que le temps passe. Dans nos lettres nous avons essayé, avec tout le poids encore de notre pudeur, de nous dire mutuellement combien cet éloignement était difficile à vivre, voire presque douloureux. Sans rien dire d'autre. Sans dire tout ce que nous allions devoir nous dire, et tout ce que nous ne savions pas encore, et tout ce qui nous semblait déjà complexe à comprendre et difficile à dire. Cette année a posé une lumière un peu particulière, nouvelle et étrange, sur notre relation. Année-émergence, cette année-là où, pour plusieurs raisons, nous sont apparues plus nettement et plus brusquement certaines questions embarrassantes. Aurélie et moi, chacun à sa façon, savions que son retour nous obligerait sans doute à trouver des réponses à ces questions troublantes. Nous savions aussi, sans qu'il soit besoin d'en parler, qu'il serait trop grave de formuler des réponses rapides, incomplètes, sommaires. Et qu'il serait tout aussi grave d'accepter les réponses toutes faites que certains autour de nous, hâtivement, formulaient déjà. Parce que les réponses toutes prêtes, et y compris les plus généreuses, continuent d'être un peu figées, de renvoyer notre existence dans des petites cases soigneusement étiquetées. Nous savions qu'il nous faudrait trouver nous-mêmes nos réponses. Et ceci, surtout : ni Aurélie ni moi ne les connaissions vraiment. Sans ironie, mais non sans inquiétude, nous ne savions pas quoi faire.

Je l'ignore encore. Je commence seulement de savoir — ou d'accepter ? — cela : que notre histoire a un peu vieilli, que ma collection de belles images n'a plus l'âge de l'enfance. Peut-être aussi que Aurélie a vieilli plus vite que moi, qu'elle connaît peut-être mieux que moi les histoires de son âge. Tout devient incertain, hormis nos certitudes, et le poids des images du réel, qu'on le nomme culture, morale ou même inconscient, est bien lourd. J'ai parfois ce sentiment que nos choix sont déjà restreints au moment où notre petite planète affective se heurte à une réalité dont nous avons cru longtemps pouvoir ignorer la prégnance. Le sentiment que nous risquons de souffrir de ce choc nécessaire, et tout autant d'y trouver le prolongement de notre ancienne insouciance.

Cette sorte d'enfance que nous avons partagée s'est éloignée trop vite, nous laissant un peu désarmés, hésitants entre l'obligation délaisser cette relation évoluer et la crainte que l'évolution ne se fasse au détriment de ce qui a été. Incertains face au devenir de notre itinéraire, nous avons déserté les magasins de jouets et les confiseries sans même penser à ce que seraient nos lieux futurs. Il est des territoires qu'on n'abandonne pas sans risque. Et la tentation était grande d'échapper aux dangers par une acrobatie-tabou, un pacte tendre qui aurait permis d'ignorer le temps qui passe, de rester dans l'âge d'or, le monde magique d'hier, pour y perpétuer précieusement le climat de l'île où nous étions si tranquilles.

Puis Aurélie est revenue.

Jonathan Breen

 Invention d'amour

 Il faisait chaud et lourd ce jour-là dans sa chambre, perchée sous les toits. Il s'activait à ranger avec une sorte de fièvre inutile. Ranger, mettre un peu d'ordre dans le désordre qui installait au fil des jours son règne inexorable. Enfin, satisfait du rangement — provisoire — il avait pris une douche. Il n'avait maintenant plus rien de particulier à faire et il contemplait sa chambre transformée, tout nu, séchant au soleil.

Ce matin, il était assis sur le rebord de pierre de la fontaine des Innocents. Il faisait soleil. Il écoutait le bruit agréable de la chute d'eau ininterrompue. Une fille était passée devant lui, petite, des cheveux noirs rabattus par le vent, elle riait fort avec une amie. Mimie !... Non. Pas Mimie. Juste une ressemblance. Il avait mal vu...

Tout en se rhabillant, il se mit à fredonner un air. C'était une chanson. Mais laquelle ? Il fit à nouveau vibrer le refrain en laissant rouler pathétiquement les notes entre ses lèvres, pour essayer de retrouver qu'est-ce que c'était. Enfin ça lui revint. Il alla chercher le disque sous une pile d'autres disques, le mit sur la platine. " Qu'est-ce qu'on a gagné dans tout ça ? ", c'était la chanson. Il mit plein volume et s'installa tout près du haut-parleur. Les paroles ainsi déversées lui entraient dans tout le corps, le bouleversaient : il se mit à trembler, puis à pleurer. Pleurer à chaudes larmes qui roulent sur les joues. Oui, ça faisait du bien. La simili-Mimie lui avait mis une boule dans la gorge depuis ce matin et ça n'arrivait pas à sortir. Les chansons ça aide.

Qu'est-ce qu'on a gagné dans tout ça ?

Café noir et gueule de bois

Si on noue demande on dit qu'on s'est pas vu

Pas envie d'aller tout nu

Pas bien dans les habits d'hier

Pas beau, pas fier

Dans tout ça on gagne quoi ?

Le coup des regards qui se croisent les bras

Tout c'qu'on a fumé qui goutte encore

Mauvais acteurs dans un mauvais décor

Où sont passés les amoureux d'hier

Tous beaux, tous clairs ?

Sentimental ! Un brin de ménage, un brin de toilette, une fille confondue avec une autre : et le voilà sentimental. Et soulagé de se vider d'un sac de larmes, de tout ce sel fossilisé dans son corps. Pourtant rien dans son visage plutôt sévère avec cette moustache noire et ces deux ou trois rides crispées sur le front ne trahissait quelqu'un de sentimental. Seule cette voix de petit garçon triste avec laquelle il accompagnait les paroles...

Oui, finalement il y en a plein des gens qui se quittent, à chaque instant. Et si on faisait des statistiques ?... Combien de séparations par jour dans le monde, ou même par heure ? Tous ces gens, des hommes, des femmes, qui se rencontrent, ne veulent plus se ...quitter, se jurant fidélité et tout le tralala, et puis crac, quand arrive le jour — tôt ou tard il arrive — où ils se disent bye bye ! we are a poor lonesome rien du tout, ils proclament (dans leur faible intérieur, pour se rassurer... ?) : " Bah, c'était quoi finalement tout ça ? Du cinéma. Du beau cinéma, mais du cinéma quand même. " Est-ce que c'est vraiment ça l'amour ? Du cinéma ? Enfin, ce qui est sûr c'est que, homme ou femme, nous ne savons pas ce que nous voulons, ou nous voulons trop être persuadés de le savoir. Non, nous ne savons pas vraiment ce que c'est cette étrange chose qu'on nomme amour. Pourtant dès que ça nous arrive, nous devenons fiers et crédules. Nous girouettons tout en haut de notre clocher en nous croyant libres. Et nous le sommes dans l'amour, oui, libres comme le vent, mais pas vraiment capables d'aimer pleinement cette liberté ; de l'assumer avec toutes ses conséquences. Une rencontre : insolite, imprévisible mais inévitable ; un sourire et un autre sourire qui se disent oui ; et voilà que tout démarre, et sur les chapeaux de roue si on attend un tant soit peu, ça ne marche pas, l'occasion est perdue ; non, il ne faut pas hésiter, l'amour passe et ne fait que passer. Alors, une fois que c'est parti, il n'y a plus qu'à laisser la roue tourner, la girouette girouetter, de jour en jour l'évidence est là, l'amour est là, c'est sûr et certain, cette fois ça y est, c'est l'amour le vrai l'unique celui qu'on n'attendait plus (c'qu'on était bête alors !!)

Et puis voilà qu'un matin un méchant démon se glisse dans le lit douillet de l'amour : le doute ! Une lassitude s'installe, grignote les jours gagnés, la girouette se met à grincer : on ne PEUT PLUS se supporter (et on ne trouve aucune explication satisfaisante à ça).

Là rencontre est en forme de point d'exclamation bref et clair dans un ciel bleu. Il n'en est pas de même de la séparation. Là ce serait plutôt du genre guimauve : ça s'étire, incroyable ce que ça peut s'étirer une séparation. On rallonge tant qu'on peut, mais à la fin le fil finit par être si fin que, comme la cruche, il se casse.

Il pense : Mimie. Mimie : il y a des mots magiques comme ça. Le mot " Mimie " à lui seul fait revenir la présence de Mimie. Partie maintenant. Loin. Loin dans son île. Souvent il se dit : raconter cette histoire d'amour. Et puis finalement il n'en a jamais le courage, le courage de l'écrire, de la retracer cette histoire. Une photo. Partir de cette photo d'abord épinglée au mur, puis rangée dans une boîte à chaussures tout en haut d'une étagère inaccessible, cette photo qu'il avait pris d'elle dans cette même chambre, ici, quand ils étaient amoureux comme des petits fous et qu'ils jouaient à se prendre en photo. Belle. Belle de ce jour parmi d'autres beaux jours, son léger sourire, son attitude nonchalante, appuyée doucement contre le mur blanc. Mais non ! Ce n'était qu'une image, ça, rien qu'une image, qui ne montrait qu'un instant dans l'ensemble des moments fous qu'ils partageaient ensemble. Tout le reste avait disparu derrière un nuage, ce gros nuage gris qu'il déplaçait avec lui maintenant.

Derrière ce nuage, rien ne semblait avoir existé de cette histoire... Comme si ça n'avait été qu'un rêve...

Sur la peau de mouton, près du lit où il est allongé, il y a son cahier rouge broché. Il le prend et l'ouvre sur une page blanche. Il se lève pour prendre un crayon sur la table. Il se met à écrire.

" La nostalgie... Elle me prend, je me glisse sous sa grande robe noire. J'ai besoin de son refuge.

Mimie, tu es loin et j'ai cru t'apercevoir ce matin. Il faisait chaud comme tu aimais. Comme nous aimions nous promener ensemble dans Paris sous un soleil radieux, à Belleville, sur le canal Saint-Martin, sur les quais de la Seine !... Mais ce n'était pas toi !! Mon cœur a battu. Pour rien... Mimie, qu'est-ce qu'il y a eu entre nous ?

Folie surtout. Feu-folie. Vie brûlée dans la folie, notre oxygène. Avec la folie, un idéal d'anarchie, celui de vivre jusqu'au bout nos émotions, en marge de la froideur et de l'indifférence d'un monde conventionnel et trop sage, replié sur ses ceintures de chasteté sociales. Couper les ponts avec l'ordinaire du monde bourgeois et renouer avec la spontanéité populaire sans l'encadrement du travail-famille-syndicat-dodo-etcetera. Aller au centre d'une vie immédiate. L'oxygène c'était aussi la marijuana : plus que la recherche du délire pour le délire, celle d'une profondeur insoupçonnée en nous, d'une réalité inexplorée.

Notre amour voyageait ainsi dans une dimension parallèle, au-delà des limites que nous avaient inculquées les modèles de la conformité. L'extraordinaire sentiment aussi de pouvoir enfin rompre le compartimentage social : moi, fils de bourgeois et étudiant prolongé, je partageais quelque chose d'intense avec toi, fille de prolos et serveuse dans un restaurant. La folie, le rire, la spontanéité, la naïveté, la drogue permettaient dans leur combinaison la levée d'une quantité de barrières qui m'avaient pesé pendant des années.

La nostalgie embellit, aseptise les choses, mais elle les fait renaître au moins ; la nostalgie transforme mais fait survivre. Est-ce donc la seule manière de lutter contre l'inertie de l'oubli, contre l'extinction des histoires d'amour ?

Se débattre dans une mémoire pleine de trous. Trous d'usure comme ceux d'une vieille casserole percée. Ma casserole percée de mémoire par où s'échappe mon histoire avec Mimie. Coupure. Loin. Je me sens loin de cette histoire d'amour qui est la mienne et celle de Mimie. Nous ne partageons plus rien de la vie pleine de jours et de nuits où nous étions si pleins l'un de l'autre, et pourtant nous partagerons toujours ce bout de vie qui fut. Que lui en reste-t-il à elle ? Moi, cette nostalgie où je me cache, dans le noir, comme un enfant honteux et qui ne sait pas pourquoi il a honte. Nostalgie : cette trace pâle, pas encore effacée, à laquelle on s'accroche pour ne pas se sentir mourir d'avoir aimé, pour ne pas se perdre dans le rébus énigmatique de la vie.

Elle : Je n'ai rien inventé.

Lui : Tu as tout inventé.

Elle: Rien.

De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je n'oublierai. De même que dans l'amour.

Duras. La fascination que me communiquent les livres de Duras par cette obsession de l'instant de l'amour, de la force de l'illusion de l'amour. Les livres de Duras me chuchotent une forme d'encouragement : Écris comment tu aimes ! Ta façon d'aimer, de souffrir d'amour impossible, c'est toi, c'est ton lien au monde ! Fais parler les mots de ce qui se tait en toi !

Moi-Mimie.

La rupture qui n'en est pas une : le fil, même rompu, est toujours en moi.

La rupture : pas entre deux êtres, mais entre un rêve et une réalité, entre un rêve qui vous remplit et une réalité qui vous vide.

La rupture c'est l'invention d'amour qui s'interrompt brusquement. "

Bernard Golfier

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Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1983

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