Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes

Du côté des hommes

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Revue TYPES 5 - Paroles d’hommes - 1983

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Commentaires

DU CÔTÉ DES HOMMES
à la recherche de nouveaux rapports avec les femmes. Guido de Ridder, Éditions de l'Harmattan, coll. Changements, Paris 1982.

Que disent les hommes quand ils cessent de vouloir correspondre à tout prix aux images viriles ? Comment vivent ceux qui cherchent à rompre avec la " condition mâle " ? Pour tous ceux—celles que ce genre de questions concerne, ce livre est un petit événement à signaler. En effet jusqu'ici seuls les médias, et la presse en particulier, avaient abordé ces problèmes, à leur manière évidemment, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire : analyse superficielle, goût de l'anecdote et du détail accrocheur, ton ironique ou apitoyé ; bref, depuis un moment déjà et à longueur de colonne, les hommes dits " nouveaux " ça fait vendre. L'événement en question, c'est qu'il s'agit ici d'une tout autre approche puisqu'on n'est plus dans le journalisme mais à l'université ! Le ton change, les intentions aussi, une grande bouffée d'oxygène en quelque sorte ! Événement encore car c'est à ma connaissance la première fois qu'un travail de ce ...type sort des circuits confidentiels de la recherche universitaire et tente d'accéder à des réseaux de lecture et d'information plus larges (1). Certes, ce n'est pas encore une diffusion tous azimuts, et il se passera sans doute un certain temps avant que vous ne trouviez ce livre sur les rayonnages de votre marchand de journaux. Ces éditions de l'Harmattan semblent avoir d'abord vocation universitaire et le livre de G. de Ridder est bien à l'origine une thèse de sociologie, édulcorée pour les besoins de la publication. Fort heureusement, il a réussi à en faire un ouvrage très lisible et où l'on ne se perd pas — enfin, rarement... — dans le maquis des notes et des références !

Mieux qu'un sociologue : un acteur et un témoin.

Qui dit universitaire dit aussi, dans la plupart des cas, discours de spécialiste — ou supposé tel —, jargon propre aux sciences sociales, mais surtout, le pire, une distanciation réputée " scientifique " et une absence totale d'implication du locuteur. Ce qu'il y a d'agréable chez de Ridder, c'est qu'il échappe facilement à ce dernier défaut. Pour une raison bien simple : avant d'être le chercheur qui se penche sur un phénomène social, il en est d'abord un des acteurs. " Autorecherche ". Les comportements masculins en évolution ne lui sont pas seulement un objet d'étude, mais aussi sa propre démarche, sa propre réalité. L'auteur, pour avoir longtemps fait partie d'un groupe-hommes, est réellement impliqué ici. Et c'est ce qui donne à une grande partie de son étude un aspect très vivant et très concret.

" Ma participation à ce groupe comme membre à part entière (...) les relations nombreuses, multiformes, plus ou moins quotidiennes et naturelles qui existent entre eux et moi forment un back-ground foisonnant. " " j'ai participé aux réunions mais aussi partagé repas, gardes d'enfants, vie commune. " " La situation n'est donc pas celle d'un "enquêteur" intervenant auprès "d'enquêtés". "

Exact, mais tout n'est pas simple pour autant, et comme de Ridder l'expose lui-même, " l'échange est inégal ; si mes amis ne deviennent pas des objets d'enquête, loin de là, les choses qu'ils acceptent de dire deviendront mes matériaux ". J'ai trouvé, en tout cas, que dans les parties du livre où domine l'aspect enquête notre chercheur s'est assez bien sorti de ce mauvais pas. Il réussit un dosage subtil de cette dialectique acteur-observateur, se faisant " l'interprète actif du groupe " tout en gardant à l'esprit " le souci de l'objectivité et de la rigueur qui peut le retenir de tomber dans l'excès du prosélyte ou du propagandiste d'une "cause". " (Merci pour nous, pauvres prosélytes devant la Cause !)

Travail, famille, changements

" Si une nouvelle distribution des rôles entre l'homme et la femme fait son apparition sur la scène des rapports entre les sexes, cette évolution ! (...) est liée à des changements intervenus dans la société, démographiques et économiques. " " Les progrès médicaux, les transformations économiques, le travail féminin constituent des conditions de changement profond des rapports (...) ces modifications ont créé une situation dont les effets affectent les hommes en retour. " C'est sur cette approche — assez générale — que s'ouvre " Du côté des hommes " où l'auteur voit dans ces transformations structurelles les facteurs essentiels qui ont amené, voire provoqué, les processus de changement des mentalités que nous connaissons. C'est en particulier le couple et la famille qui seraient les lieux privilégiés où cette " redistribution " des rôles se fait le plus nettement sentir. Pour ma part, je ne crois pas trop à la pertinence de cette analyse, qu'un peu d'histoire permettrait de relativiser : le travail féminin ne date pas des années 60 ! N'oublions pas qu'au début du siècle, la majeure partie des femmes au sein de la classe ouvrière travaillent à l'extérieur du foyer. Et les luttes féministes existent, y compris dans les syndicats ; or la gent masculine dans les années 20 ne s'est jamais posé les mêmes questions que les hommes interviewés par de Ridder ! Je reconnais que ce problème n'est pas déterminant dans la suite de son étude, néanmoins...

Revenons à des choses plus solides et plus évidentes. En décrivant ce paysage social actuel des relations hommes-femmes, l'auteur ne néglige pas l'importance des luttes de femmes : " ce sont les femmes qui ont obtenu dans les luttes la maîtrise de la reproduction, qui exigent un nouveau statut dans le travail et de nouveaux rôles, dans la vie privée comme dans la société. Nul doute que les mouvements de femmes (...) constituent des forces — redoutées — qui bousculent les modèles de rapports entre les deux sexes et entraînent une exigence fondamentale : la redistribution des rôles (et pas seulement la répartition des tâches). " Dont acte. Ainsi, à partir de ce qu'il nomme une " esquisse de référence ", tout en soulignant " les insuffisances de ce tableau rapidement brossé ", on en vient à ce qui constitue la partie la plus importante — et de loin - la plus intéressante " des changements du côté des hommes ".

Age, lieu de naissance, profession, qualités ?

Mais d'abord, qui sont-ils donc, ces hommes qui changent ? Là, de nouveau, le sociologue montre le bout de l'oreille pour donner un portrait moyen des hommes " en mouvement " qu'il a rencontrés. Pas de révélations extraordinaires, rassurez-vous. Depuis le début du livre, on se doute un peu que les phénomènes étudiés ne concernent pas encore le quart-monde ou les jeunes abonnés du Chasseur français. " Les sujets appartiennent à une frange sensiblement homogène, ils ont tous un niveau d'études supérieur au baccalauréat et exercent dans les secteurs éducatifs, sanitaires et sociaux (...) Six d'entre eux ont appartenu pendant un temps plus ou moins long à des organisations d'extrême gauche, pour certains dès 68 (...) l'engagement dans le militantisme syndical a été le fait de tous (...) un seul n'a pas d'enfant. " Bref, la grande majorité des lecteurs de l'ouvrage ne sera pas surprise de retrouver une image d'elle-même assez fidèle dans ce petit jeu du miroir ! Hom. la trent. de gauche, petit-bourgeois, bac + 2, cherch. groupe...

Après un historique (2) de l'apparition des groupes hommes, tant en France qu'à l'étranger — Français, encore un effort ! — G. de Ridder nous entraîne dans la réalité profonde de ces groupes et de nombreux hommes qui se réclament de cette sensibilité. Toute cette partie est très riche, très dense aussi, et rend bien compte de cette réalité nouvelle comme de son émergence, tant collective qu'individuelle, à travers une longue série d'interviews, de témoignages, et notamment ceux du groupe auquel appartenait Guido lui-même.

L'auteur essaie tout d'abord de cerner les " mobiles d'entrée " (sic) dans ces groupes. Au premier rang, le féminisme. " L'apparition, dans les années 1975-78, de groupes d'hommes a été en grande partie provoquée par la montée du féminisme sur la scène sociale et par son irruption dans leur vie puisque beaucoup disent être "venus à ces groupes d'hommes par le féminisme" (...) il provoquait chez les hommes une prise de conscience de la situation, souvent vécue dans le malaise. Mais la désorientation a entraînés les hommes à mettre en question leurs systèmes de représentation et de valeurs, à ébranler l'édifice de la virilité. " Féminisme = malaise chez les hommes = remise en cause d'eux-mêmes, voilà qui ne surprendra personne (3)... Mais ce philo-féminisme se situe dans un cadre politique et social plus vaste dont tous nomment l'importance : c'est mai 68 et ses " effets-retards ". " Si notre évolution en tant que mecs a adhéré aux méandres idéologiques de l'après-68, c'est conjointement avec la poussée qui a bouleversé le statut des femmes. " Cette interaction entre l'après-68 et les luttes des femmes, comme principale cause d'une démarche critique chez certains hommes, ou, selon l'excellente formule de de Ridder, comme " matrice des changements ", me paraît assez satisfaisante, et en tous cas beaucoup plus que l'économisme, la démographie ou " la féminisation accrue du secteur tertiaire " !

Des mini-laboratoires pour une nouvelle identité d'hommes

Compte tenu de ces origines et de ces motivations, qu'en est-il ensuite ? Là encore, de Ridder sait bien rendre compte, et d'une façon très vivante, de ce qui occupe et préoccupe nos hommes groupés. La jalousie comme la paternité, la tendresse comme la contraception masculine ou la répartition des tâches, le rapport au travail, à l'argent, ou la sexualité, sont au centre des débats. " j'ai aimé pouvoir écouter, pouvoir parler de la masturbation, de l'envie d'enfant, du pouvoir, de mon enfance, de la dépendance, de la rivalité. " Et si l'auteur a voulu centrer son travail sur les rapports aux femmes et leur évolution, pour ces hommes, on voit néanmoins très nettement ce qui se construit pour eux-mêmes, dans et par ces rencontres et ces discussions : " Ayant pris conscience de l'aliénation et de l'insatisfaction de leur propre condition, se constituer d'autres images, un autre "devenir homme". " Et si la formule n'avait pas été autant galvaudée et démonétisée, on serait tenté de dire qu'il s'agit, en tant qu'homme et très concrètement, de " changer sa vie ". " Quitter les avenues obligatoires de la virilité, malgré les barrières qui sont en nous-mêmes, rompre avec des rôles qu'on a bien intériorisés. " Ni grand soir ni rédemption, mais des petits pas qui font que " ça bouge ".

C'est cette évolution que de Ridder examine dans sa traduction quotidienne et globale à la fois, par une thématique des rapports hommesfemmes : économie domestique, enfants, vie sociale et loisirs, autonomie financière, affective, etc. Et qui lui permet de voir dans tous les collectifs de discussion comme dans les groupes hommes les " mini-laboratoires " où s'élaborent ces changements et où s'expriment actuellement aspirations et besoins nouveaux.

Une ombre au tableau

Tout ne se joue pas dans la vie privée et les rapport individuels. La réalité sociale existe aussi, et se présente ici surtout comme contradiction. A plusieurs titres. D'abord parce que pour la plupart les hommes engagés aujourd'hui dans cette démarche ont un passé de militant de gauche qui, s'il fait partie de leur identité politique et sociale, pose aussi problème. " beaucoup d'entre eux ont remis en question le fonctionnement des cadres habituels du militantisme politique. " Il est vrai que toutes les organisations, politiques ou syndicales, ne font encore aucune place aujourd'hui à ce type d'aspirations et de réflexion chez les hommes, c'est le moins qu'on puisse dire ! Mais si les collectifs de réflexion ou les groupes hommes sont " une étape qui permet un meilleur discernement des causes et des effets ", la nécessité d'élargir cette réflexion se fait toujours sentir. " Aujourd'hui, j'ai envie d'en sortir, de parler dehors, à d'autres hommes, aux femmes, ceux et celles que je ne connais pas et qui se posent peut-être, sûrement, les mêmes questions que moi " Ce que l'auteur traduit fort justement ainsi : " Les groupes ont enclenché un processus, mais cette dynamique culturelle entre en relation conflictuelle avec les systèmes de valeur de la société (...), la dynamique risque de se casser les dents. Pour qu'elle ne soit pas un moteur qui tourne à vide, il faut que les individus ou les groupes parviennent à se situer par rapport à leur environnement, à se préparer à l'action et, progressivement, à élargir cette action. "

J'ai bien aimé trouver ainsi exposée une contradiction de taille, qui d'ailleurs concerne la plupart d'entre nous et revient régulièrement dans nos débats à Types. Il est rarement possible — et encore moins facile — d'opérer une adéquation entre d'une part certains choix de comportements et d'autre part une réalité sociale, en particulier professionnelle. Et quand chacun s'évertue à faire connaître la revue " Types " à l'un ou l'autre de ses collègues de travail, il ne s'agit que d'un début de réponse...

A suivre...

Ainsi de Ridder n'ignore pas qu'il existe des aspects contradictoires — présents et à venir — dans cette évolution des comportements masculins. Il conclut d'ailleurs en souhaitant que certains de ces aspects, sur lesquels lui-même n'a pu travailler et qui méritent un examen approfondi, fassent également l'objet d'études et énonce là des pistes de recherches intéressantes : " La place que prend l'enfant dans les nouveaux rapports qu'ils cherchent à instaurer avec les femmes (...) Comment les innovations émergent dans certaines catégories et comment elles se diffusent différentiellement dans les autres catégories sociales. " Et au sortir de cette longue exploration du côté des hommes, on comprend bien que les réalités et les individus rencontrés l'incitent à cet optimisme qui lui fait dire que " à l'aube des années 80 s'ouvre une phase de redéfinition de la "masculinité". Tout laisse à penser que l'actuelle modification des rapports hommes-femmes n'est que le balbutiement d'une mutation plus profonde de l'avenir.

Jonathan Breen

(1) Il semble toutefois que ce genre de travaux se développe actuellement au sein de l'université. Un lecteur de Toulouse nous signalait récemment avoir fait sa maîtrise de psycho-socio sur les groupes hommes, tandis qu'une lectrice a contacté la revue à l'occasion d'un DEA sur l'influence du féminisme chez les hommes. De même, nous entendons régulièrement parler d'études, de mémoires, sur des sujets parallèles mais qui malheureusement restent toujours confinés dans les profondeurs obscures des facs, et par conséquent d'une audience trop limitée. Profitons en pour rappeler que Types est bien évidemment intéressé par tout ce qui peut se mener comme recherches sur l'émergence de comportements nouveaux chez les hommes. N'hésitez pas à nous entretenir de vos activités dans le domaine, qui peuvent éventuellement être mentionnées dans la revue et également intéresser des gens qui travaillent sur le même thème.

(2) La thèse de de Ridder est située historiquement, puisque tant ses interviews que ses études documentaires s'arrêtent en 1980. C'est pourquoi, je suppose, vous n'y trouverez pas une analyse minutieuse de ce qui transparaît des paroles d'hommes depuis le numéro 1 de la revue. Bons princes, nous n'insisterons pas sur une telle carence documentaire et ses effets. Et puis ça prouve au moins que ce n'est certainement pas par copinage ou pour renvoyer l'ascenseur que Types rend compte de ce bouquin !

A propos de " Ave Cæsar ". Michèle Perrein - Éd. Grasset

La relation épistolaire n'est pas un genre littéraire aisé. Ave Caesar, sous-titré " Rencontre avec Adam Thalamy ", est un échange de lettres entre un homme et une femme à propos des relations hommes/femmes. Cet éternel débat pouvait donner lieu à quelques poncifs connus, aux clichés classiques qui opposent les féministes aux machos, les " valeurs " féminines et masculines... Avec ce livre nous est offert un rapport beaucoup plus riche.

Il est le produit d'un défi lancé par Michèle Perrein à un homme sous cette forme : ..." jamais un homme ne s'avançait sur la scène, dans la lumière crue des projecteurs, pour dire : "me voici et voici dépouillé face à vous, qui je suis". Chaque femme, cependant, attend la parole d'un homme. Sa nudité... " Elle concluait : " Parlons, toi et moi. La rencontre de celle qui n'est pas franchement noire avec celui qui n'est pas carrément blanc a sans doute un sens. " L'homme répondit, prit des risques, mit " le fer dans sa peau ", et cette correspondance de 260 pages aborde tous les sujets qui, dans la revue Types, nous tiennent à cœur.

Situons les deux protagonistes. Lui : " Étant admis qu'en gros je suis un homme, puisque je m'apparente à don José et non à Carmen, le vais essayer de définir, en quelques détails, comment je me bats, me débats moi-même, dans le nœud coulant d'une définition qui m'étrangle. " Elle : "  La maladie du stéréotype que j'avais doit bien signifier quelque chose. Essayer d'exister et tomber à chaque virage sur un rôle du répertoire, à la longue, ça lasse. Ça inquiète. " C'est ainsi qu'au départ ils se définissent.

En explorant, à travers leur liaison et l'histoire parallèle que chacun en détient, leur " être homme " et " être femme ", ils se livrent à un duo, un jeu de la vérité qui devient parfois duel. Rarement cependant, car Adam, sans sombrer dans le mea-culpa franc et massif, s'acharne à chercher en lui le sexiste qui sommeille, à en faire le cœur de leur dialogue.

Avec cet aveu par un homme de ses limites, de ses peurs, de son malaise dans les normes masculines, desquelles il se démarque sans cesse de façon critique en regardant comment il les reproduit, nous pouvions craindre un faux débat : chacun dans son rôle, qui de dominé(e)- dominant(e), de petitsaint(e). Eh bien non, on y échappe grâce aux multiples finesses des interrogations que chacun(e) s'apporte. Je regrette juste un peu que le plaidoyer de A. Thalamy contre les carcans virils s'égare souvent dans la généralisation malgré l'affirmation selon laquelle il se sent personnellement impliqué dans le sexisme.

On le découvre plus souvent apte à relater sa vision d'homme à travers les réflexions qu'il tire de sa liaison amoureuse avec son interlocutrice qu'à partir de sa propre expérience des relations entre hommes. Il donne l'impression de vivre complètement en marge du monde masculin. Il sort parfois de ces références à leur histoire d'amour pour évoquer son silence lors d'un viol, pour raconter une fraternisation alcoolisée dans laquelle " toutes les femmes devenaient des putains ", pour explorer ses phases de jalousie et de possession, ses fantasmes de domination. Et il " ramène à la surface " de ce torrent d'introspections souvent abstraites, qu'il tamise, des " pépites " (pour reprendre les métaphores utilisées par M. Perrein) fort révélatrices des comportements masculins. Il est vrai aussi que si A. Thalamy s'" était immédiatement mis à table ", nous n'aurions pas ce livre à deux, mais deux récits de confidences et non ces multiples bonds et rebonds d'une écoute amoureuse...

Demandez le programme !

Je me suis essayé à un découpage thématique de chacune des trente lettres écrites entre elle et lui. J'ai dû y renoncer tant l'échange était riche. On y trouve une compréhension multidimensionnelle de ce qui obscurcit usuellement et rend inégalitaires les relations entre hommes et femmes. Tous les sujets sont passés au crible : l'éducation des garçons et des filles, les " valeurs " dites " féminines " ou " masculines ", l'usage de la force, le langage, le pouvoir, l'âge, la séduction, la drague, les rapports à notre corps, le travail, la jalousie, la sexualité, les fantasmes, nos pères, nos mères, les mythes, les représentations sociales et les rôles des individus, etc. Demandez le programme ! Lisez le livre et vous comprendrez ..

Dans la foulée, je citerais ce passage : " Dans ce duel qui exaspérait le désir, passaient sa peur de moi, un amour, nos envies jamais amenées au jour de nous dominer l'un l'autre. Dans ce jeu de forces inconscientes, surgit la passion. En toute ignorance de sa cause, la passion cherche le pouvoir. Je crois qu'aimer c'est autre chose, c'est même l'inverse. C'est comprendre. Et-ce déflorer que comprendre ? " (Elle).

Et encore : " Est-ce folie de croire que l'homme est fou de pouvoir ? Suis-je fou, étant homme, de craindre cette ivresse et, lorsqu'il m 'arrive d'y succomber, de chercher à me dégriser ? Est-ce folie de ne pas croire qu'on bande mieux quand on écrase ni qu'on vit plus quand on a bien tué ? Toutes mes questions sont là. La folie de pouvoir qui s'empare de l'homme, je ne peux que la rattacher à sa rage impuissante devant la puissance créatrice de la femme... Voilà ma position sur l'homme que je ne veux pas être mais que je suis aussi puisque je suis mâle. "

Au fur et à mesure que j'avançais dans la découverte de ce dialogue décapant, aigre-doux parfois, fragile-solide aussi (on ne se met pas à nu sans révéler des faiblesses), il me venait le regret de ne pas l'avoir eu dans ces formes-là avec quelqu'une que j'aime et que je n'avais pas " compris ", perturbé par cette " passion " dans laquelle rôdait la possession et la peur des femmes... Il me venait aussi la joie qu'en des termes aussi clairs soit énoncé ce que furent les prémices de nos " paroles d'hommes ". Projection... Identification ? Certes ! mais c'est une force de ce roman que de le permettre, même si parfois Adam Thalamy est moins précis que nous avons pu l'être.

Un bond en avant ?

D'autres cheminent comme nous et c'est ainsi que M. Perrein le situe : " Or, masculin, le pouvoir ne pourrait pas l'avoir été ni l'être à ce point, s'il n'était cautionné par un imperturbable, jusqu'ici inébranlable, silence des hommes. Que demain la masse masculine commence à se poser à propos de soi et des femmes les questions que tu as posées dans cette correspondance, et la société ferait un bond en avant... Que des hommes acceptent de parler d'eux avec les femmes, de parler d'elles avec elles et, très vite, vous et nous sortirions des ghettos. " Ce cri du cœur en fin du livre contient sa dose d'espoir que d'aucun(e)s estimeront naïve, voire trop optimiste et éloignée de certaines réalités. Il faudrait donc définir plus précisément les modes de cette parole d'hommes afin d'éviter la complaisance, le narcissisme exacerbé et certains faux-fuyants qui escamotent des réalités d'une oppression bien vivante, malheureusement. Donc, j'accepte, comme tant d'autres à la revue, cet appel.

Adam Thalamy, lui, le formule ainsi : " ]'aimerais que les hommes commencent à se poser sur eux des questions au lieu de ne s'en poser que sur les autres — les salauds lointains —, sinon la raison des forts (entre individus, entre peuples, entre races) restera sinon la meilleure du moins celle qui prime. "

Vastes tâches... On pourra juger prétentieuse et idéaliste une entreprise qui tire de telles conclusions après avoir voulu brasser l'histoire de l'humanité sous tous ses aspects au travers d'une rencontre entre deux êtres, si extra-lucides fussent-ils.

J'aime cet insensé désir parce qu'il correspond bien à une phrase lue récemment : " Des histoires de cette sorte, il ne suffit pas de les conter, il faut aussi compter l'heure qu'elles sonnent, dresser l'oreille : où en est-on ? Bref, il est bon de penser aussi par fable... Car finalement une rencontre est toujours un choc. " (Ernst Bloch. Traces).

Excusez ces assauts de citations. La Culture nous roule et roule pour nous... Alors les mecs continuons à parler de nous. Ça fera bouger la Culture !

Jean Yves Rognant

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Revue TYPES  5 - Paroles d’hommes - 1983

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