Revue TYPES - Paroles d’hommes n°6 - 1984
Rencontres: L'infâme recette

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L'infâme recette

Introduction théâtro-banale aux paradoxes de la séduction ! Ce soir : grande première " La rencontre ". Toute la classe moyenne des hommes et des femmes des deux sexes est là qui attend.

Scène I

Les préparatifs (collecte des ingrédients)

Se préparer, c'est se choisir des habits, se coiffer, se parfumer, se maquiller, se soigner le corps. La parure, c'est s'habiller soit comme ça vous chante et vous enchante, soit comme l'autre supposé aime. Parmi les rites de préparation prend place tout ce qui a trait à l'entraînement mental. Dites-vous que si vous ne réussissez pas, c'est que vous n'êtes pas encore prêt : alors préparezvous !

Parlez-en autour de vous, prenez du temps pour y penser à l'avance, si besoin inscrivez-vous dans un cours d'expression corporelle ou d'art dramatique. Si vous avez l'âme d'un(e) publiciste, faites une petite recherche rapide pour savoir qui vous voulez séduire et sur ce quoi ces dernier(e)s fantasment. Ensuite, il ne reste qu'à enclencher la machinerie correspondante à votre cible, car c'est bien d'une chasse qu'il s'agit : interroger l'échantillon des copains et des copines du même style — lire les magazines — demander conseil aux vendeurs et vendeuses des magasins branchés.

Quelques conseils : si vous les préférez normaux à croquer, il est important d'apprendre à jouer la personne bien dans sa peau à la fois tranquille, sérieuse et équilibrée, un grain de folie et de légèreté à la clé. Si vous préférez le genre " névrosé ", surtout évitez ce qui précède, ça serait perçu comme agressif et dangereux.

Scène II

Les D'D'D' rôles (les goûts et les couleurs, ça ne...)

En général, on les aime bien dans leur sexe (slip Hom et lingerie...).

Si vous êtes femme, soyez vraiment féminine.

Si vous êtes homme, voyez viril.

N'oubliez jamais que c'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes. Faites dans le charme rétro avec un amusement qui signe que vous n'êtes pas dupe.

Mais attention si ce qui précède est une condition de base nécessaire, à mesure que vous montez l'échelle socio-intellectuelle, cela n'est guère suffisant ! On demande de vous monsieur que vous soyez un mec-mec tout en étant potentiellement tendre et attentionné, un brin sensible, fragile et drôle, autrement dit pas trop borné.

De vous madame, on attend qu'avec le plus grand naturel vous soyez une femmefemme douce et gentille côté maman, d'une élégance et d'une intelligence raffinée côté mondain avec, à la clé, une certaine agressivité et une décontraction hors du commun. A ce train-là, même un baba cool soigneusement dragué ne peut que succomber !

Le plus dur, c'est d'arriver à vous abandonner à votre nouveau personnage : débrouillez-vous, faites n'importe quoi pour y arriver ! Faire des jeux de rôles pendant trois heures avec des ami(e)s intimes. Boire un quart de litre de whisky. Méditer la question en za-zen. Visualiser des scénarios imaginaires.

Mais attention, ne vous prenez pas trop au sérieux ; mieux vaut un brin de gaucherie et de timidité bien assumée que " d'être à côté de ses pompes " ; ce serait fatal. Dites vous que ce n'est qu'un jeu, prenez-vous et surtout laissez-vous prendre au jeu ; tout le secret est là.

Scène III

La rencontre (c'est ce soir qu'on se mélange)

Il faut réussir la prouesse d'être à la fois attentif à ce qui se passe autour de soi sans que cette attention ne soit confondue avec la manifestation d'une attente. Choisir des lieux de rencontre adaptés ; de la fête entre amis en passant par la boite de nuit et la réunion " militante " jusqu'à la rue et le métro .

Avant d'oser quoi que ce soit, il est indispensable de sentir imperceptiblement ce qui peut plaire ou déplaire aux personnes qui sont là, les éléments qui peuvent allumer leurs désirs. Après, le plus difficile, c'est de s'y conformer et cela suppose de perdre un temps la notion d'une identité propre sans jamais donner l'impression d'endosser un rôle préfabriqué. Sachez que le rapport à la demande est primordial ; mieux vaut n'exprimer formellement aucune demande directe mais faire en sorte que " ça se passe ".

Le style " questionnaire d'approche sociologique " est ici à bannir : " qu'est-ce que vous faites dans la vie ? ", c'est quand on ne sait pas quoi dire d'autres. Il convient d'être le plus discret possible ; toute l'énergie doit être polarisée sur le charme du moment présent, on peut bien parler de n'importe quoi ; l'important n'est pas là, mais dans le jeu des séductions réciproques.

Il faut aller dans tout ce qui sort du " aisément définissable " : élégance, parfum, sourire, contact des corps, danse, poésie, musique, complicité, goût, plaisir, désir, secret, cadeau.

Donner les signes d'une richesse ; " avoir la classe " peu importe laquelle. La parole doit se faire discrète et secrète, elliptique et source de mystère. Le silence mesuré est une denrée ô combien rare et propice ; en plus ça évite d'en dire trop sur soi, c'est-àdire des " conneries " !

Mais attention, il y a une limite bien précise, c'est la confiance ; le jeu se joue à deux ; ne pas s'étonner si l'autre veut des gages de sécurité pour pouvoir se laisser aller par la suite (diverses questions destinées à vous identifier). Les ingrédients qui sont à l'origine du charme et de l'attrait sont aussi ceux qui suscitent la peur, alors il n'y a pas à hésiter à donner des gages de confiance si ceux-ci sont demandés.

Si vous parlez de vous, mettez-vous en valeur de manière discrète et surtout évitez à tout prix de présenter vos côtés négatifs, vos difficultés ; ce n'est pas le lieu pour cela ; et si vous êtes amené à en parler, dites-le avec une distance maîtrisée, celle qui marque le sceau de ce qui a été analysé et dépassé.

Voilà, ça y est, la présentation est arrivée à son terme ; le plat est préparé, mis à l'appréciation des convives.

Jean-Louis Le Grand

Diabolo menthe pour tout le monde

L'idée de savoir à " Types " ce que disent des rapports de sexe les jeunes (nous sommes donc vieux ? Aie !) n'est pas nouvelle (voir l'enquête de J.-L. Viovy dans un LEP de SaintDenis, numéro 4). Peut-être y a-t-il un vague sentiment de nostalgie à la base ou une idée comme : " nous avons presque l'âge de leurs parents ". Alors que disent-ils de leurs amours, de leur drague, de leur jalousie, du mariage, de l'homosexualité... ? Bref, la décision fut prise et un beau jour de décembre nous jetâmes notre dévolu sur le lycée Voltaire. Au café du lycée, à la sortie des cours, sans projecteur ni scénario, mais juste un magnéto pourri et des questions simples comme la vie, nous avons joué aux petits reporters avec nos trente balais et lui et elles ont joué le jeu des interviews avec leurs quinze berges. Autour de quelques tasses de café et deux ou trois cendriers. Nous étions curieux et nous fûmes tantôt séduits (oh oui ! pourquoi le cacher), amusés, étonnés, tantôt déconcertés par les interrogations, les doutes et les affirmations péremptoires des enfants des années 80. Contrariant quelque peu les conclusions de certaines études (voir le rapport de Mme Sullerot dans Le Monde du 26 Janvier 1984) leurs propos sur le mariage en faisaient une alternative loin d'être " démodée ". Quand au féminisme, les filles étaient les premières à le descendre (" ça ne change rien " en résumé). L'homosexualité par contre n'est plus du tout un sujet tabou... elle passionne ! Bien entendu ce petit interview n'a valeur que d'échantillon ; d'un autre côté il nous semble plus vivant que les sempiternels sondagesreflets-objectifs-de-l'opinion. A l'heure où se multiplient les films sur les quinze-vingt ans (La Boum, Pauline..., A nos amours), nous avons à cœur, Je l'espère, à Types, d'écouter ce que racontent celles et ceux qui ont l'âge que nous avions quand nous " prîmes la parole ". Alors à nos amours, comme le dit si bien Pialat, et vivement l'an 2000 !

A propos de la rencontre...

Agnès : Je veux bien prendre l'initiative mais si le garçon me plaît vraiment... Ce qui me plaît le plus chez un garçon, c'est l'humour.

Benoît : Oui, je prends l'initiative parce qu'il y a encore beaucoup de nanas qui sont bloquées, qui ont peur de faire le premier pas, d'être traitées d'allumeuses ; on en est encore là actuellement... Je ne me prends pas trop au sérieux quand je drague, j'aime bien m'amuser... Je peux aimer plusieurs filles parce que chacune à sa personnalité. Christiane : Je ne prends pas l'initiative en général parce que je suis assez timide. Quand je vois un garçon qui me plaît, j'essaie d'attirer son attention, mais si je vois qu'il fait pas attention à moi, eh ben tant pis ! Mais je trouve que celles qui prennent l'initiative ont raison parce que des fois on tombe sur un garçon timide, qui n'ose pas prendre l'initiative alors on n'arrive à rien... J'aime les garçons qui ont de l'esprit, j'aime quand ils se distinguent des autres... Moi je ne peux pas aimer plusieurs garçons à la fois : l'amour c'est quand on a trouvé quelqu'un d'unique.

Denise : Quand je drague, je regarde, je m'approche et j'attends, et puis souvent j'engage une conversation... Ce qui me plaît le plus chez un garçon, c'est... les mains (rires) ; de toute façon je suis d'abord attirée par le physique, ensuite je vois s'il y a quelque chose derrière ou pas. Si je peux aimer plusieurs personnes ? Oui, je prends chez chacun ce qui me plaît.

L'amour et l'amitié...

Agnès : L'amour, j'connais pas, alors l'amitié.

Benoît : J'aimerais bien lier les deux, être avec une fille aussi bien copain qu'amant ; dans l'amitié il y a toujours une part d'amour... l'amour libre ? C'était une bonne expérience mais il fallait s'isoler des flics et des parents, et c'est dommage d'être obligé de s'isoler pour vivre son truc ; à longue échéance ça me parait un peu trop instable.

Christiane : Pour moi l'amour comporte l'amitié, c'en est le couronnement... l'amour libre, à longue échéance ça ne me satisfait pas : si j'aime vraiment quelqu'un j'en ressentirais pas le besoin.

Denise : L'amour ou l'amitié ? Ça dépend de ce que je recherche : si c'est de l'affection que je recherche, alors l'amour ; si c'est la sécurité, alors l'amitié.

A propos de la contraception masculine... si elle existait...

Agnès : Ce serait une bonne chose, mais avec quelqu'un en qui on fait confiance.

Benoît : Oui, si elle existait, je la prendrais, il y aurait une sorte d'égalité ; chacun serait responsable de soi ; ce serait une bonne solution.

Christiane : Ce serait normal je trouve, quand on a confiance en quelqu'un, parce que la contraception ça peut risquer de rendre stérile.

Denise : Je trouve que ce serait bien, parce que l'amour ça se fait à deux.

Le (beau ?) mariage

Benoît : Le mariage, ça devient une prison, une obligation...

Agnès : Et puis ça n'apporte rien de plus par rapport aux enfants ; mais quand même le jour du mariage... ça devait être quelque chose, on a perdu quelque chose, je crois.

Benoît : Ne pas se marier, ça permet de garder une sécurité si on n'a pas absolument confiance dans l'union.

Agnès : On peut rester ensemble des années sans avoir l'impression d'une habitude, quand on n'est pas mariés.

A propos de la jalousie

Agnès : On peut pas s'en empêcher ; quand on n'est pas jaloux, c'est une sorte d'indifférence.

Benoît : C'est une remise en cause quand l'autre part, on se demande pourquoi il a eu besoin de chercher ailleurs ; peut-être c'est quelque chose qu'on a pas réussi à lui donner.

Agnès : Ah moi je pense pas. C'est une sorte de changement. Une personne n'est pas toujours complète. On trouve quelque chose d'autre chez quelqu'un d'autre ; on aurait peut-être voulu garder la première personne mais comme elle avait pas ce qu'a la seconde, on préfère aller avec la seconde.

Édith : Y'a aussi la jalousie par rapport à un autre couple : eux, ils ont réussi quelque chose que moi je n'ai pas réussi (dans mon couple).

Question : De quoi as-tu envie dans le couple ?

Édith : J'ai l'impression que quand il y a une certaine durée dans le couple, y'a quelque chose qui accroche vraiment, quelque chose d'intéressant. Moi je suis pas capable de durer longtemps parce que chez moi y a toujours une certaine peur de durer avec les autres. Soit par peur de rater quelque chose d'autre, soit parce que tu n'as pas confiance en l'autre. Moi je ressens toujours un rapport de force avec ceux avec qui je suis sortie, c'est-à-dire si ils m'aiment ne pas déclarer...

A propos de l'homosexualité...

Édith : Dans l'homosexualité, il me semble que tu comprends mieux l'autre et donc que tu peux avoir une relation soit plus tendre, soit plus calme. Moi j'ai connu des gens ayant eu pas mal de relations hétéro se retourner vers ça, pour soit se sécuriser, soit se consoler.

Question : Est-ce que c'est de l'amour, la sécurité, la consolation ?

Édith : Je crois que le contact amoureux basé sur quelque chose de calme est bien plus préférable ; l'homosexualité c'est une forme de consolation après un échec, même pas forcément sexuel.

Benoît : Je pense que l'homosexualité féminine est différente de l'homosexualité masculine.

Édith : Elle est plus acceptée.

Benoît : Oui, la femme c'est encore le symbole de la douceur, de la tendresse et deux femmes qui se caressent ça passe ; tandis que deux garçons... Et puis sur le plan sexuel il y a quand même la pénétration...

Édith : Au niveau du quotidien c'est beaucoup plus accepté aussi. Par exemple, ça ne choque pas de voir deux filles enlacées, alors que dans le cas de deux garçons enlacés, il y a le signe de virilité qu'est complètement exclu ; donc c'est pas seulement au niveau de la sexualité.

Benoît : Je pense que même entre deux homosexuels il y a un rapport de force, un qui domine l'autre.

Édith : Au niveau des sentiments oui, parce qu'il y en a un qui aime plus que l'autre.

Physique et chimie

Benoît : Moi j'aime bien les filles assez grandes, assez fortes, le type paysanne quoi. Mais il y a des filles plutôt petites qui me plaisent quand même.

Christiane : Moi je pense qu'il n'y a pas d'idéal physique, mais un idéal intellectuel, qui ne change pas.

Édith : Pour moi la première chose qui attire c'est le physique, et ensuite tous ses goûts, ses idées qui te font rester près de lui. Quelqu'un de pas spécialement beau avec qui tu discutes peut t'apparaître avec beaucoup plus de charme, beaucoup plus intéressant, beaucoup plus " beau " que des gens qui physiquement sont " biens "... Disons que finalement c'est un peu faux de dire que ce qui fait remarquer c'est le physique parce que souvent c'est un personnage forgé. Tu peux trouver quelque chose de diamétralement opposé et toutefois t'en accommoder.

Féminisme et tralala...

Christiane : L'impression que maintenant " ils " (?) cherchent la supériorité de la femme au lieu de l'égalité.

Édith : La plupart du temps c'est tout a fait tourné en dérision.

Benoît : Je trouve que c'est grave qu'on soit obligé d'avoir un ministère de la Femme...

Christiane : Oui, exactement, ça veut rien dire, c'est du tralala, ça change rien.

Question : Mais ça peut changer des choses dans la mesure où il y a un budget pour appliquer des mesures d'égalité, pour financer des campagnes d'information...

Édith : Au niveau social j'suis d'accord, ça peut avoir une influence ; mais au niveau du quotidien ça changera pas les mentalités. Et puis les changer par la propagande et tout ça... faut une certaine évolution. Je crois que les gens évoluent d'eux-mêmes.

Christiane : Moi, ma mère, elle est contre les moyens de contraception et ça changera pas.

Propos recueillis par Bernard Golfier

 


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