Revue TYPES - Paroles d’hommes n°6 - 1984
Débats et textes personnels: Amours nus

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DÉBATS ET TEXTES PERSONNELS

Amours nus

Chaque nuit les cris des hommes. Le suicidé hebdomadaire, le pendu de la cellule numéro 413, et celui qui est devenu fou, juste là, presque à la portée de ma main.

Les femmes descendant et remontant au même arrêt du bus. Carrefour de la Déportation. Fresnes.

Des abeilles. Des abeilles endimanchées, hebdomadairement vont à leurs hommes, à leurs fils, là. Souvent elles sont vêtues de dentelles blanches, inondées de parfums de luxe, faisant respirer le pitoyable de la situation commune.

Poésie, où ? Nous te cherchons. Le jardin est à l'abandon.

Elles poussaient des landaux remplis d'enfants, dans les sous-sols sales de la prison, des flaques d'eau comme habilement répandues dans cette cave immense, donnaient une autre résonance à leurs talons montés. La fouille, puis les parloirs et les graffitis — numéro d'appel : 36. Dans d'autres boxes, ça crie, hurle, des gens se disputent ; on dirait qu'ils vont se battre. Il y a l'hygiaphone.

Que sont tous ces petits bouts de papier entortillés et glissés entre la double séparation de verre ? Des messages ? Il y a aussi un clou. Des paquets de poussière. Et l'odeur, mon Dieu l'odeur, toutes les haleines accumulées... Dérisoire.

Où sont les chats qui dansaient ?

Nous étions cette armée de femme-abeille qui venions alimenter l'âme des prisonniers. Violence mimétique.

Sur les murs du parloir, je lis: XM-, M.A., DINER, ANNIE JE ; des cœurs aussi. Un petit bonhomme est dessiné. Puis : VALENE - P.I. Et toujours les petits bouts de papier tortillonnés.

La partie basse est murée. A hauteur des genoux, des griffures disant clairement que les prisonniers, hors du regard des abeilles, avec leurs griffes griffent les murs. Mon ami " les murs d'une prison qui se nomme le monde ! ".

La signification des phrases inachevées.

En une contrée... le souffle le quitta.

C'est sur le chemin du retour que j'ai eu la vision d'un sac plein de sang, dans le métropolitain.

Un détenu transféré d'une île de paradis. Tahiti. Deux mètres, un géant. Que s'est-il passé là-bas ? Histoire simple. S'étant accroché à un gardien, fort de sa force, il l'a tué. A l'aide d'un tabouret métallique qu'il réussit à briser, il a découpé le corps en morceaux suffisamment petits pour être jetés dans la tinette d'un simple coup de chasse d'eau. C'est lorsqu'il y mit la tête de l'homme qu'un surveillant découvrit la chose.

Il a quitté son île. Il n'a pas d'abeille.

Soliloque saccadé. L'odeur de la mer...

Les lentilles sèches peuvent avoir des utilisations non culinaires. Elles servent à s'assurer qu'aucun prisonnier ne s'est évadé lorsqu'au retour de la promenade, le gardien illettré doit compter son sinistre troupeau.

... Et le silence qui suivit fut horrible. . .

Il était fou et déprimant.

Qui a fourni une tunique honorable à l'assassin ?

La ratification de la mort. J'appelle au tremblement de terre !

Il me sera alors possible de vous raconter l'histoire d'une femme nue et en bois. Décapitée.

Le sang coulait le long de son bras replié. Elle portait un mouchoir fermement serré dans sa main droite, elle saignait l'humanité, elle était l'humanité sanglante. Moi je la suivais. Longuement ensemble nous avons marché. L'amour nu nous guidait.

Lorsque le ciel est de feu et que nous décidons à tout jamais de ne plus aller au bois, car des colombes y ont été tuées, que l'alibi de l'amour a fourni la fameuse tunique honorable à l'assassin, que la brume s'est étendue, encore et encore, nous avons purifié nos pieds dans un matin carmin.

J'aime que l'on se couche sur moi, qu'il pèse sur moi. Son poids me lève. Il me magnifie comme la pluie.

Aux quatre saisons, quatre hommes sont sortis de moi. Aux quatre saisons.

Une odeur persistait dans nos trouvailles. Indéfinissable, mettant notre olfactivité en alerte.

La plaie béante de l'enfantement inscrite en ma compagne nue, était en soi une mer lointaine qui nous taraudait.

Pitié pour ceux qui aiment, désespérés comme ma voix.

Des étés, à plat ventre, j'ai senti mes hommes de l'été enfler mon ventre. Puis ils sont nés. Respire, respire !

Là où le sol parle un langage inconnu, l'échancrure d'un mur, coquille d'œuf du traîneur de sable séculier auprès d'une guillotine rouillée, l'invasion, le soleil qui fait du bruit, mais où est donc passé le temps ?

Pitié pour celui qui aime !

Là où les acteurs sont discursifs, là où tout est grave, en cet endroit où il est grave, très grave d'être heureux, mais où est donc passé tout ce temps ? Le temps d'un rite, secret des passions à formuler sur un cheval de bois, avec le retour du fils ; désemprisonnées nous poursuivions la quête de l'image de nos amours nus, recherchant l'homme qui comblera notre ventre sur le bord du chemin de halage.

La discrétion du charme qui s'abat ; on ne peut s'y méprendre. N'ayons pas la crédulité d'une parenthèse sonore.

C'est une poudrière que l'aube nous tend ; une peur accumulée, poussiéreuse et fantaisiste, de qualité fragile avec la belle minute un peu languissante des yeux aux regards absents et aux paupières mortes.

En chemin, nous avons dû laisser tomber une à une les plumes de nos hivers. Les mots fuyaient, à cloche-pied, à cloche-mot, presque à chaque pierre rencontrée. Boutoir du cœur, usurpation au mensonge, nous avons croisé les voleurs de mort. Ils ressemblaient à des rats. L'affrontement de toutes les vérités illogiques allait renaître.

J'ai constaté l'excellent état de ma folie.

Océans de voix éteintes, photographies à la minute, et le crime, l'absolu de ce crime d'un amour qui n'a pu se dire. Tous les amours tués par le silence obligatoire de la bonne tenue, de la morale, du devoir...

Croisements avec des lunettes de myopes, chirurgien du regard, il aurait fallu l'être. Mal sacré, mal caduc.

Les courbes vertes du chemin de l'horizon n'attirent plus que les fous chantants et sensuels, qui entreront dans la ville.

Nous érigions nos plaisirs en culte. Au coin des ans, des espions se sont placés en sentinelles discrètes. Ils sont là.

Je jure de mentir à chacun de mes pas pesants qu'il me reste à faire. Je jure de ne jamais crier, mais de hurler, et de rompre, tout le temps.

Les caresses nous assaillent. Un camion s'ébranle chargé à ras bord des fous sensuels et chantants qui vont passer la frontière et écraserons les seins des femmes.

Ils sont cordiaux, mais quand se tairont-ils ?

La sombre obstination, la vibration bleue du tartuffe parallèle ajoutent à l'horreur du jour naissant.

Rencontrer un suicidé au revolver dans la Cordillière des Andes, sa femme et son enfant pleurant à ses genoux, et vouloir s'écarteler.

Il serait utile d'avoir des éventreurs de suicide, de la même manière qu'il y a des montreurs de foire. Le suicide éventré.

Il faut marcher ivre.

Intense est mon corps en marche qui s'émiette raisonnablement dans ce chemin creux.

Un urbaniste des fonds marins nous fera un discours sur l'utile. Au lieu de l'entendre, nous fixerons une gorge, et vous penserez à toutes les femmes que vous n'avez pas connues. Une fatigue immense s'abattra sur nos épaules, les muscles noués, la main dans la poche, les doigts à la recherche de quelque chose de précieux que nous y avions placé, le fameux mouchoir par-dessus afin de ne rien perdre. C'était quoi au fait ?

La bouche amère de Lucien se lassera de l'espoir que quelqu'un avait plaqué là, fort longtemps auparavant, et le concert baroque que nous offrait l'aigle blanc s'achèvera sur une stridence.

Un frisson parcourera nos corps minces. D'urgence nous téléphonerons en Nouvelle-Écosse puisque là-bas il y a quelqu'un. Un secrétariat ouvert en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tenu par un apache rouge, qui nous dira : " Venez, mais venez-donc ! "

C'est ce matin que j'ai serré la main d'un homme de bonne volonté.

Mal intentionnée, la Veuve noire a décidé de combattre le beau navire qui transperce l'horizon. Tout cela nous dégoute Isabeau, entends-tu ? Raconte-lui tout à l'Apache, afin qu'il s'en souvienne.

L'inutilité persistante d'existences silencieuses et sans joie.

Que sont devenus les sensuels fous cosmopolites et bigarrés qui criaient sur le marché. Leur sens de l'observation avait donné naissance à des attouchements fleuris, et la jalousie dans le jardin clos du vicaire de campagne a fait venir mon amant.

Ensemble nous ferons la peau au salopard qui sans courage, en catimini, en silences orduriers, a perpétré cette salissure éternelle tapie au fond de son être. La bêtise.

Ils ont lynchés la vie !

La vie des amours à nu décrivant un grand arc, le retour du fils qui ne chante plus, son abeille crucifiée à ses côtés. Miroirs, vitres perlées de balles de revolver, divinité du chat qui dansait lorsqu'un souffle le foudroya d'un drame définitif.

En prise directe avec le hasard, étreignant toute la beauté, face aux grilles du jardin encore endormi, je vous ai aimés. Tous.

Vous m'avez regardée

Liliane Bedel

 

Un garçon manqué

Huit ans, l'âge de la révolte. Juste après l'âge de raison, comme ils disaient. je ne veux pas être une petite fille, et pas une fille tout court ! Jamais réussi à pouponner ni à coudre. J'ai bien essayé de faire des habits à la colle Scotch, ils n'ont pas tenu : de couper les cheveux de la poupée, ils n'ont pas repoussé. Tout un tas d'échecs " féminins ", de rages rentrées. Peux pas !

A huit ans, ma tante m'offre mon premier blue-jean, avec plein de poches partout et... une braguette, ô scandale, ô bonheur ! Je suis toute entière dans le blue-jean, c'est le symbole, l'aventure. je suis Claude du Club des cinq, un garçon manqué, et même Michel, un garçon tout court. On se bat avec des marrons dans la cour, l'été c'est l'exploration des souterrains du fort des Cornouailles, en Bretagne. Cheveux courts. Le plus grand pied, c'est quand on m'appelle " Monsieur ". Mais le soir les larmes viennent : j'ai beau le nier de toutes mes forces, je ne suis pas un Monsieur. A moi la vaisselle, le ménage, les gosses, l'attente du mari. A eux les voyages, le bureau, les collègues si rigolos (1).

Ça évoluera. Un peu de résignation, encore une révolte au moment des règles (et en plus ça me fait mal). Et puis une curieuse mixture, parce que, justement, le CES est mixte. Les garçons, y'a pas à dire, ils sont plus intéressants que les filles. C'est quand même plus chouette de jouer au ballon avec eux que de bavarder dans la cour en se caillant avec elles. On a fondé un club pourtant, entre filles. Elles voulaient l'appeler " des mésanges ". Moi " des écureuils ". Je ne sais même plus comment ça s'est terminé. De toute façon, après avoir fait les statuts et retapé une cabane, on n'a rien trouvé d'intéressant à y faire. Il est vrai qu'on n'était " que " des filles !

Mais en même temps naissaient les amours, très platoniques d'ailleurs. Moi qui aimais tant les garçons, je m'apercevais qu'il fallait être une fille pour les aimer " vraiment " — damnez j'ignorais l'existence de l'homosexualité en général, donc masculine en particulier. Bon, n'empêche qu'ils avaient le beau rôle — re-damned, je n'avais pas lu Types. On supportait leur individualité ; nous, fallait qu'on s'écrase. Un garçon râleur, il avait de la personnalité. Une fille râleuse, elle était hystérique. Bien sûr. Élémentaire. Watson !

Coup de pot, les études marchaient bien. Dans les classes scientifiques les filles étaient en minorité ; c'était plutôt sympa, une fois qu'on s'était imposée ni-chochotte-ni-polarde.

Le féminisme est venu tout seul, c'était la suite logique du refus des rôles imposés. Pas de militantisme, juste une évidence : on n'est pas plus bête qu'eux, pas de raison qu'on leur cire les godasses. Une femme vaut autant qu'un homme. Donc ce n'est pas une malédiction d'être une femme. Ça peut même être bien. Très bien. Mais alors ? Alors ? Alors je peux avoir des amiEs ? Comme ils ont des amis ? Mieux peut-être ? Ben oui. J'en avais déjà, mais comme les relations ne pouvaient pas être franches et viriles, je les rabaissais dans mon esprit au rang de bavardages-commérages, bien aidée par le vocabulaire dominant. Maintenant tout me semblait plus simple, plus naturel entre filles, entre femmes (à quel âge on change de terme, au fait ?). Et j'ai eu de nouvelles amies, et on a fait et refait notre monde, au gré quand même de nos relations amoureuses et sexuelles avec eux. Avec lui. Sans soumission, sans entrer dans le rôle redouté de la femme-ménagère-mère-modèle-fidèle. Oui, c'est le pied d'être une femme. Pour nous au moins, nous les privilégiées.

Happy end, donc ? Fini le garçon manqué ? Vive la femme épanouie en tant que femme avec des hommes aussi ? Mouais, c'était trop simple. Le temps passa.

Trente ans. Envie d'avoir des gosses. Kaï kaï. mais... c'est à moi de les faire, dans mon ventre ! Peur. Joie. Refus. Pleurs. Impossibilité. Femme manquée ?

Dominique Dufour

 


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