Revue TYPES - Paroles d’hommes n°6 - 1984
Rubriques : Le changement nous intéresse

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Le changement nous intéresse

Le sens et le projet de l'A.D.A.M. et de Types se sont sensiblement modifiés depuis trois ans. Ce texte rend compte de la transformation progressive de ce projet mais aussi de nouvelles perspectives.

Qui sommes-nous ?

Les hommes participant à la revue sont venus à une conscience anti-sexiste par des cheminements différents.

Il y a d'un côté ceux qui ont entamé une réflexion critique sur les rôles virils traditionnels à la suite d'une interpellation par le mouvement des femmes ou parfois d'autres mouvements comme ceux des homosexuels. Ressentie dans la vie sociale ou l'engagement politique ou directement exprimée à l'intérieur d'une relation personnelle, la remise en cause a pu prendre des formes diverses.

Il y a aussi ceux qui ont puisé dans leur expérience individuelle des raisons de ne pas supporter les schémas et les comportements de la virilité.

Enfin certains associent cette démarche aux mouvements communautaires, écologistes ou pacifistes, au désir apparu dans les années 60/70 de remplacer le " réalisme catastrophique " par une " utopie réaliste ".

Toutes ces motivations, qui cohabitent dans Types mais aussi parfois en chacun d'entre nous, se heurtent ou se complètent dans le fonctionnement de la revue. Mais elles nous permettent peut-être d'éviter certains dogmatismes.

Que voulons-nous ?
Développer de nouveaux rapports entre hommes...

Les groupes hommes ont été un point de départ pour vivre ces nouveaux rapports. Leur existence permet d'interroger nos histoires masculines avec comme thèmes de débats : paternité, couple, isolement, drague, séduction, désirs, fantasmes, homosexualité, pouvoir, violence, concurrence, etc. Ils regroupent entre autre, des hommes qui ont le souci d'échapper aux normes qui les gênent, qui les révoltent et d'en comprendre les effets dans leurs vies.

L'existence de ces groupes, ces cheminements individuels partagés ces écoutes de soi et de l'autre, ont créé puis entretenu ces dernières années, une mouvance dont la revue Types s'est faite l'écho en publiant les témoignages qui en ont fait partie ou qui l'ayant vécu, voulaient le raconter.

Dans et hors des groupes hommes, nous avons donc mené une réflexion critique sur les rapports sexistes et phallocrates. Cependant, n'avons-nous pas plutôt privilégié une démarche consistant à dire : modifions entre nous nos comportements ; les autres, on verra après ?

Nous ne devons pas, sous prétexte d'éviter les pièges du sectarisme militant qui nous éloigne d'une expression authentique, négliger de porter un regard critique sur les rapports sociaux que de toute façon nous partageons en tant que mecs.

Des débats, des oppositions sur divers thèmes: théorie-pratique, critique ou besoin de posivité, vécu personnel, analyse individuelle ou analyse globale, restent ouverts dans la revue.

... et d'autres relations entre hommes et femmes...

Les rapports de domination et d'oppression sur les femmes existent toujours (si ! si !) et prennent de nouvelles formes. Les féministes les dénoncent et les combattent. L'incantation : " l'émancipation des femmes sera l'oeuvre des femmes elles-mêmes ", ne nous suffit pas : nous voulons agir.

Citons quelques terrains de questionnement et d'intervention :

— le sexisme au travail : inégalités de salaires et rapports à la hiérarchie, déqualification des femmes, etc.;

— le sexisme dans la vie quotidienne sphère domestique, consommation, éducation des enfants ;

— sexisme et sexualité : pornographie, fantasmes, rapports à nos corps et à celui des femmes ;

— l'apprentissage du sexisme : attribution des rôles selon la morphobiologie, entraînement à la violence, dressage à la compétition et à la guerre, etc.

— sources historiques, institutionnelles économiques, idéologiques de ces aliénations ; comment ne pas les renforcer et les reproduire.

Sur ces points et d'autres, le dépassement des manifestations ne peut résulter d'une vision manichéenne selon laquelle le féminin serait pur et le masculin sale. Le sexisme ne relève pas d'une fatalité concentrée dans quelques entités théoriques fourre-tout comme le patriarcat, la phallocratie ou les différences biologiques. Sa reproduction est assurée par une multitude de rapports de force individuels et sociaux qui nous impliquent en tant qu'hommes et femmes. Ceci suppose donc pour nous l'ouverture à d'autres valeurs, d'autres façons de communiquer et d'exister.

Mais produits et acteurs d'une société, nous nous heurtons à nos contradictions et demeurons minoritaires. Cela nuit au développement de rapports plus libres et égalitaires avec les femmes ; notamment avec celles qui, à l'instar de l'ensemble des structures sociales, attendent de nous les attitudes et les rôles classiques du mec. Nos mutations symboliques, même balbutiantes, supposent des cheminements communs avec les femmes qui refusent le sexisme.

... en agissant collectivement...

— A travers l'information sur nos prises de position et leur diffusion (tracts, pétitions, etc.). Soulignons les possibilités ouvertes par le projet de loi anti-sexiste.

— Par des interventions institutionnelles (colloques, rencontres, débats) et publiques (manifestations, actions spectaculaire).

... par des actions communes sur des thèmes intéressant d'autres mouvements.

Le mouvement des femmes : après notre expérience de numéro mixte, quelles relations aurons-nous avec elles ?

Les mouvements politiques et syndicaux : ils ont leur opinion sur le sexisme, voire des collectifs de réflexion en leur sein. Comment y intervenir ?

D'autres mouvements plus spécifiques comme ARDECOM pour la contraception masculine, le Planning familial, le collectif " pour une école non sexiste ", les groupes pour une égalité parentale, etc.

Des contacts devraient être pris à brève échéance avec tous ces groupes.

Le devenir de la revue

Progressivement, la plupart des rédacteurs de la revue Types ont cessé de faire partie des groupes hommes, soit parce que leur groupe avait cessé d'exister, soit parce qu'ils avaient cessé d'y participer. Néanmoins, dans nos réunions, le désir de discussions permettant de s'investir à partir de son histoire individuelle était souvent exprimé par certains et donnait lieu à un fonctionnement de la revue s'apparentant à un groupe de paroles. S'y opposaient ceux qui privilégiaient la nécessité de produire une revue et de constituer un collectif de réflexion, d'analyse critique et de rédaction. Ces deux types de fonctionnement se chevauchaient parfois de façon confuse.

En étant de moins en moins la revue d'expression des groupes hommes, Types se distancie de sa base originelle. Ceci nous amène à nous interroger sur nette raison d'être. Que et qui représentons-nous ? A quelles composantes du corps social nous adressons-nous ? Sommesnous l'ébauche d'un mouvement ?

Les statuts de notre association, qui lui donne pour seul but : " la recherche et le développement d'expressions masculines " nous semblent déjà vieux et poussiéreux. Nous ne donnons plus comme seule mission à notre revue de promouvoir toute expression masculine (certaines expressions masculines nous semblent davantage devoir être combattues que promues !).

C'est la recherche d'un approfondissement de notre réflexion sur les rapports de sexes qui nous a amenés, dans ce numéro six, à souhaiter un dialogue contradictoire avec des femmes. Cette ouverture, cette parenthèse de mixité, était voulue par tous pour permettre une confrontation critique et éviter un narcissisme facile parce que très protégé.

Toute histoire individuelle est particulière et spécifique, les rapports de forces et les aliénations sexistes qui s'y vivent restent les composantes d'un même corps social. C'est cette réalité que nous cherchons désormais à mieux comprendre et à transformer. Tout en restant une revue d'expression de nos propres histoires, Types accentuera ainsi l'analyse critique des rapports sociaux avec lesquels ces histoires s'articulent Si l'étude des rapports de sexes est déjà largement engagée par le mouvement des femmes, elle ne l'est encore que très peu par des hommes, et parfois avec l'approche culpabilisée de ceux qui, ayant trop bien compris l'adage : " faute avouée est à moitié pardonnée ", recherchent quelque indulgence en clamant à tue-tête leur dégoût profond d'appartenir au sexe socialement oppresseurs. Nous nous défions autant de cette démarche que de celle qui consiste à accepter comme une fatalité définitive la réalité sociale actuelle.

Types et le nouvel homme

Un nouveau modèle d'identification masculine, le " nouvel homme ", est apparu à peu près en même temps que les groupes hommes et le projet de la revue Types. Nous n'avons pas la naïve candeur de penser que cette concommitance est un pur effet du hasard : si des conditions sociales et historiques identiques ont favorisé cette simultanéité, le sens et le projet de Types vont, pour l'essentiel, à l'encontre de ce modèle.

La mode du nouveau qui a envahi la deuxième moitié dés années 70 n'a pas ignoré l'identité masculine mais a cherché à la transformer dans deux directions qui se complètent étroitement .

Tout d'abord dans une direction marchande. Elargir et transformer la norme de consommation masculine en lui intégrant de nouveaux produits ou en diversifiant l'usage des anciens, est une perspective très réjouissante pour ceux qui les produisent. Cela nécessite cependant une modification progressive du rapport des hommes à leurs corps et aux valeurs symboliques de la virilité. Les plaisirs jusqu'alors malsains des parfums et eaux de toilette, des habits multicolores, des slips à rayures et des soins esthétiques doivent aussi devenir les attributs obligatoires de sa virilité.

Ensuite dans une direction affective. La redéfinition du partage travail-loisirs conséquente à la baisse de la durée du travail, à l'allongement des vacances, au développement du chômage, à la progression des taux d'activité féminins, entament le schéma idéologique traditionnel : hommes = social = travail et femmes = privé = famille. Ce mouvement prend la forme d'une extension du champ affectif masculin vers la vie privée : la famille, les enfants (nouveaux pères)... Pour ne pas rendre trop caricaturale la situation d'un homme davantage présent au foyer mais tout aussi passif, quelques concessions ont du être faites et le partage du travail ménager s'est parfois modifié.

Cette évolution nous semble cependant bien restreinte. Elle ne découle pas d'une réflexion globale sur les rapports de forces sociaux mais, non conscientisée, elle résulte d'un malaise masculin à vivre certains aspects pesants de la virilité. Elle est la revendication d'un nouveau rapport à son corps et à l'affectivité, sans remise en cause plus générale d'un ordre social qui exclut l'homme de ces dimensions en le destinant au pouvoir social. En cela, elle correspond donc à la seule demande goulue d'un mieux être pour les hommes. C'est au contraire contre tout un système cohérent d'oppression et d'exploitation sexiste que Types et Adam se donnent pour but d'agir.

Non au destin du macho

Que donnerons-nous désormais à voir, à lire ? Répondre à cette question nécessite l'affirmation de ce que nous sommes et une intervention contre les images réductrices du genre : " hommes doux, fragiles, non phallos, efféminés, etc. ", qui sont plus dénégatrices que subversives.

Mais n'est-ce pas nous-mêmes qui les avons suscitées par certains rapports identitaires institués dans les groupes hommes ? Ceux-ci, pour nécessaires à une évolution des rapports entre hommes qu'ils soient (confiance, écoute, abandon des rôles, souci de tomber les masques et carapaces), peuvent aussi être lénifiants et à la longue mystifiants. Notamment quand on se replace dans le contexte plus large des rapports hommes-femmes.

Nous voulons donc abandonner les illusions, l'angélisme de cette situation assimilable à un " apolitisme mou " face au sexisme que seuls les mouvements féministes bousculaient publiquement. Nous ne pouvons " innocemment " nous définir par des " nous ne sommes pas... " liés à l'influence du regard porté sur nous par les féministes.

Pour éviter les deux écueils que sont l'angélisme et le dogmatisme, notre nouvelle démarche associera donc :

— une critique de ce qui se dit : l'idéologie dominante ;

— l'enquête sur ce qui se fait (discours, actes, décisions politiques, scènes et signes de la rue, des médias, des groupes sociaux...) et une caractérisation concrète du sexisme (inégalités dans le travail, devant la loi...) ;

— des propositions pour vivre différemment.

Une question importante demeure : que gagnons-nous, que cherchons-nous en remettant en cause les rapports sexistes ?

Pourquoi des hommes refusent-ils un pouvoir d'oppressions dont ils bénéficient de droit, du fait de leur appartenance de sexe ? Sommes-nous des masos ? des culpabilisés ? des ratés de la compétition sociale qui cherchent à valoriser leur échec ? des militants en mal de dernière mode ? Non !

En fait, notre engagement n'est pas désintéressé et nous pensons avoir plus à gagner qu'à perdre dans notre lutte contre le sexisme. Les bénéfices économiques, marchands ou nonmarchands (inégalités de salaires, de qualification, répartition du travail ménager...), le pouvoir d'appropriation et l'utilisation sexuelle du corps des femmes qui, entre autre, caractérisent le patriarcat, sont moins épanouissants pour nous-mêmes que les potentialités de rapports plus égalitaires.

Les choix que nous pouvons vivre hors des modèles virils sont plus exaltants que le long enchaînement de réflexes conditionnés et de frustrations qui composent le destin du macho.

 


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