Violences au travail -
Réalité cherche définition
Par Dominique Foufelle http://www.penelopes.org/pages/beijing.htm
Un tour d’horizon européen permet de confirmer
que, oui, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une pratique extrêmement
courante, à l’encontre des femmes dans l’immense majorité des cas. Mais
beaucoup préfèrent encore le minimiser ou l’oublier. Alors que la précarisation
expose les femmes à de plus en plus d’abus de tous types.
La lecture de la préface du rapport de la Commission Européenne sur le harcèlement
sexuel sur le lieu de travail* laisse perplexe : on y indique que " 30% à
50% des travailleuses continuent à souffrir d’une forme quelconque de harcèlement
sexuel. " Pourquoi des chiffres si approximatifs ? Parce que le terme
" harcèlement sexuel " n’a pas de définition universelle, ce qui
entraîne forcément une grande diversité dans la façon de dresser les
questionnaires et d’y répondre.
Monsieur Goujat se prend pour un galant homme
Une étude espagnole dans cinq pays de l’Europe du
Sud (Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal) montre que si l’on demandait
directement aux femmes si elles ont été victimes de harcèlement sexuel, la
proportion des réponses positives se situait entre 25% et 45 % selon les études.
Alors qu’elle montait jusqu’à 84% lorsqu’on présentait une liste de
faits incluant les manifestations, les propos et les regards à intention
sexuelle adressés à une personne sans qu’elle l’ait désiré ! Autrement
dit, des femmes acceptent des comportements qui, de leur propre aveu, les gênent,
parce qu’ils sont censés faire partie des habitudes dans les rapports
hommes/femmes. Elles se taisent par peur de passer pour des bêcheuses. Les
hommes interrogés, eux, considèrent comme agréables leurs avances plus ou
moins déguisées, quelle que soit la réponse qui leur est donnée.
Femmes séductrices et hommes placés dans l’impossibilité de réfréner leur
libido ? C’est malheureusement un fantasme qui a encore cours. De même que la
" séduction " comme élément indispensable d’une bonne ambiance de
travail. Lors des débats parlementaires en France, le harcèlement sexuel
environnemental (exercé par des collègues, indépendamment des positions hiérarchiques
respectives) a été exclu du champ d’application de la loi, car laissant à
la personne importunée la latitude de décider ce qui était offensant, il
ouvrait -a-t-on dit, la voie à des plaintes abusives et des actions judiciaires
en cascade. Le puritanisme américain servant de contre-exemple à un climat
galant, typiquement latin, qui règnerait pour le plus grand plaisir de tous et
de toutes.
La conspiration du silence
Cette légende autorise des directeurs et des
responsables du personnel à minimiser le problème du harcèlement sexuel dans
leur entreprise. Les entreprises, d’ailleurs, ont réservé le plus méfiant
accueil aux enquêteurs européens. Au point que les critères méthodologiques
prévus ont dû être abandonnés à cause des difficultés pour en trouver de
disposées à parler de cette question. Les responsables de celles qui ont
accepté sont restés très évasifs, plus préoccupés par l’image de marque
de l’entreprise que par le respect des droits des employées.
Quant aux syndicats, ils ont plutôt tendance à fuir un problème qui les
embarrasse, parce que ne rentrant pas dans la logique de la lutte des classes
qui oppose patronat et travailleurs. Sans compter que les camarades syndiqués
n’adoptent pas forcément un comportement à l’abri de toute critique. En
France, la loi spécifique de 1992 a permis d’évacuer la question. Ce n’est
que très récemment que la CGT et le CFDT ont admis qu’il restait néanmoins
à la faire appliquer, et ont officiellement inscrit le sujet dans leurs préoccupations.
La précarisation : un terrain de prédilection
Loi spécifique ou non, porter plainte ou dénoncer
l’agresseur à la hiérarchie est un choix difficile. Il est très rare,
souligne toutes les études européennes, que la direction le sanctionne plus sévèrement
qu’avec un avertissement. C’est dans les trois quarts des cas la victime qui
change de poste de travail, souvent à sa demande, le poids du scandale étant
trop lourd à porter, surtout quand s’y ajoute celui de la culpabilité suggérée
par l’entourage, que bien des victimes intègrent elles-mêmes.
Et si aucun autre poste ne peut être proposé ? Il reste la démission - "
solution " adoptée par nombre de victimes de harcèlement, qu’elles
aient ou non dénoncé le coupable, quand leur patience est à bout. Quand les
conséquences sur leur santé, leur vie affective et familiale, et leur vie
professionnelle, deviennent intolérables. Ou quand l’agresseur lui-même les
a poussées dehors.
Il faudra donc retrouver un emploi. Les victimes se situant principalement dans
les catégories de main d’œuvre défavorisées, il n’est pas dit qu’elles
ne connaîtront pas dans leur prochain emploi des abus du même type. La précarisation
du travail féminin en fait le lit. Elle favorise le chantage, et
l’exploitation, de quelque forme que ce soit.
Car le harcèlement sexuel n’est pas la seule violence qu’aient à subir les
femmes au travail. Femmes
au travail, violences vécues, ouvrage composé par des médecins du
travail, égrène par des témoignages la litanie sans fin des humiliations
qu’elles vivent. Comment pourrait-il ne pas y avoir de rapport avec le fait
qu’elles occupent très fréquemment des emplois peu qualifiés, et sont
majoritaires au sein des chômeurs (ce, au niveau mondial) ?
Les violences au travail apparaissent donc comme l’une des facettes de la
discrimination généralisée dont les femmes sont victimes. Les législateurs
français ont pourtant refusé de définir comme l’expression d’une
discrimination le harcèlement sexuel, au motif qu’il pouvait s’exercer aux
dépens de l’un ou l’autre sexe. Le fait que l’immense majorité des
victimes sont des femmes, et des auteurs sont des hommes, ne serait-il dû
qu’au hasard ?
* Le Harcèlement sexuel sur le lieu de travail dans l’Union Européenne -
Commission Européenne, Direction générale " Emploi, relations
industrielles et affaires sociales ", Egalité entre femmes et hommes -
Office des publications officielles des communautés européennes, 1998. |