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  Liste France - 2/6  

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Invités à ça se discute le 20 avril 2000

Bernard Baillard 
Thierry Jacquier
Viviane Monnier
Daniel Welzer-Lang

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Bernard Baillard

Brigadier major de la police

Bernard a travaillé 25 ans dans les commissariats de Seine St Denis. Des femmes battues, il en a vu beaucoup, tous les jours pendant 25 ans.

Comment se passe une soirée dans un commissariat de Seine St Denis ?
Je suis arrivé, j'avais 21 ans, je ne connaissais rien. Je dois dire que la mission la plus délicate que nous avons à gérer est celles des violences conjugales. Moi, sincèrement, je n'étais pas capable de désamorcer un conflit au début de ma carrière. On n'y était pas préparé. Aujourd'hui, malgré de longues années d'expériences, certains ne sont toujours pas capables de les gérer.
Tous les soirs il y a des drames familiaux. Quand on récupère une femme martyrisée à 1 heure du matin, qu'est ce qu'on fait ? On appelle les associations pour essayer de la loger, mais des fois elle ne veut pas quitter son mari, elle dépose plainte, puis la retire deux jours après. Bien évidemment parfois on sait que c'est sous la pression du mari qu'elle la retire. Mais est ce à nous de forcer les femmes à quitter leur mari? Parfois j'étais convaincu qu'elles devaient partir, mais bien des fois elles dépendent financièrement de leur mari, c'est pas facile de dire à une femme avec des gosses de se casser. D'un autre côté, il faut penser aux enfants, quel est leur avenir ? Vont-ils répéter les mêmes schémas ? C'est vraiment pas simple.

Nombre de femmes violentées nous ont fait part de la légèreté de la police concernant leur déposition, qu'est ce vous pouvez nous dire ?
Vous savez à la police, il n'y a pas de détecteurs de conneries, il y a aussi des policiers violents, certains tapent leurs femmes aussi. Je pense qu'il y a un vrai chiffre noir des femmes battues. Ce que je peux dire sans rentrer dans les histoires de manque de moyens de la police, c'est que lorsque vous avez une voiture et trois appels au secours, vous allez au plus pressé. Vous allez d'abord voir le meurtre avant d'aller voire une baston. L'origine de l'appel au secours est important. Les voisins, en général nous appellent parce qu'ils sont plus gênés par le bruit causé par les coups que par les coups eux mêmes... C'est vrai que certains couples notoirement connus pour leurs excès de boisson sont peut-être un peu moins vite "servis".
Lorsqu'on arrive sur place, si on soupçonne du danger, que l'on constate un délit, on embarque évidemment le bonhomme. Mais parfois on doit raisonner au delà. Même si un homme qui frappe une femme a forcément tort, on ne peut pas embarquer tout le monde. On en fait quoi après... Même une fois que les hommes sont embarqués, on fait quoi des femmes après... On ne sait pas quoi faire des victimes.
Nous on est la pour déférer des gens, c'est aux juge de prononcer les peines. Je ne suis pas sur que la prison soit la meilleure solution.

Qu'est ce qui fait que vous transmettez ou non une affaire au parquet ?
Dès lors que le délit est constaté, il n'y a même pas besoin de plainte. Des fois, c'est vrai, je faisais simplement une main courante et je convoquais le mari pour lui montrer qu'on était là.
Une fois je suis intervenu, chez un médecin qui avait la main leste, je me suis demandé s'il fallait que je l'embarque, je pense que souvent on doit aller au delà, essayer de trouver une autre solution.

Thierry Jacquier

Médecin généraliste

Le tribunal lui envoie depuis trois ans , des patients auteurs de violences conjugales. Ceux-ci ont obligation de se faire soigner.

Comment traitez-vous ces personnes ?
Ces messieurs sont envoyés directement par le tribunal de grande Instance. On fait des programmes de 10 à 15 séances d'une demi-heure. Il s'agit en fait de retrouver les émotions générées par ces situations de violences.
En fait c'est de la thérapie comportementale. On essaye de trouver des solutions en terme de comportement. On fait des jeux de rôle. Je leur donne en fait une boite à outils afin qu'il puisse se comporter différemment face à certains événements. J'ajoute qu'il n'a y a pas de caractère d'originalité dans cette démarche, que tout le monde peut la pratiquer. Malheureusement il est plus louable aujourd'hui, moralement plus crédible, de prendre en charge les victimes plutôt que les auteurs de violences.

Existe-t-il un point commun entre tous les hommes violents ?
Ils sont issus de tous les milieux, le point commun est sans conteste un défaut d'affirmation. Un manque de confiance soi.

Dans quel état d'esprit sont-ils quand ils arrivent dans votre cabinet?
Au début, ils ne comprennent pas ce qu'il font là. Il faut leur faire comprendre qu'ils ont commis un délit. Toute la difficulté c'est de créer un lien, de faire comprendre au patient qu'il a intérêt à venir. Mais là tout dépend du passé éducatif ou socioculturel du patient.
Par ailleurs ils sont contraints d'être dans mon cabinet, c'est l'alternative à l'emprisonnement. Certains sont dans des situations de séparation, et c'est parfois souhaitable, d'autres ont envie de reconquérir leurs femmes.

Pouvez-vous nous raconter un cas ?
Un cadre, un jour est venu, il avait un problème d'anxiété, un stress professionnel qui un jour lui a fait péter les plombs. Un samedi matin, il a tapé sans raison sa femme. Pour moi, l'important c'était de lui faire visualiser ce qui s'était passé ; Ensuite de lui faire verbaliser, lui m'a dit : "j'ai senti qu'elle se moquait de moi". Là je lui donne les pistes pour savoir s'il n'aurait pas pu agir différemment, en prenant un calmant ou en allant faire un tour.
Ensuite je travaille sur la relation avec l'épouse, sur la notion de couple avec des questions de ce type : "Qu'est ce que vous faites quand vous avez envie de lui faire plaisir...". Là j'apprends que ce type ne fait jamais de cadeau à sa femme. Ensuite je lui dis qu'il est bon d'en faire. Enfin je lui donne des clefs pour gérer son stress au travail et je lui demande de lister toutes les choses qui font qu'il est surchargé. Histoire de lui enlever toutes les épines irritatives. Je sais que ce monsieur va bien aujourd'hui et sa femme aussi.

Avez-vous le sentiment qu'une fois les séances écoulées, les problèmes sont réglés ?
Je n'ai malheureusement pas de suivi. Parfois j'ai des nouvelles.

Viviane Monnier

Déléguée nationale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes.

Elle n'a jamais été victime de violence, mais elle a la conviction que cela peut arriver à tout le monde. Pour elle, tous les milieux sont concernés.

Existe-t-il un profil de la femme battue ?
Non, elle appartient à tous les milieux, elle travaille ou est mère au foyer. Il n'existe pas de portait type, et rien ne prédestine une femme à devenir victime. La violence conjugale est un rapport de force qui s'installe entre deux personnes dans le temps. C'est un rapport qui déstabilise dans la mesure où l'homme contrôle la femme pour mieux la détruire. C'est une personne aux capacités de défenses affaiblies. La peur des représailles, d'être frappée à nouveau, est un état qui annihile petit à petit la volonté. Souvent elles sont emmurées dans le silence, ce qui les empêche d'envisager toute issue.

Existe il un profil de l'homme violent ?
Il n'est pas repérable. C'est rarement une brute épaisse, c'est un monsieur tout le monde. Il y a bien sûr des pervers, mais ce n'est pas la majorité. Ils sont tous dans le déni, ils se font passer pour des victimes, ils dressent en général un tableau noir de leurs femmes et ménagent le plus souvent les apparences, se sont souvent des gens charmants en société.

Pourquoi les femmes restent ?
Je dois dire qu'elles restent de moins en moins longtemps, les choses ont quand même évolué. C'est vrai qu'il y a 30 ans on disait, qu'il fallait 7 ans de violences avant qu'une femme parte. Ce n'est plus la réalité. En revanche, les femmes restent parce qu'elles se sentent souvent responsables, la gifle, l'œil au beurre noir c'est un mythe, c'est aussi tout le dénigrement de l'homme sur sa femme qui lui fait perdre pied. Elles n'ont plus confiance en elles, elles ont honte de ce qu'elles subissent, du coup elles n'en parlent pas.
Par ailleurs, ce n'est pas facile de casser une relation comme ça. En général l'homme violent s'excuse après ses actes. Et la femme veut y croire. Quand elle a des enfants, elle veut leur conserver un père... De plus pour les quitter ou que leur calvaire soit reconnu, c'est un véritable parcours du combattant, il faut tomber sur un bon flic, un bon médecin et un bon juge. C'est pas le cas partout.

Croyez-vous aux "traitements" pour hommes violents ?
Si ce n'est pas l'auteur lui même qui fait la démarche je n'y crois pas, ça ne sert à rien. Un homme qui a fait respecter sa loi par les coups recommencera tôt ou tard.

Quelle est la situation en France ?
C'est un problème dont on commence à parler ; mais face à l'ampleur du phénomène, le manque de réponses adéquates qui pourraient être offertes à ses victimes, la banalisation de faits graves, la non poursuite de partenaires violents sont autant de points qui permettent non seulement la réitération de cette violence mais aussi son aggravation.

Concrètement que se passe-t-il quand une femme veut quitter son mari violent ?
Elles portent rarement plainte parce qu'elles ont peur. Quand elles vont au commissariat, beaucoup de plaintes ne sont pas enregistrées, elles font parfois une main courante. Les affaires sont classées sans suite ou envoyées en médiation. Les condamnations sont très légères. En France il coûte plus cher de se garer dans un couloir de bus que de taper sa femme.

Daniel Welzer-Lang

Sociologue - Maître de conférence à Toulouse

C'est un spécialiste de la violence masculine. Il a écrit "Arrête ! Tu me fais mal !".

Est-ce qu'il a un portrait-robot de l'homme violent ?
Ils sont extraordinairement ordinaires. Je ne pense pas qu'il faille chercher des motifs individuels. Ils sont tout simplement machistes et dans la domination. Il faut leur montrer qu'il n'est pas normal d'imposer son avis aux autres de manière arbitraire. C'est à la société de changer ça, il faut apprendre aux hommes à parler d'eux. Les hommes qui pleurent, qui ont des émotions, on les fait passer pour des homosexuels, résultat, les autres se blindent. Moi, j'organise des thérapie de groupe, parce que je pense que c'est un problème collectif.
Je ne pense pas qu'il faille chercher des motifs individuels à leurs violences. Il faut responsabiliser les hommes dans leur ensemble. Ne pas tolérer la baston, mais leur offrir une chance de modifier leur comportement. On peut apprendre à un homme à ne plus frapper sa femme. En France, on ne s'en occupe pas. C'est comme si la violence n'avait pas de sexe. Il y a quelques thérapies individuelles. Mais ça ne suffit pas. Comment protéger les femmes si on n'apprend pas aux hommes à se contrôler. Les hommes violents ont le sentiment que c'est normal d'imposer leurs avis, le contrôle sur leurs proches. Pour changer ça, il faut évidemment mettre les moyens, la violence n'est que le symptôme de la domination qu'exerce les hommes sur leur proche
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Que dites-vous de ceux qui pensent qu'un homme qui bat une fois battra toute sa vie ?
C'est absurde, idéologiquement et scientifiquement ça revient à banaliser la violence au point de ne rien faire pour la contrer. C'est un discours d'immobilité sociale incroyable.
En revanche il n'est pas question pour autant de ne pas mettre le maximum de moyens pour aider la femme et la réconforter. Il faut qu'elle retrouve l'estime de soi, si elle veut renégocier ses rapports de couples. La violence conjugale est un problème de domination masculine qui se joue à deux. La violence a un sexe, il faut la traiter comme il se doit, avec les moyens qu'il faut. Aujourd'hui, la frilosité gouvernementale à ce propos est encore énorme.

Quelles sont les clefs pour désamorcer une violence ?
Quand il arrive dans un centre, l'homme violent a l'impression qu'il n'avait pas d'autres solutions que de frapper. Qu'il a " senti la colère monter ", à nous de lui faire verbaliser par quoi il est passé et comment il peut s'y prendre autrement qu'en frappant pour imposer son avis.

UP