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Violences à l'école:
sensibilisation, prévention, répression

Rapport du Symposium tenu à Bruxelles (Belgique), 26-28 novembre 1998
Nicole Vettenburg, rapporteuse générale

Les vues exprimées dans la présente publication sont celles des auteurs; elles ne reflètent pas nécessairement celles du Conseil de la coopération culturelle du Conseil de l'Europe ni du Secrétariat.
Toute correspondance relative à cette publication ainsi que toute demande de reproduction ou de traduction totale ou partielle doivent être adressées au Directeur de l'enseignement, de la culture et du sport du Conseil de l'Europe, F-67075 Strasbourg Cedex.
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Sommaire :

Rappel
Introduction
1. Vers une définition du concept de violence
2. Dimension du problème de la violence à l'école
3. Rapport de cause à effet et modèles explicatifs
4. Prévention et approche
5. Conclusions

Annexe I
Annexe II

Rappel

Le Comité de l'Education du Conseil de l'Europe qui regroupe des représentants des quarante-sept Etats signataires de la Convention Culturelle européenne et tant qu'observateurs d'Israël, du Canada, des Etats-Unis et du Japon, est un forum paneuropéen privilégié pour une large discussion de l'ensemble des questions relatives aux politiques éducatives.

  • Son programme d'activité comporte dans le cadre de son programme à moyen terme 1997-2000, les activités suivantes:trois projets:

- Education à la citoyenneté démocratique

- Politiques linguistiques pour une Europe multilingue et multiculturelle

- Apprendre et enseigner l'histoire de l'Europe au 20e siècle.

  • des activités de service:

  • le programme de formation continue pour le personnel éducatif

  • les réseaux liens et échanges scolaires

  • les échanges européens de lycéens

  • l'Europe à l'école.

Afin de permettre au Comité de répondre rapidement et de manière sûre à des problèmes d'actualité ou nécessitant une concertation rapide, celui-ci a mis sur pied une activité permanente "Sécurité démocratique, cohésion sociale et politiques éducatives".

Cette activité a plus précisément comme objectif:

- identifier les problèmes et défis auxquels les systèmes éducatifs ont a répondre dans le contexte de la nouvelle Europe;

- mettre en évidence les tendances, orientations et alternatives des politiques éducatives mises en oeuvre dans les Etats membres;

- contribuer à la mise en oeuvre des priorités issues du Sommet des Chefs d'Etats et de Gouvernement du Conseil de l'Europe, du Comité des Ministres ou de l'Assemblée parlementaire dans leurs aspects les plus urgents.

En 1998, première année de mise en oeuvre de cette activité, les initiatives suivantes ont été prises:

- des séminaires de diffusion des résultats du projet "Un enseignement secondaire pour l'Europe" à Vologda, Russie du 11 au 14 février 1998 et à Sofia, Bulgarie du 2 au 5 avril 1998. Les résultats de ce projet ont également été présentés lors de la Conférence nationale sur la réforme et l'avenir de l'enseignement secondaire au Portugal en juillet,

- un séminaire sur l'impact des nouvelles technologies à l'école, 16-17 novembre à Strasbourg,

- un symposium sur "Violences à l'école: sensibilisation, prévention, répression", 26-28 novembre 1998 à Bruxelles en coopération avec la Communauté flamande de Belgique.

Pour les années 1999-2000, il est prévu d'organiser:

- un symposium sur "l'Impact des nouvelles technologies à l'école – politiques et perspectives" à Riga, Lettonie, au mois de juin 1999,

- un symposium sur les "Stratégies de réformes scolaires" à Prague en octobre 1999,

- une action conjointe avec le Comité directeur pour l'égalité sur l'égalité des chances entre les sexes dans l'éducation.

Des contributions à la préparation de la 20e session de la Conférence permanente des Ministres européens de l'Education (2000, Cracovie, Pologne)

Introduction

Ce symposium s’inscrit dans le cadre du Programme du Comité de l’Education sous l’activité "Sécurité démocratique, Cohésion sociale et politiques éducatives" et la contribution de ce Comité à la mise en oeuvre du plan d’action adopté en 1997 concernant l’éducation à la citoyenneté. Il a été organisé conjointement par la Communauté flamande de Belgique et le Conseil de l'Europe.

Le symposium de Bruxelles a pour objectifs:

- faire le point de la situation en la matière dans l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe concernant notamment les formes, les causes et l’importance relative des différents aspects de la question;

- mettre en évidence les aspects communs ou différents concernant l’évaluation de la situation au sein des Etats;

- avoir un échange de vues sur les différentes actions entreprises en Europe sur la base d’une série d’études de cas;

- adopter le cas échéant une déclaration de principe sur les orientations susceptibles d’être suivies dans les Etats membres.

Le symposium a débuté par un exposé du professeur François Dubet sur la violence à l’école; les membres du panel y ont exprimé leurs réflexions en tant que représentants des parents, des autorités judiciaires, des enseignants, des médias, des élèves, du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe.

Le travail en groupes était concentré autour les trois types d’action:

- les actions entreprises au niveau d’un établissement scolaire particulier,

- les actions et les mesures prises au niveau du système éducatif dans son ensemble,

- les actions associant outre l’école et le système éducatif, d’autres acteurs sociaux ou institutions tels la justice et la police, les services sociaux, les parents, les élèves, les médias ou en d’autres termes, l’ensemble de la communauté.

Le présent rapport est basé sur des données issues des sessions plénières et des exposés rapportés par les groupes de travail, complétés par des éléments de connaissance professionnelle.

La structure de ce texte est définie comme suit:

1. vers une définition du concept de violence
2. dimension du problème de la violence à l’école
3. rapport de cause à effet et modèles explicatifs
4. prévention et approche
5. conclusions.

1. Vers une définition du concept de violence

1.1 Besoin de clarté

Donner une vision du phénomène de la 'violence à l'école' suppose l'établissement préalable d'une définition et d'une délimitation univoques du concept de 'violence'.

Ni la langue courante, ni les recherches ne manipulent une définition univoque de la violence. Cet aspect a également été fortement souligné durant les rencontres du symposium. Le dictionnaire 1 donne l'une des définitions suivantes: abus de pouvoir, application du droit du plus fort, contrainte. Il est donc question de pouvoir, dans une acception péjorative du terme. Cette signification résulte d'une interprétation. Il semble bien que la violence ne relève pas d'une catégorie objective, mais qu'elle fait plutôt l'objet d'une construction sociale variant selon l'environnement, la culture et même les personnes. Ce terme est employé dans les discussions portant sur les mauvais traitements infligés aux enfants, sur la guerre, le sport, le terrorisme, etc. et recouvre des sujets pour le moins diversifiés.

Multiplicité des accents

Cette diversité des accents se dévoile dans un synopsis rédigé par Neidhardt 2 (1986). La violence peut s'exprimer sous forme d'abus de pouvoir physiques, psychiques ou structurels, les auteurs peuvent être des personnes ou des organisations, les victimes peuvent être des personnes, des objets ou des organisations, la nature des dommages peut être d'ordre matériel, corporel ou psychologique, les conséquences peuvent faire ou ne pas faire l'objet d'une préméditation, le contexte peut être légitime ou non, etc. Cette diversité n'est pas le fruit du hasard. La sensibilité à la violence ne varie pas seulement en fonction des personnes, son interprétation varie également en fonction des groupes sociaux. Dans la culture ouvrière, les émotions sont exprimées sur un mode plus direct et physique. Le culte de la virilité y est très répandu. Un certain nombre de sous-cultures destinées aux jeunes véhiculent cette valeur et la considèrent comme normale. A l'inverse, la culture bourgeoise interprète ce genre de comportement comme violents 3.

Les conceptions relatives à la "violence" évoluent aussi dans le temps. La théorie civilisationnelle de Elias démontre qu'un glissement a eu lieu au fil du temps: la violence individuelle a diminué au profit de la violence structurelle.

L'étiquette de la "violence" est souvent employée dans un but stratégique. Dans le discours des autorités publiques, le terme 'violence' est sans cesse utilisé comme le symbole par excellence capable d'englober tout ce qui est mauvais et répréhensible. Il est associé au meurtre, à l'homicide, à la torture et à d'autres actes blâmables. Les situations conflictuelles sont l'occasion de stigmatiser la violence de l'adversaire et de présenter l'action comme une forme de légitime défense.

Carrousel du crime

Cette notion implique le danger de voir continuer à tourner le "carrousel du crime". Kutchinsky 4 entendait par là que certaines forces présentes dans la société interagissent pour donner l'impression que l'insécurité augmente. Une partie des crimes est connue de la police et de la justice et fait par conséquent l'objet de condamnations. Les médias rendent compte de ce processus en soulignant surtout les faits les plus sensationnels, si bien que se développe un climat de panique morale poussant l'opinion publique à demander de nouvelles mesures pour contrer l'insécurité. Certains responsables politiques ont tôt fait de comprendre le parti qu'ils peuvent tirer de cette situation et demandent sans relâche de nouveaux moyens pour la police et la justice. Le contrôle exercé sur les citoyens peut ainsi s'accroître. La police et la justice ont plus de chance de prendre les criminels au collet et les statistiques dévoilent l'augmentation de la délinquance. Cette courbe montante sert à son tour de justificatif à la demande de nouveaux moyens. Dans le même temps, les médias disposent d'encore plus de reportages croustillants... et le "carrousel" continue de tourner.

Délits commis ®  enregistrement par la police, condamnations ® rapport et dramatisation dans les media ® peur du crime dans le public  ® plus de police, plus de contrôle ® fermeté électoraliste des politiciens  ® Délits commis

La meilleure manière de briser ce mécanisme consiste à fournir des informations à la fois objectives et exactes concernant la violence.

Comparaison des résultats des recherches

Des études internationales démontrent que les recherches effectuées utilisent le terme de 'violence' dans des acceptions parfois très divergentes. Les éclairages divergent en fonction du pays et de la langue, ainsi que les termes approchants comme chahuter, agression, intimidation, comportement antisocial. En conséquence, il devient plus malaisé de briser le carrousel de la violence qui vient d'être décrit. Quant aux résultats de la recherche menée au niveau européen, ils ne peuvent qu'être difficilement comparés, lorsqu'ils le peuvent.

Il nous faut donc commencer par définir et rendre opérationnelle la notion de "violence".

1.2. Vers une définition de travail

En 1978, Galtung 5 a donné une définition très large de la violence, à savoir "c'est ce qui fait obstacle à l'épanouissement humain et ce qui est évitable". Une formulation aussi large transforme la violence en notion commune à tout ce qui a un caractère nuisible. De manière assez paradoxale, cette notion est à ce point large qu'elle ne recouvre plus qu'un concept vide de sens.

Neidhardt 6 propose de n'utiliser le terme violence que pour l'abus de pouvoir physique. Il vaut mieux utiliser d'autres termes pour les autres actes immoraux. Les personnes qui ont pris part au symposium ne se sont pas ralliées à cette acception du terme. Selon les participants, la violence s'applique à l'abus de pouvoir tant psychique que structurel.

Un groupe de travail a défini la violence comme "tout ce qui est inacceptable". Mais la question soulevée par cette définition est la suivante: pour qui est-elle inacceptable? Pour la victime, pour le coupable ou pour la société? Il a été proposé de se placer dans la perspective de la victime. En d'autres termes, il s'agit bien de violence parce que la victime la vit comme quelque chose qu'elle ne désire pas et parce qu'elle sent que cela lui nuit.

Mais, dans ce cas, que faut-il penser des actes "involontaires" causant des dommages chez la victime? La violence n'est-elle pas, par définition, intentionnelle?

Finalement, le groupe de travail est parvenu à la conclusion suivante: la violence est un acte visant à nuire volontairement aux autres.

Cette définition n'a satisfait aucun membre du groupe de travail. Le besoin d'une définition à la fois claire et uniforme subsistait.

Certains membres ont fait savoir qu'ils vivaient les discussions concernant la clarification de la notion de "violence" comme une expérience sensée et judicieuse.

Il a également été noté qu'il était essentiel que les écoles parviennent à un consensus avec les différents acteurs (y compris les élèves) concernant ce que la communauté scolaire considère comme des actes de violence inacceptables. Aucune politique de prévention ne peut être développée au niveau des écoles sans que le problème ait été clairement délimité.

Vu la difficulté de définir précisément la notion "violence" la littérature de ces dernières années, propose d'utiliser le terme comportement antisocial comme dénominateur commun d'un certain nombre de comportements violents, comme le chahut, l'intimidation sexuelle et la violence.

Dans ces comportements, la différence de force entre le coupable et la victime est utilisée pour réaliser les objectifs du coupable contre le désir de la victime.

Si l'on s'en tient à cette définition, le comportement antisocial devient alors "toute situation débordant les limites d'une discussion ou d'une confrontation d'opinions" et engendre une confrontation verbale ou physique entre élèves, professeur(s) et élève(s), professeur(s) et parents et même entre professeurs. Cette définition reprend par ailleurs le vol et la dégradation prémédités de la propriété personnelle, de matériel scolaire ou d'infrastructures scolaires" (définition de Melero).

Les enquêtes récentes sur la violence à l'école utilisent également cette interprétation élargie.

Deux exemples:

  • Hurrelmann 7 écrit dans son rapport destiné à la Commission contre la violence: "La violence à l'école recouvre la totalité du spectre des activités et des actions qui entraînent la souffrance ou des dommages physiques ou psychiques chez des personnes qui sont actives dans ou autour de l'école, ou qui visent à endommager des objets à l'école."

  • Martin 8 définit la violence à l'école comme suit: "La violence dans les écoles est présente dans toute situation où un membre de la communauté scolaire (professeur, étudiant, membre du personnel éducatif, parent ou visiteur) fait l'objet d'intimidations, de menaces ou d'une agression, ou lorsque ses biens personnels sont délibérément endommagés par un autre membre de cette communauté ou le public dans des circonstances découlant de ses activités dans une école."

Grâce au large consensus qui s'est développé durant le symposium ainsi qu'à l'évolution de la littérature, il apparaît évident qu'il nous faut utiliser une définition tout aussi large de la violence. Toutefois, et afin de reprendre les risques cités plus haut, à savoir le lien avec le carrousel du crime et la comparabilité des résultats des enquêtes, nous proposons, dans le cadre de cette acception élargie, de différencier les formes de comportements antisociaux suivantes:

  1. violence physique ou menace à l'encontre de personnes (notamment: les coups et blessures, agressions, bagarres);

  2. autres formes de comportements délinquants (notamment: le vol, le vandalisme, la consommation de drogues);

  3. délits liés au statut (notamment: école buissonnière, visite dans des cafés et dancings, fuite);

  4. comportements en dehors de la norme et liés à l'école (chahut délibéré, retards, quitter la leçon avant l'heure normale, fumer dans l'école, en d'autres termes: le non respect du règlement de l'école 9).

Les deux premières formes sont à ranger dans la catégorie de la criminalité, c'est-à-dire dans celle des comportements juridiquement répréhensibles. La violence physique (ou la menace de violence physique) est considérée comme une catégorie séparée du fait de son impact accru sur le sentiment d'insécurité (important pour l'opinion publique, mais aussi pour la position du professeur dans la classe et dans l'école). Les délits liés au statut de jeunes sont considérés comme des comportements annonçant la délinquance et prennent tout leur sens en cas de transition vers des actes criminels par des comportements en dehors de la norme adoptée à l'école.

2. Dimension du problème de la violence à l'école

2.1. Dimension

L'inexistence d'une définition et d'une mise en œuvre univoques du concept de violence engendre une absence de chiffres qui permettrait de brosser un tableau de la situation. Il n'est donc pas possible, sur la base des chiffres disponibles dans les divers pays, de donner le nombre d'élèves et de professeurs victimes chaque année de violences. Le nombre sera notamment fonction de la définition et de la mise en œuvre des notions utilisées (notamment la violence dans un sens strict ou élargi, des thèmes proches ou partiels comme le chahut, l'intimidation), des méthodes d'enquêtes utilisées (listes de questions, interviews, observations, enregistrements), de la population sondée (élèves, enseignants, parents, personnel d'encadrement), de la période de réaction (notamment la période que la question entend couvrir), etc.

Tout en tenant compte de ces limitations, les interventions qui ont eu lieu durant le symposium et les chiffres publiés dans les différents pays font état d'une quantité relativement élevée de chahuts et de violence de la part des élèves.

Certaines données tirées de notre propre enquête sont à même d'en donner une image un tant soit peu plus concrète.

Notre enquête réalisée auprès de 1689 élèves de l'enseignement professionnel a démontré que 49% des élèves dérangent intentionnellement les cours; 22% brossent; 14% se rendent coupables de vandalisme, tandis qu'un pourcentage équivalent prend part à des bagarres; 6% volent des objets à l'école 10.

Ces données nous apprennent que, pour un grand nombre d'élèves, "la dernière année" n'a pas été sans problèmes de comportements. La question qui se pose est de savoir si ces chiffres sont préoccupants ou non. En fait, nous ne disposons pas de critères clairs pour pouvoir en juger.

Je voudrais revenir un instant sur la définition de la "délinquance juvénile". La criminologie distingue deux types de délinquance juvénile: la délinquance juvénile normale et la délinquance juvénile persistante.

La délinquance normale est un comportement présent chez presque tous les jeunes. Dans le groupe d'âge des 12 à 18 ans, 70 à 90% des jeunes commettent annuellement au moins une action répréhensible. Les enquêtes réaliséesaussi bien en Flandres qu'au niveau international le prouvent 11. La situation est donc normale du point de vue statistique. Mais il y a plus. Du point de vue de la psychologie du développement, il est tout aussi normal que les jeunes adoptent un comportement à problèmes. C'est à cet âge que les jeunes se détachent du foyer, qu'ils commencent à voler de leurs propres ailes, qu'ils se mettent à la recherche de leur place dans la société, ils s'essaient à toutes sortes de rôles et vont parfois trop loin. Ils dépassent la mesure, ils "cassent" la norme. Ce n'est qu'alors qu'il peut être question de comportement délinquant. Les criminologues recommandent de ne pas réagir par la répression à cette sorte de comportement, car une telle attitude risquerait de rompre le lien un tant soit peu positif avec la société et accroîtrait les risques de voir s'éterniser ce genre de comportement. Chez la plupart des jeunes, ce genre de problèmes comportementaux "normaux" prend fin vers l'âge de 17 ou 18 ans. Il se poursuit toutefois, tout en s'aggravant, chez un groupe limité. C'est dans un tel cas qu'il faut parler de délinquance persistante. Il est justifié de s'inquiéter de ce genre de comportement. La question est de savoir comment déceler, dans l'enseignement secondaire, les jeunes chez lesquels le comportement délinquant persistera après l'âge de 18 ans. Selon les enquêtes, il s'avère que lorsque les problèmes comportementaux se font de plus en plus fréquents et s'aggravent entre 12 et 18 ans, il y a risque accru de les voir persister après l'âge de 18 ans.

2.2. Evolution

La violence à l'école augmente-t-elle?

La réponse est on ne peut plus simple: nous n'en savons rien. La recherche concernant la gravité de la violence ne s'est développée qu'il y a quelques années. Nous ne disposons pas de données relatives au passé qui nous permettraient de dégager une évolution.

Mais le matériel limité dont nous disposons ne montre pas une augmentation de la criminalité chez les jeunes.

Il existe deux sources d'informations permettant de se faire une idée de la criminalité juvénile: la délinquance autorévélée et la délinquance enregistrée.

1. La délinquance enregistrée. Depuis 1980, selon les chiffres officiels, la délinquance juvénile serait en baisse en Europe. Il se peut que cette diminution en chiffres absolus résulte de la baisse de la natalité. Nous avons observé l'évolution du nombre de jeunes enregistrés auprès des autorités judiciaires en Flandres durant la période 1982-1992, au niveau des parquets et des tribunaux de la jeunesse, en la comparant au chiffre de la population (âgée de moins de 18 ans) en Région flamande.

Nous avons constaté que le nombre de mineurs signalé au parquet baisse légèrement (au total et pour les délits); le nombre de crimes commis par des mineurs d'âge déférés devant le tribunal de la jeunesse est quasi inchangé. En d'autres termes, nous pouvons affirmer que les chiffres indiquent une légère diminution et correspondent donc aux résultats obtenus au niveau européen.

2. La délinquance autorévélée. L'enquête qui s'est penchée sur ce sujet a permis de parvenir à la constatation que la criminalité cachée est très importante et demeure presque constante dans le temps. Une enquête plus récente, le projet international sur la délinquance autorévélée (ISRD-project 12), nous apprend que pratiquement tous les jeunes âgés de 12 à 18 ans commettent au moins une fois par an un acte de nature à les faire passer devant le juge pour enfants.

En conclusion, nous pouvons affirmer que le comportement délinquant chez les jeunes évolue très peu avec le temps et que, à cet âge, la violence est une composante pour ainsi dire immuable du comportement. Cette affirmation laisse supposer que l'inquiétude existant dans la société à propos de la violence juvénile s'appuie plutôt sur une image intuitive que sur une connaissance avérée des faits.

Par ailleurs, on observe au sein de la société une série d'évolutions qui rendent plausible la thèse selon laquelle la population scolaire devient plus difficile à encadrer (ménages à parent unique, manque de perspectives sociales, etc.) et que les enseignants disposent de possibilités insuffisantes (alourdissement de la charge causé par l'évolution technologique, l'internationalisation, les limitations de la formation, le climat de panique morale accru, etc.).

Seules des données objectives concernant la nature et l'amplitude de la violence des élèves pourront faire la lumière sur ce phénomène.

Quoi qu'il en soit, les témoignages des personnes qui ont participé au symposium laissent à penser que les plaintes causées par des comportements à problèmes augmentent. Les élèves seraient de moins en moins motivés, ils causeraient des problèmes d'ordre disciplinaire, ils sèchent les cours, ils chahutent et deviennent de plus en plus violents. Cette situation suscite l'inquiétude de tous ceux qui sont concernés par l'enseignement, des préoccupations qui se répercutent dans l'opinion publique.

Cette situation n'est pas sans conséquences, ni pour les élèves, ni pour les enseignants, et doit donc être prise au sérieux. Les enseignants qui ne se sentent pas en sécurité devant la classe risquent de se démotiver et s'investiront moins dans leur tâche. Cette mise à mal de la motivation des enseignants peut se traduire par une détérioration de leur prestation, mais aussi de leur comportement vis-à-vis des élèves. Ce comportement, qui révèle certains griefs, peut trouver son origine dans une augmentation bien réelle de la violence dont les élèves se rendent coupables, mais aussi dans une aggravation du sentiment d'insécurité ressenti par les enseignants. Il faut s'attendre à ce que ces deux phénomènes soient liés. L'enquête criminologique nous a pourtant appris que, dans une large mesure, le sentiment d'insécurité n'est pas fonction du risque réel de devenir une victime. Une approche efficace nécessite donc aussi une prise en compte du lien entre le sentiment d'insécurité des enseignants et la violence réelle des élèves 13.

3. Rapport de cause à effet et modèles explicatifs

3.1. Causes

Une perception insuffisante des facteurs considérés comme importants dans les différentes recherches explique la violence dans les écoles:

- Caractéristiques familiales:

Les différents aspects relatifs au foyer parental qui peuvent expliquer la violence à l'école sont les suivants: perturbation des relations au sein du foyer (manque de chaleur), les déchirements entre parents, la séparation des parents, le fait d'être l'unique enfant, la pauvreté et les privations, un logement trop exigu, une éducation aléatoire, agressive, extrême, trop ou insuffisamment sévère de la part des parents, le manque de contrôle, le fait que les deux parents travaillent ou qu'un des deux parents doive supporter seul l'éducation des enfants, etc.

Il semble par ailleurs que le fait d'habiter dans un logement agréable ait un effet positif sur le vandalisme.

- Caractéristiques concernant les élèves:

Les facteurs liés à la violence à l'école sont les suivants: l'âge, le sexe, les comportements problématiques dans le passé, l'appartenance à un groupe ethnique, une formation suivie, un emploi scolaire, les capacités intellectuelles, la stabilité émotionnelle, un sentiment de valorisation, le désir d'obtenir de bons résultats scolaires, le lien social avec les autres.

- Caractéristiques concernant les professeurs:

La violence à l'école dépend des facteurs suivants: le comportement global du professeur à l'égard des élèves (respect à l'égard des élèves, entretien d'un dialogue avec les élèves, etc.), les mesures prises par les professeurs pour contrer et punir la violence.

- Caractéristiques concernant l'école:

Les facteurs en relation avec la violence à l'école sont les suivants: le climat régnant dans l'école, la taille de l'école, le type d'enseignement donné, l'attention spécifique pour l'accompagnement des élèves, la composition multiculturelle, les organes de participation;

- Caractéristique concernant l'environnement:

Nous pouvons citer ici les caractéristiques du quartier (à savoir les quartiers abritant des habitants de classes sociales moins favorisées, où la criminalité est plus développée) et l'urbanisation (quartiers laissés "à l'abandon", la périphérie).

- Media:

On se réfère ici notamment à l'influence de la violence à la télévision et dans les films, ainsi qu'à l'appétit démesuré pour les faits sensationnels (voir ci-dessus).

- Développements sociaux au sens large :

Les évolutions de la société qui engendrent une augmentation de l'exclusion sociale, la crise des valeurs et des normes morales, etc.

3.2 Vers une explication

Durant le symposium, un large consensus s'est développé autour de la nécessité de s'attaquer aux racines et non aux symptômes de la violence à l'école.

La complexité du problème de la violence à l'école nous oblige à prendre en compte plusieurs facteurs explicatifs. Ces dernières années ont vu une augmentation exponentielle du nombre de tentatives visant à réunir différents modèles explicatifs en un tout cohérent, les "théories d'intégration", comme on les appelle. Une tentative

d'intégration de diverses variables macrosociologiques, relationnelles et psychologiques a été entreprise dans la formulation de la théorie de la vulnérabilité sociétale 14.

Une personne (ou une couche de la population) est en situation de vulnérabilité sociétale lorsqu'elle se trouve, de manière répétée, confrontée aux aspects négatifs des institutions sociales (notamment l'école, le marché du travail, la justice, etc.) avec lesquelles elle est en contact, et qu'elle profite donc moins de l'offre positive de ces institutions.

Le noyau de la théorie repose sur l'affirmation selon laquelle une accumulation d'expériences négatives avec les institutions sociales (surtout l'école) engendre des mécanismes socio-psychologiques et des caractéristiques psychologiques spécifiques qui peuvent faire le lit d'une délinquance plus intensive. Le caractère systématique de ces expériences négatives ressenties par des couches bien précises de la population ne peut se comprendre qu'à la lumière d'un contexte macrosociologique.

Liens sociaux et expériences scolaires

Le point de départ de la théorie s'appuie sur une version adaptée de la théorie des liens sociaux, elle-même adaptée à la vie scolaire.

Dans la théorie de la vulnérabilité sociétale, la mise sur pied d'un lien est considérée comme une interaction entre deux pôles: l'institution sociale et le jeune. Si le lien ne se développe pas ou pas assez, un problème peut survenir des deux côtés ou dans la collaboration qui les unit. Le problème ne se pose donc pas uniquement du côté du jeune, il se peut que l'offre de lien de la part de la société pose elle aussi problème.

L'école est un des principaux lieux permettant le développement de liens sociaux. Le schéma ci-dessous se propose d'illustrer ce qui se passe dans une situation normale.

(1) Un enfant qui se sent accepté par l'enseignant aura tendance à s'attacher à cet enseignant et recevra une certaine affection en retour. En d'autres termes, nous pouvons affirmer qu'une relation personnelle se fait jour entre ces deux acteurs.

(2) Afin de conserver ou d'améliorer cette relation, l'élève s'emploiera à ses tâches scolaires (notamment en apprenant ses leçons et en faisant ses devoirs, en faisant attention en classe, en étant en ordre à tout point de vue, etc.), un comportement qui aura une influence positive sur ses résultats. Ainsi, l'élève acquerra un statut plus élevé dans la classe et dans l'école (il appartiendra aux meilleurs, à ceux qui pourront s'engager dans des voies difficiles).

(3) Pour ne pas perdre cette relation positive et ce statut acquis, l'élève acceptera la discipline imposée par l'établissement scolaire qu'il fréquente; le lien personnel et le statut social agiront comme un frein sur les comportements qui ne sont pas conformes à la norme.

Dans cette situation-ci, les liens avec la société sont fondamentalement présents.

Les jeunes issus de strates sociales moins favorisées doivent combler un écart beaucoup plus important entre ce qu'ils apprennent à la maison et ce qu'ils apprennent à l'école que ceux issus de milieux économiquement privilégiés. Ces élèves sont moins familiarisés avec les pensées et les raisonnements plus abstraits, les règles de comportements informelles, l'usage de la langue. Ces élèves, moins acceptés par les enseignants, éprouveront plus de difficultés à développer une relation personnelle avec eux.

Le schéma ci dessous se propose d'expliciter ce qui risque de leur arriver.

(1) Les difficultés de ces élèves ne se limitent pas à la mise en place d'une relation personnelle avec l'enseignant. La plupart du temps, ce dernier tendra à stigmatiser leur "bêtise" et leur "indiscipline".

(2) Ces élèves auront donc moins de motivation pour s'astreindre aux tâches et activités scolaires et, au fil du temps, s'engageront de moins en moins que leurs camarades du même âge dans les activités scolaires. Graduellement, ces élèves deviendront conscients de leur échec et développeront une image négative d'eux-mêmes.

(3) Les élèves qui ne sont pas parvenus à développer une relation personnelle avec leur enseignant, les élèves stigmatisés, qui ont développé une image négative d'eux-mêmes, auront d'autant moins à perdre en ne respectant pas la discipline imposée par leur établissement scolaire.

Une image de soi défavorable, une image de "perdant", exige des mécanismes psychologiques pour être assimilée. C'est tout naturellement vers des camarades du même âge et qui traversent la même expérience négative que se tourneront les élèves qui se trouvent dans cette situation. Dans un tel groupe, l'aspect social sera ressenti comme un élément sans aucune valeur, et c'est précisément la provocation de ce processus qui générera une certaine estime de soi. Un sentiment d'estime de soi alternatif naîtra. Les compétences requises pour commettre des délits seront apprises avec les pairs. Le risque de voir ces élèves appartenir un jour au groupe des délinquants persistants est considérable.

Contexte social

La vulnérabilité sociétale systématique dont sont victimes certaines couches de la population ne peut se comprendre qu'à la lumière du contexte social.

La société propose à ses citoyens une offre importante en matière d'éducation et de formation, en matière d'assistance et d'aide, de sécurité, de bien-être matériel, de prestige social. Les membres de la société ont à leur disposition une structure de services leur permettant d'améliorer leurs conditions et leur qualité de vie et d'accroître leur autonomie. Pour pouvoir profiter de cette offre, les citoyens doivent se soumettre à un certain nombre de normes et de règles. Les conditions d'adaptation constituent une source de contrôle. Les systèmes de contrôle social veillent au respect de la conformité et l'imposent par la force si nécessaire.

Ces deux dimensions, l'offre et le contrôle, déterminent la manière dont les citoyens sont amenés à se conformer aux exigences sociales. En principe, un certain équilibre existe entre ces deux dimensions. Les personnes et/ou les groupes de personnes qui peuvent jouir de cette offre de manière raisonnable seront prêts à subir une certaine 'quantité' de contrôle.

Certains groupes sont confrontés à un contrôle, une discrimination et à des sanctions fortes, sans pouvoir profiter raisonnablement de l'offre. Dans un tel cas de figure, les individus ou les groupes n'ont aucune raison de se plier volontairement à la conformité. C'est précisément ce groupe qui, selon nous, est socialement vulnérable.

Dans leurs contacts avec les institutions sociales, ces personnes ne bénéficient que très peu des avantages que ces institutions ont à leur proposer. Elles ne reçoivent qu'une quantité relativement peu importante d'information, de formation, d'assistance et de respect que la société offre à ses citoyens. Au contraire, elles risquent, à chacun de leurs contacts, d'être confrontées aux aspects de contrôle, de sanction et de discrimination des institutions sociales. Cette situation est engendrée par leur retard socio-économique mais aussi et surtout par l'impuissance de la culture qui en découle.

La théorie de la vulnérabilité sociétale s'attache à démontrer qu'il existe des disparités culturelles entre les différentes strates de la population. Nous pourrions décrire la vulnérabilité sociétale comme l'envers de la culture dominante. Le caractère désavantageux de la position socio-économique n'intervient dans le déclenchement de la délinquance que s'il est accompagné de conséquences socioculturelles et psychologiques.

La vulnérabilité sociétale met en évidence le rôle du contexte social et du fonctionnement des institutions sociales elles-mêmes dans la genèse du problème. Il ne s'agit pas de culpabiliser naïvement la société mais bien d'une conception qui place l'interaction à la base du comportement humain, une vision qui suppose une causalité circulaire. Les enquêtes consacrées à la délinquance juvénile reconnaissent donc la délinquance des jeunes comme un problème qui se pose à la société, mais cherchent les causes de cette délinquance dans un cercle vicieux qui agit au sein de l'interaction entre, d'une part, les jeunes, leurs foyers et leurs compagnons d'infortune et, d'autre part, les institutions sociales.

 

Deux approches supplémentaires criminologiques relevantes:

1. La recherche en criminologie, effectuée au sein du courant dénommé "fear of crime" démontre que les sentiments d'insécurité se développent pour une bonne part sans que n'augmente le risque réel d'être victime d'une agression quelconque. Pourtant, en pratique, les sentiments d'insécurité sont souvent réduits à un problème de criminalité, à savoir la crainte d'être victime d'un délit. Ce phénomène laisse donc le voile sur une partie du problème et l'approche proposée ne permet pas de le résoudre. Un nombre croissant de données tend à prouver que les sentiments d'insécurité cristallisent des sentiments plus larges de malaise engendrés par les incertitudes régnant au sein de notre société (notamment en matière d'emploi et de santé).

2. Dans une approche plus écologique, l'école est considérée comme un lieu où le risque de comportements à problèmes chez les jeunes est accru. La concentration de jeunes augmente les chances de voir surgir des comportements à problèmes: les victimes potentielles sont en nombre plus élevé, tout comme les objets qui peuvent être endommagés ou volés sans que personne ne s'en sente directement responsable. De même, les objets privés, souvent laissés sans surveillance (cartables, vestes avec portefeuilles, etc.) sont également plus nombreux. Les jeunes sont confrontés à des règles scolaires qui peuvent être violées; le respect de ces règles - souvent dénuées de sens à leurs yeux - est rendu difficile du fait de leur âge. Ils vivent l'expérience des inégalités tenant à l'origine sociale, au type d'enseignement, au niveau des résultats, etc.; ils font l'expérience de la discrimination engendrée par cette inégalité, etc.

4. Prévention et approche

Le dicton "mieux vaut prévenir que guérir" jouit d'une immense popularité. De même, toutes les personnes concernées par la violence à l'école s'accordent à dire que la prévention doit recevoir une attention prioritaire. Pourtant, la concrétisation de ces bonnes intentions pose problème. Tout comme la 'violence', la 'prévention' est un terme lourdement connoté qui demande donc une description et une délimitation claires.

4.1. Définition de la prévention

La "prévention générale" ne se définit pas seulement par sa volonté d'empêcher, à temps, que se produisent les comportements à problèmes, elle implique également la stimulation d'un développement optimal 15. Ce second élément revêt une importance fondamentale dans une vision de l'enseignement visant à l'émancipation des élèves et au développement d'un comportement pro-social.

Habituellement le terme de "prévention" désigne une action déterminée, plus précisément une initiative, visant à éviter que ne se produise une situation ou un comportement déterminé, considéré comme désagréable. Dans le champ de la criminologie, la prévention renvoie à l'objet de la prévention. Dans une acception étriquée du terme, il s'agit de comportements pouvant faire l'objet de poursuites judiciaires; au sens large, il s'agit de comportements et/ou de situations dont on pense qu'elles pourraient déboucher sur des comportements pouvant faire l'objet de poursuites. La prévention telle qu'on l'entend en criminologie s'applique donc bien au phénomène de la violence dans les écoles.

4.2. Types de prévention

Les conceptions en matière de prévention ont évolué avec les tendances qui ont animé la criminologie, et sont passée de la prévention punitive, se basant sur une approche scientifique du comportement, à une approche plus sociale.

Ces évolutions ont finalement engendré les quatre prototypes de la prévention 16.

La prévention de situation tente de raréfier les situations présentant des risques en faisant surtout appel aux moyens technologiques de protection et d'observation. Il est supposé que la possibilité de commettre un acte de délinquance engendre la délinquance.

La prévention punitive a pour objectif de dissuader les personnes qui envisagent de commettre un délit en leur faisant peur, soit que les chances de se faire prendre soient accrues, soit que les peines aient été augmentées. Le présupposé est que le candidat-délinquant effectuera une analyse rationnelle en termes de pertes et profits et que la menace d'une peine alourdira la colonne des pertes.

La prévention de traitement vise à influer à temps sur les personnes et leur environnement direct, leur famille le plus souvent, afin de redresser leur évolution psychosociale négative. Selon cet angle d'approche, la délinquance plonge ses racines dans les dysfonctionnements individuels et familiaux.

La prévention sociale s'attaque moins au problème de la délinquance au sens étriqué du terme, mais plutôt aux circonstances sociales dans lesquelles vivent les groupes à risques. L'idée sous-tendue par cette théorie veut que la criminalité trouve son origine dans les conditions de vie auxquelles sont confrontés ces groupes.

Les deux premiers prototypes font principalement appel au 'pouvoir' qui s'exprime par le biais de la menace répressive. L'individu est forcé de s'adapter à l'ordre existant, sous peine d'exclusion. Il n'y est tenu aucun compte des causes ou explications possibles de l'inadaptation de l'individu, de son environnement ou du fonctionnement social en tant que tel. La prévention situationnelle fonctionne elle aussi par la grâce du pouvoir. D'ailleurs, le risque d'être observé par une caméra vidéo en cas de vol, par exemple, ne constitue un risque réel que pour autant que la conséquence de la découverte puisse faire l'objet d'un renvoi vers l'appareil judiciaire.

Dans la prévention clinique et axée sur le social, le délit est considéré comme la résultante d'une problématique causée par la relation complexe existant entre l'individu et la société. Cette approche tente d'y remédier tant que faire se peut. Suivant les courants étiologiques classiques, la prévention s'attaquera aux problèmes individuels, tandis que suivant des courants plus critiques, elle tentera de transformer également certains phénomènes sociaux.

Les méthodologies utilisées dans ces quatre modèles divergent fortement. Dans les trois premiers types de prévention, l'objet et les techniques utilisés sont mieux connus et délimités. Le sujet de l'action est une situation à risques déterminée ou certains groupes à risques; s'agissant de la technique, il convient de placer un instrument de sécurité, d'établir un quantum de la peine, de recommander un programme thérapeutique. La prévention sociale, quant à elle, considère que l'objet des 'problèmes sociaux' est de nature plus vague et plus large. Elle utilise des techniques telles que les stratégies de transformation, la mise en œuvre de projets, les stratégies de concertation, etc. mais n'en est qu'aux balbutiements.

L'analyse des résultats des différents courants ne dégage ni vainqueurs ni vaincus. Les chercheurs prennent de plus en plus conscience que chaque approche offre des opportunités et des limitations qui leur sont propres.

Ces dernières années, il est de plus en plus souvent question de prévention "intégrée". Cette expression désigne un effort de prévention plus global, fourni simultanément par divers acteurs dont les actions sont coordonnées, en prise sur différents aspects de la vie sociale; un effort visant à prévenir l'insécurité et le sentiment d'insécurité. Nous pouvons parler, dans le meilleur des cas, d'une sorte de synthèse des quatre courants mentionnés plus haut; le problème n'étant plus de savoir lequel de ces courants présente les meilleures chances de succès, mais comment faire fonctionner ces quatre approches de manière complémentaire.

Cette conception de "l'intégration" de la prévention entraîne toutefois un élargissement considérable de cette notion. Toute action peut être préventive: les programmes pour l'intégration des défavorisés, une politique du logement constructive, la rénovation urbaine, les patrouilles de police, la formation de professeurs, une intervention en temps utiles pour les "cas à problèmes" ou la création de crèches. La notion est à ce point large qu'elle se vide du sens qu'on désire lui donner. Mais ce genre d'initiatives n'est pourtant pas dénué d'intérêt pour la prévention. Il devient grand temps de mettre de l'ordre dans un champ devenu trop large. C'est là l'unique moyen de préciser chaque action préventive, de clarifier les liens qui l'unissent aux autres initiatives et de mettre en lumière ses avantages et ses éventuels inconvénients.

4.3. Stratégies préventives

Description

Afin de dresser la carte de tout le champ d'action de la prévention, F. De Cauter distingue trois dimensions fondamentales: (1) le moment où se pose le problème, (2) le groupe ou l'instance vers lequel est axé l'action et (3) l'accent et le contenu de l'action

1. La première dimension donne une indication du moment auquel on intervient dans la problématique. Il est possible d'intervenir avant, pendant ou après la manifestation d'un problème.

Agir avant que le problème ne se manifeste revient à agir dans le cadre d'un plan général; de l'autre côté de ligne du temps, la problématique atteint son plein développement ou échappe à tout contrôle, et il faut alors agir dans le secteur curatif. Nous devons nous mouvoir, entre ces deux pôles, sur le terrain de la prévention générale.

Les initiatives prises pendant une phase précoce de la problématique s'adressent à des groupes-cibles aussi larges que possible ou à la totalité de la population scolaire. A mesure que l'on avance sur la ligne du temps, la thématique et le groupe-cible deviennent toujours plus spécifiques. Par exemple, une action préventive contre la consommation de drogues, proposée avant que le problème ne se pose, s'adressera à tous les jeunes et à leur résistance morale; plus tard, il faudra s'adresser aux jeunes en état de dépendance et traiter cette accoutumance.

Nous retrouvons cette ligne du temps dans les exemples de plans d’action :

- optimalisation du fonctionnement social et cognitif de tous les élèves à l'école (prévention primaire)

- accompagnement des élèves à risques (prévention secondaire)

- action en cas de comportement violent de la part d'élèves (prévention tertiaire)

2. Une deuxième dimension s'attache à définir l’axe de l'intervention préventive générale: il est possible de tendre vers une transformation de la personne même (prévention axée sur la personne) ou du cadre structurel dans lequel elle évolue (prévention axée sur la structure). Les campagnes d'informations concernant le racisme sont un exemple de prévention axée sur la personne: grâce à l'information, on tente de provoquer des transformations internes chez les élèves.

La prévention axée sur la structure tente de provoquer des changements au niveau des services ou des organisations. Par exemple, le comportement à problèmes qu'adoptent certains jeunes trouve aussi son origine dans le comportement des enseignants; via une post-formation, il est possible de mettre en œuvre un changement d'attitude de la part des enseignants.

Au niveau politique, cela peut résulter d'un décret sur les droits et devoirs des élèves et d'un code de comportement.

3. Une troisième dimension cherche à définir le caractère de l'intervention: un problème peut être évité en limitant les possibilités de comportement (défensif), ou en traçant de nouvelles voies (offensif).

Une action défensive part d'une disposition défensive, qui vise à prévenir la menace d'un problème, principalement par réflexe de protection et de contrôle. On pourra par exemple influencer le comportement des jeunes fumeurs en insistant sur les dangers de la cigarette, en lançant des campagnes d'information montrant les poumons noircis et toutes les maladies que peut causer le tabac.

Dans le cadre d'une approche offensive, il est question de donner au groupe cible des possibilités accrues de lutter contre le danger et de travailler à son bien-être en suscitant une stimulation et en créant un certain espace. On pourra par exemple montrer des jeunes sportifs, en pleine santé, qui ont de plus beaucoup de succès auprès du sexe opposé et qui s'amusent énormément. Ces jeunes n'ont pas besoin du tabac pour trouver leur bonheur.

La stimulation d'un comportement pro-social peut être considérée comme une stratégie offensive.

Le schéma suivant met en image ces trois dimensions:

Source: DE CAUTER, F. (1990), Methodiek van de preventieve projectwerking, (Une méthodologie pour le développement de projets dans la prévention générale), Onderzoeksgroep Jeugdcriminologie, Leuven.

Il est évident qu'au fur et à mesure qu'un problème menace de plus en plus de déraper, le besoin d'avoir recours à une stratégie axée sur la personne ou à une stratégie défensive ira croissant.

Le terme prévention peut donc recouvrir des concepts pour le moins divers. De plus, nulle modalité de prévention ne peut être exclue, que ce soit par principe ou parce que la situation l'impose. Toute société a besoin d'un bon système de contrôle préventif pour venir à bout des transgressions de la norme et d'autres types de problèmes. N'oublions pas, cependant, qu'un contrôle tout court, qui s'abstient de proposer des liens sociaux, provoque l'émergence d'une société totalitaire. Tant les services d'aide que l'éducation et la société en général doivent rechercher l'équilibre entre, d'une part, une offre de chances de bien-être et un souci du bien-être et, d'autre part, un contrôle et un système de sanctions 17.

Une stratégie préventive adéquate part d'une vision basée sur la prévention radicale, qui prend littéralement le problème à la racine. La prévention radicale doit donc ambitionner d'agir sur la politique en tant que telle, elle doit être axée sur la structure et, surtout, adopter un mode offensif.

Cette option participe d'un choix pour une société démocratique. Ce qui signifie ni plus ni moins que nous voulons tendre vers une société dont les membres sont aussi autonomes et solidaires que possible. Une stratégie trop défensive limitera la marche vers l'autonomie du groupe-cible et trahira un manque de solidarité de la part de des personnes chargées des aspects organisationnels de la prévention défensive.

La prévention offensive a par conséquent besoin d'une stratégie sérieuse, visant à accroître les chances d'épanouissement des jeunes dans une société qui désire atteindre cette émancipation.

Dans cette optique, l'école est l'institution toute trouvée pour mettre sur pied la prévention.

Application des stratégies préventives

Les discussions qui ont eu lieu au sein des différents groupes de travail du symposium ont toutes été illustrées par des exemples inspirés de la pratique. Notamment :

- violence scolaire et médiation : l’expérience du cycle d’orientation de Pérolles-Fribourg (Suisse) ;

- expérience dans une école secondaire à Ljubljana (Slovénie);

- gérer le problème des brimades dont sont victimes des filles (Norvège)

- stratégie du nord-est du Lincolnshire pour relever le niveau (Royaume-Uni) ;

- académie de Lille: le dispositif de prévention et du lutte contre la violence en milieu scolaire (France);

- intervention prioritaire dans le district scolaire d’Alfornelos Amadora (Portugal).

Si nous analysons ces exemples selon les trois dimensions que nous avons distinguées dans la prévention générale, nous constatons que:

1. la prévention des problèmes (prévention primaire) est beaucoup plus prisée que la répression et la remédiation.

Plusieurs actions ont été tentées en cas de problème concret, mais l'approche a été fortement élargie. On tente dans le même temps d'améliorer la situation afin que les actes de violence soient empêchés par les autres élèves.

A cette fin, les moyens suivants sont notamment utilisés:

- participation accrue des élèves (Suisse)

- amélioration de la culture scolaire (Norvège)

- augmentation du nombre de stratégies d'éducation dès le plus jeune âge (Royaume-Uni)

- amélioration du fonctionnement général de l'école

2. que l'on tente en général de transformer la structure.

La plupart des projets tentent d'effectuer des transformations au niveau structurel.

Quelques exemples:

- réseau d'aide aux personnel d'encadrement (RAPE-Suisse)

- formation des enseignants (Portugal)

- introduction de caméras et de surveillants (Slovénie)

- institution d'un forum et d'un conseil d'élèves (Suisse)

3. que de nombreuses actions ont un caractère offensif.

Les possibilités de comportements alternatifs des élèves sont élargies:

- en travaillant à la structure de l'école (Norvège)

- en stimulant le comportement positif (Royaume-Uni)

- en faisant participer les familles, une stratégie qui permet de réduire le fossé qui sépare certains ménages de l'école (Portugal)

4.4. Stratégies d'approche

Il est évident que la réalisation optimale de ces mesures préventives aura un impact positif sur les problèmes rencontrés dans les écoles, mais également que tous les problèmes ne seront pas pour autant résolus. Mieux vaut en tenir compte. Ce point n'a pas été discuté lors de ce symposium. Un certain nombre d'avis peut être formulé sur base du cadre théorique décrit ci-dessus.

Néanmoins, il est impossible de fournir des solutions toutes faites pour chaque situation rencontrée. Nous pouvons par contre formuler une série de conseils, qui doivent être utilisés au cas par cas par chaque enseignant, chaque école et chaque système d'enseignement de chaque pays 18.

Détermination du bon diagnostic

Mieux vaut prendre en ligne de compte autant de facteurs que possible lorsque l'on tente de comprendre pourquoi un élève adopte un comportement difficile; il faut s'abstenir de rejeter a priori la cause sur l'élève.

Un service de médiation scolaire, une boîte à suggestions et un professeur chargé d'établir la confiance, etc., grâce auxquels les élèves peuvent exprimer leurs remarques et leurs idées, joueront un rôle fondamental, non seulement pour mener une politique préventive efficace, mais aussi pour obtenir des informations à la fois importantes et nécessaires permettant d'interpréter des problèmes concrets.

Eviter l'approche répressive

En classe, une attitude purement répressive (injures, punitions, le renvoi de classe, etc.) n'aura que des effets très limités. Souvent, un comportement à problèmes constitue déjà une expression du lien un tant soit peu positif entre le professeur et l'élève. Une action répressive fragilisera encore plus le lien existant.

Dans des situations précises, l'action répressive (faire sortir de la classe, par exemple) constitue la seule voie possible. Très sporadiquement, et pour un laps de temps court, elle reste possible, à condition de se consacrer ensuite au problème.

Certaines méthodes de travail d'assistance et de l'aide sociale à la jeunesse apprennent comment obtenir une évolution positive chez des élèves qui adoptent un comportement difficile de manière presque permanente. Nous pensons ici aux effets positifs des formations sociales, qui récompensent et renforcent les comportements positifs, aux sanctions alternatives qui imposent une punition bien délimitée qui se caractérise par sa volonté de réintégration., etc.

En cas de problèmes, opter pour l'intervention qui a le moins d'impact

Si un élève a un comportement vraiment difficile et a besoin d'aide, l'école se devra de travailler avec un modèle comportant trois étapes et pour l'intervention qui a le moins d'impact. Nous entendons par là que l'aide doit d'abord être apportée par le professeur (première étape), ensuite par le service d'accompagnement de l'école (deuxième étape) et enfin par des services externes (troisième étape).

Le professeur est la personne par excellence qui peut prendre en charge la première étape de l'accompagnement des élèves. Ils est d'ailleurs le premier à être confronté aux signaux et aux difficultés. Mais les professeurs ne peuvent pas résoudre seuls certaines situations, il leur faut alors faire appel à l'aide des services spécialisés de l'école (centre PMS (Psycho-médico-sociaux)), services d'accompagnement des élèves). Ces services ne doivent pourtant pas devenir une sorte d'alibi pour le professeur, il ne doit pas y envoyer les élèves sans avoir d'abord cherché lui-même une solution. Ces services sont avant toute autre chose des services d'aide, un lieu où les professeurs peuvent discuter des problèmes qu'ils rencontrent, où ils peuvent recevoir des conseils. Lorsqu'il s'avère que l'élève a besoin d'un traitement plus spécialisé et plus intensif, le service d'accompagnement interne prendra en charge l'accompagnement de l'élève, et l'enverra éventuellement vers une instance d'aide plus spécialisée.

4.5. En collaboration avec les services externes

La collaboration des écoles avec des infrastructures externes prend tout son sens du point de préventif, et pas seulement du point de vue curatif (cf conclusions: point3).

La tâche des professeurs s'est terriblement alourdie: on attend de plus de plus de leur part (ils doivent transmettre plus de contenu, la population scolaire est de plus en plus une population à problèmes (chômage, problèmes caractéristiques de la grande ville), les activités hors cours exigent de plus en plus de temps, etc. Les professeurs ne sont ni préparés ni équipés pour remplir au mieux toutes ces tâches. En dehors de l'école, nombreuses sont les institutions qui sont à même de prendre en charge le suivi de ces mêmes groupes de jeunes. Ils peuvent prolonger toute une série de matières (notamment concernant le monde des jeunes, des défavorisés) et de méthodologies (formations sociales, travaux avec contrats, travaux thématique) déjà efficaces et pratiques dans les écoles.

Notre enquête a montré que la collaboration entre l'enseignement et le secteur du bien-être ne se déroule pas sans accrocs mais produits des effets positifs à différents niveaux 19.

 

5. Conclusions

Malgré le fait qu'il existe d'importantes disparités entre les divers Etats membres quant aux situations de l'enseignement (en matière de moyens, de situations sociales, etc.), le symposium a permis de dégager une série de pistes et de problèmes communs. L'ensemble du symposium s'est déroulé dans une atmosphère positive. A partir d'une constatation générale "school can make a difference", il a été constaté que cela n'a pas de sens de rechercher un souffre-douleur, mais que chacun prenne sa responsabilité et cherche une solution par une communication positive et en collaboration.

Les points importants issus de rapports de groupes de travail distincts et des contributions plénières et discussions sont ici rassemblés.

1. Le besoin se fait sentir de parvenir à une définition explicite et à une compréhension des causes de la violence à l'école.

Œuvrer à la résolution des problèmes qui surviennent à l'école est une démarche qui suppose une clarté préalable sur l'objet de la démarche en question. Nous avons, en d'autres termes, besoin d'une définition claire et uniforme. Nous ne dégagerons des solutions et des stratégies de prévention efficaces qu'à condition de définir et de délimiter le phénomène de la violence à l'école. Au cours du symposium, nous avons tenté de parvenir à une définition, mais sans résultats probants. Tout au plus pouvons-nous affirmer que la préférence des participants allait à une description élargie du phénomène. Il est essentiel, dans un avenir proche et dans un contexte européen, de travailler à la mise en place d'une définition commune. C'est à cette condition que nous pourrons comparer les résultats de nos enquêtes respectives, que nous pourrons développer des solutions communes et que le carrousel du crime (voir ci-dessus) pourra être arrêté.

Le symposium a par ailleurs permis de saisir la complexité du problème qui nous occupe. La violence à l'école est soumise à de nombreux facteurs qui touchent à l'élève lui-même, à son environnement familial, à l'école, aux médias et à certaines évolutions de la société en général (notamment l'évolution économique qui engendre l'exclusion sociale, la crise des valeurs et normes morales, l'urbanisation). Les participants ont désiré souligner les points suivants:

- il faut s'attaquer aux racines de la violence à l'école. Le danger d'une lutte qui ne s'attaque qu'aux symptômes a été mis en avant. Dans de nombreux cas, la lutte contre les symptômes est une réaction de panique causée par des incidents dont les médias ont fait état, elle ne donne de résultats qu'à court terme;

- chaque cause exige une approche propre 20. Seule une théorie capable d'intégrer en un tout cohérent la diversité des dynamiques et des facteurs sera à même de donner une explication concluante et stimulera une approche efficace;

- malgré l'impact non négligeable des facteurs extérieurs à l'école, les participants ont souligné à plusieurs reprises que l'école est à même de régler ne fut-ce qu'une partie du problème. Ils renvoient ici aux études school effectiveness’qui exposent: "schools can make a difference".

2. Une école démocratique: la réponse adéquate?

Au cours du symposium, l'unanimité s'est faite autour du principe qui veut que l'enseignement ne doive pas seulement s'adresser au développement cognitif de l'élève; l'école doit apprendre aux élèves à devenir des êtres sociaux, capables de relations, qui peuvent se prendre en charge et avoir du respect pour les autres. Si l'enseignement, c'est en tout cas l'hypothèse émise, attachait plus d'importance au développement des qualités et des attitudes sociales, le climat de l'école s'en trouverait positivement influencé et la violence à l'école et dans la société ne serait pas aussi importante.

Cette vision a été confortée durant toute la durée du symposium par une prise de position des participants en faveur d'une approche préventive de la violence à l'école. Il ne faut s'attendre à aucun effet à long terme des mesures de contrôle et de sanction: les résultats positifs seront engrangés par un enseignement ouvert et participatif, faisant une place à la stimulation et à l'apprentissage d'un comportement pro-social. Par rapport à ce comportement pro-social, il est constaté qu'il existe bien une tradition dans le sanctionnement du comportement inacceptable mais qu'il n'y a pas de tradition pour récompenser un bon comportement.

Un enseignement axé sur le développement des élèves "dans leur totalité" devra tenir compte des besoins et des intérêts de toutes les parties concernées par l'enseignement. La conception d'une politique d'enseignement devra avoir lieu en présence de tous les partenaires (élèves, parents, enseignants, direction et personnel d'encadrement). La communication et la participation ont été, à cet égard, considérées comme des notions fondamentales. Il a été souligné que la politique doit venir de la base (politique bottom up); une politique topdown ne fonctionnant pas. En outre, il doit s'agir d'une véritable participation, un vernis de démocratie ne suffit pas.

Cette option a été l'occasion de soulever certains problèmes:

- Tout d'abord, impliquer la base dans ce processus n'est pas chose évidente. Un changement de mentalité est nécessaire de la part des élèves, des parents et des enseignants. L'expérience acquise dans les divers pays montre que, de toute évidence, il ne suffit pas de créer des structures de participation (par exemple des conseils d'élèves ou de parents). Souvent, les élèves manquent de confiance en eux pour s'engager dans les conseils d'élèves. Ils considèrent que ces réunions sont ennuyeuses et ne comprennent qu'insuffisamment ce qui y est dit/décidé ou ont le sentiment que leur voix n'est finalement jamais entendue. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il y va de la responsabilité de l'école de faire des élèves des citoyens démocratiques compétents, disposant d'une confiance en eux et d'un sens des responsabilités suffisant pour s'engager dans les processus décisionnels. Avec ceci, il n'est pas dit que la participation des élèves signifie que toutes les décisions doivent être prises par eux. Mais lorsque les élèves reçoivent la parole à l'école, cela exige une réplique des adultes, ceux-ci doivent avoir une communication mutuelle afin de rechercher une réponse cohérente et complète aux questions posées. En d'autres mots, la participation de l'élève améliore la participation de l'enseignant. Cela apparaît clairement dans le projet suisse.

De même, l'implication des parents a été ressentie comme problématique dans plusieurs pays. Il n'est pas facile de leur demander de s'engager. A cela s'ajoute que, bien souvent, un groupe de parents (capable de s'exprimer) se prononce en faveur d'un enseignement antidémocratique. Il a été constaté dans un Etat membre qu'une partie des parents opte consciemment en faveur des écoles où le transfert de connaissances et la discipline priment.

Certains participants considèrent qu'il appartient à l'école de soutenir les parents dans l'aide qu'ils apportent à leurs enfants durant la scolarité (notamment pour aider à poser un diagnostic). D'autres pensent que ce genre de tâches doit dépendre de services extérieurs à l'école.

- Le problème du maintien des socles de compétences et des programmes se pose également. Les enseignants sont censés avoir enseigné une quantité minimale de matière imposée par les autorités à la fin de chaque année scolaire. Les écoles qui investissent du temps dans le développement des qualités et attitudes sociales n'atteignent pas les socles de connaissances requis à la fin de l'année scolaire et sont pointées du doigt par les autorités.

Les participants estiment que les autorités doivent prendre des mesures permettant aux enseignants de faire du "human being teaching" durant les heures de cours qui leur sont imparties.

- Enfin, à cet égard, la pression exercée par les parents à l'égard des politiques a également été soulignée. Une proportion importante de parents continue de privilégier l'aspect du transfert de compétences à la formation aux qualités et attitudes sociales (voir ci-dessus).

Des niveaux de formulation de politiques peuvent être identifiés : national, cantonal, états, régions, provinces, communes, districts, quartier, et établissements scolaires. (voir ci-après). Au niveau des établissements, la réussite d’une politique de lutte contre la violence scolaire semble en rapport avec un certain nombre de dimensions : cohérence de l’action (contraire de l’individualisme), cohésion du personnel éducatif (notamment dans les moments difficiles), communication fluide (empêchant les on-dits, les rumeurs, etc.); ces dimensions donnent lieu à un climat scolaire positif d’ouverture, de responsablité et de solidarité favorisant la confiance des membres de la communauté éducative.

3. En partenariat avec des externes

L'école n'est pas seule. Outre l'école, il existe un grand nombre des organisations qui peuvent contribuer à l'éducation des élèves. La communauté locale se doit de rassembler ses forces afin de créer un réseau autour de l'école. Un enseignement démocratique suppose que l'école n'est pas isolée, mais qu'elle reste accessible à toute la communauté.

La formation d'un réseau avec les partenaires locaux (œuvres de jeunesse, soins de santé, marché du travail, police, justice, etc.) a été considérée dans différents pays comme un pas important vers un enseignement démocratique.

L'impact que les partenaires locaux peuvent avoir sur la mise en œuvre de projets autour du thème de la violence à l'école a été clairement démontré dans les six exemples concrets qui ont été explicités.

Cette discussion a également été l'occasion de souligner les difficultés concrètes qui peuvent se poser en cas de collaboration avec des organisations extérieurs à l'école. Ces derniers peuvent être attribués aux intérêts, aux objectifs et/ou aux méthodes de travail divergentes des différents partenaires. Chaque secteur a sa propre tradition, sa propre culture, ses propres préjugés à l'égard des autres (il était dit que l'enseignant est vu comme un "control-freek" et les travailleurs sociaux comme des hippies grisonnants et bedonnants).

Les participants ont également insisté sur l'inexistence d'une collaboration à un niveau politique plus élevé (départements et ministères). Une telle collaboration se révélerait pourtant censée, nécessaire et servirait d'exemple pour les collaborations locales. Ces propos valent également pour le niveau supranational.

4. Avec le soutien de l’autorité

Après tout, ce sont les établissements qui doivent trouver une réponse aux problèmes. Il convient de souligner, que les politiques témoignent d’une volonté d’aborder un phénomène déterminé d’une certaine manière, impliquant des intervenants et affectant des moyens. Les solutions adoptées dépendent d’une part des systèmes éducatifs respectifs, de l’organisation territoriale et administrative nationale, des compétences dévolues aux diverses instances (centralisation, décentralisation, répartition des compétences), ainsi que d’une culture et d’une praxis nationale. Beaucoup de mesures politiques sont déterminées par l’urgence, (interventions de crise, répression, soutien des victimes) liée à des événements graves qui suscitent l’émotion publique. Néanmoins, une politique efficace doit également comporter des mesures inscrites dans la durée (prévention, éducation). L’exemple de France illustre très bien la possibilité le passage entre les mesures à long terme et les mesures urgents.

Les écoles sollicitent sur différents plans dans leur lutte contre la violence des élèves, plus de soutiens de l'autorité. Il est demandé plus de moyens et du personnel afin d'exécuter les tâches scolaires générales et d'exécuter des projets pour prévenir et/ou diminuer la violence. L'école demande également plus de "know how" concernant l'origine et la raison de la violence scolaire, elle sollicite aussi des modèles et des exemples de lutte contre la violence, etc.

Régulièrement, il est fait mention de l'importance du "good practices". Un échange de bons exemples, de préférence avec une description large du processus, n'inspirerait et ne stimulerait pas seulement mais donnerait des possibilités d'apprendre sur base des fautes des autres. En plus, la publication d'exemples positifs peut former un contrepoids à une attention exagérée que les médias donnent aux situations scolaires extrêmement négatives.

La publication d'exemples positifs pourrait conduire à un arrêt du carrousel du crime. La stimulation vers des publications positives était selon le représentant des médias, une importante tâche pour l'autorité. La revue "Klasse", dont une version existe pour les élèves, les enseignants et les parents traitant d'un même thème, peut être distribuée gratuitement et ce à grande échelle grâce aux subsides du gouvernement.

Grâce à ces subsides, la revue ne doit pas réagir aux événements spectaculaires scolaires mais elle a la possibilité de donner des informations positives de manière attractive.

 

5. Vers les réalisations

L'enseignement décrit plus haut (où le cognitif ne prime pas et où l'éducation de l'élève dans sa totalité occupe le devant de la scène, un enseignement ouvert et participatif, collaborant avec les partenaires locaux) a besoin de certaines conditions.

Les éléments suivants ont été mis en avant durant le symposium:

1. Vision de l'enseignement:

Les enseignants considèrent que le transfert de la matière constitue leur seule mission. Les autorités le leur demandent explicitement et c'est également ce qu'ils apprennent pendant leur formation. Les enseignants estiment que les élèves doivent obtenir de bons résultats et il est un fait que si un enseignant tente d'atteindre cet objectif, il ne lui restera plus de temps pour travailler au développement socio-émotionnel de ses élèves.

La vision élargie de l'enseignement demande un profond changement de mentalité de la part des enseignants, des directions, des parents, des entreprises, etc. en un mot de la société dans sa totalité.

Les différents niveaux politiques devront s'attaquer à cette tâche. La politique de l'enseignement pourra y contribuer en donnant notamment une place à l'aspect socio-émotionnel au sein des socles de compétence, des programmes, etc.

Ensuite, l'accent fut mis lors de ce symposium, sur la nécessité d'envisager une politique spécifique concernant l'aide aux jeunes confrontés à des difficultés d'apprentissage ou à des problèmes de retard scolaire. Dans ce contexte, il est important de différencier le curriculum et d'attirer plus explicitement l'attention des écoles ayant une concentration d'élèves en difficultés.

2. Formation et recyclage destinés aux enseignants

Une condition importante pour améliorer la qualité de l'enseignement tel qu'il vient d'être décrit réside dans la formation des enseignants en la matière et de leur dispenser une formation continue leur permettant de mener à bien cette lourde mission. Dans ce contexte, des institutions externes peuvent faire valoir leurs connaissances et expériences.

Cette formation devra se concentrer sur le travail relatif aux qualités et attitudes sociales, à la gestion des conflits, aux agressions, à l'émotionnalité, etc. Cette optique devrait non seulement améliorer la prévention à l'égard des élèves mais aussi permettre aux enseignants de mieux faire face aux situations difficiles. Elle diminuerait la pression émotionnelle, si forte chez les enseignants réellement concernés par leurs élèves. En d'autres termes, les enseignants se sentiraient plus "en sécurité" devant leurs classes.

Un groupe de travail a constaté que dans aucun des pays représentés la formation des enseignants ne répondait aux exigences décrites ci-dessus et que nulle part le thème de la "prévention et de la gestion de la violence à l'école" ne formait une partie obligatoire de la formation. Dans la plupart des pays, ce thème n'est évoqué que pendant la formation continue.

La formation "in-service" devrait être, selon les différents intervenants, encore plus liée aux besoins de formation de l'école même, faisant référence à sa vision exprimée dans le plan de politique scolaire.

Les participants exposent que cette formation doit être réalisée en équipe et que la direction peut jouer un rôle stimulant important (par exemple, par le développement d'un plan de formation continue).

3. Mise en œuvre de changements dans l'enseignement

Les participants du symposium se sont accordés sur le fait qu'il est possible de mettre en place un changement au sein de l'enseignement via une action ou un projet concernant la violence.

Les nombreuses facettes revenant sans cesse dans les exemples pratiques montrent une amélioration du climat de l'école dans son ensemble et que les conséquences ne se limitent pas aux actes violents commis par les élèves. On constate des effets positifs sur le bien-être général, la motivation, les résultats scolaires et le brossage des cours, etc.

Dans l'un des projets (Suisse), il était clair que le fort engagement des élèves stimulait également les autres acteurs (notamment les enseignants, les parents).

Un avertissement a été lancé concernant la méthode de travail consistant à utiliser des projets. Ces derniers sont par nature temporaires et, une fois terminés, on court le risque de voir s'éroder leurs effets. Ce problème a été souligné par plusieurs participants mais il est possible de l'empêcher en le plaçant dans le cadre d'un plan de politique scolaire global. L'école formule dans ce plan ses objectifs concernant la guidance des élèves (avec des points d’attention préventifs et curatifs) et les raisons pour lesquelles elle désire les atteindre, elle décrit concrètement les activités qui auront lieu pendant une année scolaire précise. L'exécution du plan de politique scolaire, qui se manifeste entre autre dans la qualité du climat scolaire, doit être régulièrement évalué et modifié si nécessaire. Les actions reprises dans ce plan seront renforcées par de multiples activités mises sur pied dans l'école et qui poursuivent des objectifs similaires. Dans un tel plan, les projets de courte durée pourront recevoir une fonction de fer de lance.

Pour lever toute ambiguïté, précisons que cet avertissement concernant les projets ne signifie pas que le travail par projets n'est pas considéré comme une méthode de travail valable. Nous estimons simplement que le travail par projets doit s'accompagner d'une formulation et d'une explication claires des objectifs et des objectifs intermédiaires, d'estimations régulières et de corrections de cap, etc. et qu'il peut être utilisé comme méthode de travail permanente.

De cette vision globale, des règles peuvent être formulées d'une manière juste par tous les intéressés. Ces règles et l'application de celles-ci doivent être régulièrement évaluées et corrigées, après débat interne et si possible en consensus.

La mise en œuvre de transformations dans et avec l'école exige beaucoup de temps et d'énergie. Il faut être convaincu que le projet de collaboration est sensé, il faut se concerter, apprendre à se connaître, gagner la confiance des acteurs, etc. Ce genre de projets se heurte souvent à des résistances que plusieurs facteurs peuvent expliquer: la peur de l'inconnu, par exemple, le désir de conserver ce que l'on a, les intérêts personnels qui sont en jeu, l'immixtion d'acteurs extérieurs, la manière dont une transformation est mise à exécution, etc. Il est conseillé de prendre en ligne de compte cet investissement en temps pour éviter les frustrations et un arrêt prématuré du projet.

4. Importance de la direction

Plusieurs groupes ont souligné l'importance de la volonté dont la direction doit faire preuve pour que les projets de prévention et d'intervention se traduisent par un succès. Il est absolument essentiel que le directeur ou la directrice de l'école se consacre totalement à la réussite d'un projet et qu'il explicite sa vision des choses, qu'il suscite l'enthousiasme de ses enseignants, etc. Cette situation se réalisera d'autant plus facilement si les projets sont adaptés à la politique globale de l'école.

Il a été proposé de prévoir une sélection et une formation de niveau convenable pour cette fonction importante au sein de l'enseignement.

Une équipe encadrant le directeur de l'établissement scolaire, se basant sur des règles définies clairement et démocratiquement relatives aux droits et obligations de tous les partenaires scolaires, est considérée comme un instrument nécessaire de travail.

Avec cet instrument de travail - et uniquement avec celui-ci, le partenariat peut et doit être développé avec des externes relevants. Les écoles ont le sentiment qu'elles doivent corriger tout ce qui va mal dans la société sur le plan de l'éducation. Les participants pensaient que les écoles peuvent mieux y répondre par une meilleur ouverture envers la société.

Afin d'obtenir la réalisation de ces conditions dans l'optique d'un enseignement démocratique avec une attention particulière pour les élèves à problèmes, il est nécessaire d'avoir une collaboration avec des partenaires (locaux) externes et le soutien de la politique.

 

Annexe I
Introduction à la problématique par M. François Dubet,

CADIS, EHESS, Université Victor Ségalen, Bordeaux II

Tout se passe comme si la condamnation de violence tenait lieu d'analyse et comme si l'imprécation tenait lieu de politique. On a pris l'habitude de désigner comme violentes des conduites extrêmement hétérogènes, allant du vol, à l'agression contre les enseignants, à la bagarre entre élèves, au désordre, à l'inattention scolaire, aux relations tendues avec les parents... Or, toutes ces conduites sont différentes et relèvent probablement de logiques différentes. De plus, nous savons que la définition de la violence est profondément subjective et qu'elle nous en dit plus sur les sujets qui l'éprouvent que sur les conduites qui la motivent.

Il importe donc de "casser" cet objet, de distinguer plusieurs types de violences et plusieurs mécanismes d'engendrement. Cet effort paraît d'autant plus nécessaire, que les diverses conceptions de la violence renvoient à de grands paradigmes anthropologiques et sociologiques qui sont aussi des philosophies sociales et politiques. En ce sens, l'émergence du thème de la violence est "utile" parce qu'elle mobilise ces paradigmes et pose donc à l'école des problèmes fondamentaux relatifs à sa vocation et à sa nature. Elle implique de ne pas réduire l'école à un service de formation et de qualification, elle conduit vers une réflexion sur l'éducation et la civilité.

1. La violence insaisissable et homogène.

Quand j'ai commencé à étudier l'expérience scolaire des élèves, voici une dizaine d'années, on ne parlait guère de violence à l'école. On parlait plus volontiers d'élèves "difficiles", de problèmes sociaux, de désintérêt scolaire, voire de la violence des enseignants... Lors des grèves lycéennes de 1990, le thème de la violence occupe encore une place marginale et la demande de sécurité émerge d'abord dans les syndicats de professeurs, bien plus que dans les revendications des élèves. Ajoutons qu'à l'époque, il s'agissait encore d'un thème "pas clair", d'un thème "sécuritaire", d'un thème de "droite".

Moins de dix ans après, tout a changé, la violence est "partout". Tous en parlent, le Ministère organise des journées et des programmes d'action. Les professeurs lèvent le tabou et voient des violences partout, les parents craignent pour leurs enfants. Les débats et les émissions de multiplient. Le nombre de plaintes s'accroît. On apprend que la violence est partout, dans les établissements "difficiles", comme dans les autres, dans les petites classes, comme dans les grandes. Le sanctuaire scolaire est brusquement devenu le lieu de toutes les violences et de toutes les crises. La formation des maîtres et des CPE comporte un volet violence. Tout se passe comme si, en quelques années, nous étions passé de la paix à la guerre, du calme au tumulte. Cette brusque explosion de la violence est un peu "étrange".

1. Partons des observations les plus simples. M'intéressant à un groupe de lycéens qui préparaient un BEP de menuiserie en Seine-Saint-Denis, j'interroge les enseignants. Le professeur de menuiserie, âgé de cinquante ans, ancien ouvrier, originaire de la banlieue Nord, trouve ses élèves "un peu dissipés", chahuteurs, mais au fond gentils et pas très différents de l'élève qu'il croit avoir été. Leur professeur de français, une jeune femme de vingt-cinq ans, considère qu'ils sont des barbares, des sauvages, bref, des "violents". Leur professeur de mathématiques, une jeune femme aussi, née dans les quartiers qui environnent le lycée, considère que ses élèves sont surtout les victimes des conditions de vie et d'éducation qui leur sont faites, et que leur style provocateur et agressif n'est en rien original, que le problème essentiel est celui de l'adaptation de l'école à ce type d'élèves. Le conseiller principal d'éducation connaît toutes les histoires de délinquance du quartier et considère que le lycée est un îlot de paix relative menacé par la violence du quartier et par la "guerre" des gangs... La ronde des définitions et des descriptions est infinie, mais il est vrai que chacun parle de violence pour désigner des conduites extrêmement différentes, et considère que les mêmes conduites relèvent ou pas de la violence.

Prenons un autre cas, celui d'un collège bordelais portant une lourde réputation de violence. Les portes en sont fermées. Chacun parle de la violence comme d'une évidence. La discipline est stricte, voire obsessionnelle, sans commune mesure avec celle des autres établissements. En même temps, personne n'est en mesure, en dépit des questions pressantes, de décrire des conduites "réellement" violentes, coups, vols, racket Mais il est vrai que ce collège a connu un accident sérieux voici plusieurs années, quand un élève a blessé un de ses camarades d'un coup de couteau. Depuis ce véritable traumatisme, l'établissement se perçoit comme une machine à lutter contre la violence scolaire. Toutes les conduites "inciviles", injures, absentéisme, désintérêt scolaire, chahuts à la sortie de l'école, sont interprétées comme les signes d'une violence potentielle. Pour tous, le collège est une forteresse qui doit se protéger contre la violence du quartier.

Evoquons encore le cas d'une école primaire située dans un quartier "difficile", et dans laquelle toutes les difficultés scolaires des élèves sont perçues comme des effets des problèmes sociaux du quartier. L'agitation des élèves dans les classes, les problèmes d'apprentissage, ceux des relations, agressives ou absentes, avec les parents, sont autant d'indicateurs de la violence des élèves et de la société. Là aussi, la discipline est stricte et toutes ces difficultés, qu'un observateur étranger pourrait considérer comme banales, sont confondues sous le dénominateur commun de la violence.

2. On pourrait multiplier les descriptions et les anecdotes. Toutes nous conduiraient à la même double conclusion. D'un côté, il y a des conduites violentes et agressives, extrêmement hétérogènes, dans la plupart des établissements. De l'autre côté, toutes ces conduites, ces difficultés ou ces appréhensions, sont perçues comme des violences réelles ou potentielles. Dans tous les cas, la violence est une catégorie générale désignant un ensemble de phénomènes hétérogènes, un ensemble de signes des difficultés de l'école, parmi lesquelles les conduites violentes proprement dites ne sont qu'un sous-ensemble. La violence désigne à la fois des conduites réellement violentes, vols, agressions, injures, menaces, et le sentiment diffus mais omniprésent d'affronter tout un ensemble de difficultés tenant autant à la vie scolaire elle-même qu'à tous les problèmes sociaux qui la menacent.

La violence scolaire devient une catégorie générique d'autant plus efficace qu'elle est, du point de vue normatif, sans ambiguïtés : la violence c'est mal. Dans une large mesure, en désignant tout un ensemble de conduites comme violentes, on se place du côté du bien contre le mal, on ferme le débat avant que de l'ouvrir, on soude les troupes dans une condamnation commune. Alors que souvent l'école est déchirée par des intérêts idéologiques, sociaux et corporatifs, la violence assure son unité, elle offre une légitimité immédiate à celui qui la condamne. Quand une conduite est désignée comme violente ou potentiellement violente, elle est immédiatement comprise comme une conduite dangereuse, engageant à la fois la survie et la défense de la société contre toutes les menaces. C'est pour cette raison que l'on désignera en vrac comme étant violents le comportement les plus hétérogènes, c'est aussi pour cette raison qu'on aura tendance à élargir cette violence au-delà des murs de l'école, et à considérer comme des violences scolaires, des comportements et des conduites qui se déroulent en dehors de l'espace et du temps scolaires. Ainsi les règlements de comptes meurtriers qui se réalisent en dehors de l'école, mais qui concernent des élèves, ne sont pas définis comme de "simples" violences sociales, mais comme des violences scolaires.

Il ne faudrait pas que cette "déconstruction" sommaire de la violence laisse accroire que les violences scolaires n'existent pas, qu'elle ne sont qu'un fantasme, qu'une production idéologique et médiatique, ou pire encore, qu'un "complot" ourdi par quelques manipulateurs afin de détourner l'attention des "véritables" problèmes. Il en est de la violence comme de l'insécurité en général. Elle désigne à la fois des conduites et des risques "réels", et une perception de ces risques qui ne les reflète pas. Les personnes qui se sentent le plus menacées ne sont pas nécessairement celles qui le sont le plus "objectivement", ce sont celles qui se sentent les plus fragiles, les plus en chute, celles dont la place dans la société n'est plus aussi assurée.

C'est en ce sens qu'il faut situer les réflexions sur la violence dans l'ampleur du basculement des dernières années. Basculement idéologique d'abord. Globalement, la gauche a changé sa conception des problèmes de sécurité. Après avoir dénoncé les idéologies sécuritaires comme des fantasmes, le thème de la sécurité est peu à peu devenu une "valeur républicaine et populaire". On ne peut pas imaginer que ce renversement ait été sans effet sur le monde enseignant et qu'il ne procède pas des transformations de ce monde. Ce changement a probablement accéléré l'expression de l'insécurité et de la perception de la violence entraînant une transformation des pratiques, provoquant l'augmentation sensible du nombre des plaintes, la force des "reprises en main" observées dans les établissements par R. Ballion, ainsi que le climat général, quand la moitié des chefs d'établissement disent rencontrer des problèmes de violence.

La violence est donc à la fois un ensemble de conduites, un symptôme, et un objet politique sur lequel peuvent se construire de larges unanimités idéologiques, syndicales, professionnelles et politiques. C'est donc un objet "commode", mais un objet dont la "commodité" même est un obstacle à l'analyse.

2. Les logiques de la violence.

Une fois les doutes exprimés, un fois les prudences méthodologiques énoncées, il reste que les conduites violentes existent. Il faut essayer de montrer que la violence n'a pas d'unité et qu'elle participe d'une série de mécanismes autonomes que le discours public sur la violence contribue à masquer ; c'est d'ailleurs ce qui en fait l'efficacité sociale. Nous distinguerons trois grandes logiques.

1. La déviance tolérée.

L'anthropologie, l'histoire et la sociologie nous apprennent que les sociétés éradiquent moins la déviance qu'elles ne la contrôlent. En ce qui concerne les violences juvéniles notamment, elles sont à la fois rituellement dénoncées, chaque génération déplore les débordements de celle qui la suit, et en même temps, chaque société laisse un espace aux débordements de la jeunesse. Si l'on pouvait risquer le mot, on dirait qu'il existe une "loi" sociologique selon laquelle, plus les sociétés sont intégrées, plus elles concèdent un espace de déviance tolérée.

La déviance tolérée est un phénomène paradoxal reposant sur une injonction elle-même paradoxale. Elle consiste à affirmer nettement les interdits, tout en concédant des moments, des lieux et des formes dans lesquels ces interdits peuvent être transgressés, plus encore, dans lesquels il est implicitement souhaitable que ces interdits soient transgressés. Ce mécanisme assez subtil se révèle directement quand des adultes et des jeunes se rencontrent et que les premiers condamnent les débordements des jeunes tout en évoquant avec nostalgie leurs propres débordements, leurs propres chahuts, leurs propres bêtises.

La formation d'une déviance tolérée repose sur une forte connivence culturelle, sur un accord profond sur les normes et les transgressions. Afin que le jeu autour de la norme puisse se constituer, il faut que les acteurs soient en mesure d'interpréter les transgressions et de savoir quand la limite de la limite est dépassée. Aussi, il n'est pas étonnant que les déviances tolérées apparaissent dans les sociétés et les organisations fortement intégrées. Pensons aux sociétés traditionnelles qui exercent un fort contrôle social et qui ouvrent des moments de déviance quasiment institués : carnavals, fêtes diverses, charivari, chahuts initiatiques... On trouvait encore ces conduites dans les sociétés villageoises, les "troisièmes mi-temps" du rugby, et dans le "samedi soir, dimanche matin" de la classe ouvrière traditionnelle. Ce sont aussi les débordements contrôlés, tolérés, voire encouragés par la hiérarchie, qui ponctuaient régulièrement la vie des casernes.

Dans le monde scolaire, l'amnésie et la nostalgie aidant, on a oublié que l'ordre scolaire rigoureux et souvent disciplinaire ménageait des zones de déviance tolérée. Il faut citer les chahuts traditionnels dont la brutalité surprendrait bien des enseignants aujourd'hui. Les lycées aménageaient des moments et des lieux de déviance dans lesquels ou pouvait fumer une cigarette ou régler quelques comptes. Les établissements n'étaient pas non plus totalement étanches à la société, et les vols de trousses ne sont pas une invention des nouveaux collégiens. Quant au bizutage, y compris violent, il faut une singulière absence de mémoire pour le découvrir aujourd'hui. La vie scolaire, fortement contrôlée, n'était certainement pas exempte de toute violence. Mais ces violences étaient tolérées et contrôlées dans la mesure où chacun savait jusqu'où il ne fallait pas aller trop loin.

Pour que se forme un tel espace, il importe que tous les acteurs concernés partagent, au-delà de leurs conflits, un certaine "complicité". Il faut que le maître sache distinguer une bagarre "rituelle" d'une bagarre dangereuse. Il faut qu'il sache distinguer les chahuts de défoulement, des véritables violences. Il faut qu'il sache faire la différence entre un bizutage rituel et une violence collective. Il faut que le maître sache décoder et lire les conduites des élèves, il faut qu'il sache faire semblant de les ignorer, tout en faisant comprendre aux élèves qu'il ne les ignore pas. Il faut qu'il sache régler la longueur de la laisse, comme le maître d'école de La guerre des boutons. Non seulement la déviance tolérée est une manière de faire la part du feu, de donner quelques soupapes de sécurité dans des organisations rigides, mais elle participe aussi d'un modèle d'éducation dans lequel il faut franchir quelques épreuves, mesurer sa valeur et son courage. Et toute une littérature enfantine et juvénile, diffusée par l'école elle-même, fait l'apologie de cette sorte de courage qui consiste à enfreindre les règles.

Une des dimensions et des significations de la violence aujourd'hui tient à la disparition des zones de déviance tolérée, à l'affaiblissement de la connivence culturelle entre les maîtres et les élèves. Les adultes interpréteront immédiatement des conduites comme violentes parce qu'ils ne les comprennent pas, et parce que les élèves ne partagent pas les mêmes complicités. Prenons quelques exemples qui, pour être simples et vrais, n'en sont pas caricaturaux. Les élèves de l'école primaire jouent au football dans la cours. Le ballon casse les lunettes du directeur de l'école qui convoque les parents et réclame l'intervention des services académiques parce que l'école à un "problème de violence". Deux filles de cinquième se crêpent le chignon dans la cours à propos d'un garçon. Aucun adulte n'intervient d'abord parce que c'est le travail du Conseiller d'éducation. Devant cette absence, l'angoisse des filles augmente jusqu'à ce qu'un professeur intervienne et sépare les deux filles en larmes. Une rivalité amoureuse banale, probablement aussi vieille que le monde, devient un "problème de violence" appelant une intervention spécialisée et suggérant que les deux élèves ont des "problèmes". Dans ce contexte, combien de casquettes, de dégaines, de regards, sont pris comme des violences ? Evidemment, cette cécité culturelle accroît sensiblement la violence elle-même, elle renforce le contrôle, elle "criminalise" des conduites banales et le niveau des exigences disciplinaires des établissements difficiles se développe sans cesse, renforçant ainsi le sentiment de violence. On exigera bien plus des élèves d'un collège "difficile" que des élèves d'un collège "bourgeois". Il est vrai que dans le second, la connivence culturelle entre les maîtres et les élèves est immédiate.

L'affaire du bizutage participe largement de la même logique. Le bizutage est une déviance tolérée visant l'intégration des nouveaux venus et la formation d'un esprit de corps. Quel que soit le jugement que l'on porte sur ces rites dans les établissements les plus élitistes et les plus traditionnels, force est de constater que s'est installée progressivement le sentiment d'un dérapage, le Ministre a parlé de violence et la connivence s'est défaite. Il n'a pas suffit d'une note ministérielle pour en contrôler les excès, mais une loi "criminalise" maintenant des conduites tolérées, quand elles n'étaient pas encouragées par la direction des établissements.

Dans tous les cas que nous venons de suggérer, des conduites de déviance tolérées se sont peu à peu transformées en conduites violentes. Comment expliquer cette évolution quand on sait que nous vivons, par ailleurs, dans une société bien plus libérale et bien plus permissive que les sociétés traditionnelles qui acceptaient certaines déviances juvéniles ? La réponse n'est pas simple. On peut imaginer plusieurs hypothèses. La première d'entre elles consiste à souligner la distance culturelle et sociale qui s'est progressivement creusée entre le monde des enseignants et celui des élèves. Dans bien des établissements "difficiles", les professeurs issus des classes moyennes n'ont plus aucune relation avec les habitants des quartiers où ils travaillent. Ils n'habitent pas les quartiers et n'y scolarisent pas leurs enfants. Ils perçoivent le quartier en termes de cas sociaux, ce qui est une autre manière de désigner les "classes dangereuses". Ils ne sont pas en mesure de "lire" et d'interpréter les conduites des jeunes et les perçoivent immédiatement comme des violences. Cette propension est d'autant plus forte que les enseignants attendent des parents des attitudes éducatives orientées vers la réussite. Là où disparaît la connivence implicite, il se crée la peur de la violence et la volonté de l'éradiquer. Une seconde hypothèse viendrait renforcer la précédente. Le libéralisme éducatif propre aux classes moyennes appelle un très fort contrôle intériorisé, conformément au modèle d'Elias, impliquant un refus de la discipline et de la contrainte. Dans les classes populaires, ce libéralisme peut se transformer en anomie et en conduites juvéniles incontrôlées, provoquant à la fois la violence et le retour à l'ordre. Quoi qu'il en soit, la distance culturelle et sociale entre les maîtres et les élèves transforme les déviances et les incivilités en des conduites perçues comme des violences. Perception qui, à son tour, développe la violence.

2. La violence sociale.

Le discours dominant sur la violence scolaire consiste à rejeter la violence dans la société. Il ne s'agirait que d'une violence sociale provoquée par la "crise" et entrant dans l'école par effraction. Cette violence recouvre sans doute la représentation la plus courante des enseignants car elle offre l'avantage de dégager l'école de toute responsabilité, d'en faire simplement la victime de toutes les violences sociales. Mais le fait qu'elle ne soit pas sans avantages idéologiques et qu'elle assure l'unité du monde de l'école, n'indique pas que cette représentation de la violence à l'école soit sans fondement. Cette violence sociale procède d'un triple mécanisme.

En premier lieu, il est peu discutable que nous observons le développement de conduites délinquantes et "inciviles" dans les quartiers populaires. Les causes de cette galère juvénile sont trop connues pour qu'il soit utile de les exposer longuement. On observe depuis vingt ans un développement du chômage et de la précarité qui affectent profondément les processus de contrôle social et de socialisation. La pauvreté relative s'instaure, l'avenir paraît incertain ou trop certain, l'image des parents de dégrade. Il se constitue et se renforce une culture juvénile délinquante oscillant entre le jeu, la révolte et les stratégies économiques déviantes des divers trafics de l'économie souterraine. Comme on le sait, ce mécanisme affecte particulièrement certains groupes migrants ou issus de l'immigration, puisque les processus de destruction des cultures et des identités traditionnelles ne sont pas relayés par une intégration économique et sociale. Les jeunes sont alors dans un "vide sociale" correspondant très largement au tableau de la désorganisation sociale défini par les sociologues des l'Ecole de Chicago durant les années vingt et trente. Les jeunes peuvent chercher dans des identifications ethniques et territoriales les solidarités et les "fiertés sociales" dont ils sont par ailleurs privés. Quoi qu'il en soit, le racket, le vol et la violence qui sont monnaie courante dans le quartier, entrent aussi dans l'école.

En deuxième lieu, avec la massification scolaire qui s'allonge de fait au-delà de 18 ans, il est bien évident que toutes ces conduites et que tous ces problèmes entrent massivement dans l'école. Or il faut rappeler qu'elle en a longtemps été préservée par la brièveté de la scolarisation et l'exclusion précoce des jeunes issus de l'immigration. Les écoles ont donc le sentiment d'être envahies par les problèmes sociaux, par la pauvreté, par la délinquance et par la violence. Elles le sont d'autant plus qu'elles ne sont plus capables de maintenir une barrière entre elles et le monde, quoi qu'en dise le discours du "sanctuaire" scolaire. Rappelons que si l'école fut un sanctuaire, c'est autant au nom de ses principes qu'en raison de sa capacité d'éliminer les élèves qui n'acceptaient pas d'en jouer le jeu. L'entrée des problèmes sociaux dans l'école se réalise sous la double représentation des jeunes victimes de la crise et des jeunes violents. Les dispositifs de lutte contre la violence sont toujours associés aux dispositifs sociaux qui doivent venir en aide aux élèves affrontant des situations intenables. Tous les débats autour de l'exclusion des élèves balancent entre ces deux pôles, et ceci d'autant plus que les élèves les plus violents sont souvent les élèves les plus "victimes".

En dernier lieu, l'expérience de l'exclusion et de la galère affecte le sens de l'expérience scolaire elle-même et la légitimité de l'institution. En effet, les élèves et leurs parents peuvent ne plus croire à l'école quand celle-ci n'apparaît plus comme étant en mesure d'assurer l'intégration sociale des élèves condamnés à l'échec et au chômage. Très souvent, les professeurs parlent de cette chute de la confiance dans l'école et dans l'éducation. Les travaux de l'équipe de B. Charlot et les miens invitent cependant à nuancer cette représentation. Ils montrent plutôt que les parents croient profondément à l'utilité des études, ils croient, notamment les migrants, que l'école reste la seule manière de s'en sortir honorablement. Cependant, cette croyance ne suffit pas à rendre les parents scolairement "compétents", et surtout, elle ne leur permet pas nécessairement de surmonter leurs craintes et leurs appréhensions quand il s'agit de rencontrer des enseignants prompts à leur faire sentir, quand ce n'est pas plus, qu'ils sont des parents incompétents.

Quoi qu'il en soit de toutes ces nuances, il reste que la violence qui se manifeste à l'école est souvent une violence sociale, violence qui envahit l'école et la déstabilise parce qu'elle lui pose, à proprement parler, des problèmes non-scolaires, des problèmes psychologiques et sociaux qu'elle n'a pas vocation à traiter.

3. Les violences "antiscolaires".

Bien des violences qui ne manifestent à l'école ne sont ni des violences sociales, ni des violences juvéniles "normales" et non interprétables par les acteurs. Ce sont des violences "antiscolaires", les destruction de matériel, les injures et les agressions contre enseignants, provoquées par les élèves et parfois par leur famille et leurs amis. Ce sont les violences les plus traumatisantes parce qu'elles n'ont pas leurs sources en dehors de l'école et parce qu'il n'est plus possible d'accuser "la société". Ce sont aussi les violences dont les acteurs de l'école ont le plus de mal à reconnaître la logique.

Il faut, pour comprendre ces violences, admettre que les élèves subissent une violence de la part de l'école. Notons à ce propos combien le thème de la violence symbolique, omniprésent dans les années soixante-dix, a aujourd'hui quasiment disparu, au moment même où l'école est affrontée à la violence. Mais le thème de la violence symbolique me semble trop général et trop loin des violences observées pour qu'il soit utile de le mobiliser de nouveau. La violence dont il s'agit est avant tout celle qui expose les élèves à des jugements infamants et qui détruit leur estime de soi.

Même si ces jugements se déroulent dans les interactions scolaires, ils s'inscrivent dans un mécanisme structurel que l'on doit rapidement démonter. L'école expose les individus à des épreuves qui mettent en jeu leur valeur. Ceci n'est pas nouveau dans la mesure ou toute école hiérarchise, sélectionne, range... Mais le propre d'une école démocratique de masse, c'est qu'elle affirme l'égalité de tous en tant que personne, et qu'elle instaure une compétition continue entre ces personnes. Celui qui échoue doit gérer la tension entre ces deux ordres de principes, et surtout il ne dispose plus des dispositifs de consolation et de rationalisation, de justification et de critique, que pouvait offrir une école structurellement inégalitaire. Pour le dire cruellement, une école démocratique de masse fait en sorte que les élèves ne s'en prennent qu'à eux-mêmes quand ils échouent. Les diverses pratiques de remédiation accentuent ce phénomène, l'individu souverain doit être responsable de son propre malheur, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même, qu'à son absence de talent et de courage. Ainsi, le jugement scolaire met directement en cause la valeur de l'individu.

On connaît les réponses des élèves à cette situation vécue comme une violence et un mépris. D'une part, un grand nombre d'entre-eux choisissent l'exit et le retrait. Ils ne jouent plus, abandonnent la partie, mettent en scène un ritualisme scolaire qui fait qu'ils ne perdent plus parce qu'ils ne jouent plus. C'est l'indifférence scolaire sous toutes ses formes. L'individu essaie de sauver une auto-estime en se préservant du jugement scolaire. D'autre part, des élèves refusent le jugement scolaire en retournant le stigmate contre les professeurs. Ils sauvent la face par la violence. Il suffit que le professeur "dérape" par une ironie ou une injure pour que les élèves sauvent leur honneur en agressant le professeur. Il sera à son tour agressé ou injurié dans ou en dehors de l'école par l'élève et par ses amis. L'élève exclu ou en échec ne peut justifier son expérience que de cette manière. Quand l'élève appartient à un groupe ethnique stigmatisé, quand le professeur se laisse aller à quelques attitudes vaguement racistes qui sont moins rares qu'on voudrait bien le croire, la violence de l'élève devient légitime à ses yeux. C'est aussi une révolte juste aux yeux de ses camarades car elle défend l'honneur du groupe.

Ces violences antiscolaires sont d'autant plus violentes qu'elles ne reposent souvent sur aucune critique de l'école. Elles restent enfermées dans l'ordre des jugements scolaires. C'est le principe de la "rage", c'est-à-dire d'une révolte dépendante contre un appareil et des acteurs qui intègrent pour mieux exclure. Tout ce que je décris n'est pas directement formulé par les élèves qui n'échappent pas à la conscience malheureuse, qui se perçoivent comme les auteurs de leur propre souffrance. Et c'est justement pour cette raison qu'ils sont violents, qu'ils agressent les enseignants, qu'ils crèvent les pneus de leur voiture, qu'ils saccagent le centre de documentation...

Par contre, les enseignants ont une image plus exacte de ce mécanisme car, dans la plupart des cas que nous avons analysés, ils sont partagés entre deux attitude. Du point de vue professionnel et corporatiste, ils défendent sans ambiguïté leur collègue agressé. Ils demandent l'exclusion de l'élève et sa condamnation par les tribunaux. Mais de façon plus personnelle, ils expliquent volontiers qu'il n'est pas surprenant que ce soit justement ce collègue là qui soit visé car il "méprise" des élèves, a une attitude "inacceptable", n'est pas "fait pour ce métier"... Bref, il ne protège pas les élèves des épreuves du jugement scolaire ; au contraire, il en "rajoute".

Toutes les logiques de violence que je viens d'évoquer se renforcent mutuellement, se conjuguent et contribuent à constituer la violence comme un tout indistinct. Il importe cependant de les distinguer car elle procèdent de mécanismes sociaux différents et appellent donc des réponses différentes.

3. Les théories de la violence.

Les trois figures de la violence que je viens d'esquisser ne sont pas seulement des descriptions de conduites violentes, ce sont aussi des sortes de "types purs" car ils renvoient aux trois paradigmes essentiels de la violence que nous livre la tradition sociologique.

1. Trois paradigmes.

La plupart des sociologues classiques sont fondées sur une anthropologie du mal et de la violence ou, pour le dire autrement, sur une vision laïque du péché. La plupart d'entre-eux ont choisi Hobbes contre Rousseau : à l'état de nature l'homme est foncièrement méchant, égoïste, mauvais, violent. Il n'est pas seulement agressif quand c'est utile comme les animaux, il est vraiment méchant, brutal, agressif et prend quelque plaisir dans la souffrance des autres comme l'ont montré les guerres de religions et la guerre de trente ans, alors même que l'on croyait à l'humanisme de la Renaissance et aux premières lueurs de la Raison. La suite de l'Histoire n'a pas convaincu du contraire. C'est en fonction de cette anthropologie de la violence que se sont construits deux raisonnements essentiels de la sociologie.

a. Le premier paradigme nous est le plus familier. La méchanceté et la violence naturelle de l'homme, celles du pervers polymorphe, sont contenues par la socialisation qui est perçue comme le contrôle de soi. Cette conception est au principe même de la théorie durkheimienne de l'action et du "fait social". Ce n'est pas l'Etat qui empêche la violence, c'est l'éducation, la morale, la religion, qui imposent l'image du bien et de l'amour à une nature humaine rétive. La psychanalyse ne nous dit rien d'autre, comme la plupart des mythes religieux qui font de la bonté de produit de l'intervention divine, autoritaire avec Moïse, exemplaire avec le Christ ou Bouddha, pour sauver l'homme d'un état naturel de péché. Le mal résulte de l'anomie, de l'absence d'intériorisation d'une conscience morale ou des accidents liés à la socialisation. Confrontés aux grands criminels particulièrement pervers, les experts psychiatres fouillent dans les défauts de la socialisation : images paternelles déficientes, rapport à la loi défaillant... Les enfants aussi sont spontanément méchants ; si l'on ne veille au grain ils torturent les animaux et battent les plus faibles. La guerre et l'armée, parce qu'elle effacent la conscience morale individuelle sous la pression du groupe, libèrent la méchanceté et transforment les hommes ordinaires en tueurs sadiques. La folie cristallise la même alchimie, lève les interdits moraux et transforme des pères de famille paisibles en assassins anonymes.

La violence est perçue comme une sorte de "sauvagerie" libérée par un défaut de socialisation et d'éducation. Cette philosophie sociale est au coeur de la représentation spontanée de la violence en termes d'anomie, celle qui repose sur la distance culturelle entre le monde des enseignants et celui des élèves. Les conduites des élèves apparaissent comme "naturelles", "barbares", elles s'inscrivent dans une vision qui relève parfois des poncifs du colonialisme. La réponse à cette violence va de soi : c'est l'éducation morale.

b. Le second paradigme apparaît plus cynique ; c'est celui de Hobbes et de sa filiation, notamment de Max Weber. La méchanceté humaine est telle, qu'à "l'état de nature", l'homme est un loup pour l'homme, et la violence fait peser une menace sur la vie elle-même dans la chaîne infinie des vengeances, des guerres, des égoïsmes. La vie sociale n'est possible que si les hommes abandonnent cette violence à une autorité qui en interdit l'usage privé et en possède le monopole légitime. La violence cesse quand l'Etat en est le seul détenteur, quand le tyran plus ou moins démocratique en interdit l'usage, y compris par la violence. Les hommes cessent d'être méchants par un mélange d'intérêt bien compris et de peur. Il est bon que l'Etat réprime, terrorise et torture parfois, pour faire de la méchanceté un acte institutionnel légitime. Il est vrai qu'un grand nombre de déchaînements de violences, de barbaries, apparaissent quand l'Etat est faible, quand l'autorité disparaît, quand la nature semble prendre le dessus. L'histoire ne manque pas d'exemples de ces chutes, quand l'Etat s'écroule et nous laisse face à des violences et à des terreurs "archaïques" comme dans l'ex Yougoslavie.

Comme le précédente, cette conception de la violence n'est pas seulement une théorie savante, c'est aussi une philosophie sociale spontanée. Elle appelle une restauration de la loi et de l'autorité, la mise en place d'un ordre disciplinaire "objectif". L'école doit être un "sanctuaire", la discipline et les sanctions doivent la protéger, il faut exclure les élèves les plus difficiles, collaborer avec la justice...

c. Dans les deux modèles que je viens d'esquisser, ce qu'on appelle la société est conçu comme l'antidote à la violence naturelle. Un troisième modèle d'interprétation de la violence renverse les deux raisonnements précédents. A l'état de nature, l'homme est bon et la méchanceté résulte de la perversion de la vie sociale qui rend les individus méchants. Cette représentation est aussi au coeur des mythes religieux sous la forme du paradis perdu et de l'intervention du diable. Du bon sauvage des Lumières aux dénonciations des tares du capitalisme, se retrouve le thème de la chute dans lequel la violence est la réponse à la violence de la vie sociale elle-même. En fait, la violence est la perte de l'innocence et l'homme méchant est, au bout du compte, une victime. Cette représentation reste aujourd'hui particulièrement vivante dans les visions enchantées de l'enfance, dans l'idée selon laquelle les parents violents sont d'anciens enfants battus, dans l'idée selon laquelle la rage méchante des jeunes délinquants est une protestation contre l'injustice du monde... A terme, il existe des violences légitimes et d'autres qui ne le sont pas.

Cette conception de la violence existe dans les murs de l'école, quand les professeurs dénoncent les injustices du système, les injustices faites aux élèves, le caractère arbitraire des punitions... La réponse à cette violence va des soi : c'est la démocratie, c'est à dire la reconnaissance du caractère violent de l'école et la construction d'un ordre scolaire démocratique autorisant l'expression du sentiment d'injustice.

Les trois raisonnements esquissés se conjuguent bien souvent dans la pensée spontanée comme dans la pensée savante. Chacun d'entre nous saute allègrement d'un argument à l'autre en fonction des circonstances et de ses intérêts du moment. Il serait facile de le montrer en parcourant la littérature sur les violences privées, sur les crimes de guerre, sur les émeutes... Souvent aussi, les analyses les plus sophistiquées se présentent comme des combinaisons élaborées de ces trois paradigmes. La violence juvénile et scolaire résulte à la fois de la faiblesse de l'autorité, des lacunes de l'éducation et de l'injustice sociale...

La force de ces paradigmes tient à deux faits essentiels. D'une part, ils sont normativement malléables et au gré des circonstances, ils deviennent "progressistes" ou "conservateurs"... D'autre part, ils englobent les discours savants et les discours quotidiens, ils établissent des rapports entre la connaissance sociale et l'action. La "faiblesse" de ces modèles, on le voit bien, tient à ce qu'ils reposent sur de véritables paris ontologiques relatifs à la nature humaine. Ils appellent donc, qu'on le veuille ou non, un soubassement éthique et religieux, fut-il dénié. En ce sens, la violence est au coeur de la pensée sociale, tout en étant "impensée", scandaleuse, comme dans la théologie classique où la question la plus difficile à résoudre est celle du mal. Pourquoi dieu a-t-il permis le mal en créant l'homme à son image ?

Le mystère est d'autant plus entier que la violence n'entre pas dans les modèles de l'action rationnelle qui se sont peu à peu imposés. En effet, la violence n'est pas seulement l'égoïsme des utilitaristes qui peut conduire à faire le bien par intérêt bien compris. La violence n'est pas seulement une ressource de l'action où l'on terrorise l'autre pour en tirer quelques bénéfices, comme dans la délinquance organisée, le terrorisme ou la guerre. Elle reste mystérieuse parce qu'elle est excessive, parce qu'elle en fait trop, parce qu'elle donne du plaisir. Rien n'oblige un voleur à battre sa victime, rien n'oblige des parents à maltraiter des enfants qu'ils n'aiment pas ou qu'ils aiment trop, rien n'oblige un enseignant à humilier un élève en échec... Les théories sociologiques sont une façon de répondre à ce mystère, comme la religion l'a fait à d'autres moments.

2. Des principes de réponses

Le succès et l'efficacité sociale du thème de la violence scolaire viennent de ce qu'il confond tout, de ce qu'il amalgame des difficultés réelles, des peurs, des angoisses, des frustrations et des expressions modernes des vieilles haines sociales. Non seulement cette représentation peut être "dangereuse", mais elle ne dit rien des réponses qu'il faut opposer à cette violence. C'est pour cette raison qu'il importait de distinguer plusieurs logiques de la violence et de montrer comment chacune de ces figure s'inscrit aussi dans une philosophie sociale à la fois savante et spontanée.

Tous les établissements ne sont pas également violents. Les différences observées ne tiennent pas seulement aux divers contextes sociaux. A défaut d'une étude précise en ce domaine, une bonne connaissance des établissements indique que bien des établissements qui "devraient" être violents ne le sont guère, alors que d'autres, plus favorisés, sont dominés par la violence ou par le sentiment de la violence. Ces quelques observations me conduisent vers une interprétation spontanée qui pourrait être une hypothèse systématiquement testée. Les établissements qui résistent efficacement à la violence sont ceux qui prennent acte de la pluralité des significations de la violence, et qui combinent des systèmes de réponses en surmontant leurs caractères a priori contradictoires.

Si l'on admet que la violence procède de l'incapacité de construire des espaces de déviance tolérée, c'est-à-dire de "lire" les conduites des enfants et des jeunes, il importe d'ouvrir l'école vers le quartier et de renforcer la dimension éducative de l'enseignement. C'est le rôle que jouent la plupart des médiateurs, identifiés comme tels ou non, qui sont en mesure de parler aux familles telles qu'elles sont et non comme elles devraient être. C'est aussi toute la fonction "sociale" des établissements souvent assurée par le Conseiller Principal d'éducation. Ces politiques sont efficaces dans la mesure où l'école cesse d'être une forteresse sous le prétexte d'être un sanctuaire.

Dans la mesure où la violence scolaire est aussi une violence sociale dont l'école doit se protéger, il est clair qu'elle doit réaffirmer une loi, une légitimité et une discipline. Cette réponse, a priori la plus simple et la plus évidente, n'est cependant pas sans poser des problèmes. Elle suppose d'abord que l'ensemble des adultes adhèrent à cette règle et soient en mesure de l'appliquer, elle peut heurter l'autonomie que chacun revendique et les enseignants ont souvent l'habitude d'avoir leur propre discipline et des seuils de tolérance extrêmement variables. Ensuite, il importe que cet ordre soit juste ou perçu comme juste. Or, dès le collège, cette justice repose sur un principe de réciprocité. Les retards et les absentéismes concernent les enseignants, comme les élèves. L'interdiction des injures concerne autant les enseignants que les élèves, les punitions ne doivent pas être des vengeances... Tous ces principes de bon sens ne vont certainement pas de soi tant ils portent atteinte à l'image que bien des enseignants se font de leur autonomie. Mais il clair que, pour être efficace, la délégation de la violence à l'autorité doit être légitime à l'intérieur de la "cité" scolaire.

La dernière réponse concerne les violences "antiscolaires". Elle implique de reconnaître la violence de l'école. Ici, il importe de construire une civilité démocratique, de reconnaître que les élèves sont des sujets, qu'ils ont le droit de protester, de se plaindre et d'être entendus. Le problème essentiel est de savoir ce qui peut être discuté par les élèves et par leurs représentants. Or il est trop souvent admis que rien ne peut être discuté, qu'un élève a toujours tort, qu'un professeur a toujours raison, qu'un parent a toujours tort, qu'une évaluation est toujours juste, qu'une pédagogie est toujours bonne... Dès lors, comment ne pas admettre que la violence des élèves est, avec le retrait indifférent, la seule réponse possible à une situation qui est toujours, peu ou prou, nécessairement violente? On imaginera aisément combien il peut être difficile de construire cette civilité scolaire. Cependant, bien des établissements y parviennent et ne confondent pas les leçons de morale avec "l'éducation à la citoyenneté".

* * *

La véritable explosion du thème de la violence scolaire ne s'explique certainement pas par les seules transformations des conduites des élèves. Comme tout sentiment d'insécurité, ce thème exprime bien autre chose que la seule crainte du délit. Comment ne pas voir qu'il accompagne un mouvement de reprise en main conservateur, le désir de retourner à des ordres perdus et au-delà, la vieille peur des "classes dangereuses"? Tout le monde y trouve son compte : les maîtres fatigués par des années d'innovations pédagogiques appelant un engagement croissant dans leur métier, les syndicats qui réclament de nouveaux moyens, le refus latent et toujours profond de la massification scolaire, l'appel aux nostalgies d'un âge d'or républicain, les déclaration politiques les plus fermes...

Pour autant, la violence scolaire n'est pas un fantasme. Il importe alors d'en comprendre les diverses logiques, d'essayer de distinguer ce qui procède de l'école et ce qui n'en procède pas. La pluralité des significations de la violence doit être corrélée aux grands paradigmes de l'interprétation de la violence qui engagent des familles de réponses que les établissements doivent combiner. C'est aussi parce que la violence pose à l'école des problèmes qui ne sont pas strictement pédagogiques, qui ne relèvent pas seulement de l'adaptation de l'école à l'emploi, ni même du niveau des connaissances, qu'elle occupe aujourd'hui une telle place. Pour ceux qui ne sont pas enfermés dans les réflexes pavloviens de la répression, la violence pose des problèmes fondamentaux quant à la nature de l'ordre social et de la justice. C'est en ce sens que le succès du thème des violences scolaires pourrait être autre chose que l'expression d'un sentiment de crise et de peur.

 

Bibliographie

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Furlong. J. V., 1985, The deviant Pupil, Milton Keynes, Open University Press.

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Willis, P., 1977, Learning to Labor. How Working Class Lads get Working Class Jobs, Farnborough, England Saxon House.

 

Annexe II
Programme du Symposium

Mercredi 25 novembre 1998

Arrivée des participants
Distribution des dossiers à l’hôtel IBIS

Jeudi 26 novembre 1998

8 h 30 Départ de l’hôtel pour le lieu du symposium

9 heures Enregistrement des participants

Ouverture officielle du Symposium par le Président M. Gaby Hostens, Directeur général de l'Administration de l'Enseignement Secondaire, Département de l'Enseignement de la Communauté flamande de Belgique.

Discours d'ouverture par M. Gilbert Vanleenhove, Membre du Parlement flamand et Président de la Commission de l'Enseignement, de la Formation et de la Politique scientifique

Allocution du représentant du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe

10 heures Exposé introductif sur la violence à l'école par M. François DUBET, Professeur, Université de Bordeaux

10 h 30 Pause

11 heures Panel autour de l'exposé introductif avec des représentants des parents, des autorités judiciaires, des enseignants, des médias, des élèves, du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l'Europe (Modérateur: M. Pierre Luisoni, Suisse)

12 h 30 heures Déjeuner

14 h 30 heures Séance plénière : présentation des cas relatifs au thème 1 (actions entreprises au niveau d’un établissement particulier)

15 h 00 Groupes de travail

16 heures Pause

16 h 30 Suite des travaux des groupes

17 h 30 Fin des travaux

Vendredi 27 novembre 1998

9 heures Séance plénière (présentation des cas relatifs au thème 2 (actions entreprises au niveau du système éducatif dans son ensemble)

9 h 30 Groupes de travail

11 heures Pause

11 h 30 Suite des groupes de travail

12 h 30 Déjeuner

14 h 30 Séance plénière (présentation des cas relatifs au thème 3: actions associant d’autres acteurs sociaux)

15 h 00 Groupes de travail

16 heures Pause

16 h 30 Suite des groupes de travail

17 h 30 Réunion des rapporteurs et des présidents des groupes avec le rapporteur général pour préparer les conclusions du symposium

Samedi 28 novembre 1998

9 heures Session plénière

Panel sur les conclusions des ateliers avec les rapporteurs des groupes et le rapporteur général (Modérateur: M. Dominique Barthélémy, Belgique)

10 h 30 Pause

11 heures Rapport général par Madame Nicole Vettenburg

11 h 30 Allocution du Représentant du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe

Allocution de clôture par M. Eddy Baldewijns, Ministre chargé de l'enseignement et de la fonction publique


Notes :

1. Van Dale, Groot woordenboek der Nederlandse taal.

2. Neidhardt, F. (1986), Gewalt. Soziale Bedeutungen und sozialwissenschaftliche Bestimmungen des Begriffs. In V. Krey and F. Neidhardt, Was ist gewalt ? Auseinandersetzungen mit einem Begriff, Wiesbaden, BKA-Forschungsreiche, 109-147.

3. Walgrave, L. (1989), Jongeren en geweld, Een terreinverkenning, Leuven, Onderzoeksgroep jeugdcriminologie

4. Kutchinsky, B. (1979), Law, crime and legal attitude: new advances in scandinavian research on knowledge and opinions about law. In S.A. Mednick and S. Shoham (eds.), New paths in criminology, Lexington, Heath and Co.

5. Galtung, J. (1978), Der besondere Beitrag der Friedensforchung zum Stadium der Gewalt : Typlogien. In K. Rôttgers und H. Saner (eds.), Gewalt. Grundlagenprobleme in der Diskussion der Gewaltphänomene, Basel/Stuttgart, Enke, 9-32.

6. Neidhardt, F. (1986), l.c.

7. Funk, W. (1997), Violence in German schools. The current situation. Paper presented at the « Safer at school » conference on 24-26 February 1997 in Utrecht (the Netherlands)

8. Martin, R. (1994), Violence in Australian schools. Criminology Australia, 7, 16-19.

9. Cette division sera employée dans le cadre de la recherche que nous avons récemment entrepris (1.11.98) en Flandres concernant la violence à l’école.

10. Vettenburg, N. (1988), Schoolervaringen, maatschappelijke kwetsbaarheid en delinquentie, Leuven, Onderzoeksgroep Jeugdcriminologie.
Cela concerne des délits qui sont commis la "dernière année".

11. Junger-Tas, J., Terlowu, G-J. and Klein, M. (eds.) (1994), Delinquent behavior among young people in the Western world, Amsterdam/New York, Kugler Publications.

12. Junger-tas, J., Terlouw, G-J. and Klein, M. (eds.) (1994), l.c.

13. Cette relation fait l’objet d’une étude qui a débuté en Flandre (début : 1.11.98 ; rapport final est prévu en novembre 2000).

14. Pour un développement plus approfondi, voir : Walgrave L. en N. Vettenburg, een integratie van theorieën : maatschappelijke kwetsbaarheid, (une intégration des théories : vulnérabilité sociétale), in : Walgrave, L. (1996), Confronterende jongeren, Leuven, Universitaire Pers.

15. Voir la définition par L. Walgrave dans le préface de la publication de F. De Cauter (1990), Methodiek van de preventieve projectwerking, Leuven, Acco.

16. Walgrave, L. (1996), l.c.

17. Walgrave, L. (ed.) (1996), l.c.

18. Vettenburg, N. (1988), l.c.

19. Vettenburg, N. en Biermans, N. (1994), Samenwerking onderwijs en welzijnswerk, Leuven, Onderzoeksgroep Jeugdcriminologie.

20. Voir l'introduction de F. Dubet.

 


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