Violences envers les garçons
Introduction
S'ouvrir aux victimes masculines
«Étant donné que nous sommes parfois obligés de procéder contre
notre volonté par des personnages de haut rang, voici comment par
compression, l'opération est effectuée : des enfants, encore d'âge tendre,
sont placés dans un bassin d'eau chaude et ensuite, lorsque les parties sont
ramollies dans le bain, les testicules doivent être pressés avec les doigts
jusqu'à ce qu'ils disparaissent»
- Paulus Aegineta - 1er siècle
Cette citation qui figure au début de l'ouvrage de Sander Breiner
Slaughter of the Innocents: Child Abuse Through the Ages and Today [Le
Massacre des innocents: enfants maltraités aujourd'hui et au cours des siècles]
nous rappelle sans ménagement que la brutalisation des garçons remonte à la
plus haute antiquité. Le passage en question est une «instruction» à ceux
qui cherchaient à contourner une loi promulguée par l'empereur romain
Domitien qui interdisait la castration des garçons destinés à des bordels
ou vendus à des maîtres qui les sodomisaient. Au tournant du vingtième siècle,
on pratiquait encore régulièrement la circoncision masculine sans anesthésie
en guise de «thérapeutique» pour réprimer des comportements comme
l'hyperactivité et la masturbation (De Mause, 1988). Quant à ceux qui
croiraient que ce type de traitement inexcusable des petits ou des jeunes de
sexe masculin est chose du passé, nous attirons leur attention sur les éléments
suivants :
un épisode d'une émission de télévision humoristique: contexte - un
camp d'été; situation - l'exploitation sexuelle d'un «garçon de cantine»
par un adulte (nul autre qu'un conseiller du camp);
un journal canadien annonce un jeu de société : «Les 101 usages
possibles d'un pénis amputé»;
une autre émission de télévision illustre une situation d'inceste mère/fils
dans le cadre d'un sketch comique portant sur le sexe au téléphone;
un article dans le journal au sujet d'une mère qui a laissé son fils de
11 ans attaché et bâillonné dans un garde-robes cite les propos d'un
travailleur social qui aurait déclaré durant le procès que le garçon était
très porté «à mentir, voler, manipuler et à être perturbateur à l'école»
et qu'il s'agissait en général d'«un enfant très désagréable».
Ces quelques exemples illustrent certains des thèmes que nous explorons
dans les pages qui suivent, notamment une attitude de «deux poids, deux
mesures» dans les soins et le traitement offerts aux victimes masculines,
ainsi que l'invisibilité et la banalisation de la violence et de la conduite
abusive exercées à l'encontre des garçons et des jeunes gens dans notre
société.
En dépit du fait que plus de 300 ouvrages et articles sur les victimes
masculines aient été publiés au cours des 25 à 30 dernières années, les
garçons, petits et grands, demeurent à la périphérie du propos relatif aux
enfants maltraités. Peu d'ateliers leur sont consacrés dans les conférences
sur le sujet et il n'existe pas de programmes de formation spécialisés pour
les cliniciens. Les évaluations spécifiques aux victimes masculines sont
quasi inexistantes et les programmes de traitement sont rares. Et si l'on
parie des adultes (hommes), la carence est encore plus criante. On a récemment
pu être témoin à Toronto d'un triste exemple de cet état de choses. Après
la diffusion du film Les garçons de Saint-Vincent - sur les mauvais
traitements infligés à des garçons dans un orphelinat dirigé par l'Église
- la ligne téléphonique de secours aux enfants Kids Help Phone a reçu plus
angoissés qui se présentaient comme adultes rescapés de sévices sexuels
infligés durant l'enfance. Il n'y a pas de mots pour décrire la cruelle
ironie que ces hommes n'aient d'autre issue que de s'adresser à une ligne téléphonique
d'urgence pour enfants.
Même le langage que nous utilisons dans le discours actuel sur la violence
et les mauvais traitements masque, minimise ou occulte certaines réalités
concernant les victimes de sexe masculin. Les expressions comme «violence
familiale» sont devenues synonymes de «violence contre les femmes», surtout
aux mains de maris, pères, ou autres hommes adultes. En fait, cette locution
fait conceptuellement disparaître du rang des victimes potentielles tous les
hommes (garçons, adolescents, hommes âgés, frères de tous âges maltraités
par des frères ou soeurs), tout en occultant la notion de contrevenants féminins.
Le Canada traîne sérieusement de la patte par rapport à d'autres pays
occidentaux en ce qui concerne les études sur les victimes masculines et les
contrevenants des deux sexes. En fait parmi les multiples études et le nombre
croissant de recherches sur les victimes masculines, seul un petit nombre sont
canadiennes. Il y a d'énormes lacunes à combler en matière de politiques
sociales, d'information publique, de financement des recherches et programmes
de traitement, et en ce qui concerne la formulation d'un discours plus
inclusif sur la violence interpersonnelle, qui refléterait aussi l'expérience
masculine.
De la nécessité d'une perspective d'inclusion du vécu
masculin
Une perspective sur la violence et la victimologie qui serait «inclusive
du vécu masculin» doit nécessairement être dynamique et évolutionniste,
étant donné que les victimes masculines ne font tout juste que commencer à
s'exprimer sur leurs expériences. Au fur et à mesure, leurs histoires nous
forceront à remettre en question nombre de présomptions anciennes qui font
partie de notre paysage psychologique des victimes et des contrevenants. Il ne
faut surtout pas s'imaginer que les victimes masculines constituent un groupe
homogène, et avec le temps, il est probable qu'un certain nombre de
perspectives distinctes surgiront. Hommes hétérosexuels, homosexuels,
bisexuels, autochtones, vivant avec des déficiences et membres de minorités
visibles et culturelles apporteront différentes facettes aux drames qui se
dessinent de la victimologie masculine.
Il existe, toutefois, quatre éléments qui sont fondamentaux au concept d'«inclusion
du vécu masculin».
- Premièrement, la nécessité d'articuler un ou plusieurs points de vue au
masculin, reflétant la diversité des hommes et des garçons au sein de la
population dans son ensemble.
- Deuxièmement, la nécessité pour les victimes masculines de rechercher
l'équilibre émotionnel, physique, mental et spirituel dans leur lutte pour
soigner la blessure dans ces divers aspects de leurs vies.
- Troisièmement, la nécessité d'honorer et de protéger les gains obtenus
par les victimes féminines et de reconnaître les contributions que les
femmes ont faites pour rompre le silence sur la violence et les mauvais
traitements.
- Quatrièmement, la nécessité de développer une vision commune d'intégration
des histoires des victimes, aussi bien masculines que féminines, pour que
puisse évoluer une perspective cohérente et inclusive qui nous
appartiendrait à tous et que nous pourrions utiliser collectivement dans la
lutte pour réduire et éliminer la violence interpersonnelle et les mauvais
traitements dans notre société.
Malheureusement, comme le révèlent les histoires que racontent les
victimes masculines, nous avons encore énormément de chemin à faire pour réaliser
l'un ou l'autre de ces objectifs.
Les victimes masculines mentionnent qu'elles sont extrêmement navrées,
frustrées, et parfois même en colère de voir que leurs histoires ne sont
pas reflétées dans le discours public sur la violence et les mauvais
traitements. Plusieurs vastes études canadiennes sur la violence
interpersonnelle faites ces dernières années ne signalent que des constats
propres à la victimologie féminine et cachent les résultats portant sur les
victimes masculines. De nombreux documents universitaires sur les victimes de
la violence se targuent d'être «équilibrés» alors qu'ils ne donnent
ordinairement qu'un faible écho de la situation masculine dans leurs
analyses. D'un point de vue conceptuel, bien des gens font également l'erreur
d'accepter et d'utiliser, sans un instant de réflexion, un modèle
victimologique uniquement axé sur la femme. Les victimes masculines estiment
également qu'une bonne partie de ce travail est déshumanisante et qu'elle
fait peu de cas de leur vécu. Ces hommes considèrent en outre que de
nombreux auteurs et penseurs dans le domaine ont démarqué le discours sur la
violence et les mauvais traitements en traçant des frontières qui les
excluent.
Les hommes s'aperçoivent souvent que leurs thérapeutes, conseillers ou
autres types de praticiens habitués à fonctionner avec des modèles axés
sur la victimologie féminine ne sont pas capables de les aider. Par conséquent,
ils sont susceptibles de tout simplement abandonner la thérapie, laissant
inexplorés de nombreux problèmes issus de leur expérience de victime, alors
quels sont cruciaux à leur rétablissement spirituel.
Comme leurs contreparties féminines avant eux, ces hommes aussi ont eu à
buter contre une panoplie de critiques et détracteurs, des gens qui
refusaient de les croire, ignorant les statistiques de prévalence, minimisant
l'impact des mauvais traitements, s'appropriant la parole des hommes dans une
volonté de déni, ou reléguant la victimologie masculine au rang de faux
problème. En présence de données statistiques sur la prévalence de la
victimologie masculine, l'opinion selon laquelle la plupart des contrevenants
sont des hommes est fort répandue. Cette croyance est sans fondement. Elle
tend d'habitude à vouloir réduire la victimologie masculine à un «problème
d'hommes». En plus d'être désobligeantes, de telles opinioins sont perçues
par les rescapés masculins comme autant de blâmes à l'endroit des victimes.
Certes, il est utile de scruter et critiquer concepts et théories, et cela
joue même un rôle important dans l'évolution et le développement de tout
domaine, mais il ne fait aucun doute que le déni, la minimisation et le
silence sont dommageables pour les victimes.
À bien des égards, les victimes masculines se retrouvent là où leurs
contreparties féminines en étaient il y a 25 ans. La plupart d'entre nous
oublions l'énorme opposition rencontrée par le mouvement des femmes lorsque
celles-ci ont commencé à s'organiser et à exiger d'avoir voix au chapitre
pour manifester contre la violence et montrer du doigt les auteurs de sévices.
C'est de haute lutte qu'elles ont obtenu les services de soutien actuels qui,
pourtant, courent encore constamment le risque d'être privés de fonds. Par
comparaison, il n'existe pas réellement comme tel de mouvement organisé des
victimes masculines. En général, le mode de socialisation des mâles ne
favorise pas leur regroupement comme c'est le cas pour les femmes, ni la
communication intime, pas plus que leur capacité à se percevoir comme
soutien l'un pour l'autre. Bref, une bonne partie de ce dont ont besoin les
victimes masculines pour s'organiser en «mouvement» les obligerait à
surmonter de nombreux éléments communs du mode de socialisation masculine,
lesquels militent tous contre l'avènement d'une telle réalité.
De la nécessité d'un nouveau regard sur la victimologie au masculin
Le sous-titre de cet ouvrage, Nouveau regard sur la victimologie au
masculin, est une invitation au public aussi bien qu'aux praticiens à «revoir»
et à «ré-évaluer» leur savoir et leur compréhension de la violence et
des mauvais traitements, et de faire en sorte que l'on puisse y inclure une
perspective masculine. Si l'on se fie aux indices présentés dans les pages
du présent rapport, cette doléance est convaincante et incontournable.
La réflexion et le discours actuels, tant publics que professionnels, en
matière de mauvais traitements et de violence interpersonnelle sont
majoritairement fondés sur un point de vue axé sur la femme. Il n'y a là ni
juste ni faux, ni bien ni mal; cela étant plutôt fonction de ceux et celles
qui ont su prendre la parole. Cependant, il en résulte que la victime a
toujours un visage féminin, les contrevenants, un visage masculin. Et c'est
ce visage masculin des bourreaux qui fait que la violence dans notre société
a été «masculinisée» et qu'elle est exclusivement imputée aux hommes et
aux «modes de socialisation masculins». Bien qu'il soit indéniable qu'il
existe une dimension masculine à de nombreuses formes de violence, surtout
sexuelles, des théories aussi superficielles sur la socialisation des mâles
ne peuvent expliquer pourquoi l'écrasante majorité des hommes ne sont pas
violents. La violence est même imputée à l'hormone masculine, la testostérone.
Le paradoxe de cet argument n'échappe pas aux victimes masculines.
Alors que les femmes luttent depuis belle lurette pour invalider la prétendue
malédiction qui voudrait qu'elles soient à la merci de leurs hormones, voilà
que l'on accuse les hommes d'être à la merci des leurs.
Les hommes victimes cheminent sur un sentier très étroit, entre leur
volonté d'être entendus et validés, d'une part, et leur désir d'être «pro-femmes»
et solidaires des victimes féminines, tout en remettant en question des idées
reçues qui reflètent des stéréotypes qui ne les favorisent guère. En
luttant contre certains de ces stéréotypes, ils s'exposent souvent à des
accusations de misogynie, d'appartenir à la réaction idéologique contre le
féminisme, ou encore d'appliquer en sous-main un programme occulte visant à
miner les gains des femmes. S'il y a la moindre véracité à l'une ou l'autre
de ces accusations, elles devront être confrontées par nous tous. Mais si
elles ne sont motivées que par la crainte qu'une reconnaissance de la
victimologie masculine puisse saper les gains des femmes, alors il faudra en
discuter sans détour et surtout sans essayer de minimiser le vécu de ces
hommes en s'engageant dans une sorte de compétition qui chercherait à établir
lequel des deux groupes aurait été le plus meurtri.
Néanmoins, il importe que nous nous rendions tous compte que bien des femmes
risquent d'avoir de la difficulté à prêter l'oreille aux drames des
victimes masculines avant d'avoir été rassurées à cet égard.
Il est triste de constater que les hommes victimes et leurs porte-parole
risquent gros en s'opposant au statu quo et qu'ils subissent de fortes
pressions pour rester tranquilles.
N'est-il pas paradoxal que les pressions exercées sur eux ne font que
reproduire, à un niveau social, les mêmes modèles de silence, de déni, et
de tentative de banalisation qu'ils ont subis aux mains de leurs agresseurs?
Si nous ne confrontons pas la nécessité de guérir les «blessures de l'être
sexuel», aussi bien des hommes que des femmes, alors nous mettons en péril
la recherche de la paix entre les sexes.
Enfin, et c'est peut-être là la raison la plus importante de ré-examiner
notre compréhension de la problématique, force est de constater que hommes
et adolescents ne se joignent pas de manière significative aux femmes dans la
lutte pour mettre fin à la violence. Cela est en partie explicable dans la
mesure où les hommes n'ont pas du tout le sentiment que leurs propres drames
sont reflétés dans les discussions publiques sur la violence et les mauvais
traitements. S'il fallait se fier uniquement aux médias pour faire connaître
cet aspect du vécu masculin, fort peu de drames individuels viendraient à être
connus, hormis les cas particulièrement sensationnels des orphelinats d'obédience
religieuse ou de diverses écoles provinciales de formation. Il n'est pas rare
d'entendre des garçons manifester du ressentiment à l'égard d'un programme
scolaire anti-violence qui attribue sans discernement à leur sexe les rôles
d'exploiteurs, de harceleurs, de violeurs et d'agresseurs sexuels en
puissance.
En effet, il est difficile pour une personne de se solidariser avec un
mouvement social collectif contre la violence lorsqu'elle a le sentiment que
les drames de sa propre vie sont banalisés, exclus du propos ou repoussés du
revers de la main. Un examen même sommaire de la documentation fait
clairement ressortir qu'elle est essentiellement fondée sur des stéréotypes,
et sur des hypothèses jamais remises en question quant à une présumée «colère
masculine», «agression masculine» ou «sexualité masculine». Trop
souvent, les auteurs prennent pour point de départ une caricature des pires
éléments imaginables de la «virilité» et présument que cette caricature
est valable pour tous les hommes.
Maintenant que les hommes commencent à se lancer sur les sentiers déjà
battus par les femmes, ils font appel à tout leur courage pour ajouter leurs
propres voix au débat public et au discours professionnel sur la violence et
les mauvais traitements. Si nous souhaitons que les hommes s'engagent dans un
véritable dialogue, nous devons être ouverts à l'expression de leurs
critiques, de leurs expériences, et de leur souffrance.
Le garçon invisible et sa raison d'être
Le garçon invisible est destiné aux lecteurs les plus divers. Certains
trouveront sans doute inattendues ou surprenantes quelques-unes des questions
abordées ou recherches présentées dans le document, peut-être même les
jugeront-ils un peu controversées. D'autres ne seront pas du tout étonnés
et y trouveront plutôt une confirmation de leur propre expérience, de ce
qu'ils ont eux-mêmes observé, ou de ce qu'ils ont toujours su. Quoi qu'il en
soit, il importe probablement surtout de considérer le document non pas comme
un énoncé définitif de l'expérience masculine (le combat vient à peine de
commencer), mais plutôt comme un instantané croqué sur le vif de certaines
controverses, de quelques-uns des défis, des insuffisances dans le savoir, et
des problèmes inexplorés relatifs à la victimologie masculine.
Si le présent document devait provoquer chez les lecteurs l'envie d'en savoir
plus sur ce qui s'est écrit sur le sujet, ou devait encourager les milieux
des thérapeutes à étendre leur savoir sur les victimes et les
contrevenants, ou encore servir à élargir le débat public sur les mauvais
traitements dans le sens de l'inclusion de toutes les victimes, alors il aura
atteint son but.
Les lecteurs ne devraient surtout pas voir dans les pages du Garçon
Invisible une quelconque tentative de diluer l'expérience des femmes affectées
par la violence et les mauvais traitements. Qu'il n'y ait aucun doute, les
femmes et les filles qui souffrent quotidiennement de la violence au Canada
sont légion. Les drames des femmes doivent être entendus, reçus et respectés,
sans déni ou minimisation. Il faut résister à toute tentative de mettre les
victimes masculines et féminines en compétition en termes de ressources ou
de crédibilité. Nous ne pouvons plus nous permettre la division qui démarque
les sexes et qui envahit malheureusement les discussions sur la victimologie
masculine et féminine. Si l'on veut faire avancer le mouvement contre la
violence au Canada, il faut nous diriger vers la «réconciliation des sexes»
et nous tenir à l'écart des brutales polémiques qui passent pour une «défense
des droits» dans bien des débats publics.
Idéalement, les histoires des victimes des deux sexes devraient être présentées
côte à côte afin que nous sachions mieux observer et comprendre à quel
point leurs vécus sont inextricablement enchevêtrés. Une tâche de cette
ampleur dépasse malheureusement la portée de ce texte. Du fait que leurs expériences
sont mal comprises, insuffisamment signalées, essentiellement non reconnues,
et qu'elles semblent exclues de la majorité des propos publics et
professionnels, Le Garçon Invisible se concentrera principalement sur les
victimes masculines et regroupera en un même lieu nombre des variantes de
leur vécu collectif.
- Des tas de questions demeurent sans réponse.
- Pourquoi la société canadienne qui se targue d'être charitable et
juste accuse-t-elle un tel retard par rapport à d'autres pays dans la défense
des droits des victimes masculines?
- Pourquoi les médias refusent-ils d'accorder une importance égale aux
problèmes de ces victimes-là?
- Pourquoi négligeons-nous aussi régulièrement les besoins de soutien
des hommes victimes?
- Pourquoi cette attitude de deux poids, deux mesures lorsqu'il s'agit de
traitement et de soins aux victimes masculines?
Sans doute la réponse la plus simple à tout ce qui précède est à
trouver dans le fait que l'essentiel de ce qui constitue la victimologie
masculine est invisible à nous tous, surtout aux victimes masculines elles-mêmes.
Le Garçon Invisible se propose d'explorer ces problèmes-là ainsi que
d'autres questions connexes dans les pages qui suivent.
La prévalence :
Un drame aux nombreuses facettes
Quelle est l'ampleur du phénomène des mauvais traitements infligés à
des victimes masculines? Les chiffres suggèrent une multitude de scénarios,
selon l'orientation de l'étude, le cadre théorique de l'analyse, la définition
donnée aux mauvais traitements et à la victimologie, et les sources que l'on
consulte. En fonction de ce qui précède il y a plusieurs façons bien différentes
de répondre à la question.
Si l'on se cantonne aux seules catégories communément signalées de
mauvais traitements physiques, sexuels ou psychologiques, et de carence de
soins, on obtient un certain tableau. Mais si l'on ajoute les châtiments
corporels, la violence communautaire et en milieu scolaire, et le suicide, la
toile se complique nettement.
D'autres aspects surgiraient encore si l'on développait la notion de «violence
dans la famille» et si l'on explorait plus en profondeur des descripteurs
cliniques couramment utilisés comme «enfants ou jeunes difficiles à
encadrer», «conflits parents-enfants», «enfants turbulents», «familles
dysfonctionnelles», «adolescents à problèmes», «conduite perturbée»,
«attitude d'opposition et de défi», ou «déficience de l'attention», pour
ne nommer que ceux-là. Dans les enquêtes de population générale, lorsque
l'on utilise des expressions comme «contact sexuel» ou «attouchement sexuel»
au lieu d'«agression sexuelle» ou «abus sexuel», les chiffres de prévalence
augmentent considérablement, surtout pour les sujets masculins qui, souvent,
ne se rendent pas compte que leur vécu sexuel en fait des victimes de «conduite
abusive» en termes strictement cliniques et juridiques.
On pourrait ajouter d'autres catégories si l'on examinait de plus près le
concept de situation «à risque». Par exemple, aux É.-U., les garçons sont
plus susceptibles que les filles d'être diagnostiqués comme souffrant de
troubles du comportement et de problèmes mentaux, plus susceptibles d'être
admis dans des hôpitaux psychiatriques, deux fois plus susceptibles de
souffrir d'autisme, huit fois plus susceptibles de faire l'objet d'un
diagnostic d'hyperactivité, plus susceptibles d'accoutumance aux drogues et
à l'alcool, et plus susceptibles de décrochage scolaire au secondaire
(Kimbrell, 1995).
Les choses se complique encore si l'on examine aussi le quotidien des garçons
et des jeunes gens pris en charge par l'État, vivant en famille d'accueil,
dans des foyers collectifs, avec un tuteur, ou dans des établissements de
garde pour jeunes contrevenants. On pourrait également ajouter les mauvais
traitements infligés à des hommes âgés, la victimologie masculine dans le
cadre de la violence entre frères, ou frères et soeurs, la conduite abusive
à l'égard de conjoints masculins (en union matrimoniale ou libre, y compris
dans les couples d'hommes), et la violence à l'égard des handicapés de sexe
masculin de tous âges. Finalement, il y aurait lieu aussi de tenir compte des
drames quotidiens des jeunes hommes sans domicile, des enfants de la rue, et
des adolescents qui se prostituent pour survivre.
Il devient très vite apparent que les histoires personnelles de nombreux
types de victimes masculines restent à raconter. Même si la réalité des
enfants maltraités a beaucoup gagné en crédibilité dans les débats
publics et dans les milieux professionnels, on risque toujours d'oublier qu'il
s'agit encore d'un champ d'étude très neuf. Les définitions de la conduite
abusive continuent à évoluer, tout comme celles des données de prévalence,
des théories de victimologie et de contravention, et des modèles d'évaluation
et de traitement. Nous sommes encore loin de posséder un savoir exhaustif ou
global du sujet. Nous n'avons tout simplement pas eu assez de temps pour
tester nombre de nos idées de façon empirique, pas plus que nous ne savons
encore toutes les questions qui doivent être posées.
Même si, répétons-le, la crédibilité des allégations de mauvais
traitements a généralement fait du chemin, nous ne devons jamais oublier
qu'il s'agit d'un domaine d'intérêt qui est émotivement et politiquement
chargé, et c'est là un point que les victimes et leurs porte-parole seraient
mal venus d'oublier. La discussion rationnelle est parfois difficile, la
poursuite d'indices est fréquemment disqualifiée ou ignorée dans l'intérêt
de la politique, et des tas de gens, même dans les professions, ne croient
toujours pas qu'un phénomène comme l'exploitation sexuelle des enfants représente
véritablement une problématique sociale répandue et inquiétante. Ainsi,
jusqu'au milieu des années 70, le point de vue dominant en psychiatrie à l'égard
de l'inceste était qu'il s'agissait d'un phénomène extraordinairement rare
(Freedman, Kaplan et Sadock, 1975).
Pour la victime de sexe masculin, la situation est encore plus précaire.
De nombreux obstacles culturels et autres doivent être surmontés par les garçons
(enfants et adolescents), les milieux professionnels et le grand public, ne
serait-ce que pour en arriver à reconnaître que le vécu qui s'inscrit dans
la victimologie masculine rejoint les mauvais traitements. Quant aux garçons
et aux hommes «gais», toute révélation des sévices qui leur seraient
infligés les obligerait à divulguer leur homosexualité, et par conséquent,
il est caractéristique qu'ils gardent le silence. En fait, c'est très
simple, si l'on ne se met pas à la recherche des victimes masculines, elles
ne se manifestent pas spontanément. Si nous n'explorons pas la problématique
de la victimologie masculine avec les hommes et les garçons, ceux-ci ne nous
livreront pas leurs histoires de leur propre chef. Par conséquent, et cela
est malheureusement très caractéristique, la première fois qu'un
contrevenant masculin, adolescent ou adulte, reçoit la moindre aide au niveau
de sa propre victimologie, c'est lorsqu'il a retenu l'attention du système
judiciaire pour avoir lui-même fait des victimes (Sepler, 1990).
Exploitation sexuelle des garçons - enfants et adolescents
La quasi totalité de la discussion sur la prévalence de la victimologie
masculine au Canada et ailleurs se fonde sur des «statistiques officielles»,
c.-à-d. chiffres tirés de rapports sur les cas signalés à un organisme
public : hôpitaux, police, aide à l'enfance. Toutefois, il ressort nettement
de toute étude sur les enquêtes de population générale que la victimologie
masculine souffre d'un grave déficit sur le plan des signalements - déficit
autrement plus aigu que dans le cas des victimes féminines. Dans la Ontario
Incidence Study of Reported Child Abuse et Neglect [étude ontarienne
d'incidence des signalements d'enfance maltraitée et en carence de soins],
les filles faisaient l'objet de 54 % des enquêtes (25,016) et les garçons,
de 46 % (21,426) (Trocme, 1994).
Les adolescents comptaient pour 14 % des allégations d'abus sexuels imputées
aux parents et pour 18 % des allégations imputées à d'autres. Cependant,
lorsque l'on examine les cas qui concernent des enfants plus jeunes (8-11
ans), on constate que les garçons comptent pour 42 % à 44 % des allégations.
En 1984, le gouvernement fédéral a publié une étude en deux tomes,
maintenant très connue, Infractions sexuelles à l'égard des enfants, ou «Rapport
Badgley». De nombreux aspects de la victimologie masculine détaillés dans
cette étude à l'échelle nationale n'ont toujours pas été portés à
l'attention du public ou même des milieux professionnels. Un coup d'oeil sur
certaines des données de prévalence que l'on y trouve permet un constat étonnant
sur la prévalence des victimes masculines d'abus sexuels.
Si l'on prend comme point de départ les résultats de l'étude en matière
de prévalence, on constate qu'un homme ou garçon sur trois (33 %) et qu'une
femme ou fille sur deux (50 %) ont affirmé avoir été victimes
d'attouchements sexuels non désirés durant leur vie. De ces incidents,
environ 4 sur 5 se sont produits durant l'enfance ou la jeunesse du sujet. Sur
une population canadienne que nous placerons à 29 millions, divisée également
par sexe, ces pourcentages livrent les taux de prévalence suivants :
Table 1
Taux de prévalence de l'exploitation sexuelle
des enfants au Canada par sexe
Population : 29,000,000
Sexe masculin |
Sexe féminin |
14,500,000 à 33 %
=
4,785,000
|
14,500,000 à 50 %
=
7,250,000
|
À partir de ces simples calculs, on peut voir qu'il y a près de cinq
millions de garçons ou d'hommes au Canada qui ont été victimes d'une forme
quelconque d'attouchements sexuels non désirés. On peut considérer qu'il
s'agit là d'une estimation minimale étant donné que la victimologie
masculine souffre d'un déficit des signalements plus aigu que dans le cas des
femmes.
Dans la catégorie des agressions sexuelles, quelque 3 victimes sur 4 dans
l'étude étaient de sexe féminin, dans 1 cas sur 4 il s'agissait donc d'un
garçon. L'étude Badgley a également constaté que la proportion des
victimes masculines d'agressions sexuelles augmente avec l'âge, alors que les
signalements diminuent, et dramatiquement, après la puberté. Dans l'Enquête
nationale sur la santé de la population, 90 % des garçons/hommes et 75 % des
filles/femmes n'avaient pas signalé l'expérience subie. Dans l'ensemble, les
victimes féminines étaient deux fois plus susceptibles de le faire.
L'étude signalait également des constats relatifs aux contrevenants féminins
qui n'ont absolument pas été portés à l'attention du public ou des
professionnels, particulièrement en matière d'«outrages à la pudeur»
(exhibitionnisme, notamment) visant des personnes de sexe masculin, et le
recours à des juvéniles s'adonnant à la prostitution. Ces deux types de
constats sont ignorés dans les discussions sur les taux de prévalence
relatifs aux victimes masculines. Parmi les constats de la sous-étude Enquête
nationale sur Les forces de l'ordre (Badgley, 1984), le rapport révèle que
les hommes comptent pour 99,4 % des personnes accusées d'outrage à la
pudeur, les femmes, pour 0,06 %.
Toutefois, dans l'Enquête sur la santé ci-dessus (Badgley, 1984), 77,6 % des
victimes des deux sexes ont signalé avoir été la cible d'hommes, alors que
22,4 % avaient été la cible de femmes. Dans ce contexte, 33 % des victimes
masculines ont indiqué avoir été exposées, contre leur volonté, au
spectacle d'un sexe féminin. Une victime féminine sur 13 avait été la
cible d'un contrevenant féminin, dans un cas sur 20, il s'agissait de
l'exhibition d'un sexe féminin. En dépit des taux de signalement d'attentats
à la pudeur de la part de femmes dans l'Enquête sur la santé, seule une
faible proportion des incidents sont signalés, et peu de contrevenants féminins
finissent par être poursuivis.
Dans l'Enquête nationale sur la prostitution juvénile, 50 % des 229
jeunes sujets qui s'adonnaient à la prostitution dans diverses régions du
Canada, signalaient qu'ils avaient été sexuellement sollicités par une
femme adulte, soit 62 % des sujets masculins et 43,4 % des sujets féminins.
Dans 75 % de ces incidents, le consommateur était la femme elle-même; dans
les autres cas, le destinataire était une connaissance masculine. Vingt-deux
pour cent des juvéniles de sexe masculin et 20 % des juvéniles de sexe féminin
avaient été sollicités par des femmes trois fois ou plus.
Cependant, dans cette étude et dans d'autres, les clients masculins représentent
toujours plus de 95 % des consommateurs de services sexuels offerts par des
juvéniles et des adultes des deux sexes qui s'adonnent à la prostitution.
Aux É.-U., les enfants victimes d'agressions sexuelles violentes sont plus
souvent des garçons (Office of Juvenile Justice et Delinquency Prevention,
1995). Les indices suggèrent que les garçons sont plus susceptibles que les
filles d'être maltraités physiquement et sexuellement à la fois (Finkelhor,
1984). Les recherches qui explorent les différences dans la gravité des abus
sexuels subis par les victimes masculines, en les comparant avec les victimes
féminines, suggèrent que les garçons subissent des agressions plus
envahissantes, sont victimes d'une plus grande variété d'actes sexuels, perpétrés
par un plus grand nombre d'auteurs (Baker et Duncan, 1985; Bentovim, 1987;
DeJong, 1982, Dubé, 1988; Ellerstein, 1980; Finkelhor et cool., 1990; Gordon,
1990; Kaufman, 1980; Reinhart, 1987).
Toutefois, il est probable que ces constats ne tiennent pas compte du fait
que c'est la gravité même de l'agression qui permet à un incident
impliquant une victime masculine d'être porté à l'attention des autorités.
Garçons et hommes n'ont pas tendance à signaler les abus sexuels moins
graves, surtout lorsque l'auteur est de sexe féminin.
La Table 2 donne les taux de prévalence des mauvais traitements sexuels
pour différentes populations masculines. Les échantillons et les taux
couvrent une très grande échelle. Il est intéressant de constater les taux
élevés de mauvais traitements dans les antécédents des contrevenants
sexuels masculins.
Table 2
Taux de prévalence des abus sexuels
chez les personnes de sexe masculin
Auteurs |
Échantillon |
Prévalence (%) |
Canada
Badgley (1984) |
Enquête de population générale |
14 % |
Violato & Genuis (1992) |
Étudiants d'université (Canada) |
14 % |
É.-U.
Finkelhor, et coll. (1990) |
Enquête nationale (É.-U.) |
16 % |
Condy et coll. (1987) |
Universitaires - hommes (É.-U.) |
16 % |
Fromuth et Burkhart (1987) |
Étudiants pré-diplômés (É.-U.) |
24 % |
Stein et coll. (1988) |
Enquête communautaire (É.-U.) |
12,2 % |
Urquiza (1988) |
Étudiants pré-diplômés (É.-U.) |
32 % |
Cameron et coll. (1986) |
Enquête nationale (É.-U.) |
16 % |
Risin et Koss (1987) |
Garçons de moins de 14 ans |
7,3 % |
Condy et coll. (1987) |
Prisonniers - hommes
(victimes de femmes seulement) |
46 % |
Groth (1979) |
Contrevenants sexuels adultes - hommes |
33 % |
Petrovich et Templer (1984) |
Contrevenants sexuels adultes - hommes
(victimes de femmes seulement) |
59 % |
Johnson (1988) |
Garçons (4-13 ans) ayant eu une
conduite sexuellement abusive |
49 % |
G.-B.
Baker & Duncan (1985) |
Enquête nationale (G.-B.) |
8 % |
Les taux de prévalence des victimes masculines dans le total de la
population des victimes d'abus sexuels figurent à la Table 3.
Table 3
Victimes masculines comme pourcentage
du total des victimes d'abus sexuels
Auteurs |
Échantillon |
Prévalence (%) |
DeJong, et coll. (1982) |
Étude des hôpitaux |
17 % |
Ellerstein et Canavan (1980) |
Étude des hôpitaux |
11 % |
Finkelhor (1984) |
Examen de la documentation
sur les abus sexuels |
10 %-33 % |
Neilson (1983) |
Estimations des programmes de traitement |
25 %-35 % |
Pierce et Pierce (1985) |
Étude sur les lignes d'urgence pour enfants
maltraités |
12 % |
Ramsay-Klawsnik (1990) |
Enfants adressés pour leur protection
Cas confirmés d'abus sexuels |
39 %
45 % |
Rogers et Terry (1984) |
Étude des hôpitaux |
25 % |
Grayson (1989) |
Interviews de cliniciens |
25 %-50 % |
Conduite sexuelle abusive entre frères et / ou soeurs
L'inceste entre frères et soeurs est un autre domaine dont on commence
tout juste à discuter et dont l'étude a été entravée du fait que bien des
gens omettent de classer de tels incidents sous la rubrique des mauvais
traitements. Il est difficile d'obtenir une image complète de la prévalence
des abus sexuels entre frères et soeurs du fait que bien des enfants, des
adolescents et des adultes jugent qu'il s'agit de «curiosité sexuelle» ou
d'«expérimentation». Certaines victimes voient cela comme de l'«exploration
mutuelle».
En termes strictement juridiques et cliniques, il est parfois difficile d'étiqueter
ces actes sexuels comme un comportement «délinquant» si l'on ne se donne
pas la peine de considérer l'âge des enfants, les différences d'âge entre
victimes et auteurs, le pouvoir qu'impartit l'âge, le fonctionnement
intellectuel, la taille et la force, l'impact sur la victime, ou l'éventuelle
position d'autorité de la personne plus âgée - frère ou soeur (c.-à-d.
gardien-gardienne).
Dans d'autres cas, l'enfant «contrevenant» agit «en réaction», en s'en
prenant à un frère ou une soeur plus jeune ou plus faible pour avoir été
lui-même (elle-même) maltraité(e). Peu de cas de ce genre figurent dans les
statistiques officielles sur la délinquance ou la prévalence du fait que les
contrevenants ont moins de 12 ans.
Pour les victimes masculines d'abus sexuels infligés par un frère ou une
soeur, certains avancent des chiffres de 6 % (Pierce et Pierce, 1985a), 13 %
(Finkelhor, 1980), et 33% (Thomas et Rogers, 1983). Longo et Groth (1983) ont
constaté que parmi les victimes de contrevenants juvéniles au sein de la
famille on trouve : des soeurs, soeurs par remariage, ou soeurs adoptives (20
%); des «frères» en famille d'accueil (16 %); et des frères biologiques (5
%).
Harcèlement sexuel
Les femmes ont eu à se battre pendant des années pour que les discussions
publiques sur la violence et la victimologie intègrent leurs expériences, préoccupations
et appréhensions en matière de harcèlement sexuel. Leurs efforts ont réussi
à nous sensibiliser aux subtilités et à l'impact du harcèlement sur les
fillettes, les adolescentes et les femmes dans bien des milieux de travail et
scolaires. Même s'il y a encore du chemin à faire, le harcèlement sexuel
est maintenant reconnu comme un grave problème pour les femmes. Mais c'est
une problématique qui engendre des victimes masculines aussi.
Toutefois, comme pour tout phénomène relatif à la victimologie, les hommes
sont en butte à des stéréotypes discriminatoires une attitude de deux
poids, deux mesures. Il suffit de soulever la question des victimes masculines
du harcèlement sexuel pourvoir les sourcils se froncer et l'incrédulité se
peindre sur tous les visages.
Malheureusement, lorsque l'on essaie d'établir la prévalence du harcèlement
sexuel dont des hommes font les frais, on est encore confronté au même problème
du retard du Canada par rapport aux autres pays occidentaux. La Communauté
européenne a produit un rapport de 93 pages sur le harcèlement sexuel
intitulé The Guide to Implementing the European Code of Practice on the
Dignity of Women and Men at Work [Guide d'application du Code européen des
pratiques relatives à la dignité des femmes et des hommes au travail].
Dans ce document, on mentionne que 19 % des hommes en Allemagne et 21 % des
jeunes gens en France ont signalé qu'ils ont fait l'objet d'avances sexuelles
non sollicitées (Globe & Mail, 1993). Que femmes et filles soient plus
exposées au harcèlement sexuel ne justifie nullement le fait qu'il n'existe
pratiquement aucune recherche entreprise au Canada pour documenter la prévalence
du phénomène lorsqu'il vise les hommes. Quant à la question du harcèlement
entre homosexuels masculins, elle n'a même pas fait surface.
Il y a pourtant une exception : une étude récemment publiée sur le harcèlement
sexuel entre élèves du secondaire. Cependant, elle risque de tomber
rapidement dans le piège du reportage biaisé et de l'interprétation. Un dépliant
qui fait la promotion de l'étude contient le paragraphe suivant :
«Dans une étude récente effectuée dans les écoles secondaires de
l'Ontario, plus de 80 pour cent des filles ont affirmé avoir été harcelées
sexuellement. Quant aux garçons, ils ont déclaré que leur harcèlement était
souvent un compliment ou une taquinerie : peu d'entre eux ont dit qu'ils ne
se sentaient pas en sécurité ou que le harcèlement était une interférence
dans leur quotidien, sauf si l'auteur du harcèlement était de sexe
masculin.» (OSSTF, 1994)
La plupart des gens lisent un tel passage sans y penser à deux fois. Ce
qu'il y a d'inquiétant dans des propos de ce genre, c'est qu'ils renforcent
des stéréotypes biaisés et nocifs au sujet des hommes et qu'ils renforcent
l'attitude des deux poids, deux mesures. Et ce n'est pas tout, il y a d'autres
problèmes.
Tout d'abord, le pourcentage global des jeunes gens qui ont signalé avoir
été harcelés sexuellement n'est pas donné, de sorte qu'il est difficile de
comparer quoi que ce soit avec la proportion de 80 % indiquée dans le cas des
jeunes filles. Deuxièmement, à la question : «Avez-vous parfois peur d'être
sexuellement harcelé(e)s?», quelque 70 % des filles et 30 % des garçons ont
répondu «Oui». Entre un quart et un tiers des jeunes gens ont donc dit «Oui»
(qu'ils l'ont cette crainte). On ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un petit
pourcentage. Mais ce qui est sans doute plus important, c'est que cela rend
indéfendable la position des auteurs qui est de minimiser la gravité du
problème pour les garçons sous prétexte que la prévalence est plus élevée
chez les filles.
Troisièmement, les auteurs émettent également des jugements qualitatifs
quant à l'impact sur les garçons, sans reconnaître que ces derniers sont
moins susceptibles de signaler les cas de harcèlement, plus portés à
minimiser tout impact négatif, plus disposés à réprimer toute expression
de crainte, et plus enclins à banaliser leur expérience dans la mesure où
la socialisation qui leur est propre leur enseigne à apprécier et à considérer
comme positives les «ouvertures sexuelles» venant de la gent féminine. Il
faut se demander si l'on pourrait se permettre de ne pas douter des
commentaires des jeunes femmes dans l'étude qui déclareraient avoir perçu
comme un compliment ou une taquinerie le harcèlement dont elles ont fait
l'objet.
Cette critique ne diminue en rien l'importante contribution du travail ou
des efforts incessants de ceux qui essaient de protéger les étudiants du
harcèlement. Il ne s'agit pas non plus d'une banalisation du fait que,
ordinairement, les filles éprouvent davantage la crainte, l'inconfort et les
conséquences émotionnelles du harcèlement. Le problème est plutôt que les
auteurs, dans leurs commentaires et interprétation des résultats, renforcent
de malheureux stéréotypes qui ne font que perpétuer le problème du harcèlement
sexuel entre étudiants, surtout lorsque l'une des parties est de sexe
masculin.
Du fait que la conscience publique ne fait tout juste que s'éveiller au
harcèlement sexuel, il n'est pas du tout inusité de rencontrer des gens qui
croient que les garçons ne peuvent pas être harcelés sexuellement parce
que, en tant que mâles, ils ont le «pouvoir». Certes, le harcèlement
sexuel est une question de pouvoir, mais une définition du «pouvoir» exprimée
en termes politiques ou économiques seulement serait trop étroite pour être
appliquée au quotidien des enfants et des adolescents. Elle serait également
trop restreinte si l'on supposait que seuls les mâles ont le pouvoir en vertu
de leur sexe. L'attirance physique, l'âge, la popularité, et même la «personnalité»
peuvent être des formes de «pouvoir social».
Par exemple, avec quel sérieux un administrateur scolaire ou même des
copains sont-ils susceptibles d'écouter un garçon boutonneux, maigrichon ou
de type «rat de bibliothèque» qui se plaindrait d'avoir été sexuellement
provoqué ou taquiné par une fille attirante et populaire? Et que dire d'un
cas où le garçon en question serait «plus jeune» ou s'il s'agissait d'un
étudiant appartenant à une minorité visible dont la première langue n'est
pas le français alors que l'étudiante serait une blanche? Ou encore si l'étudiant
venait d'un milieu religieux très strict où l'on considère le moindre
propos ou contact «sexuel» comme non approprié et agressif?
Vu de cet angle-là, le harcèlement sexuel peut donc être perçu comme une
atteinte à la dignité humaine fondamentale et une violation des croyances
religieuses ou des normes et valeurs culturelles.
Viols et agressions sexuelles contre les hommes en prison
La forme d'agression sexuelle la plus négligée dans notre société a
pour victimes des hommes qui se font violer en prison. Les études sur la prévalence
des agressions sexuelles ne mentionnent jamais cette forme de violence. En
fait, on ne trouve aucune recherche qui documente les agressions sexuelles
infligées à des hommes adolescents et adultes dans les prisons ou dans des
établissements de garde fermée, bien que l'on estime que cela soit courant.
Il est facile d'ignorer le sort de ces hommes à cause de leur statut «diminué»
en tant que contrevenants; même trop facile de manquer totalement de
compassion pour eux - jusqu'à ce que l'on se mette à réfléchir au fait que
nombre d'entre eux sont eux-mêmes des «rescapés» (anciennes victimes) de
diverses formes de mauvais traitements durant l'enfance.
Enfants maltraités physiquement et émotivement, et en carence de soins
Les mauvais traitements sexuels infligés aux enfants et aux jeunes ont été
une dominante d'une bonne partie des activités de recherche, des prises de
position sociales, et de nombre de reportages dans les médias au cours des
dix dernières années sur les enfants maltraités, en dépit du fait que ce
phénomène ne compte que pour environ 14 % des diverses formes de mauvais
traitements signalés ou prouvés (NCCAN, 1994).
Aux É.-U., les enfants en carence de soins (négligés) comptent pour 49 %
des cas de mauvais traitements, les enfants maltraités physiquement, pour 23
% et émotivement, pour 5 %. La privation de soins médicaux, elle, compte
pour 3 %, les enfants autrement carencés, pour 9 %, et les cas de négligence
pour raisons inconnues constituent le reste. Cela est particulièrement
significatif lorsque l'on se rend compte que les garçons,. surtout dans les
catégories d'âge plus jeunes, représentent habituellement la majorité des
victimes de mauvais traitements physiques et émotionnels.
Dans l'étude ontarienne d'incidence des signalements d'enfance maltraitée
et en carence de soins, il a été constaté que les garçons étaient
sur-représentés dans la catégorie des mauvais traitements physiques. Ils
comptaient pour 59 % des enquêtes dans la catégorie d'âge 0-3 ans, pour 56
% des 4-7 ans, pour 55 % des 8-11 ans, et pour 44 % des 12-15 ans. En ce qui
concerne les victimes de mauvais traitements émotionnels, les garçons
comptaient pour 54 % de toutes les enquêtes. Les taux d'incidence étaient à
leur plus élevé pour les garçons de 4-7 ans (69 %) et à leur plus bas pour
ceux de 8-11 ans (33 %). Pour ce qui est de la carence de soins, les chiffres
étaient passablement équivalents, sauf pour les enfants de 8-11 ans où les
garçons représentaient 55 % des cas.
Curieusement, cette étude ne donne pas les taux comparatifs des cas où «il
y a matière», entre garçons et filles, que l'on a trouvé être beaucoup
moins élevés pour les garçons, surtout dans les cas comportant des mauvais
traitements sexuels (Powers et Eckenrode, 1988).
Rosenthal (1988) a constaté que les garçons dans toutes les catégories d'âge
étaient victimes de coups et blessures beaucoup plus graves que les filles,
les cas les plus extrêmes se manifestant chez les garçons de moins de 12
ans.
L'étude ontarienne rapporte que les taux de mauvais traitements physiques
étaient légèrement plus élevés pour les filles de 12-15 ans (56 %) et
affirme que les filles dans cette catégorie d'âge sont en général «à
plus haut risque» de mauvais traitements physiques que les garçons. Des résultats
analogues ont été signalés ailleurs (Johnson et Showers, 1985; Russell et
Trainor, 1984; et Walker et d'autres, 1988). Néanmoins, ce que cette interprétation
omet de prendre en ligne de compte, c'est que les garçons sont moins
susceptibles de signaler la conduite abusive, qu'il est moins probable que
celle-ci soit portée à l'attention des autorités, et que les garçons sont
plus enclins à se défendre du fait qu'ils sont, en moyenne, plus grands à
cet âge-là (Gelles, 1978; Russell et Trainor, 1984).
Toutefois, il y a des indices qui suggèrent que les mauvais traitements
physiques infligés aux adolescents des deux sexes sont sous-signalés
(Garbarino, Schellenbech, et Sebes, 1986; Powers et Eckenrode, 1988; Farber et
Joseph, 1985; Pelcovitz et d'autres, 1984; et Libbey et Bybee, 1979).
Violences entre frères et(ou) soeurs
Tout comme en ce qui a trait aux mauvais traitements sexuels, la violence
entre frères et soeurs du même sexe ou de sexe opposé pose un grave problème
du fait aussi qu'elle fait l'objet d'une sérieuse carence de signalements
(Steinmetz, 1977). Ce type de violence est ignorée par les parents et elle
est occultée par des expressions comme «interactions un peu rudes mais
normales», «rivalité entre frères et/ou soeurs», ou «chicanes». Les garçons
sont même parfois encouragés à se battre pour «les endurcir» et les préparer
à «la vraie vie».
Presque tous les enfants américains sont violents à l'égard de leurs frères
et soeurs (Straus et coll., 1980). Selon cette recherche, 83 % des garçons et
74 % des filles ont agressé un frère ou une soeur. Cinquante-neuf pour cent
des garçons et 46 % des filles ont attaqué un frère ou une soeur avec des
conséquences graves.
Bien qu'il s'agisse de la forme la plus ignorée de «violence familiale»,
la violence exercée par un frère ou une soeur a des conséquences
significatives pour les garçons et les jeunes gens. Selon Straus : ce type de
violence est plus fréquent qu'entre parents et enfants ou mari et femme; les
gars dans tous les groupes d'âge sont plus violents à l'égard d'un frère
ou d'une soeur que ne le sont les filles; et le niveau le plus élevé de
violence se manifeste lorsqu'un garçon n'a que des frères.
Châtiments corporels
La question des châtiments corporels a fait tout juste son apparition dans
le propos sur l'enfance maltraitée et nous commençons à être témoins de
remises en question de la justesse de certains articles du Code criminel qui
sanctionnent le recours aux châtiments corporels comme mesure disciplinaire
à l'égard des enfants.
Ce qui inquiète, c'est que les châtiments corporels font partie d'un
continuum qui commence par des fessées et se termine par des mauvais
traitements physiques et des agressions. Il est parfois très difficile d'évaluer
à quel stade un parent ou tuteur a franchi la ligne de démarcation. Quoi
qu'il en soit, que le recours à la force ait constitué une agression ou que
l'intention ait été de nature disciplinaire, les effets sur l'enfant sont
nocifs (Yodanis, 1992; Vissing et coll., 1991).
Les châtiments corporels sont particulièrement inquiétants dans le cas
des garçons. Au Canada, 70 % des victimes d'agressions non sexuelles dans la
catégorie des moins de 12 ans sont des garçons (Statistique Canada, 1991).
Il est évident que les garçons sont frappés plus souvent que les filles
(Bryan et Freed, 1982; Gilmartin, 1979; Knutson et Selner, 1994; Maccoby et
Jacklin, 1974; Newson et Newson, 1989; et Wauchope et Straus, 1992).
Des études publiées aux É.-U. montrent qu'entre 93 % et 95 % des jeunes
adultes signalent avoir fait l'objet de châtiments corporels durant l'enfance
ou l'adolescence (Bryan et Freed, 1982; Graziano et Namaste, 1990). Les enquêtes
menées auprès des parents indiquent qu'environ 90 % des adultes ont recours
à des châtiments corporels comme mesure disciplinaire pour «corriger»
leurs enfants (Wauchope et Straus, 1990; Straus, 1983).
Violence dans le cadre communautaire, scolaire et institutionnel
La violence dans le cadre communautaire et scolaire parmi les enfants et
les adolescents est un sujet qui a gagné de la notoriété dans les médias
et dans les milieux scolaires. Un article de journal récent rapportait que
des chercheurs à l'Université du New Hampshire qui utilisaient un échantillon
aléatoire d'enfants de 10 à 16 ans, ont trouvé qu'un garçon sur 10 (10 %)
aux É.-U. avait subi un traumatisme génital qui n'était pas une agression
sexuelle, soit ordinairement un coup de pied de la part de quelqu'un du même
âge (Globe & Mail, 1995). Le taux analogue pour les filles était de 2 %.
Ces mêmes chercheurs ont rapporté aussi que 40% des auteurs de traumatismes
étaient des filles. Les garçons porteurs de lunettes ou vivant avec d'autres
types de déficiences étaient trois fois plus susceptibles de recevoir des
coups. Un an après avoir reçu un coup de pied, un garçon sur quatre
souffrait encore de dépression liée à l'incident.
En 1990, Statistique Canada avait fait une étude des modèles de
victimologie d'origine criminelle. On y a constaté que la catégorie la plus
«à risque» était celle des hommes, jeunes, célibataires, et vivant en
milieu urbain. Dans une étude portant sur un millier d'élèves du cours
moyen en Ontario, 29 % des garçons de 6e année ont signalé avoir été
battus dans l'enceinte de l'école et 22 % auraient été victimes de vol,
toujours à l'école, par comparaison avec 19 % et 10 % respectivement pour
les filles de 6e année.
Dans cette même étude, on a constaté que, globalement, les garçons et les
filles étaient susceptibles, à proportions égales, d'être victimes ou
auteurs d'actes violents (Ryan, Mathews, et Banner, 1993). Dans une étude à
Calgary portant sur 962 élèves du cours moyen et du secondaire, 47,5 % des
garçons et 26,6 % des filles ont signalé avoir été giflés, avoir reçu un
coup de poing ou un coup de pied, à l'école, durant l'année écoulée
(Smith et coll., 1995). Au Canada, la violence exercée à l'école ou au sein
de la communauté contre les jeunes gens homosexuels représente un autre
problème dont on discute rarement.
Aux É.-U., 72 % des victimes juvéniles d'homicides sont de sexe masculin.
Quarante pour cent des victimes juvéniles sont tuées par des membres de la
famille, principalement par l'un des parents. Dans le cas des garçons, 53 %
des victimes sont tuées par leur père, et dans le cas des filles, un peu
plus de la moitié (51 %) par leur mère (OJJDP, 1995). On rapporte également
dans cette étude le fait que les blancs de sexe masculin comptent pour 83 %
des suicidés de moins de 20 ans, et que pour deux jeunes de 0-19 ans assassinés
aux É.-U. en 1991, un jeune s'était suicidé.
Suicide
Le Canada a l'un des taux de suicide les plus élevés dans le monde
occidental. Un peu moins de 2 % de tous les décès au Canada sont des
suicides, et près de quatre fois plus d'hommes/garçons que de femmes/filles
se suicident annuellement. Les taux de suicide des jeunes ont appréciablement
augmenté depuis les années 1950, surtout parmi les jeunes gens de 16 à 24
ans (Santé Canada, 1994). Les adolescents homosexuels de sexe masculin et les
jeunes autochtones sont particulièrement à risque.
Jeunes de la rue
Dans divers pays en développement, le nombre des enfants de la rue est
estimé à entre 10 et 100 millions, en grande majorité des garçons
(Organisation mondiale de la santé, 1995). Au Canada, parmi les jeunes de la
rue les deux sexes semblent être également à risque face à la violence
physique, la plupart des auteurs de cette violence étant quelqu'un que la
jeune personne considérait être un(e) ami(e) ou une connaissance de la rue
(Janus et coll., 1995).
Dans cette étude, les mauvais traitements physiques étaient la raison la
plus fréquemment avancée pour expliquer le départ de ces jeunes de la
maison. La conduite abusive était le plus souvent le fait d'un parent
biologique, et plus particulièrement de la mère. Dans d'autres études
portant sur les jeunes fugueurs, Powers et Eckenrode (1987) ont constaté que
les garçons constituaient 42,3 % des victimes de mauvais traitements
physiques (filles, 57,7 %), 37,9 % des victimes de mauvais traitements émotionnels
(filles, 62,1 %), et 47,7 % des victimes de carence de soins (filles, 52,3 %).
McCormack et d'autres (1986) ont découvert que 73 % des fugueuses et 38 % des
fugueurs avaient été physiquement maltraités.
Prostitution
Les abus sexuels sont également en bonne place dans la victimologie des
adolescents et adolescentes qui s'adonnent à la prostitution (Mathews, 1989).
Trente pour cent des filles et 27,4 % des garçons qui se prostituent ont
signalé une expérience sexuelle incestueuse. Dès l'âge de 13 ans, 62,8 %
des filles et 77 % des gars indiquaient avoir eu des expériences sexuelles,
par comparaison avec des échantillons de la population générale de 1,7 % et
de 5,4 % respectivement (Badgley, 1984). Bien entendu, ces chiffres ne reflètent
pas la réalité existentielle qui est que 100 % des garçons et des filles de
moins de 16 ans qui louent leurs corps à des adultes sont, de fait,
sexuellement exploités par leurs clients.
Jeunes souffrant de handicaps
Soixante-et-un pour cent des enfants et des adolescents qui ont des problèmes
de développement - désordres généralisés du développement et arriération
mentale, notamment - sont soumis à des mesures disciplinaires corporelles très
dures (Ammerman, 1994). Graham (1993) a constaté que les garçons et les
filles handicapés sont tout autant à risque en matière d'exploitation
sexuelle. Les adultes handicapés des deux sexes en institution sont eux aussi
physiquement maltraités en très grands nombres (Roeher Institute, 1995;
Sobsey et Varnhagen, 1988).
Réaction des professions aux victimes masculines
- un des déterminants de la prévalence
L'une des difficultés pour essayer de comprendre le véritable taux de prévalence
de la victimologie masculine concerne la façon dont le tableau actuel de la
situation a été influencé par des facteurs relatifs à la pratique
professionnelle. Ici, nous devons jeter un coup d'oeil sur la question des
faibles taux de corroboration (justification des allégations) des diverses
formes de mauvais traitements, particulièrement dans le cas des enfants plus
jeunes. Les taux de corroboration sont toujours plus élevés parmi les
adolescents; il est nettement plus facile de les interviewer et ils sont plus
aptes à expliquer aux enquêteurs ce qui leur est arrivé.
Cette problématique est encore plus aiguë dans le cas des victimes
masculines. Lorsque la victime est un garçon, on a tendance à ne pas se
rendre compte qu'il a tout autant besoin de soins et de soutien qu'une fille
(Watkins et Bentovim, 1992). On est également plus porté à les blâmer pour
ce qui leur est arrivé (Burgess, 1985; Broussard et coll., 1988; Whatley et
Riggio, 1993) et leurs agresseurs ne sont pas tenus pour responsables au même
degré (Burgess, 1985). Dans l'une des études les plus troublantes, Pierce et
Pierce (1985) ont constaté que les victimes masculines, bien qu'ayant été
assujetties à des types de mauvais traitement plus «envahissants» et soumis
à davantage de types d'actes sexuels que les victimes féminines, avaient 5
fois moins de chances d'être retirées de leur foyer.
Images de violence contre les garçons et les jeunes gens dans les médias
Si l'on porte le regard au-delà des formes plus conventionnelles de
recherche et d'autres types d'information sur la violence et les mauvais
traitements, il n'est pas difficile de trouver des images dans les médias qui
semblent encourager l'agression contre les garçons et les hommes. Il y a déjà
belle lurette que les femmes ont sommé les médias de se montrer responsables
et de s'abstenir d'exploiter dans la publicité et dans les émissions de
divertissement des images de femmes qui seraient nocives, sexistes et déshumanisantes.
À leur tour, les hommes commencent maintenant à exprimer leurs propres préoccupations.
La violence contre les hommes et les garçons est tellement banalisée dans
notre société qu'elle est devenue pour ainsi dire «invisible» aux yeux de
la plupart des gens, tout comme les images qui renforcent les stéréotypes
nocifs concernant les hommes et la virilité. Par exemple, on attend des
hommes qu'ils soient physiquement forts et capables, de vrais «durs de durs»,
et ainsi on ridiculise dans les bandes dessinées, dessins animés et films
comiques le garçon ou l'homme petit de taille, maigrichon ou trop sensible. Hélas,
des tas de jeunes gens qui essaient de s'imposer les impossibles normes que
dictent les culturistes et autres haltérophiles sont en train de se tuer
lentement par l'usage de stéroïdes.
Notre insensibilité aux victimes masculines est flagrante dans les images
que véhiculent les médias, la publicité, les films comiques au cinéma ou
les comédies de situation à la télévision, et même les bandes dessinées
dans les journaux au Canada (Mathews, 1994). Il suffit de regarder America's
Funniest Home Videos pendant quelques semaines pour observer les inévitables
images qui se veulent «amusantes» d'un jeune homme qui se fait mal aux
testicules en faisant du sport, dans une rencontre avec un animal agité ou un
enfant particulièrement énergique, ou à cause d'un quelconque autre
accident. Une publicité pour une compagnie américaine de restauration rapide
montre l'un des personnages de la comédie de situation Seinfeld recevant une
rondelle de hockey dans les testicules.
Des bandes dessinées à forte distribution - Fox Trot, For Better or Worse
et Nancy - mettent en situation des filles qui s'attaquent à des garçons de
leur classe, ou des soeurs adolescentes qui s'en prennent à leur frère : un
coup de poing par ci, un coup de trique par là, ou encore en lui brisant ses
lunettes. D'autres bandes dessinées comme Beetle Bailey et Andy Capp montrent
régulièrement des violences infligées à des hommes d'âge mûr.
Dernièrement, un film pour enfants, Tom et Huck, nous montrait un garçon
qui se faisait donner un coup de poing sur le visage par le personnage féminin,
Becky, alors que la même scène dans la version originale du film et dans le
livre dont est tirée l'histoire ne comportait pas de violence. Un autre film
récent, les Beverly Hillbillies, nous montre une jeune femme (Elly-Mae) en
train de lutter avec un camarade de classe et de lui donner des coups de pied
dans les testicules. Les viols dans les prisons, les blessures aux testicules,
l'exploitation sexuelle des garçons par des femmes sous prétexte d'«initiation»,
ainsi que d'autres comportements que l'on identifie facilement comme agression
physique ou sexuelle lorsque des filles/femmes en sont les victimes, sont si régulièrement
exploités sur le registre de l'«humour» qu'ils sont devenus une sorte de
norme dans les films de divertissement populaire et comédies de situation
(Mathews, 1994).
Chapitre 2 - Agresseurs des garçons et des hommes
Conduite sexuelle abusive
La plupart des données qui ont déterminé notre perception de la conduite
sexuelle abusive nous viennent de rapports sur des études de cas, de
statistiques officielles sur la criminalité, de constats de police et de
registres d'organismes d'aide à l'enfance. Lorsque l'on examine les études
de cas, il est évident que la majorité des agresseurs sexuels qui s'en
prennent à la fois aux filles, aux garçons, aux femmes et aux adolescentes
sont des contrevenants masculins hétérosexuels (DeJong et coll., 1982;
Ellerstein et Canavan, 1980; Faller, 1987; Farber et coll., 1984; Reinhart,
1987; Showers et coll., 1983; Spencer et Dunklee, 1986). Ramsay-Klawsnik
(1990a) a constaté que les garçons sont victimisés par des hommes adultes
dans 33 % des cas et par des adolescents dans 12 % des cas.
Le contrevenant est le père biologique dans 20 % des cas selon Pierce et
Pierce (1985), 7 % selon Ellerstein et Canavan (1980), 29 % selon Faller
(1989), 14 % selon Spencer et Dunklee (1986), et 48 % selon Friedrich et
d'autres (1988). Le contrevenant est le conjoint de la mère dans 28 % des cas
selon Pierce et Pierce (1985). Bien qu'il n'existe pas d'études sur les
agressions sexuelles de même sexe ou les «viols de rendez-vous» parmi les
adolescents homosexuels masculins, on dispose d'indices tirés d'une étude
sur les hommes gais adultes qui suggèrent que les agresseurs dans cette catégorie
pourraient bien être en majorité d'autres hommes gais ou bisexuels (Mezey et
King, 1989; Waterman, Dawson et Bologna, 1989).
Contrevenants adolescents
Les abus infligés à des victimes masculines par des adolescents sont bien
documentés dans les textes. Rogers et Terry (1984) ont constaté que 56 % des
victimes masculines ont été la cible de contrevenants adolescents, comparé
à 28 % des filles et des femmes. Longo et Groth (1983) ont constaté que 19 %
des auteurs d'inceste frère-soeur étaient de sexe féminin. D'autres ont également
documenté les taux élevés des abus infligés par des adolescents à des
victimes masculines (Ellerstein et Canavan, 1980; Showers et coll., 1983;
Spencer et Dunklee, 1986). Longo et Groth (1983) ont constaté que les auteurs
adolescents (81 %) et adolescentes (19 %) de délits sexuels ont jeté leur dévolu
sur un frère (16 % et 5 % respectivement).
Dans la plupart des cas d'inceste frère-soeur, la victime était plus jeune
que le contrevenant (Pierce et Pierce, 1987). Il s'agit habituellement de
personnes qui ont une faible estime de soi, un profond sentiment d'inadéquation
et d'isolement, et on affaire à des solitaires sans maturité qui préfèrent
la compagnie d'enfants plus jeunes (Groth et Laredo, 1981; Shoor et coll.,
1966).
Étrangers; connaissances
Les garçons semblent plus susceptibles que les filles d'être victimes
d'exploiteurs multiples (Faller, 1989; Finkelhor, 1984; Rogers et Terry,
1984). Certaines recherches signalent qu'un garçon est plus susceptible - d'être
la victime d'un étranger (Finkelhor, 1979; Rogers et Terry, 1984). Faller
(1989) indique qu'enseignants, employé(e)s de garderie, chefs scouts et
membres du personnel de camps d'été sont responsables de 24 % des abus
infligés aux garçons. Risin et Koss (1987) signalent que les contrevenants
sont des membres de la famille dans 22 % des cas; des étrangers à 15 %;
gardien(ne)s d'enfants à 23 %; voisins, enseignants ou amis de la famille, à
25 %, amis d'un frère ou d'une soeur à 9 %; et des pairs de la victime dans
moins de 6 % des cas seulement.
Cependant, il ressort dans l'ensemble que les garçons, comme les filles, sont
plus susceptibles d'être victimes d'une connaissance (Faller, 1989; Farber et
coll., 1984; Fromuth et Burkhart, 1987,1989; Risin et Koss, 1987; Rogers et
Terry, 1984; Showers et colli., 1983; Spencer et Dunklee, 1986).
Les résultats des recherches sur les abus infligés à des garçons au
sein de la famille varient, avec des taux qui vont de 20 % à près de 90 %
(Pierce et Pierce, 1985; Finkelhor et al., 1990). Selon d'autres rapports, la
majorité des abus sexuels vécus par des garçons sont extra-familiaux
(Farber et coll., 1984; Risin et Koss, 1987; Showers et coll., 1983). Mais
ordinairement, il semblerait bien que les garçons sont plus susceptibles que
les filles d'être exploités-agressés en dehors de la famille et par des
personnes sans lien de parenté avec eux.
Contrevenants féminins
Jusqu'à il y a à peine 10 ans, on croyait communément qu'une femme ou
fille ne pouvait même pas s'en prendre sexuellement à un enfant ou à un
jeune. Même certains professionnels actifs sur le terrain estimaient que les
femmes ne représentaient que 1 %-3 % des contrevenants tout au plus.
Cependant, les résultats de recherches qui s'accumulent sur les contrevenants
sexuels féminins (adolescentes et adultes) commencent à remettre en question
nos croyances sur le sujet; en revanche, la perspective ancienne et périmée
reste encore extrêmement répandue chez la majorité des gens.
Mais le pourcentage des femmes et adolescentes que l'on retrouve parmi les
contrevenants dans les rapports sur les études de cas est plutôt restreint :
3 % à 10 % (Kendall-Tackett et Simon, 1987; McCarty, 1986; Schultz et Jones,
1983; Wasserman et Kappel, 1985). Pour les victimes masculines, le
contrevenant est féminin dans 1 % à 24 % des cas; pour les victimes féminines,
dans 6 % à 17 % des cas (American Humane Association, 1981; Finkelhor et
Russell, 1984; et Finkelhor et coll., 1990).
Dans l'étude ontarienne d'incidence des signalements d'enfance maltraitée et
en carence de soins, 10 % des enquêtes pour conduite sexuelle abusive
impliquaient un contrevenant féminin (Trocme, 1995). En revanche, dans six études
revues par Russell et Finkelhor, ce chiffre passe à 25 %. Ramsay-Klawsnik
(1990) a constaté que des femmes adultes étaient responsables d'abus infligés
à une victime masculine dans 37 % des cas, et qu'il s'agissait d'adolescentes
dans 19 % des cas. Ces deux pourcentages sont plus élevés que ceux que l'on
signale dans la même étude pour les contrevenants masculins, adultes ou
adolescents.
Dynamique de la conduite sexuelle abusive des femmes
Une recherche a rapporté que les contrevenants féminins, comparés aux
hommes, commettent des abus sexuels moins nombreux et des actes moins «envahissants».
Alors que les agresseurs masculins sont plus susceptibles de sodomiser leurs
victimes et de leur imposer un contact oral-génital, les contrevenants féminins
sont plus portés à avoir recours à des objets durant l'acte (Kaufman,
1995). Cette étude a également signalé que l'on ne trouvait pas de différences
de fréquence en termes de pénétration vaginale, attouchements par la
victime ou l'agresseur, frottements génitaux sans pénétration, ou contacts
avec la bouche de la part de l'agresseur.
Les femmes seraient plus portées à la coercition verbale que physique.
Les types d'abus les plus communément signalés dans le cas des contrevenants
féminins comportent : pénétration vaginale, sexe oral, attouchements, et
actes sexuels de groupe (Faller, 1987; Hunter et coll., 1993).
Toutefois, les femmes s'adonnent également à la masturbation mutuelle et à
des actes sexuels de type oral, anal et génital; elles montrent à des
enfants des images pornographiques et elles jouent à des jeux sexuels
(Johnson, 1989; Knopp et Lackey, 1987). La recherche suggère que, dans
l'ensemble, les contrevenants féminins et masculins commettent
essentiellement les mêmes actes et suivent en majorité les mêmes modèles
de conduite abusive à l'encontre de leurs victimes. En outre, ils n'ont pas
tendance à être bien différents en termes de leur relation avec la victime
(la plupart étant apparentés) ou du lieu où se déroule l'acte (Allen,
1991; Kaufman et coll., 1995).
Il est intéressant de noter dans l'étude de Kaufman et coll. (1995) que 8
% de ces femmes étaient des enseignantes et 23 % des gardiennes d'enfants;
les contrevenants masculins n'assumant ce type de fonctions que dans 0 % et 8
% des cas respectivement. Finkelhor et coll. (1988) signalent aussi des taux
nettement plus élevés d'exploitation sexuelle d'enfants par des femmes dans
un cadre de garderie ou de garde d'enfants. Ce constat ne devrait pas
surprendre puisque la majorité des employés de garderie sont des femmes.
La recherche sur les contrevenants sexuels féminins a permis de constater
que nombre de ces adolescentes ou adultes ont une faible estime de soi, un
comportement anti-social, des aptitudes sociales inadéquates, de la difficulté
à se contrôler, elles craignent le rejet, et elles souffrent de passivité,
de promiscuité, de problèmes de santé mentale, d'un désordre consécutif
à un stress post-traumatique et de très brusques sautes d'humeur (Hunter,
Lexier, Goodwin, Browne et Dennis, 1993; Mathews, Matthews et Speltz, 1989).
Néanmoins, comme dans le cas des contrevenants masculins, la recherche ne
permet pas d'établir que ce soient des femmes psychotiques ou fortement
perturbées qui prédominent dans cette catégorie (Faller, 1987).
Il y a toutefois des indices qui suggèrent que les femmes seraient plus
portées à agir de concert avec un autre contrevenant, ordinairement un
homme, bien que les études affichent sur ce point un écart de l'ordre de 25
% à 77 % (Faller, 1987; Kaufman et coll., 1995; McCarty, 1986). Cependant,
Mayer (1992), dans un examen des données sur 17 adolescentes ayant commis des
délits sexuels, a constaté que deux d'entre elles seulement avaient agi de
concert avec un homme. Elle a également observé que les jeunes femmes dans
cette étude connaissaient leurs victimes et qu'aucune d'entre elles n'avait
eu à souffrir des conséquences judiciaires de ses actes.
Les études sur les auto-signalements offrent un tableau très différent
des délits sexuels et gonflent considérablement le nombre des contrevenants
féminins. Dans une étude rétrospective des victimes masculines, 60 %
rapportent avoir été exploitées par une femme (Johnson et Shrier, 1987). On
retrouve le même taux dans un échantillon d'étudiants universitaires (Fritz
et coll., 1981). Dans d'autres études sur des universitaires masculins, on a
noté des taux de délinquance féminine allant jusqu'à 72 % - 82 % (Fromuth
et Burkhart, 1987, 1989; Seidner et Calhoun, 1984).
Bell et coll. (1991) ont constaté que 27 % des victimes masculines avaient été
ciblées par des contrevenants féminins. Dans certaines des études de ce
type, les contrevenants féminins représentent jusqu'à 50 % du total (Risin
et Koss, 1987). Knopp et Lackey (1987) ont constaté que 51 % des victimes des
contrevenants féminins étaient de sexe masculin. Il est évident que les études
de signalement de cas livrent des données de prévalence très différentes
de celles des auto-signalements. Ces écarts extraordinaires nous alertent à
la nécessité de commencer à remettre en question toutes nos idées reçues
concernant les contrevenants et les victimes en matière d'enfance maltraitée.
Finalement, dans les antécédents des violeurs, des contrevenants sexuels
et des hommes sexuellement agressifs, il y a des taux alarmants d'exploitation
sexuelle par des femmes : 59 % (Petrovich et Templer, 1984), 66 % (Groth,
1979) et 80 % (Brière et Smiljanich, 1993). Il est impératif d'identifier
les contrevenants féminins comme on peut le constater à la Table 4 qui présente
les résultats d'une étude de O'Brien (1989) sur les contrevenants sexuels
adolescents des deux sexes. Ceux de sexe masculin qui avaient précédemment
été exploités par une personne de sexe «féminin seulement» ont presque
exclusivement choisi des victimes féminines.
Table 4
Sexe de la victime selon le sexe de l'agresseur du contrevenant
Sexe de l'agresseur du contrevenant |
Sexe de la victime:
Masculin ou
Féminin et Masculin |
Féminin seulement |
Masculin seulement |
67,5% |
32,5% |
Féminin seulement |
6,7% |
93,3% |
Berkowitz (1993), dans une étude sur les victimes sexuelles masculines en
thérapie de groupe à Winnipeg, a obtenu les résultats suivants :
Table 5
Sexe des exploiteurs de victimes masculines en thérapie de groupe
Sexe des exploiteurs |
Nbre |
% |
Délits au sein de la famille
(Nbre=54)
Contrevenant masculin |
54 |
100 % |
Contrevenant féminin |
39 |
72,2 % |
Délits en dehors de la famille
(Nbre = 55)
Homme adulte |
50 |
90,9 % |
Femme adulte |
30 |
54,5 % |
Adolescent |
39 |
70,9 % |
Adolescente |
24 |
43,6 % |
Mauvais traitements et carence de soins
Dans l'étude ontarienne d'incidence, 41 % des enquêtes sur l'enfance
maltraitée portaient sur la conduite brutale, en comparaison de 24 % pour
inconduite sexuelle, 30 % pour carence de soins, 10 % pour carence émotive ou
cruauté mentale, et 2 % pour autres formes de mauvais traitements. Dans 12 %
des enquêtes, on soupçonne deux formes ou plus de mauvais traitements. Dans
27 % des cas, il y avait eu corroboration; dans 30 %, des soupçons; et dans
42 %, pas de corroboration. Dans 49 % des enquêtes, la victime présumée était
un garçon, tout comme dans 35 % des cas où il y avait soupçon d'inconduite
sexuelle (Trocme, 1995). En Ontario, 34 % des enquêtes portaient sur des
enfants vivant avec les deux parents biologiques, 19 % avec un parent
biologique et un parent par remariage, 36 % avec une mère célibataire, et 6
% avec un père célibataire. L'Aide sociale était la principale source de
revenus du ménage dans 38 % des cas. Au moins 17 % des personnes vivaient
dans un logement subventionné.
Aux É.-U., les chiffres fournis par l'American Association for the
Protection of Children (1985) révèlent que la majorité des mauvais
traitements physiques et que la plupart des coups et blessures infligés à
des enfants étaient attribuables à des femmes.
D'autres recherches livrent des indices qui suggèrent que les mères représentent
la majorité des contrevenants en matière d'enfance maltraitée et carence de
soins (Johnson et Showers, 1985; Rosenthal, 1988). Archambault et d'autres
(1989) ont constaté que les mères sont les principaux contrevenants aussi
bien dans le cas des fugueurs que des fugueuses, victimes de mauvais
traitements physiques.
Il ressort donc que de nombreux enfants maltraités et en carence de soins
se retrouvent dans des familles dirigées par une mère célibataire et vivant
dans un milieu à stress élevé. Poussées à bout, ces mères frustrées
s'en prennent à leurs enfants.
Certaines d'entre elles sont également victimes de violence conjugale, ont été
maltraitées comme enfants, ou subissent un certain nombre de facteurs
courants et chroniques de stress. Les mères demeurent la principale source de
soins aux enfants et elles passent plus de temps avec eux; il n'est donc pas
surprenant qu'elles apparaissent en plus grand nombre dans les statistiques
sur l'enfance maltraitée et carencée.
Bien que plus de femmes que d'hommes soient responsables de mauvais
traitements physiques et de carence de soins aux enfants, on dispose de
certains indices qui montrent que les hommes infligeraient des coups et
blessures plus graves à leurs victimes, surtout masculines (Rosenthal, 1988).
En outre, les pères sont deux fois plus susceptibles que les mères d'être
responsables lorsqu'il y a mort d'enfant (Jason et Andrek, 1983). Dans
d'autres études, on n'a pas trouvé de différence entre les sexes dans les
familles à deux parents quant à la gravité des mauvais traitements ou en
termes de mort d'enfant (Gelles, 1989; Greenland, 1987). Cependant, les femmes
étant encore la principale source de soins aux enfants, l'impact émotif des
mauvais traitements infligés par la mère, quelle que soit leur forme,
pourrait être plus grand que celui des agissements d'un père.
Le fait que les coups donnés par le père ont des conséquences physiques
plus graves est sans doute attribuable à la force plus considérable des
hommes en général, mais aussi aux effets anti-inhibitifs de l'alcool et,
dans une moindre mesure, des drogues, qui entrent massivement en ligne de
compte dans les cas d'enfants et de jeunes maltraités par les parents
(Cavaiola et Schiff, 1988). Les mauvais traitements d'enfants, dans toutes
leurs formes, voient l'intervention d'éléments comme l'excès de boisson,
l'abus de drogue, les problèmes de santé mentale et la violence
interparentale en tant que facteurs de risque chez les parents, mais surtout
en matière de mauvais traitements physiques et de carence de soins (Trocme,
1995).
Le stade où commencent les mauvais traitements est susceptible d'avoir un
certain impact sur leur évolution, leur durée et leurs conséquences, même
si l'on n'a toujours pas suffisamment de résultats de recherche pour pouvoir
«cartographier» un cheminement et des séquelles prévisibles. En général,
l'évolution des mauvais traitements suivra l'un des trois cheminements
suivants :
- commencent durant l'enfance et se terminent lorsque l'enfant atteint
l'adolescence;
- commencent durant l'enfance et se poursuivent durant l'adolescence;
- commencent durant l'adolescence (Lourie, 1979).
La durée peut s'étendre d'un mois à plus de 15 ans. La durée moyenne
est d'environ cinq ans (Farber et Joseph, 1985).
Châtiments corporels
Les châtiments corporels infligés par des parents, enseignants,
responsables de garde de jour, ou divers professionnels en milieu
institutionnel, passent essentiellement inaperçus ou ne sont pas considérés
comme des mauvais traitements du fait que l'on estime qu'ils font partie des
fonctions acceptables de l'adulte dans le rôle de parent, de substitut de
parent ou de responsable des soins de l'enfant.
Cela est en partie attribuable aux normes culturelles répandues dans la société
nord-américaine qui sanctionnent le recours à la force comme outil
disciplinaire pour corriger les enfants et les jeunes, et à une vision d'un
«monde juste» en vertu de laquelle les enfants qui se conduisent mal, sont
difficiles à contrôler ou mettent les adultes dans tous leurs états, méritent
bien la fessée. Mais cela est aussi dû au fait que cette forme de mauvais
traitements n'est portée à l'attention des autorités que lorsqu'elle prend
une tournure grave. Comme dans le cas des mauvais traitements entre conjoints,
nous avons historiquement considéré ces incidents de violence au sein de la
famille comme une préoccupation «domestique» ou une question familiale
strictement privée, même si d'importantes étapes ont été franchies pour
modifier cette perception au Canada.
Néanmoins, nous n'avons pas encore appris que les enfants méritent le même
type de compassion et le même souci dont on a enfin reconnu la légitimité
dans le cas des épouses.
Presque tous les parents américains souscrivent aux châtiments corporels
et y ont régulièrement recours, aussi bien avec les tout petits qu'avec les
moins jeunes et les adolescents, bien que l'usage tende à diminuer avec l'âge.
Cependant, il semble que les garçons soient plus souvent la cible des châtiments
corporels que les filles. Plus de fils signalent avoir été frappés par les
parents, et plus de parents admettent avoir frappé un fils qu'une fille
(Straus, 1994).
Dans la même étude, les fils indiquent qu'ils sont tout aussi susceptibles
d'être frappés par les deux parents, alors que les filles adolescentes sont
plus susceptibles d'un tiers d'être frappées par la mère. Le modèle le
plus fréquent concerne les mères qui frappent des fils adolescents, et le
moins fréquent est celui des pères qui frappent leurs filles. Les deux tiers
des mères qui ont des bambins les frappent trois fois par semaine ou plus.
D'autres études ont également constaté des taux plus élevés pour les mères
qui frappent des enfants adolescents (Wauchope and Straus, 1990).
Lorsqu'un/une adolescent(e) est frappé(e), c'est ordinairement les deux
parents.qui s'y mettent, surtout s'il s'agit d'un garçon. Quand un fils est
frappé, c'est le père qui inflige les coups dans 23 % des occurrences, la mère
dans 23 %, et les deux parents dans 53 % des cas. Lorsqu'une fille reçoit des
coups, c'est le père qui frappe dans 20 % des occurrences, la mère dans 39
%, et les deux parents dans 41 % des cas. Le taux le plus élevé des coups
portés contre des adolescents se manifeste dans des familles de la classe
moyenne (Straus, 1994).
Plusieurs théories résumées par Straus (1994) avancent des explications
pour essayer de savoir pourquoi les garçons sont frappés et punis plus
souvent que les filles :
conduite plus souvent détestable; encouragés à être plus actifs (subtile
invitation à mal se conduire?);
ferait partie de leur préparation à un futur rôle de pourvoyeur et
protecteur;
servirait à les endurcir.
Le sexe du parent qui administre le châtiment corporel est lui aussi
susceptible d'influencer nos perceptions. À cause de nos stéréotypes sur la
femme «nourricière naturelle», nous sommes moins portés à attribuer une
intention malicieuse aux mères et autres femmes. On aurait plutôt tendance
à considérer que lorsqu'une femme a recours à la force physique ou aux châtiments
corporels, c'est qu'elle est poussée à bout. On est donc tout aussi porté
à ne pas trop s'attarder (préoccupation passagère) sur les cas où une
femme aura recours à la force physique ou à des châtiments corporels à
l'encontre d'un grand garçon ou d'un adolescent dont elle a la charge. Néanmoins,
les théories qui expliquent le recours à la violence de la mère contre des
enfants et des adolescents uniquement en termes de stress omettent de recevoir
et d'intégrer les problématiques à spécificité sexuelle, alors qu'elles
ont des conséquences particulières sur les victimes masculines.
On estime généralement que le stress parental attribuable à la pauvreté
ou la modestie du statut socio-économique (SSE) contribue à la situation des
enfants «à risque».
Toutefois, la recherche n'est pas concluante. L'examen de la documentation sur
les châtiments corporels qu'a fait Erlanger n'a révélé aucune corrélation
particulière entre le recours aux châtiments corporels et le SSE. D'autres
ont conclu à des taux plus élevés pour les familles à revenu moins élevé
(Bryan et Freed, 1982; Stark et McEvoy, 1970). Une étude a constaté que les
taux de châtiments corporels sont à leur plus élevé dans les familles de
classe moyenne (Straus, 1994). Cette même étude a également révélé
qu'alors que moins de parents adolescents de SSE modeste frappent leurs
enfants, ceux qui le font les frappent plus souvent.
Croyances personnelles, expérience de vie, imputation de motifs, et
apprentissage social semblent tous jouer un rôle dans la prévisibilité du
recours aux châtiments corporels. Les parents convaincus que frapper un
enfant ne constitue pas une agression et que cela sert à le corriger; ceux
qui imputent la mauvaise conduite à de la préméditation ou à un désir de
provocation; qui attribuent le comportement à des caractéristiques
personnelles de l'enfant, qu'il leur appartient de réprimer; qui observent un
partenaire qui a recours à la force ou, au contraire, qui se sentent
totalement démunis, sont les plus susceptibles d'appliquer des châtiments
corporels ou d'abuser de leur force (Bugental, Mantyla, et Lewis, 1989; Dibble
et Straus, 1990; Dietrich et coll., 1990; Dix et Grusec, 1985; Fry, 1993;
Institut pour la prévention de l'enfance maltraitée, 1990; et Walters,
1991).
Plus les parents croient dans les châtiments corporels, plus ils sont
susceptibles d'y avoir recours, et plus la probabilité est grande qu'ils le
feront durement (Moore et Straus, 1987).
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