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Table des matières du séminaire du COE - 7-8 octobre 1999
Les hommes et la violence à l'égard des femmes

Conclusions de la rapporteuse générale

Renate KLEIN, Université du Maine, Etats-Unis

Mesdames et Messieurs,

Le séminaire sur les hommes et la violence à l’égard des femmes a constitué une occasion exceptionnelle de rassembler plus de cent chercheurs/euses, praticien(ne)s et décideurs/euses, afin d’étudier toute une série de sujets touchant à la violence exercée par les hommes sur les femmes. En deux jours, nous avons examiné des questions extrêmement complexes, exploré diverses strates du phénomène de la violence masculine, et soulevé beaucoup d’autres questions qui pourront être abordées lors de futures réunions de ce type.

Je félicite et remercie sincèrement le Conseil de l’Europe, notamment le Comité directeur pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que Mme Ólöf Ólafsdóttir et sa remarquable équipe, d’avoir permis la tenue de cette réunion et fourni un forum pour mener le débat interdisciplinaire et international qui s’impose sur la violence des hommes à l’égard des femmes. Comme le contenu détaillé des rapports présentés au séminaire est disponible en version imprimée, j’axerai ma conclusion sur les thèmes récurrents et les interprétations contestées.

1.            Méthodologie et évaluation de la recherche

Plusieurs expert(e)s ont souligné la nécessité de réaliser des études quantitatives afin de recueillir des données sur l’étendue de la violence à l’égard des femmes. Dans le meilleur des cas, ces données seraient à jour, fiables et comparables entre les divers contextes régionaux et nationaux. Bien que l’on observe une évolution des enquêtes qui étaient, à l’origine, axées sur les délits en général et le sont davantage à présent sur la violence à l’égard des femmes, leur conception et exploitation sont loin d’être parfaites. Une bonne enquête doit au moins accorder une grande attention à l’énoncé des questions qu’elle pose et employer un vocabulaire ayant un sens pour les femmes qui y répondent. La terminologie et la langue sont extrêmement importantes. Les différences enregistrées dans l’estimation du taux d’agression sexuelle selon que l’on demande aux femmes si elles ont été victimes d’un «viol» ou «contraintes à des rapports sexuels» en sont un bon exemple. En matière de recherche, d’autres questions importantes sont apparues, telles que la formation des enquêteurs et leur adéquation à la mission confiée, le recours à diverses méthodes de collecte d’informations dont les questions fermées et ouvertes, les échantillonnages et les stratégies d’accès qui n’excluent pas les femmes marginalisées ou particulièrement exposées à des agressions (les femmes âgées, les femmes appartenant à une minorité ethnique, les immigrées ou les personnes handicapées, par exemple).

Individuellement, les répondants peuvent avoir de la violence une conception très différente, reflétant la diversité des expériences dans ce domaine. On observe ces variations tant au niveau national qu’international, enfin et surtout, entre les hommes et les femmes. Certes, on a des exemples de méthodes qui s’interrogent sur le sens donné au terme «violence» dans le cadre de l’enquête mais aussi un grand nombre d’autres exemples qui ne prennent pas en compte la diversité des sens, partant du principe que la violence signifie la même chose pour les femmes et les hommes. Par conséquent, il faut être vigilant pour éviter que les enquêtes soient conçues sans discernement et leurs résultats interprétés sans recours au sens critique.

Cette vigilance doit être étendue à l’évaluation de la recherche en général. Aucune étude ne fournit d’informations qui ne demandent pas à être expliquées; qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, les données doivent être interprétées et organisées dans des cadres de référence. Il est donc important aussi de mettre en question ces cadres de référence et de se demander dans quelle mesure ils contribuent à l’égalité entre les sexes et à la dignité des femmes. C’est particulièrement important s’agissant des données statistiques car la plupart d’entre nous sommes habitués à considérer les chiffres comme «objectifs» et, compte tenu de la position privilégiée de la notion d’objectivité dans les sciences contemporaines, ces chiffres peuvent être de puissants moyens d’influer sur les décisions des scientifiques, des praticiens ou des responsables politiques. Il importe également d’évaluer la nécessité de recueillir davantage d’informations sur la victimisation des femmes par rapport au besoin de sécurité de ces femmes, et d’être attentif à ne pas «piller», au nom de la science, l’expérience que les femmes ont de la violence.

2.            La distinction entre les sexes en tant que division sociale fondamentale

Plusieurs expert(e)s ont fait observer que les recherches sur la violence ainsi que sur la formation, le maintien et l’évolution des identités féminines et masculines doivent être envisagés selon des critères de sexe, reconnaissant qu’il s’agit là d’une division sociale fondamentale, tout en admettant qu’une réflexion fondée sur une dichotomie assez rigide des différences entre les hommes et les femmes peut aussi brouiller notre compréhension de la façon dont l’identité sexuelle se développe, se consolide ou peut être conceptualisée. Il s’agit également de reconnaître que le fait de faciliter l’entrée d’un plus grand nombre de femmes dans des milieux sociaux masculins n’abolit pas automatiquement les notions rigides de différence entre les sexes, comme le montre l’exemple des femmes engagées dans l’armée israélienne.

3.            Prédominance de «l’imaginaire»

Un autre thème récurrent est la tendance à interpréter la violence masculine en s’appuyant sur la représentation d’une féminité ou d’une masculinité imaginaire par rapport à ce que les femmes et les hommes font ou subissent réellement. Par exemple, la théorie psychoanalytique traditionnelle ainsi que certains courants de la littérature masculine récente semblent axés sur une vision imaginaire des femmes, dépeignant les femmes, et notamment les mères, comme des êtres dominateurs et tout‑puissants. Cette idée du pouvoir des femmes est en contradiction avec l’absence de pouvoir des femmes qui subissent des rapports de domination et avec la perception des adolescent(e)s qui grandissent dans un foyer où règne un climat de violence et qui, même dans une situation de forte tension, peuvent avoir une image très positive de leur mère, ce qui témoigne du dilemme auquel doivent faire face, dans la vie réelle, les femmes qui vivent avec un mari ou un compagnon violent.

Voici un deuxième exemple: le discours selon lequel les hommes protègent les femmes en temps de guerre est en contradiction avec les témoignages indiquant que les hommes abandonnent les femmes (ainsi que les enfants et les hommes âgés) dans les villages où elles sont attaquées et/ou violées par des soldats du camp ennemi. Il ne fait aucun doute qu’individuellement, les hommes souhaitent véritablement protéger leur famille de toute épreuve. Il est, cependant, malheureux de constater que les femmes se retrouvent souvent sans défense en temps de guerre et vulnérables en temps de paix.

4.            Les raisons de la violence masculine: quatre perspectives

Les expert(e)s ont présenté de nombreuses explications et théories sociales complexes pour comprendre la violence masculine qui peut être mise en évidence sous au moins quatre perspectives différentes: explications axées sur les processus internes d’intégration de la violence dans l’identité masculine, explications axées sur des circonstances extérieures supposées encourager la violence masculine, perspective privilégiant le facteur de risque, et explications axées sur l’établissement social délibéré d’institutions qui favorisent la création de ces identités masculines, attribuant une place centrale à la violence.

a.             Processus internes: formation de l’identité sexuelle et apprentissage social

A cette réunion, nous avons cerné des explications qui décrivent les processus internes sous‑jacents aux comportements violents et s’appuient sur une théorie psychoanalytique, théorie de la socialisation et, dans une certaine mesure, théorie de l’apprentissage. Les concepts psychoanalytiques ont tendance à privilégier les expériences de la petite enfance où s’opère la différenciation entre le moi et l’autre, conduisant à des schémas complexes de construction du moi et de l’autre. Des travaux de psychoanalyse plus récents englobent les expériences de l’adolescence dans la formation de l’identité sexuelle et émettent l’hypothèse qu’il y a, en fait, une révision de cette identité au cours de cette période de la vie.

De même, la notion d’apprentissage social a tendance à être axée sur les expériences de la petite enfance, bien que l’apprentissage social continue à l’âge adulte, constituant, en réalité, un processus quotidien tout au long de la vie. En fait, il y a des milieux d’apprentissage social, comme le cadre professionnel ou les associations bénévoles où nous n’entrons généralement qu’à l’âge adulte et d’autres milieux, comme la famille, auxquels nous restons attachés toute notre vie.

Si les expériences de socialisation et de construction du moi et de l’autre contribuent véritablement à la formation de personnalités masculines se définissant par la violence et à l’exercice de cette violence contre les femmes, il faut être ouvert à l’idée que ce processus puisse se poursuivre tout au long de la vie, éventuellement dans des cadres essentiels à d’autres fins comme celle de gagner sa vie ou de s’intégrer dans la communauté. Il devient donc de plus en plus difficile de séparer les institutions «normales» de la vie quotidienne et l’organisation sociale de la formation des identités masculines, y compris de ces identités qui s’enracinent dans la violence. Ce qu’il faut en déduire, c’est que tout au long de la vie, il y a de nombreuses occasions de renforcer les personnalités masculines se définissant par la violence, tout comme de les réviser.

b.             Circonstances extérieures: évolution sociale rapide, instabilité et guerre

                Les expert(e)s ont également évoqué des explications qui établissent un lien implicite ou explicite entre la violence masculine et la situation sociale, notamment lorsqu’elle se caractérise par une évolution rapide et de l’instabilité ou encore par un état de guerre indissociable de ses conséquences sociales. Il importe de reconnaître la dureté des épreuves que doivent subir les populations aux prises avec la guerre et les bouleversements sociaux; d’étudier le rôle potentiel des inégalités internationales dans la création ou le maintien d’une instabilité ou d’une guerre localisée; de comprendre les effets néfastes sur une société civile nationale de guerres menées dans des territoires voisins. Il est également important d’étudier la diversité des influences qu’exercent les changements sociaux et les guerres sur les populations et de déterminer qui profite de ces changements et qui en est victime.

                Les périodes de transition entre une stabilité et une instabilité relatives, et vice versa, restent largement inexplorées. Comment peut‑on admettre, par exemple, que des hommes qui étaient apparemment «pacifiques» avant la guerre semblent soudain vouer une haine violente aux femmes en temps de guerre? Les expert(e)s se sont demandé(e)s si la violence à l’égard des femmes pendant les conflits armés était due essentiellement au fait que la violence était permise et l’accès aux victimes sans défense facilité, ou si ce comportement révélait autre chose s’agissant des relations entre les sexes, de la construction du moi et de la perception de l’autre, ami ou ennemi. Sans doute de telles explications ne s’excluent‑elles pas. La brutalisation des hommes dans le cadre d’un conflit armé peut être un processus complexe englobant la permission d’être violent, de s’entraîner à l’être, et de s’entraîner aussi à déshumaniser et à ravaler au rang d’objet les personnes qui sont taxées d’ennemi par la propagande officielle ou le souvenir d’humiliations profondes du passé.

                Dans ce contexte, les expert(e)s ont examiné le rôle de la honte et du silence autour de la honte, qui peut se perpétuer pendant des générations. Comme les viols massifs de femmes en temps de guerre se sont produits tout au long de l’histoire et continuent de se produire à l’heure actuelle, les femmes étouffent sous le poids de la honte qu’elles taisent mais qui se manifeste par une profonde dépression. Il faut créer les conditions nous permettant d’apprendre à écouter celles qui ont appris à vivre en silence avec leur honte.

                On ne sait pas bien quel est le degré de honte éprouvé par les femmes par rapport à la honte qui rejaillit sur leur famille et leur pays dans des cultures où l’honneur de la famille dépend de la chasteté de ses membres féminins. Alors que le rapport entre la honte individuelle de la femme et la honte attachée à la notion de féminité idéalisée n’est pas bien compris, il semble que la honte ressentie individuellement contribue à l’isolation de la femme et à son rejet aux marges de la société et se trouve liée à la perte du contrôle de soi, tandis que, dans ces circonstances, les hommes ont apparemment la possibilité de laver l’honneur du nom familial en tuant les femmes déshonorées et donc en restant un membre respecté de leur communauté, ce qui ne signifie pas que le crime d’honneur ne pose pas un cas de conscience à tout homme dans cette situation. Les expert(e)s ont également observé que la violence sexuelle à l’égard des femmes dans les situations de conflits armés recouvre des agressions qui sont parfois considérées comme des moyens d’humilier les maris, les pères et les frères mais n’en restent pas moins des agressions contre les femmes elles-mêmes et leur identité sexuelle et nationale.

c.             Facteurs de risque

La notion de facteurs de risque est, en grande partie, tirée de la recherche sur la santé publique. Lorsqu’on l’applique à la violence masculine à l’égard des femmes, on doit distinguer les risques de devenir violent (le fait de croire, par exemple, que les femmes sont subalternes) et les risques d’être victimisée (en se séparant d’un homme violent notamment). Notre examen du stress en tant que facteur de risque a montré que le rapport entre le stress éprouvé par les hommes et leur violence à l’égard des femmes est sujet à controverse. Cette controverse est apparemment due, en partie, à la diversité des points de vue que les expert(e)s ont sur le stress, à la grande variété des expériences masculines en matière de stress, dans différents cadres comme la famille, le travail, l’armée, ou le combat, ainsi qu’aux témoignages des personnels qui sont chargés de mettre en œuvre les programmes de traitement de la violence masculine et constatent souvent que les hommes violents ne cherchent pas à participer à ces programmes tant qu’ils n’ont pas atteint un degré de stress suffisant pour les y décider. Pour faire avancer ce débat fructueux, il semble nécessaire de distinguer diverses formes de stress (stress lié, par exemple, à la carrière par rapport à la crainte de perdre sa femme) et d’analyser les rapports entre le stress et la violence dans différents groupes, non pas simplement chez les hommes, mais aussi chez les femmes.

Avec tous les facteurs de risque, nous devons examiner de près non seulement la corrélation entre le facteur de risque et la violence masculine mais aussi le schéma de fonctionnement de cette violence et, par conséquent, les cibles de la violence potentiellement engendrée par le stress. L’intérêt d’examiner le schéma de fonctionnement de la violence est illustré par les subits accès de violence d’hommes individuellement violents qui s’avèrent souvent dirigés assez systématiquement contre des individus qui, dans certains cas, n’ont eu aucune relation personnelle avec l’agresseur mais se trouvent appartenir à un groupe dont les membres méritent, selon l’agresseur, d’être attaqués ou tués.

d.             Explications axées sur des entreprises sociales délibérées

Enfin, l’armée est un exemple d’institution qui délibérément et systématiquement forge des identités masculines dans lesquelles la violence joue un rôle déterminant. Une analyse de l’armée fondée sur les rapports entre les sexes montre aussi clairement que, du moins dans le cas d’Israël, la réussite des hommes dans l’armée et, par conséquent, leur adoption probable d’un comportement viril défini par la violence, sont récompensées par des avantages considérables dans la société civile, comme l’accès à un poste prestigieux ou la possibilité d’exercer une influence politique. Les expert(e)s ont également mentionné, de façon subsidiaire, le rôle de la religion établie dans la constitution des identités et des hiérarchies sexuelles ainsi que dans l’acceptation relative de la violence à l’égard des femmes.

Les expert(e)s ont fourni des informations complémentaires sur les initiatives prises pour réformer des institutions sociales comme la police et le système judiciaire afin de juguler la violence à l’égard des femmes. La formation des policiers assurée par des défenseurs des femmes battues a contribué à amorcer le changement d’attitude de la police vis‑à‑vis de la violence à l’égard des femmes, du moins en ce qui concerne la violence domestique. De même, de nombreuses initiatives remarquables, quoique récentes, ont été prises pour modifier les lois et la législation afin que le droit des femmes à la sécurité, à la dignité et à l’intégrité soit mieux reconnu.

Toutefois, l’armée, la police et le système judiciaire sont des exemples assez différents les uns des autres. Les réformes du système judiciaire et du comportement de la police sont, en grande partie, axées sur le châtiment de l’agresseur. En revanche, on voit comment l’armée contribue à la constitution d’une identité masculine se définissant par la violence et ultérieurement à sa récompense, participant ainsi à la production d’agresseurs potentiels. A ce jour, il n’existe pas d’entreprise sociale aussi structurée, définie et dotée de moyens qui puisse contribuer à la constitution d’une identité masculine se définissant par la non‑violence.

Compte tenu des fréquentes références aux bouleversements sociaux et à la guerre au cours de cette réunion, on peut estimer que le caractère délibéré de la constitution d’une identité masculine se définissant par la violence deviendra imperceptible avec le temps et qu’à la longue, cette virilité fondée sur la violence risque d’apparaître comme une réaction «inévitable» aux changements sociaux.

5.            Rôle de la communauté

Plusieurs expert(e)s ont évoqué le rôle de la communauté qui peut soit encourager, soit décourager la violence masculine à l’égard des femmes. Une communauté se compose d’êtres de chair et de sang qui transmettent des messages sur la violence masculine à l’égard des femmes. Elle comprend des parents, des éducateurs d’enfants d’âge préscolaire, des travailleurs sociaux, des policiers ou des animateurs de programmes d’intervention pour les hommes violents. Elle englobe aussi les médias et l’imagerie qu’ils véhiculent concernant la violence masculine à l’égard des femmes, comme la notion de viol commis par un inconnu. La communauté recouvre aussi des organisations supranationales telles que le Conseil de l’Europe, ainsi que les messages transmis par des organismes internationaux aussi prestigieux.

La communauté fournit ou supprime les structures de soutien. Les expert(e)s ont examiné quelles structures de soutien la société offre aux femmes et aux hommes respectivement et dans quelle mesure elle encourage ou décourage la violence masculine et la non‑violence. Plusieurs d’entre eux/elles ont avancé l’idée que ces structures changent selon que la société passe d’une période de stabilité relative à une période de bouleversements ou de guerre et ne peut pas revenir exactement au niveau originel de stabilité après une période de crise. Qu’arrive‑t‑il aux réseaux de soutien des hommes et des femmes au cours de tels changements? Dans quelle mesure, par exemple, la constitution de milices armées ou la guérilla érode‑t‑elle le soutien social des hommes en faveur de la non‑violence masculine? De temps à autre, on entend parler de soldats qui, individuellement, s’efforcent de ne pas participer à des viols organisés et demandent instamment aux femmes qu’ils rencontrent de prétendre avoir été violées, de manière à leur éviter d’être tués par leurs pairs pour s’être refusés à commettre un viol.

D’un autre point de vue, le rôle que joue le soutien de la communauté apparaît avec une terrible évidence lorsque l’on considère la vie des enfants et des adolescent(e)s qui ne bénéficient d’aucune aide. On a évoqué le sort des enfants qui ont grandi dans un foyer violent ou dans un état d’abandon social complet. Un trop grand nombre d’entre eux se retrouvent sans réseau de soutien, seuls avec leur legs de violence, de honte et de désarroi, sans modèle d’adultes dignes de confiance qui puisse les aider à ne plus seulement rêver d’une vie de respect et d’harmonie mais véritablement à la vivre.

Enfin, la communauté assume une partie du coût social de la violence à l’égard des femmes. Les estimations du coût sont entravées par des problèmes méthodologiques et éthiques; néanmoins, le fait de donner une valeur monétaire à la souffrance individuelle peut convaincre les décideurs réticents d’investir davantage d’argent dans la prévention de la violence à l’égard des femmes.

6.            Non‑violence et personnalités masculines non violentes

Il nous faut approfondir notre connaissance des mécanismes de création de la non‑violence et des conditions dans lesquelles les personnalités masculines non violentes s’épanouissent, comme il nous faut imaginer différents moyens de toucher les hommes violents. Les hommes ne sont pas tous violents; tous ne sont pas des violeurs, même si les circonstances s’y prêtent. Pourquoi cela? Comme la recherche et les travaux empiriques sur la violence chez les hommes sont encore embryonnaires, il convient aussi de s’intéresser aux hommes non violents, à leurs expériences et à leurs stratégies de non‑violence.

Au niveau individuel ou psychologique, des travaux psychoanalytiques récents soulignent le potentiel créatif de la tension entre l’affirmation de l’ego et la reconnaissance mutuelle de l’autre. Cette tension peut apparaître, pour la première fois, dans l’enfance et se maintient généralement tout au long de la vie. Certains experts suggèrent que l’aptitude des hommes à supporter cette tension peut être liée à leur non‑violence, tandis que la «résolution» de cette tension par la constitution d’une identité sexuelle ou ethnique rigide peut favoriser la violence. Une approche plus souple de l’identité sexuelle peut permettre aux garçons de s’identifier à leur mère ou à des modèles féminins sans s’exposer au ridicule et aux filles de s’identifier à leur père et à des modèles masculins sans être rejetées.

Au niveau social, le potentiel créatif peut découler du maintien d’une tension entre privilège et égalité. Souvent, cette tension est résolue par l’instauration de hiérarchies et d’ordres de préséance qui font que certains hommes sont relativement privilégiés et protégés, tandis que la plupart des femmes, ainsi qu’un grand nombre d’hommes, sont relativement vulnérables. La plupart d’entre nous vivons toute notre vie dans des institutions sociales hiérarchisées, de la famille au milieu professionnel en passant par l’éducation formelle. Il est, par conséquent, difficile de concevoir des organisations sociales moins hiérarchisées. Néanmoins, les efforts semblent en valoir la peine car ainsi, le savoir ne sera pas subordonné au pouvoir.

Le maintien de la tension entre l’affirmation de soi et la reconnaissance mutuelle laisse également espérer le plein épanouissement du potentiel humain de chaque individu. Mais pourquoi chercher à s’épanouir pleinement si l’on peut s’épanouir partiellement, être président d’une grande entreprise et conduire une voiture de luxe? La réponse est la suivante: lorsque l’on a goûté à cette tension créatrice, tout le reste est fade.

Je remercie le Conseil de l’Europe d’avoir organisé cette réunion; je remercie également tous les participants et toutes les participantes de s’être réuni(e)s pour partager leurs connaissances et intuitions d’une valeur inestimable.

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