Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes

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Revue TYPES 4 - Paroles d’hommes - 1982 

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Ce n'est pas sans hésitations et désaccords que nous publions les textes de femmes qui suivent. N'y a-t-il pas, à le faire, un désir suspect de mortification et un risque — paradoxal : celui de laisser croire que nous ne suscitons que des réactions si excessives, si caricaturales. Les hommes méritent-ils vraiment tant de simplisme, tant de haine ou, à l'inverse, tant d'amour ? Peut-être ce qui nous détermine finalement, c'est le principe de p.p.c.p. (plus petite censure possible) .

Précisons tout de même :

— la lettre de Christine Delval ; nous ne sommes pas sûrs de son authenticité : existe-t-elle vraiment, est-ce une blague, est-ce sérieux, est-ce un homme ? Nous n'avons pu la contacter. Chacun jugera.

— la lettre de Marielle Rispail ; elle concerne les procès de 5 antinucléaires en mai 1980 à Metz. C'est un témoignage sur celui des 4 mecs — comme par hasard, nous dit Marielle, la femme inculpée a été jugée plus tard, seule.

— le texte de Thérèse Clerc a été suscité par un des rédacteurs de la revue. Aux yeux de certains d'entre nous son schématisme, ses facilités et — circonstance aggravante — le fait qu'il constitue le seul texte de femme sur les relations entre hommes auraient dû entraîner sa non-publication. Les conditions de sa rédaction et, aux yeux de certains autres, la qualité de quelques formulations ont justifié qu'on le retienne. Là encore chacun jugera.

— la lettre de Michèle Avril, elle, dans la lignée de celle de Brigitte publiée dans le n° 2/3, peut conduire, nous en sommes bien conscients, à une ambiguïté inverse : auto-satisfaction complaisante.

Notons enfin que le courrier masculin traduit lui aussi un éventail varié (!...) de réactions. Mais là, les caricatures, ça nous étonne moins...

 

D'autres prophètes

Évoquer les rapports entre hommes, vaste sujet. Ce ne sera pas une analyse de fond : ce n'est pas de ma compétence, ni une vision exhaustive du comportement des mecs entre eux. Je me contenterai de présenter des portraits stéréotypés de certains milieux de pouvoir que j'ai côtoyés C'est sciemment que je n'ai pas fait des copains homos, un groupe social déterminé par son choix sexuel. Je pense et j'espère que les milieux présentés ont au moins leurs 17% d'homosexuels (moyenne nationale)...

C'est aussi délibérément que je ne parlerai pas du rapport concurrent des hommes vis-à-vis d'une femme convoitée. Rapport de concurrence qui devient solidarité de maffiosi dès qu'il s'agit de nous " rouler ".

Par ordre d'entrée en vie : mon père, mon frère, mon ex-mari, mes fils, mes amants, et toi Gaspard, mon petit-fils, tout dernier homme de ma vie. Je vous ai eus dans les bras ou sur les bras, il y a maintenant plus de cinquante ans que je vous regarde, j'ai vécu de vous, avec vous, en vous, j'étais alors juge et partie et il m'était difficile d'analyser les rapports qui étaient les vôtres. J'étais trop proche et trop dépendante de vous.

Mais maintenant il y a quinze ans que j'ai quitté vos rivages, j'ai pris de la distance ; je suis sur le trottoir d'en face, là où il n'y a pas — encore — de souteneurs. Je peux donc m'offrir le luxe d'être voyeuse, n'étant plus partie, je ne serai pas juge. J'ai bien trop à faire pour déchiffrer les systèmes de l'oppression des femmes, et, comme vous n'avez plus à me séduire, vous vivez devant moi avec une authenticité qui me laisse étonnée souvent, horrifiée parfois, méditative toujours...

Bruno et Antoine, vous appartenez à l'intelligentsia, vous refaites le monde avec une maestria qui me laisse pantoise. Vous parlez de justice et de liberté, lutte et conscience de classes, prise du pouvoir politique par les travailleurs, droit à la parole pour les minorités, démocratie et autogestion, mais votre naissance et votre classe sociale vous ont donné accès à tous les pouvoirs de l'idéologie dominante.

Stupéfaite, je vous ai vus lutter avec une âpreté sordide pour obtenir le fauteuil — ou le strapontin — de l'appareil politique de votre parti, (nous étions bien loin du mouvement ouvrier !) . Et les querelles intestines que vous entreteniez comme un feu vous semblent la plus délectable des jouissances, même si la destruction qu'elles engendrent font chuter l'espérance pour la base.

Mais vous, Alain et Pierre, êtes-vous si différents, qui évoluez dans les milieux universitaires ? Vous maniez concepts et théories comme des jongleurs, votre brillant discours n'est trop souvent que joutes oratoires. Et lorsque vous descendez en flammes le petit copain que vous avez dans le collimateur, cela vous est un objectif beaucoup plus passionnant que la transmission qui est votre rôle.

Les chapelles que vous créez ainsi ne sont que des serres où l'air raréfié que vous respirez vous exalte comme le ferait l'encens le plus capiteux. La connaissance tourne en rond, maintenue captive par les initiés qui s'estiment véritables propriétaires des moyens de production scientifique.

Je vous vois, Michel, Jacques, sur la cendrée, vous vous épuisez dans la compétition qui fera de vous les dieux du stade. Que le meilleur gagne ! (meilleur en quoi ?) Vous avez tous convoité la première place, mais un seul d'entre vous sera sur le podium, niant les efforts inhumains de tous les autres. Sous la douche qui vous réunira, après les honneurs, et lavera les défaites, vous affirmerez votre virilité dans la violence des grandes claques fraternelles, alors qu'un peu de tendresse consolerait bien des déceptions. Mais chut... jeux de mains, jeux de vilains.

Éric et François, jeunes loups, cadres dynamiques dans l'entreprise, le Capital compte sur vous pour être les champions du productivisme et les gardiens du prolétariat. La lutte entre vous est sanglante : si les places sont chères, elles se raréfient, et le jour venu les multinationales vous laisseront sur le pavé, comme les autres. Vous, les chantres d'un ordre social basé sur la hiérarchie, le pouvoir et la compétition, le chômage contribuera — peut-être — à vous faire réfléchir.

Pas de chômage pour Gilbert et Denis, vous avez fait vos classes dans la même arme, bidasses résignés dans la platitude de votre " temps " d'appelés. Vos officiers vous parleront d'idéal et de patrie alors que vous savez n'être rien que les défenseurs d'intérêts économiques dont notre pays ne tire même plus les ficelles. Vous boirez trop, taperez le carton interminablement, et le bordel du coin vous donnera une idée élevée du rapport amoureux. Enfin, c'est là que, paraît-il, on fabrique des hommes...

Vincent et Jérôme vous appartenez à ce monde religieux, clos et feutré, hiérarchique, patriarcal, sans sexe, sans femme, et qui vous a donné pour mission de transmettre un pouvoir symbolique. Le séminaire vous a dès l'enfance frustré de votre corps, fait taire votre désir et — les plus grandes victimes faisant les meilleurs bourreaux — vous aliénez des sociétés entières depuis des millénaires. On parle beaucoup d'amour et de fraternité dans vos instances mais en fait de communication vous n'avez plus qu'une parole patentée, normative, cléricale. De celles qui n'annoncent plus aucune bonne nouvelle, mais réduit le peuple au silence à travers les affreux borborygmes du langage bourgeois. Vous êtes peut-être ambitieux, auquel cas vous oublierez toute charité pour ne voir dans vos frères, que des concurrents à faire glisser sur les parquets des évêchés, trop bien polis par la patine des siècles et le vernis de la duplicité, car on fait carrière dans le théologique comme dans le politique.

Gaspard, mon petit-fils, tes trois ans te font ressembler à un oiseau de paradis, mais je sais déjà que l'école fera de toi un coq de combat. Les pouvoirs te forceront à emprunter les routes de la performance et de la compétition. Des maîtres, puis des chefs, petits et grands, t'apprendront à travers des répressions plus ou moins dures l'obéissance et le respect de la hiérarchie. Tu deviendras le parfait producteur et consommateur de l'an 2000. Pourtant tes parents t'ont voulu, fait naître, et élevé sans violence durant les premières années de ta vie, privilégiant ton désir et le rapport au corps dans le plaisir.

Mais dans le bestiaire des hommes y aura-t-il une place pour le petit bonhomme des chemins buissonniers ? Alors, un monde complètement désespéré ? Transmission inéluctable du maléfice ? Pêché originel ? L'utopie est-elle donc morte, que nous ne sachions plus créer d'espaces où s'invente un nouveau rapport social ?

Allons camarades, retroussons nos manches ! Karl, Sigmund et Wilhem, c'était pas mal, mais l'Histoire n'aurait-elle pas besoin d'autres prophètes !. . .

Thérèse Clerc

 

Je souhaite votre élimination en douceur...

Chers mecs,

Par l'intermédiaire d'un mec avec lequel je vivais avant les vacances j'ai pu prendre connaissance de votre revue " Types, paroles d'hommes ". Je n'ai nullement été surprise d'apprendre qu'un certain groupe d'hommes voulait remettre en cause la définition même du type d'homme tel qu'il apparaît dans la société, des siècles de tabous en ont fait un maître alors qu'en réalité il n'est rien, ou si peu.

La contraception, l'avortement, les donneurs de sperme, les banques de sperme, l'insémination artificielle enlèvent à l'homme tout crédit au niveau de la paternité et de son pouvoir procréateur. La paternité, inventée par l'homme pour mieux dominer la femme, est en train de lui échapper progressivement. Nous retournons aux sources de la vie où seule la femme a le monopole de la procréation. 80.000 naissances hors mariages en 1980 est un phénomène irréversible. L'homme prend petit à petit conscience qu'il devient inutile et redéfinit ainsi sa position au sein de la société (c'est ce que vous avez décidé de faire, mais vous donnez l'impression de le faire en vous appuyant sur la paternité qui est contraire aux lois fondamentales de la vie). D'ailleurs l'inutilité de l'homme n'est pas nouvelle mais elle se confirme, en effet c'est toujours le mâle qu'on a choisi pour parfaire à son autodestruction dans toutes les guerres, autodestruction des mecs qui sera parachevée dans le futur avec le développement de la bombe à neutrons (le but de cette bombe n'est-il pas en effet d'anéantir uniquement les militaires, donc les hommes ?) .

Afin d'éviter une telle extermination, une technique plus intelligente devrait être mise au point pour limiter la naissance de mâles, par exemple un vaccin ou un spermicide, maîtrisant les spermatozoïdes mâles au moment de la fécondation ou les détruisant tout simplement. A partir de là, on pourrait alors envisager une sensibilisation auprès des femmes insistant sur le fait logique qu'une naissance de garçon serait malvenue. Actuellement seule une échographie peut permettre de détecter si le fœtus est mâle ou non et si le résultat est positif, on a le recours d'aller se faire avorter dans une clinique londonienne en attendant de pouvoir le faire en France (renseignements pris, les féministes anglaises ne sont pas en retard pour ce procédé)

La limitation des naissances mâles permettrait une évolution positive de la société qui deviendrait féminisée, 1) l'agressivité des mecs serait maîtrisée et toute guerre serait évitée. 2) la paternité et tous les problèmes qui se greffent autour seraient caduques, la transmission des noms serait matronymique (un projet de loi va d'ailleurs être déposé dans ce sens sur le bureau de l'Assemblée nationale), le mariage sera naturellement aboli et la femme pourra choisir en toute liberté le mode de conception de son enfant, soit par insémination artificielle, soit par insémination naturelle en prenant les services d'un mec qu'elle aura choisi et donc qu'elle pourra jeter systématiquement (ça se fait déjà beaucoup actuellement). Les féministes américaines sont déjà très avancées sur les problèmes évoqués ci-dessus, leur supériorité sur les mecs est désormais acquise et si vous lisez le magazine américain Play-Girl, vous pourrez constater que les hommes y sont figurés en tant qu'objets qu'elles manipulent à leur guise et qu'elles sont prêtes à les éliminer de leur plaisir par le système de remplacement que sont les " vibrators " et dont elles vantent les mérités " best that men ".

Toujours aux Etats-Unis et notamment en Californie, des centres sont spécialisés pour l'insémination artificielle des femmes célibataires uniquement. Pris d'un vertige devant la marée du féminisme, les mecs se réfugient dans l'homosexualité (c'est le cas également en Islande, Grande-Bretagne, pays nordiques, certains pays de l'Est, etc...). Cette situation va faire tache d'huile et lorsque le fruit sera bien mûr, on assistera à une dévirilisation générale et à un éclatement de la société mâle au bénéfice d'une société féministe beaucoup plus humaine pour les femmes, la masse des mecs que vous représentez considérée désormais comme des êtres absolument inutiles serait utilisée, après castration, à des travaux domestiques ou autres.

Je suis sûre que vous êtes conscients que vous n'êtes qu'une masse de chair copulatrice et rien d'autre et que par conséquent, lorsque tous les éléments seront réunis pour démontrer votre inutilité, votre élimination de la surface de la terre assainira profondément l'espèce humaine féminine.

Votre souvenir ne s'effacerait pas pour autant puisqu'il serait prévu que quelques espèces mâles seraient introduites dans quelques musées (pour ma part je conserverais volontiers dans des bocaux fermés hermétiquement certaines paires de couilles de mecs qui me paraîtraient intéressantes) .

Je souhaite votre élimination en douceur et dans cette attente, je mènerai le combat naturel pour un monde exclusivement féminin, entre temps, vous pouvez continuer à méditer sur votre sort futur qui sera le néant.

Christine Delval

 

Vive " Types " !

J'apprends votre existence en juin, je vous reçois mi-août, je lis. Je crois qu'il n'y a pas de mots assez forts pour vous encourager vous dire ma joie, mes félicitations, mes espoirs dans votre initiative.

Je trouve vraiment dommage la réaction de certains groupes femmes par rapport à vous. Moi, devenant, comme beaucoup de filles, " anti-mec " (par manque de réactions de la part des gars, ou aussi par négation de certains mecs qui voulant tant se démarquer des autres en rejetaient le

fait d'être un homme, — avec tout ce que ça représente dans la vie, relation de couple complètement inversée par rapport à avant, la femme prenant le rôle de l'homme, et l'homme celui de la femme), par peur de me refaire bouffer d'une autre façon, je créais des rapports avec eux où ils se niaient et je les niais, de mon côté, en tant qu'hommes. De plus les groupes femmes piétinent en ce moment, au moins à Lyon ; parce qu'on manquait de réactions de votre côté, et

d'autre chose aussi...

Jusqu'à maintenant, les réactions des hommes, je les prenais, suivant le cas, comme un " amusement " pour eux (elles nous font marrer, de toutes façons elles vont se calmer et tout rentrera dans l'ordre) ou comme je disais tout à l'heure (je vais être plus féministe qu'elle, elle ne pourra plus se plaindre, elle sera bien) et puis non, j'étais pas bien tout en jouant le jeu, je n'étais pas bien dans ce rôle, dans notre ancien rôle en fait. Quand je lis " Types ", je redécouvre le droit à la différence, l'envie de rediscuter de beaucoup de choses avec des éléments nouveaux.

C'est un élément nouveau qui peut débloquer des situations comme celle des groupes femmes qui devraient se réjouir devant une telle démarche où enfin vous tentez de bouleverser ce que la société veut faire de vous. Comme nous avons déballé sur nos oppressions, déballez sur les vôtres un maximum et même si vous dites un jour des bêtises, tout le monde en dit, il suffit aussi de réussir à débloquer votre situation de mecs mal à l'aise, et je suis sûre que par là vous donnez une bouffée d'oxygène à beaucoup de filles comme moi — et à beaucoup de copains comme les miens —.

Encore une fois je vous encourage, et que votre " paroles d'hommes " arrive vite en province pour qu'on puisse à nouveau revoir toutes ces relations entre nous sur un véritable pied d'égalité.

Michèle Avril

 

Bof !

Messieurs, (pardon, je voulais dire : chers mecs)

Je viens de lire le deuxième numéro de Types. Le premier, lu en son temps, ne m'avait pas tellement " emballé ", mais " partisan des encouragements aux vocations naissantes " et sans doute aussi pour combler un vide existant... j'ai acheté le numéro 2, " Les plaisirs ".

Bof... ça évolue peu.

A mon sens vous êtes un tas d'intellectuels (rien à voir avec l'instruction) assimilables à " être ou ne pas être ". Je vous vois bien autour d'une table ou dans une petite pièce carrée (enfumée ?) en train d'énoncer des vérités premières connues de tous (ou presque), parfaitement stériles mais qui, de par le sujet, vous permettent de croire que vous abattez des forteresses " imprenables ".

A mon avis, il y a d'autres questions à se poser.

Aujourd'hui, " tout le monde " s'accorde pour dire que l'homme a autant de problèmes que la femme et que si le " psychisme " s'en mêle il en a nettement plus. " Être bien dans son sexe ", c'est avant tout le sentir dans son froc, hors de son ventre mais partie entière de son corps. C'est avoir envie de s'en servir pour son plaisir bien sûr mais aussi pour faire plaisir, car notre sexe ne nous appartient pas entièrement : il doit être " partagé ". Il ne faut pas entièrement perdre de vue que si nous sommes là c'est grâce à lui et que si jamais un homme n'avait eu envie d'une femme, si jamais un homme n'avait senti son sexe, nous ne serions pas là pour en " philosopher ".

Et qu'un homme soit bien dans son sexe, c'est déjà tout un programme.

Le sentir ce sexe, ce n'est déjà pas si évident lorsqu'à l'école on n'a pas été dans les premiers dans les concours de longueur, de grossesse ou de celui qui pissera le plus haut sur l'ardoise des pissotières. N'est-ce pas le début de la honte pour ce " bout de peau " qui ne nous glorifie pas selon notre " tête " ?

A 30 ans, c'est souvent la décadence, pas toujours la panne, mais par manque d'envie (de besoin ?). Les remèdes miracles des copains (qui souvent sont dans le même cas mais n'en parlent pas), les médecins généralistes et spécialistes ne sont pas plus efficaces les uns que les autres.

Alors, quand une revue comme Types, qui se dit vouloir prendre les hommes et leurs problèmes au sérieux, apparaît, on débourse, sans rechigner, nos 20 balles. On dévore et on est déçu parce que l'on a cru que c'était peut-être arrivé, que le miracle avait lieu, que le " petit Jésus " renaîtrait avec vigueur dans nos culottes de velours.

Bien entendu, il y a le problème inverse de ceux qui sautent sur tout ce qui ressemble à une femme sans s'occuper le moins du monde de l'Amour. Je ne le nie pas. C'est encore un problème.

Grosses bises les mecs. Jean.

Jean Jacob

 

Douches froides

Messieurs, Je découvre, aujourd'hui même, votre revue " Types " dans laquelle vous demandez l'avis des lecteurs. A première vue : Bof...

Je voyais cette revue autrement. Je pensais trouver autre chose que des " états d'âmes " plus ou moins dépressifs, largement dilués pour garnir le maximum de pages. Je me trompe peut-être entièrement mais il me semble qu'il serait plus utile de mettre un cours d'anatomie, d'apprendre à vos lecteurs à bien baiser, leur donner des conseils pour être en forme, demander à des femmes ce qu'elles désirent et, si vous voulez, quelques résultats obtenus par des lecteurs.

Ily a aussi les recherches sur le contrôle des naissances masculin, la chute de la libido chez l'homme (que peut-on y faire ?), la recherche d'une bonne virilité, d'organes sexuels en " bonne santé " en " bon état de marche "... Savez-vous que de simples douches froides font parfois apparaître des améliorations très sensibles ?

Michel Bertinot

 

Vue d'ailleurs

7 Mai 1980. Ouf ! Fini le procès. Et chacun repart chez soi, plus ou moins content : attitude révoltante du juge, salle du tribunal archi-comble, peines légères, petite manif de bonne conscience. On pouvait avoir le cœur plus ou moins lourd, y en avait pour tous les goûts . Moi je faisais partie des pas contentes du tout. Ces dernières semaines m'ont paru à la limite de l'insupportable : et plus ça allait, plus ça s'aggravait. Car au coeur même d'une lutte qui se veut par définition contestataire et porteuse d'" autre chose " (!), je n 'ai cessé de voir poindre et s'épanouir une tristesse séculaire, celle d'un monde d'hommes où la gent masculine tourne en rond de façon nombrilesque dans son propre enfermement.

Nouvelles, ces réunions où des voix graves et posées, pleines de leur importance, s'écoutaient parler et prenaient des décisions d'un ton sentencieux ? Nouveaux, des petits responsables pontifiants de manifs, tranchant sans réplique l'ordre du défilé, des banderoles, des prises de parole finales (et masculines) ? Nouvelle, cette répartition (fortuite...) des rôles : deux avocats, trois corbeaux pour jury, quatre accusés, des flics, trois témoins (le mot n'existe même pas au féminin... ) sur quatre ? Merci à Solange Fernex d'avoir été là pour sauver, sauver quoi après

tout ? Solange si discrète d'ailleurs (1), perdue au fond de la salle lors du procès, se gardant bien de parader d'un groupe à l'autre comme tous les autres acteurs mâles de la sinistre comédie, lors de l'interruption de séance ; Solange disparaissant sans tambours ni trompettes au cours de la manif, parce qu'elle était fatiguée tout simplement sans faire d'adieux théâtraux à quiconque, ni vue ni connue. Faut dire que ces messieurs empressés, se distribuant courbettes, sourires et poignées de mains, n'en avaient cure... Mais oui, on peut avoir les cheveux longs, le jean délavé et le regard clair du devoir marginal accompli, et ressembler à un jeune P.D.G. qui vient de conclure une bonne affaire. Le contenu change, la forme reste. Dans ces cas-là, on parle entre hommes—sérieux : les nanas c'est pour la détente, avant et après, mais pas pendant. Silence, on parle ! Ces messieurs réfléchissent... A la limite vous les femmes, vous pouvez toujours servir pour faire une banderole, compter les sous ou faire signer une pétition — sourire à l'appui, s'entend... Et recueillir quelques mots jetés comme un os à ronger à un chien, dans le meilleur des cas. Quelle raideur empesée dans vos gestes messieurs ! Quel ton tranchant dans vos paroles ! Quelle tristesse compassée dans vos déclarations ! Si une lutte ressemble à présent à un enterrement, si on donne un départ de manif comme on sonne le glas, si l'action antinucléaire met dans l'air une ambiance de guerre, avec ses ordres aboyés, ses marches au pas, ses petits adjudants et ses états-majors, qui nous mettent toutes et tous au bord de la crise de nerfs — alors là je dis non et je démissionne (ajouterai-je que je préfère mon tricot ?).

Une lutte — c'est pourtant un mot féminin, ça devrait être chaud, plein, on devrait s'y sentir bien, les uns près des autres, une fête quoi ! Je demande le droit pour les luttes de se féminiser, je demande que la vie s'y exprime dans toute sa richesse et sa brillance. Je demande le droit d'exister pour notre fantaisie à côté de votre sécheresse. Je demande qu'une femme soit elle aussi écoutée dans une réunion, qu'on ferme la gueule aux beaux-parleurs, qu'on démonte les prises de pouvoirs par la parole, que les petits chefs soient contestés, qu'on prenne le temps de se sourire et de s'aimer, qu'on ait le droit d'éclater de rire sans être prise (je mets au féminin car les hommes n'éclatent pas de rire dans ces circonstances) pour une folle. Je demande que les mecs arrêtent de trancher dans le vif de la vie pour décider de ce qui est sérieux ou pas, prioritaire ou pas, urgent ou pas, que les nanas refusent systématiquement les petits boulots (subal) ternes et les rôles secondaires dans une lutte, qu'elle soit antinucléaire ou autre : je demande de l'énergie pour renverser le vieux monde de nos rapports. Je sais qu'il pèse lourd sur nos épaules, mais si nous ne commençons pas, ici et tout de suite, à vivre " autre chose ", entre nous, à partir de la recherche de nos découvertes, qui le fera à notre place ? et à quoi donc servira de gagner contre le nucléaire ou contre l'étatisme, ou contre tout autre monstre ? si le monde le plus noir vit en nous et nous bouffe les entrailles. Je demande qu'on tue une bonne fois pour toutes le Père et le Mari, seigneurs et maîtres, et qu'on en fasse des feux de joie.

Si les mecs les plus sympas, qui se croient honnêtement un peu plus conscients que le Français moyen, ne sont rien d'autre dans leur vie de tous les jours, dans guéguerre écolo, que de vulgaires exploiteurs de femelles — et la bouche en cœur en plus, le plus innocemment du monde ! alors c'est plus la peine d'insister... On écrase le cœur léger 50% de la population, et on va donner aux autres des leçons de libertés d'expression, d'exploitation et de colonisation. Grotesque non ? On dit " garde les gosses, je vais à la réunion ", ou " va au procès à ma place, je travaille " (et elle ? pourquoi elle travaille pas ?), et on se croit contestataire, on croit qu'on va changer quelque chose, apporter un sang neuf !...

Parole d'homme,... Parole du Père, parole du mâle, parole du héros, du pape, du gendarme, parole qui essaie vainement de combler je ne sais quelle frustration, arrêtez ! vous voyez pas que vous nous faites crever ? J'ai écrit ailleurs " machos antinucléaires, mais machos quand même ", c'est bien ça. Et je serai juste, je dirai comme certaines d'entre nous marchent au pas dans cette combine ignoble du mâle-supériorisant et de la femme suivante : qui n'a pas remarqué que, souvent, lors des dernières réunions, les femmes ne voulaient pas prendre la parole ou des responsabilités ? J'en souffrais pour elles. Qui n'a pas remarqué le nombre de minettes admiratives le jour du procès ? Dites donc, cinq chevelus (donc " beaux " par définition), ô mon héros, ô mon martyr, face au méchant juge, c'est quand même plus exaltant qu'une après-midi de cours au lycée ! y'aura de quoi raconter aux copines le lendemain, c'est même mieux que le cinéma... Gageons qu'elles ne seront pas là ces petites lycéennes-fleurs le jour du procès de Jeannine (2)... Tout le monde marche dans le machisme, tout le monde y va de sa petite pierre, hommes et femmes et l'édifice de la phallocratie monte, se renforce, rayonne de ses pleins feux, à droite comme à gauche, dans les rangs comme hors des rangs. Qui, le premier, aura une conscience assez claire de nos exploitations réciproques, pour lui tourner le dos et prendre une fronde ? Et nous, on se laisse tendrement étouffer. Ben voyons, on va pas se disputer pour si peu avec un camarade de lutte, parce qu'il nous a donné un ordre d'une voix un peu trop autoritaire ? Faut pas être si susceptible, si on se serre pas les coudes... Et c'est reparti pour un tour.

J'étouffe, je n'en peux plus de vouloir respirer. Petits phallos de tous poils vous me donnez envie de hurler ; tant qu'en vous, en nous, ne sera pas détruit le poison de la domination, à dépister et pourchasser dans nos moindres recoins, ne vous crevez pas le cul en manifs et réunions ; c'est pas la peine de faire semblant d'être utiles, de vous jouer la comédie de l'ennemi extérieur, alors que vous le savez, l'abcès du vieux monde pourri à ouvrir et vider, nous le portons chacun(e) dans nos voix, dans nos regards, dans nos corps.

Après s'écoulera le lait de la vie.

Marielle Rispail

(l) Seule témoin femme

(2) Jeannine : 5ème inculpée. Passait en procès un mois plus tard.

Non, elles n'y sont pas allées.

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Revue TYPES  4 - Paroles d’hommes - 1982

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